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Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 avril 2023, 22-83.635
N° N 22-83.635 F-D
N° 00458
SL2
12 AVRIL 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 AVRIL 2023
Mme [Z] [X] et l'[1], parties civiles, et M. [S] [I] ont formé des pourvois contre l’arrêt n° 49 de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 17 mars 2022 qui, sur renvoi après cassation (Crim., 3 novembre 2020, n° 19-87.463), dans la procédure suivie contre M. [S] [I] et la société [2], a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [Z] [X], et de l'[1], les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de M. [S] [I], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 14 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mme [Z] [X] et l'[1] ([1]) estimant être mises en cause dans les éditoriaux du journal de l’île de La Réunion des 14, 17, 21, 25, 26, 28, 30 et 31 octobre 2017, ont fait citer, devant le tribunal correctionnel, M. [S] [I], directeur de publication et auteur des articles en cause, ainsi que la société [2], civilement responsable, du chef de diffamation publique envers des particuliers.
3. Par jugement du 7 mars 2019, le tribunal correctionnel a constaté la nullité de la citation, laquelle a été confirmée par un arrêt du 31 octobre suivant de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion.
4. Par arrêt du 3 novembre 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt en toutes ses dispositions et a renvoyé l’affaire devant la même cour d’appel autrement composée, saisie des seuls intérêts civils.
proposés pour M. [I]
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, huitième, neuvième et dixième branches et
, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, proposés pour Mme [X] et l'[1]
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.
, pris en sa première branche, proposé pour Mme [X] et l'[1]
7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté les prétentions de Mme [X] et l'[1] tendant à voir juger que M. [I], en sa qualité de directeur de la publication du JIR, avait commis à Saint Denis les 30 et 31 octobre 2017 et en tout cas depuis temps non prescrit, de graves fautes dont il doit réparation au regard des dispositions de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 1240 du code civil pour avoir porté atteinte à leur honneur et à leur considération (allégations numérotées n° 18 à 33), alors :
« 1°/ que constitue une diffamation l’allégation ou l’imputation d’un fait précis qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime et de nature à faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ; que les propos incriminés, même s’ils concernent un sujet d’intérêt général, doivent reposer sur une base factuelle suffisante et ne pas dépasser les limites admissibles de la liberté d’expression ; que les propos selon lesquels « Dans un article paru dans le J.I.R, le 17 octobre 2017, nous relations les conditions particulièrement inhumaines dans lesquelles Mme [Z] [X] a traité une patiente, particulièrement déterminée et autonome. La directrice de l'[1] lui a suggéré d’opter pour la HQD, hémodialyse à domicile quotidienne. Et [Z] [X] s’était même engagée personnellement, mais évidemment seulement verbalement, promettant que l'[1] prendrait en charge les frais annexes, notamment la présence obligatoire d’une aidante, lorsque la personne dialyse chez elle. Il n’en fut rien et la patiente fut contrainte d’abandonner la HQD qui lui offrait pourtant un confort incomparable, par rapport à l’autodialyse tri-hebdomadaire en centre qu’elle subit depuis 9 ans » (JIR du 30 octobre 2017, page 6, 1ère et 2e colonnes) imputent à l'[1] et à madame [X], responsable de l’établissement de soins, de trahir ses patients et de les traiter dans des conditions inhumaines ; qu’en imputant ainsi à madame [X] et à l'[1] de ne pas respecter leurs engagements, de contraindre une patiente à abandonner l’hémodialyse quotidienne à domicile (HQD), monsieur [I] a gravement porté atteinte à l’honneur et à la considération de l'[1] et de madame [X] ; qu’en retenant que ces faits ne pouvaient être qualifiés de diffamatoires au motif qu’ils étaient le coeur du sujet informatif de l’article en cause, qu’ils évoquaient de façon critique la situation de la dialyse à la Réunion et qu’ils restaient dans le champ de la liberté d’expression et du devoir d’information de l’auteur des propos attaqués, cependant que ces propos, loin de demeurer cantonnés dans les limites d’un débat d’intérêt général relatif au fonctionnement d’une association oeuvrant dans le domaine de la dialyse, étaient révélateurs d’une intention de nuire du journaliste à l’encontre de madame [X] et de l’établissement de soins qu’elle dirigeait, excédant les limites de la liberté d’expression, et s’inscrivaient dans un contexte de harcèlement continu de l'[1] et de sa dirigeante, auquel monsieur [I] avait consacré en six mois plus de 30 articles, la cour d’appel a méconnu les articles 29, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 1240 du code civil, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 591 à 593 du code de procédure pénale. »
8. Pour dire non fautives à l’égard de Mme [X] et de l'[1], les allégations n°18, faisant état de la situation d’une patiente dialysée à domicile, contrainte d’abandonner le traitement en raison du non-respect des engagements de la première, l’arrêt conclut que ces faits, même allégués, ne peuvent être qualifiés de diffamatoires dès lors qu’ils évoquent de façon critique la situation de la dialyse à La Réunion et restent, ainsi, dans le champ de la liberté d’expression et du devoir d’information de l’auteur des propos attaqués.
9. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. Il s’ensuit que le grief n’est pas fondé.
Mais
, pris en sa septième branche, proposé pour Mme [X] et l'[1]
11. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [X] tendant à voir juger que M. [I], en sa qualité de directeur de la publication du [2], avait commis à Saint Denis de la Réunion, les 14, 17, 21, 25, 26, 28, 30 et 31 octobre 2017 et en tout cas depuis temps non prescrit, de graves fautes dont il lui doit réparation au regard des dispositions de l’article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 1240 du code civil pour avoir porté atteinte à son honneur et à sa considération (allégations numérotées 1 à 7, 9, 12 et 13), alors :
« 7°/ que constitue une diffamation l’allégation ou l’imputation d’un fait précis qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ; que les propos incriminés, même s’ils concernent un sujet d’intérêt général, doivent reposer sur une base factuelle suffisante et ne pas dépasser les limites admissibles de la liberté d’expression ; qu’en imputant à madame [X] de ne pas respecter ses engagements, de pousser une patiente à la désespérance, de ne pas payer les indemnités dues par l'[1], alors que sa trésorerie était importante, de ne pas déclarer les personnes qui devraient l’être et de tourner le dos à l’humain avec cynisme pour satisfaire des intérêts bassement financiers ([2] du 17 octobre 2017, p.11, 3ème à 5ème colonnes), monsieur [I] a gravement porté atteinte à l’honneur et à la considération de madame Won-Fan-Hin ; qu’en retenant que ces faits ne pouvaient être qualifiés de diffamatoires au motif qu’ils étaient le coeur du sujet informatif de l’article en cause, qu’ils évoquaient de façon critique la situation de la dialyse à la Réunion et qu’ils restaient dans le champ de la liberté d’expression et du devoir d’information de l’auteur des propos attaqués, cependant que ces propos, loin de demeurer cantonnés dans les limites d’un débat d’intérêt général relatif au fonctionnement d’une association oeuvrant dans le domaine de la dialyse, étaient outranciers et inutilement blessants, excédant les limites de la liberté d’expression et s’inscrivaient dans un contexte de harcèlement continu de madame [X], auquel monsieur [I] avait consacré en six mois plus de 30 articles, la cour d’appel a méconnu les articles 29, alinéa 1er , de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 1240 du code civil, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Vu l’article 593 du code de procédure pénale :
12. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour dire non fautives à l’égard de Mme [X] et l'[1] les allégations n° 7 faisant état de manquements imputés à celles-ci dans la prise en charge de la patiente, l’arrêt attaqué énonce que ces faits, même allégués, ne peuvent être qualifiés de diffamatoires dès lors qu’ils sont le coeur du sujet informatif de l’article en cause, qu’ils évoquent de façon critique la situation de la dialyse à La Réunion, et qu’ils restent dans le champ de la liberté d’expression et du devoir d’information de l’auteur des propos attaqués.
14. En se déterminant ainsi, alors que les propos imputaient à Mme [X] et à l'[1] le défaut d’information de la patiente sur l’opportunité des aides, l’absence de déclaration du tiers-aidant et le refus de dédommager financièrement ce dernier, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et
, pris en sa sixième branche, proposé pour Mme [X] et l'[1]
16. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté les prétentions de Mme [X] et l'[1] tendant à voir juger que M. [I], en sa qualité de directeur de la publication du JIR, avait commis à Saint Denis les 30 et 31 octobre 2017 et en tout cas depuis temps non prescrit, de graves fautes dont il doit réparation au regard des dispositions de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 1240 du code civil pour avoir porté atteinte à leur honneur et à leur considération (allégations numérotées n° 18 à 33), alors :
« 6°/ que la bonne foi se caractérise, de manière cumulative, par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que par le sérieux de l’enquête ; que la cour d’appel a retenu que les propos selon lesquels « Les pratiques de l'[1], qui consistent à faire le plus gros chiffres d’affaires possible, ne visent pas uniquement la constitution d’un trésor de 22 millions d’euros. Celles et ceux qui s’investissent dans les pratiques frauduleuses et douteuses profitent de ce qui s’appelle communément un retour sur investissement » (J.I.R du 31 octobre 2017, petit article de la page 10, les deux premiers §), même s’ils ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante, ne contenaient pas de propos attentatoires à l’honneur ou à la considération des parties civiles, s’agissant d’un article polémique dans lequel le journaliste exposait son opinion sur la gestion des primes au sein de l’association tout en publiant un extrait d’un audit énonçant exactement les termes du quatrième paragraphe ; que les propos litigieux imputaient pourtant à l'[1] de se livrer à des pratiques frauduleuses et douteuses et de corrompre ses cadres en les récompensant par des primes pour leur investissement dans les pratiques malhonnêtes alléguées et sous-entendaient que madame [X] se rémunérait au travers de ces primes pour se récompenser de ses propres turpitudes ; que ces imputations susceptibles de qualification pénale, portaient nécessairement atteinte à l’honneur et à la considération de madame [X] et de l'[1] ; que le journaliste, qui ne disposait d’aucune base factuelle suffisante, avait gravement manqué de prudence et de mesure dans l’expression en présentant les parties civiles comme se livrant à des pratiques frauduleuses et douteuses et corrompant les cadres en les récompensant par des primes pour leur investissement personnel dans ces pratiques malhonnêtes ; qu’en jugeant néanmoins que ces propos n’étaient pas fautifs, la cour d’appel a violé les articles 29, alinéa 1er , de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 1240 du code civil, 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Vu l’article 593 du code de procédure pénale :
17. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour déclarer non fautive l’imputation n° 33, relative aux primes versées par l'[1], l’arrêt énonce que ces propos, même s’ils ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante, ne sont pas attentatoires à l’honneur ou à la considération des parties civiles, s’agissant d’un article polémique dans lequel le journaliste expose son opinion sur la gestion des primes au sein de l’association.
19. En statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
20. En effet, les juges ne pouvaient dénier aux propos tout caractère attentatoire à l’honneur et à la considération de l'[1] sous prétexte qu’il s’agissait d’un article polémique, alors qu’il était affirmé, au sujet des primes versées par cette association, que celles et ceux qui s’investissent dans les pratiques frauduleuses et douteuses profitent de ce qui s’appelle communément un retour sur investissement.
21. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux allégations n° 7 et 33, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 17 mars 2022, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille vingt-trois.