Liberté d’expression devant les tribunaux

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Liberté d’expression devant les tribunaux
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Les termes des écritures présentées pour M. B, pour regrettables que soient certains d’entre eux, n’excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d’une procédure contentieuse. Dès lors, il n’y a pas lieu d’en prononcer la suppression par application des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l’article L. 741-2 du code de justice administrative.

Aux termes de l’article L. 741-2 du code de justice administrative : ” Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : / ” Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. ” “.

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Cour administrative d’appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 7 mars 2023, 22BX00701

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 23 février 2022 et des mémoires enregistrés les 17 mai 2022, 31 mai 2022, 15 juin 2022, régularisés par des mémoires enregistrés les 1er août 2022, 29 août 2022 et 24 octobre 2022, M. D B, représenté par Me Peretti, demande à la cour :

1°) de renvoyer pour suspicion légitime à une juridiction autre que le tribunal administratif de Pau l’affaire n° 2102434 dont il a saisi ce tribunal ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes Coeur Haute Lande le paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– il a pris un avocat de sorte que la fin de non-recevoir opposée en défense a été purgée en cours d’instance ;

– il a présenté de nombreux recours devant le tribunal administratif de Pau afin de contester des scrutins et différentes décisions des autorités locales traduisant des scandales politiques notamment en matière d’urbanisme ; le tribunal a systématiquement rejeté ses recours à l’exception d’une protestation électorale ; 13 recours sur 14 ont ainsi été rejetés, parfois sans débat au fond ; il se considère comme un lanceur d’alerte car il dénonce les abus politiques des élus locaux ; il s’inscrit dans une démarche de recherche de justice citoyenne ; ses dénonciations ont retenu l’attention du procureur de Mont-de-Marsan et du parquet général ; le tribunal a fait

droit à sa protestation électorale mais n’a pas saisi le procureur de la République afin qu’une enquête soit diligentée pour déterminer le faussaire ;

– durant l’audience concernant le refus de permis de construire qui lui a été opposé le 7 novembre 2018, il n’a pas été entendu alors qu’il avait apporté des éléments à l’appui de ses conclusions ; la décision du tribunal a écarté sa position d’un revers de main, par la même motivation que celle précédemment adoptée dans l’affaire concernant la déclaration préalable ;

– dans le cadre de son recours 2102434, alors qu’il avait désigné comme partie adverse la communauté de communes Cœur Haute Lande ainsi que la préfète des Landes, le tribunal a refusé de mettre en cause cette dernière ; les écritures de la communauté de communes montrent que l’avocat de celle-ci a eu connaissance de toutes les procédures engagées par lui alors que certaines ont été rejetées par ordonnances sans instruction ; cet avocat a refusé de lui indiquer ses sources ; cet avocat a également demandé et obtenu de façon surprenante une cristallisation des débats dans un court délai alors que la plupart des affaires donnent lieu à des instructions beaucoup plus longues ; cette cristallisation le dessert et avantage la partie adverse ; cette volonté du tribunal d’écourter les débats porte atteinte à l’équité ;

– son action vise à dénoncer les détournements de pouvoir commis par des élus de la commune de Pissos et de la communauté de communes dans l’adoption du plan local d’urbanisme.

Par un mémoire enregistré le 7 juin 2022, la communauté de communes Cœur Haute Lande, représentée par Me Heymans, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. B à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– la requête, présentée sans avocat, est irrecevable ;

– le tribunal administratif de Pau n’a pas fait preuve de partialité vis-à-vis de M. B ; le requérant ne produit aucun élément permettant de considérer que le rejet de ses recours aurait été motivé par une partialité des magistrats à son égard ; il en va ainsi notamment des ordonnances prises sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative qui sont justifiées ; M. B n’a d’ailleurs jamais fait appel des décisions qu’il critique ; la remise en cause des appréciations juridiques qui ont conduit le juge à rejeter les recours ne justifie pas un renvoi pour suspicion légitime ;

– la mise en cause de la préfecture dans l’affaire 2102434 ne se justifie pas dès lors que la décision attaquée n’a pas été prise par la préfète ;

– son avocat n’a jamais eu connaissance par le tribunal de procédures qui n’ont pas donné lieu à instruction ; l’avocat a été informé par sa cliente des procédures engagées par M. B ;

– contrairement à ce qu’affirme M. B, le tribunal n’a pas prononcé la cristallisation qu’elle avait demandée, mais une clôture d’instruction ; cette clôture est intervenue à une date qui permettait à M. B de produire des observations, ce qu’il a d’ailleurs fait ; il a d’ailleurs également déposé une question prioritaire de constitutionnalité ;

– les accusations de M. B à l’encontre du président de la communauté de commune n’étant nullement étayées, le tribunal a pu ne pas faire droit aux demandes de signalement à la justice pénale.

Par un mémoire enregistré le 7 septembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– la circonstance que la plupart des recours de M. B a été rejetée n’établit pas la partialité alléguée de la juridiction ; il s’estime victime d’un complot politique et maçonnique et procède par des allégations qu’il ne démontre pas ; il ne justifie d’ailleurs pas avoir saisi le juge pénal ni avoir fait appel des jugements dont il conteste le bien-fondé ;

– les propos de M. B sont outrageants et diffamatoires pour la présidente du tribunal administratif et il en est demandé la suppression en application de l’article L. 741-2 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code électoral ;

– le code de procédure pénale ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme C A,

– les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

– et les observations de Me Platel, représentant la communauté de communes Cœur Haute Lande.

Considérant ce qui suit

:

1. Tout justiciable est recevable à demander à la juridiction immédiatement supérieure qu’une affaire dont est saisie la juridiction compétente soit renvoyée devant une autre juridiction du même ordre si, pour des causes dont il appartient à l’intéressé de justifier, la juridiction compétente est suspecte de partialité.

2. M. B demande à la cour de renvoyer pour cause de suspicion légitime à une juridiction autre que le tribunal administratif de Pau l’affaire n°2102434 dont il a saisi ce tribunal en vue de l’annulation de la délibération du 22 juillet 2021 portant approbation du projet de plan local d’urbanisme de la commune de Pissos (Landes).

3. En premier lieu, la circonstance que le tribunal administratif de Pau a, par plusieurs jugements ou ordonnances, rejeté des demandes présentées par M. B ou par des personnes de l’opposition municipale de la commune de Pissos, auxquelles il s’est rallié, n’est pas, par elle-même, de nature à faire suspecter ce tribunal de partialité à l’encontre de l’intéressé qui n’a d’ailleurs pas relevé appel des décisions dont il critique le bien-fondé. De même, la circonstance que le tribunal ait rejeté par une motivation semblable les requêtes distinctes de M. B tendant, d’une part, à l’annulation de la décision d’opposition du maire de Pissos à sa déclaration préalable et, d’autre part, à l’annulation du refus de permis de construire qui lui a été opposé par cette autorité ne traduit pas une attitude partiale vis-à-vis de lui, les deux litiges étant au demeurant relatifs à un même projet. Il ne résulte par ailleurs d’aucun élément de l’instruction que les conditions dans lesquelles le tribunal administratif de Pau a écarté l’argumentation présentée par M. B au cours d’une audience devant cette juridiction seraient révélatrices d’un manque d’impartialité.

4. En deuxième lieu, M. B soutient que, dans le cadre de l’affaire n°2102434, l’avocat de la communauté de communes Cœur Haute Lande, par ses écritures faisant état de contentieux antérieurement engagés par lui, a manifesté sa connaissance de litiges n’ayant pas donné lieu à instruction, de sorte que ces informations proviendraient nécessairement de membres du tribunal dans un contexte de collusion dirigée contre lui. Il ne résulte toutefois d’aucun élément de l’instruction que tel serait le cas, les ordonnances prises sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative ayant d’ailleurs, pour certaines, été notifiées à la collectivité dont les actes étaient contestés, et notamment la commune de Pissos, dont le plan local d’urbanisme a été adopté par la communauté de communes Cœur Haute Lande.

5. En troisième lieu, pour justifier la suspicion dont il fait état à l’encontre du tribunal administratif de Pau, M. B invoque les décisions prises par le tribunal, dans le cadre de l’instruction de l’affaire n°2102434, de ne pas mettre en cause la préfecture des Landes alors qu’il l’avait demandée, et de cristalliser la procédure, comme l’a demandé la communauté de communes Cœur Haute Lande, ce qui l’a empêché de développer son argumentation. Toutefois, d’une part, M. B ne fait état d’aucun motif pour lequel la préfète des Landes aurait dû être mise en cause dans un litige de recours pour excès de pouvoir dirigé contre une délibération de la communauté de communes Cœur Haute Lande. D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction que le tribunal aurait mis en œuvre la procédure prévu par l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, comme le demandait la communauté de communes, celle-ci affirmant que seule une clôture de l’instruction a été prononcée en application de l’article R. 613-1 de ce code, dans un délai qui laissait au demandeur plus d’un mois et demi pour répliquer aux écritures de la collectivité. Les éléments dont fait état M. B sur ces points ne révèlent donc aucune partialité à son encontre.

6. Enfin, l’article L. 117-1 du code électoral dispose que : ” Lorsque la juridiction administrative a retenu, dans sa décision définitive, des faits de fraude électorale, elle communique le dossier au procureur de la République compétent “. Par son jugement du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Pau a rectifié les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux et des conseillers communautaires de la commune de Pissos mais n’a retenu aucun fait de fraude électorale. Dans ces conditions, et alors au surplus que la protestation dont le tribunal était saisi n’émanait pas de M. B et que celui-ci n’allègue pas avoir été partie à l’instance, le refus de la juridiction de communiquer le dossier au procureur de la République ne traduit aucune partialité des juges vis-à-vis de lui. A supposer que M. B ait entendu critiquer l’absence de saisine du procureur de la République dans d’autres instances, il ne fait état d’aucune disposition particulière qui aurait fondé l’application par le tribunal du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale.

7. Il résulte de ce qui précède que les éléments dont M. B fait état devant la cour n’établissent pas que le tribunal administratif compétent puisse être légitimement suspecté de partialité à son encontre. Par suite, le recours de M. B à fin de renvoi de l’affaire n°2102434 devant un tribunal autre que le tribunal administratif de Pau pour cause de suspicion légitime doit être rejetée.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes Coeur Haute Lande, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par M. B sur le fondement de ces dispositions. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. B le versement à la communauté de communes Cœur Haute Lande d’une somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Aux termes de l’article L. 741-2 du code de justice administrative : ” Sont également applicables les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-après reproduites : / ” Art. 41, alinéas 3 à 5.-Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. ” “.

10. Les termes des écritures présentées pour M. B, pour regrettables que soient certains d’entre eux, n’excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d’une procédure contentieuse. Dès lors, il n’y a pas lieu d’en prononcer la suppression par application des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l’article L. 741-2 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : M. B versera à la communauté de communes Cœur Haute Lande la somme de 1 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à l’application de l’article L. 741-2 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D B, à la communauté de communes Cœur Haute Lande, au garde des sceaux, ministre de la justice, au président du tribunal administratif de Pau, à la préfète des Landes et à la commune de Pissos.

Délibéré après l’audience du 7 février 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2023

La première assesseure,

Nathalie Gay

La présidente rapporteure,

Elisabeth A

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

 


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