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Cour d’appel de Montpellier, 5e chambre civile, 7 mars 2023, 20/04106
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
5e chambre civile
ARRET DU 07 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/04106 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OWKV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 SEPTEMBRE 2020
Tribunal Judiciaire de MONTPELLIER
N° RG 18/04996
APPELANTS :
Monsieur [F] [R]
né le [Date naissance 1] 1969
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assisté de Me Arnaud DIMEGLIO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
SAS H&L prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié audit siège en cette qualité
[Adresse 3]
[Localité 10]
Représentée par Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
assistée de Me Arnaud DIMEGLIO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
INTIME :
Monsieur [Y] [C]
né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 9] (30)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Sarah MASOTTA de la SELARL ALTEO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
Ordonnance de clôture du 02 Janvier 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 JANVIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller
M. Emmanuel GARCIA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.
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La SAS H & L spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de détail de meubles, cuisines et salles de bains, sous l’enseigne Arthur Bonnet, a constaté l’existence de commentaires diffamatoires publiés le 21 et 23 juillet 2018 sur le site « custplace.com » sous un pseudonyme «[Courriel 11] », dont elle obtenait l’identité du titulaire par ordonnance judiciaire d’injonction à SFR comme étant [Y] [C].
La SAS H & L et le responsable du magasin [F] [R] ont fait assigner [Y] [C] sur le fondement de la loi du 29 juillet 1981 et du code de la consommation.
Le jugement rendu le 18 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier énonce dans son dispositif :
Déboute la SAS H & L et [F] [R] de l’ensemble de leurs demandes.
Condamne la SAS H & L et [F] [R] à payer à [Y] [C] la somme de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS H & L et [F] [R] aux dépens.
Le jugement retient la recevabilité de l’action, en relevant d’une part que les dispositions de l’article 46 de la loi de 1881 selon lesquelles l’action civile résultant des délits de diffamation ne pourra être poursuivie séparément de l’action publique ne sont applicables que lorsqu’elle vise certaines catégories de victimes limitativement énumérées, d’autre part que l’action civile engagée dans l’espèce avant la plainte pénale est un choix recevable et irrévocable, et que l’action pénale ne porte pas dans l’espèce sur un objet identique.
Le jugement relève que [Y] [C] ne conteste pas être l’auteur des trois messages diffusés sur le site rapportés dans un procès-verbal de constat du 4 septembre 2018.
Le message du 21 juillet 2018 évoque « vente forcée ; passage demain pour baisser les tarifs ; expo photo et autres excuses pour faire croire à une belle affaire ; pseudos designers en cuisine ; le site est payé par la marque ».
Le message du 23 juillet indique « les cuisinistes honnêtes et soucieux des clients, et pas de leur portefeuille, ne sont jamais cités sur Internet avec des avis négatifs, seuls les rois de la vente forcée le sont ».
Le jugement retient que si ces messages font état de pratiques contestables ils ne font état d’aucun fait précis pour qualifier la diffamation, qu’ils visent la marque Arthur Bonnet et non pas la SAS H & L qui ne peut être identifiée dans les propos.
Le message du 4 septembre 2018 indique « vous parlez bien de l’enseigne de [Localité 8] [Localité 10], c’est le responsable des vendeurs avec les cheveux gras qui vous a aussi reçu. Je trouve pitoyable de mentir aux gens pour faire du chiffre d’affaire. Le couple qui m’a posé la cuisine a travaillé pour eux, ce qui m’a été dit sur leurs techniques de vente, le deuxième rendez-vous est pire car ils doivent récupérer encore de l’argent sur le devis signé par de multiples magouilles de nouveaux meubles ou déplacements non obligatoires, et pire est le SAV car les poseurs ne veulent pas revenir le faire. Ce magasin n’a aucun vendeur salarié ».
Le jugement expose que ce message concerne incontestablement celui exploité par La SAS H & L, mais que là encore il ne donne aucun fait précis pouvant faire l’objet d’une preuve par un débat contradictoire.
Concernant [F] [R], celui-ci vise dans le message du 23 juillet les propos « il faut savoir d’où viennent ces directeurs de magasin, les potes à [Z] [D] ; vente forcée avec le passage du premier vendeur qui devient directeur ; ces directeurs confondent les comptes (voir les voitures garées devant les enseignes) ; j’ai perdu un acompte à cause d’un directeur ».
Le jugement retient que ce message ne vise ni la SAS H & L ni le magasin de [Localité 10], et donc n’impute aucun fait précis au directeur de ce magasin [F] [R].
La SAS H & L et [F] [R] ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 30 septembre 2020.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 janvier 2023.
Les écritures pour la SAS H & L et [F] [R] ont été déposées le 3 novembre 2022.
Les écritures pour [Y] [C] ont été déposées le 9 février 2021.
Le dispositif des écritures pour la SAS H & L et [F] [R] énonce en termes de prétentions :
Confirmer le jugement de recevabilité de l’action.
Infirmer le jugement sur le fond.
Statuant à nouveau, dire que les messages publiés par [Y] [C] sous le pseudonyme Selarom le 21 juillet, le 23 juillet, le 4 septembre 2018, (exactement reproduits dans le dispositif) constituent une diffamation au sens de l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, et condamner [Y] [C] à payer la somme de 50 000 € en réparation du préjudice causé.
Juger que les propos diffusés dans le message du 21 juillet (exactement reproduits) portent atteinte à l’honneur et la considération de [F] [R] et condamner [Y] [C] à lui payer la somme de 10 000 € en réparation de son préjudice.
Condamner [Y] [C] à verser la somme de 6000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens avec droit de recouvrement direct en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La SAS H & L retranscrit dans ses écritures l’énoncé exhaustif des avis objet du litige. Elle indique exercer sous l’enseigne Arthur Bonnet, que l’auteur des avis [Y] [C] est un ancien salarié en contentieux devant le conseil des prud’hommes au moment des faits.
Elle demande la confirmation des motifs de recevabilité de l’action civile.
Sur le fond, la SAS H & L et [F] [R] demandent l’infirmation du rejet de l’application de la loi du 29 juillet 1881, fondé sur l’identification d’une personne à laquelle on impute les faits diffamatoires.
Ils exposent que l’avis du 4 septembre vise expressément le magasin Arthur Bonnet à [Localité 8] [Localité 10], que l’activité du magasin est exercée à cette enseigne et que le site info greffe fait immédiatement apparaître la fiche de l’entreprise H & L. Il convient de confirmer cette identification reconnue par le premier juge.
L’avis du 21 juillet traite de l’achat d’une cuisine dans un magasin, et de son directeur, qu’il a trois magasins en Occitanie. Le nom du site Selarom est l’anagramme de [R] directeur du magasin de vente de cuisines à [Localité 10], il dirige la société qui dirige H & L et exploite par cette société trois magasins en Occitanie. L’avis du 4 septembre dans lequel le premier juge identifie la SAS H & L se situe dans le fil de discussion des avis du 21 et 23 juillet. [Y] [C] indique qu’il vaut mieux écrire des avis dans Google, et il est également poursuivi au pénal pour des avis publiés sous d’autres pseudonymes sur la fiche Google du magasin Arthur Bonnet à Pérols, et le tribunal correctionnel l’a condamné en relevant que la SAS H & L était clairement identifiable. Dans les avis sur Google, [Y] [C] renvoie expressément ses avis sur le site Custplace avec un lien.
Le constat d’huissier versé aux débats montre clairement tous ces éléments, et notamment les liens de mots-clés imbriqués SAS H & L et Arthur Bonnet.
La SAS H & L et [F] [R] soutiennent également que les messages, auxquels la cour renvoie les parties pour la lecture complète du contenu, concernent des faits précis soumis au débat, qui sont directement imputés au magasin, constituant des infractions pénales et des comportements portant clairement atteinte à l’honneur et la considération du magasin et de son directeur. L’intention diffamatoire est clairement identifiable par un ancien salarié en conflit prud’homal qui n’est absolument pas client du magasin.
Sur la diffamation particulière de [F] [R], l’avis du 21 juillet vise sans équivoque le responsable du magasin Arthur Bonnet, les constatations précédentes ont démontré l’identification à la fois du magasin de son directeur, notamment par le pseudonyme Selarom, la qualification de directeur et l’indication du magasin de Pérol.
Le contenu du message caractérise des faits précis imputables au directeur de magasin.
Le dispositif des écritures pour [Y] [C] énonce en termes de prétentions :
Infirmer à titre principal le jugement en ce qu’il a déclaré recevables les demandes formées par la SAS H & L et [F] [R].
Confirmer subsidiairement le débouté au fond des demandes.
Condamner solidairement la SAS H & L et [F] [R] à payer une somme de 5000 € en application de l’article 32-1 du code de procédure civile, et une somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
[Y] [C] expose que les appelants ont assigné au civil sur la diffamation en date du 19 octobre 2018, et déposé plainte en parallèle contre X le 26 octobre 2018, dans le cadre de son licenciement brutal et injustifié, que l’employeur développe le même argumentaire dans les instances pénale et civile, que lui-même est directement identifiable même s’il n’est pas nommé dans le contenu de la plainte contre X, en application des articles 3 et 4 du code de procédure pénale, le choix de l’instance pénale est irréversible.
Il développe longuement une demande de rejet de l’application du code de la consommation, mais la cour observe que les appelants déclarent dans leurs écritures renoncer à cette argumentation.
Il demande la confirmation des motifs pertinents du premier juge sur l’application de la loi de 1881 qui écartent la réalité de faits précis imputés à une personne identifiée pouvant être soumis au débat contradictoire.
Sur la recevabilité de l’action
L’argumentation développée en appel par [Y] [C] n’apporte aucune contradiction critique argumentée des motifs pertinents du premier juge, auxquels la cour renvoie les parties pour la lecture complète.
Les motifs du premier juge énoncent notamment à juste titre, d’une part que la règle d’indivisibilité de l’action publique et civile ne s’applique qu’à des faits de diffamation envers des catégories particulières de personnes qui ne sont pas dans les faits incriminés, d’autre part que la règle générale du caractère irrévocable du choix de l’action civile n’est pas affectée dans l’espèce par une action pénale engagée postérieurement et sans objet identique, s’agissant de messages distincts à des dates distinctes et sur un réseau et site distinct.
La cour confirme la recevabilité de l’action.
Sur le fond, la cour constate en liminaire que le motif du juge de rejet de l’application au litige du code de la consommation n’est pas critiqué en appel.
Sur la qualification diffamatoire à l’égard de la SAS H & L
La cour adopte sur le rejet de la qualification de diffamation à l’égard de la SAS H & L les motifs pertinents du premier juge auxquels elle renvoie les parties pour la lecture complète.
Après avoir énoncé l’essentiel des propos tenus le 21 juillet, le 23 juillet, et le 4 septembre, dans les messages sur le site custplace.com sous le pseudonyme [Courriel 11], le jugement relève l’absence d’une quelconque mention de la dénomination SAS H & L, et l’absence d’un fait précis identifiable de nature à pouvoir faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve.
Le jugement admet que dans le message du 4 septembre le magasin de [Localité 10] géré par la SAS H & L est identifié, mais en relatant des pratiques contestables sans pour autant pouvoir identifier un fait précis soumis au contradictoire de la preuve.
La mention apparaissant dans les messages de l’enseigne Arthur Bonnet qui permet d’identifier les magasins ne permet pas pour autant d’établir le lien avec la société de gestion SAS H & L sans procéder à des investigations sur Internet avec des mots-clés, ou sur un extrait du registre du commerce et des sociétés, de sorte que la qualification de diffamation immédiatement accessible aux lecteurs des avis litigieux n’est pas suffisamment établie.
Les motifs du jugement correctionnel du 6 mai 2021 rendu sur la prévention contre [Y] [C] d’avoir porté atteint à l’honneur ou la considération de la SAS H & L sont inopérants pour retenir la diffamation invoquée en ce qu’ils concernent des propos tenus sur le site Google et non pas les propos visés dans cette instance tenue sur un autre site custplace.
Dans l’absence d’autres pièces justificatives d’une critique argumentée des motifs des premiers juges, la cour confirme le rejet des prétentions de la SAS H & L en indemnisation d’une diffamation.
Sur la qualification diffamatoire à l’égard de [F] [R]
Le jugement déféré ne fait l’appréciation concernant [F] [R] que des propos tenus dans le message du 23 juillet 2018.
L’énoncé du dispositif des écritures communes pour [F] [R] et la SAS H & L qui limite exclusivement l’objet du litige indique relier la demande d’indemnisation spécifique du préjudice de [F] [R] seulement aux propos contenus dans le message du 21 juillet 2018, mais en faisant référence à des propos contenus dans le message du 23 juillet, de sorte que la cour retiendra une simple erreur matérielle dans l’indication dans le dispositif du 21 juillet concernant en réalité les propos du 23 juillet effectivement examinés par le premier juge.
Le dispositif des écritures pour [F] [R] vise particulièrement les propos « il ne faut pas tous les mettre dans le même panier mais il faut d’abord savoir d’où viennent ces directeurs de magasins ; certains sont sortis du moule VOGICA (les potes à [Z] [D]) ; ces directeurs confondent souvent les comptes (à voir les véhicules garés devant les enseignes) ».
Ces propos inscrits dans le suivi de trois messages successifs à intervalles de temps rapprochés permettent incontestablement d’identifier le directeur du magasin à l’enseigne Arthur Bonnet de Pérols qui est bien [F] [R], de sorte que la diffamation à son encontre doit être retenue même sans avoir été précisément désigné par son nom.
L’atteinte à l’honneur et la considération du directeur de magasin Arthur Bonnet de Pérols [F] [R] résulte clairement des propos dans le message du 23 juillet, dans une lecture suivie des trois messages rapprochés.
À défaut d’éléments spécifiques d’identification du préjudice subi, la cour fera droit à la demande d’indemnisation de [F] [R] pour un montant de 3000 €.
Sur les autres prétentions
Il est équitable de mettre à la charge de [Y] [C] une part des frais non remboursables exposés en première instance et en appel par [F] [R] pour un montant de 3000 €.
La cour infirme la condamnation prononcée en première instance de [F] [R] en application de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS H & L les frais non remboursables exposés en première instance et en appel.
[Y] [C] supportera les dépens de première instance et d’appel.
La demande d’application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile relatif à l’usage abusif de la voie de recours n’est pas fondée.
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement rendu le 18 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Montpellier, sauf en ce qu’il a débouté la SAS H & L de ses prétentions ;
Et statuant à nouveau :
Condamne [Y] [C] à payer à [F] [R] la somme de 3000 € de dommages-intérêts, et la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne [Y] [C] aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président