Diffamation pendant les débats judiciaires : la libre discussion
Diffamation pendant les débats judiciaires : la libre discussion
Ce point juridique est utile ?

Le passage des conclusions d’un adversaire qui n’excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire ne peut être supprimé.

Aux termes de l’article L. 741-2 du code de justice administrative : ” Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : ‘Art. 41, alinéas 3 à 5.- Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts “.

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Tribunal administratif de Versailles, 9ème chambre, 4 avril 2023, 2103383 Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 avril et 29 septembre 2021, la SCI La Ferme de Fontine, représentée par Me Ghaye, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler l’arrêté du 25 février 2021 par lequel le maire de la commune d’Emancé a refusé de lui délivrer un permis de construire modificatif ;

2°) d’enjoindre au maire de la commune d’Emancé de lui délivrer un permis de construire modificatif ou, à titre subsidiaire, de procéder à une nouvelle instruction de sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la commune d’Emancé la somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de supprimer les passages injurieux du mémoire en défense produit par la commune d’Emancé le 15 juillet 2021.

Elle soutient que :

– l’arrêté attaqué est entaché d’erreur de droit et de fait dès lors que contrairement à ce qu’a retenu le maire, les modifications envisagées par la demande ne sont pas de nature à remettre en cause la conception générale du projet initial ;

– à titre principal, il est entaché d’erreur de droit dès lors que le maire ne pouvait lui opposer la méconnaissance des dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) approuvé le 28 septembre 2018 alors qu’elle est titulaire d’un permis de construire initial délivré sous l’empire des dispositions du plan d’occupation des sols (POS) du 16 mars 2007 qui sont cristallisées ;

– à titre subsidiaire, il est entaché d’erreurs de droit dès lors que le projet litigieux ne méconnaît pas les dispositions des articles N2 et N9 du règlement du PLU de la commune ;

– le mémoire en défense du 15 juillet 2021 contient des passages injurieux, outrageants, et diffamatoires qu’il convient de supprimer ;

– la demande de substitution de motif présentée par la commune n’est pas fondée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2021, la commune d’Emancé, représentée par son maire en exercice, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SCI La Ferme de Fontine une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle doit être regardée comme faisant valoir que :

– à titre principal, les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

– à titre subsidiaire, les motifs de la décision attaquée peuvent être substitués par le motif tiré de ce que le permis de construire initial était périmé et que la demande de permis de construire modificatif ne pouvait qu’être rejetée faute pour la société d’avoir présenté une demande de prorogation.

Par une ordonnance du 16 décembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 10 février 2023 à 12 heures.

Un mémoire, présentée par la SCI La Ferme de Fontine, a été enregistré le 2 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Maljevic, conseiller,

– les conclusions de M. Fraisseix, rapporteur public,

– et les observations de Me Hauville, représentant la SCI La Ferme de Fontine.

Une note en délibéré, présentée par la SCI La Ferme de Fontine, a été enregistrée le 28 mars 2023.

Considérant ce qui suit

:

1. Par un arrêté du 27 mars 2014, le maire de la commune d’Emancé a délivré à la SCI La Ferme de Fontine un permis de construire pour la réalisation de travaux sur des constructions existantes et la création d’une piscine, d’un garage et d’un ” pool house ” pour une surface de plancher totale créée de 160 mètres carrés. La SCI La Ferme de Fontine a déposé, le 25 janvier 2021, une demande de permis de construire modificatif ayant notamment pour objet la modification de l’implantation des constructions autorisées. Par un arrêté du 25 février 2021, le maire de la commune d’Emancé a refusé de délivrer le permis sollicité. Par la présente requête, la SCI La Ferme de Fontine sollicite du tribunal l’annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Pour refuser le permis de construire modificatif sollicité, le maire de la commune d’Emancé a opposé, en premier lieu, la circonstance que le projet de modification est, eu égard à son ampleur, de nature à remettre en cause la conception générale du projet initial. Il a retenu, en second lieu, que ce projet méconnaît les dispositions des articles N2 et N9 du règlement du PLU.

En ce qui concerne la méconnaissance des articles N2 et N9 du règlement du PLU :

3. En premier lieu, si les règles d’urbanisme entrées en vigueur postérieurement à la date de délivrance du permis de construire initial ne permettaient plus, à la date du permis modificatif, la construction projetée, l’autorité administrative ne peut légalement refuser pour ce motif l’autorisation d’apporter au projet des modifications qui ne portent pas à la nouvelle réglementation une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du permis initial.

4. Il résulte de ce qui est dit au point précèdent que la circonstance que la SCI La Ferme de Fontine soit titulaire d’un permis de construire initial délivré le 27 mars 2014 sous l’empire des dispositions du plan d’occupation des sols (POS) approuvé le 16 mars 2007 ne saurait lui conférer le bénéfice de la cristallisation de ces dispositions dans le cadre de l’examen de sa demande de permis de construire modificatif dès lors qu’il appartient au maire de rechercher si les travaux projetés par cette demande ne portent pas à la nouvelle réglementation une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du permis initial. Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le maire de la commune d’Emancé a examiné le projet en litige à l’aune des dispositions des articles N2 et N9 du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) approuvé postérieurement au permis de construire initial.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article N2 du règlement du PLU de la commune d’Emancé, relatif aux types d’occupation ou d’utilisation des sols soumis à conditions particulières ” () 6. En dehors des ” sites urbains constitués ” définis au lexique (la lisière de forêt est figurée au règlement graphique par un trait plein) toute construction nouvelle est interdite dans une bande de 50 m d’épaisseur, parallèle à la lisière ; cependant, dans cet espace de protection, sous réserve de ne pas s’approcher du massif forestier, sont autorisées : () / – les annexes d’une hauteur maximale à l’égout de 3,5m, liées à une habitation existant sur la même unité foncière, dans la limite de 40 m2 d’emprise au sol totale, réalisées en une ou plusieurs fois, à compter de la date d’approbation du présent plan local d’urbanisme “.

6. Aux termes du lexique du règlement de ce PLU : ” Site urbain constitué et massif forestier de plus de 100 hectares / En dehors des sites urbains constitués, toute nouvelle urbanisation à moins de 50 m des lisières des forêts de plus de 100 ha est proscrite par le schéma directeur de la région Île-de-France (Sdrif 2030). / Un site urbain constitué est défini comme un espace bâti doté d’une trame viaire et présentant une densité, un taux d’occupation des sols, une volumétrie que l’on rencontre dans les zones agglomérées. / Son existence et ses limites seront appréciées au cas par cas en tenant compte notamment des limites physiques et des voiries existantes. / Le principe de base à retenir est que, même en présence d’un site urbain constitué, aucune nouvelle avancée de l’urbanisation vers le massif n’est possible. Concrètement : – l’urbanisation ne doit jamais progresser vers le massif ; / – lorsqu’elle est déjà présente, l’urbanisation existante peut être densifiée, mais uniquement à l’opposé du massif. / Définition d’un massif de plus de 100 ha : c’est un ensemble de bois de plus de 20 ans constitué d’éléments boisés, publics ou privés, qui se trouvent à une distance de moins de 30 m les uns des autres. / Il n’est pas tenu compte du compartimentage issu des infrastructures (voies ferrées, routes, autoroutes) “.

7. D’une part, il ressort clairement du règlement graphique du PLU de la commune d’Emancé que l’implantation du garage prévu par le projet de construction se situe dans la bande de protection des lisières des massifs boisés de plus de 100 hectares de sorte que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions précitées de l’article N2 du règlement du PLU lui sont applicables.

8. D’autre part, il ressort des pièces des dossiers de demande de permis de construire que dans le permis de construire initial, le projet portait sur la réalisation d’un garage d’une emprise au sol de 100 mètres carrés. Ce faisant, il porte atteinte à la nouvelle règlementation issue du règlement du PLU qui limite désormais à 40 mètres carrés d’emprise au sol la construction des annexes dans la bande de protection des lisières de ces massifs boisés. Dans le dossier de permis de construire modificatif, le projet porte sur la réalisation d’un garage d’une emprise au sol de 100,08 mètres carrés, soit 0,08 mètres carrés d’emprise supplémentaire. Bien que l’augmentation de l’emprise créée soit très faible, le projet ainsi modifié, porte nécessairement une atteinte supplémentaire aux dispositions de l’article N2 du règlement du PLU par rapport à celle résultant du permis initial. Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit, que le maire de la commune d’Emancé a pu retenir ce motif pour refuser le projet litigieux dès lors que celui-ci porte à la nouvelle réglementation une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du permis initial.

9. En troisième lieu, aux termes de l’article N9 du règlement du PLU relatif à l’emprise au sol des constructions : ” Zone N et tous ses secteurs à l’exception des secteurs Nm et Ns : l’emprise au sol des constructions ne pourra pas dépasser 20 % de la superficie de la parcelle. / Emprise au sol des annexes : Garages : leur emprise au sol est limitée à 40 m2 () “.

10. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 8, c’est sans commettre d’erreur de droit, que le maire de la commune d’Emancé a pu retenir le motif tiré de la méconnaissance de l’article N9 pour refuser le projet litigieux dès lors que celui-ci porte également à la nouvelle réglementation une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du permis initial.

En ce qui concerne les modifications envisagées par le permis de construire modificatif :

11. L’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

12. Il ressort des pièces du dossier que les modifications envisagées par la demande portent sur l’implantation des constructions autorisées et la réduction de l’emprise au sol de certaines annexes. Ces modifications n’apportent pas au projet initial un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même, ni, du reste, ne remettraient en cause la conception générale du projet initial. Elles pouvaient, dès lors, faire l’objet d’un permis de construire modificatif. Par suite, les moyens tirés de l’erreur de droit et de l’erreur de fait doivent être retenus.

13. Toutefois, il résulte de l’instruction que le maire de la commune d’Emancé aurait pris la même décision s’il n’avait retenu que les deux motifs tirés de la méconnaissance des dispositions des articles N2 et N9 du règlement du PLU.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de procéder à la substitution de motif sollicitée par la commune, que la SCI La Ferme de Fontine n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 25 février 2021 par lequel le maire de la commune d’Emancé a refusé de lui délivrer le permis de construire modificatif qu’elle a sollicité.

Sur les conclusions à fin d’injonction sous astreinte :

15. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par la SCI La Ferme de Fontine n’appelle aucune mesure d’exécution. Dès lors, les conclusions à fin d’injonction sous astreinte présentées par la société requérante ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.741-2 du code de justice administrative :

16. Aux termes de l’article L. 741-2 du code de justice administrative : ” Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : ‘Art. 41, alinéas 3 à 5.- Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts “.

17. Le passage dont la suppression est demandée par la SCI La Ferme de Fontine n’excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire. Les conclusions tendant à sa suppression doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d’Emancé, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SCI La Ferme de Fontine demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

19. Si une personne publique qui n’a pas eu recours au ministère d’avocat peut néanmoins demander au juge l’application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l’occasion de l’instance, elle ne saurait se borner à faire état d’un surcroît de travail de ses services. En l’espèce, la commune d’Emancé qui n’a pas eu recours au ministère d’avocat se borne à demander le versement d’une somme au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sans faire état précisément des frais qu’elle a spécifiquement exposés pour se défendre à l’instance. Dans ces conditions, les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune, qui ne justifie d’aucun frais spécifique, doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI La Ferme de Fontine est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune d’Emancé présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SCI La Ferme de Fontine et à la commune d’Emancé.

Délibéré après l’audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Boukheloua, présidente,

Mme Benoit, première conseillère,

M. Maljevic, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.

Le rapporteur,

signé

S. Maljevic

La présidente,

signé

N. Boukheloua

La greffière,

signé

B. Bartyzel

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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