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22 juin 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/03789
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 22/06/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/03789 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UNXP
Ordonnance de référé (N° 22/00102) rendue le 30 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [G] [T]
né le 08 Septembre 1950 à [Localité 5], de nationalité française
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Patrick Delbar, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
assisté de Me Catherine Berlande, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [R] [Z]
né le 06 avril 1966 à [Localité 6], de nationalité française
demeurant [Adresse 1]
SNC Moreau Fontenoy prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 3]
représentés par Me Franck Gys, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 24 janvier 2023 tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré du 11 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 janvier 2023
****
EXPOSE DU LITIGE
Par acte notarié du 22 juin 2011, M. [T] a donné à bail commercial à M. et Mme [X] un immeuble à usage de commerce et d’habitation sis à [Localité 5], angle de la rue [Adresse 2] et de la rue [Adresse 3], comprenant un rez-de-chaussée commercial à usage de café, débit de tabac, journaux et articles de fumeurs, un appartement au premier étage et un second appartement à l’étage supérieur.
Ce bail a été consenti pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 1er février 2011.
Par acte notarié du 15 septembre 2016, M. et Mme [X] ont cédé leur fonds de commerce à la société Moreau Fontenoy.
Par acte sous seing privé du 11 juin 2021, la société Moreau Fontenoy a conclu avec M. [Z] un compromis de cession de son fonds de commerce.
S’appuyant sur un procès-verbal de constat d’huissier établi le 8 décembre 2021, M. [Z] a, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 13 décembre 2021, mis en demeure M. [T] de réaliser divers travaux de remise en état dans l’immeuble pris à bail.
Entre-temps, la cession du fonds de commerce avait été confirmée par acte notarié du 10 décembre 2021, auquel est intervenu M. [T].
Par acte sous seing privé du même jour, M. [T] et la société Moreau Fontenoy ont conclu un protocole d’accord ayant pour objet de régler à l’amiable l’ensemble de leurs différends relatifs aux désordres et dégradations affectant l’immeuble donné à bail.
Par acte d’huissier du 24 mars 2022, M. [Z] a assigné M. [T] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Dunkerque aux fins d’obtenir, d’une part, la désignation d’un expert sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’autre part, l’autorisation de réaliser des travaux urgents.
Par acte d’huissier du 16 mai 2022, M. [T] a assigné la société Moreau Fontenoy en intervention forcée afin de rendre opposable à celle-ci l’expertise à intervenir, d’étendre la mission de l’expert à la constatation des manquements imputés à ladite société dans l’exécution de ses obligations et de déterminer les responsabilités et préjudices en résultant pour le bailleur.
‘ Par ordonnance du 30 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Dunkerque a :
-ordonné la jonction des instances RG 2200139 et 2200102 sous ce dernier numéro ;
– jugé irrecevables les demandes formées par M. [T] contre la société Moreau Fontenoy ;
– organisé une mesure d’expertise entre MM. [T] et [Z] aux fins, notamment, de rechercher et constater les désordres sur le bien, décrire le siège, la nature et l’intensité des désordres ainsi constatés, se prononcer sur l’origine et la date d’apparition de chaque désordre constaté, se prononcer sur l’imputabilité de chacun des désordres constatés, en déterminant, si possible, les conséquences éventuelles d’une prise en charge tardive, décrire les solutions techniques préconisées et les travaux propres à remédier aux désordres constatés, tant dans leurs causes que dans leurs conséquences, chiffrer le coût prévisible de ces préconisations techniques, en fournissant au moins deux devis concurrentiels et se prononcer sur l’ensemble des préjudices subis par M. [Z] résultant des désordres constatés, y compris s’agissant d’une perte de jouissance locative ;
– dit qu’une consignation d’un montant de 1 500 euros devra être versée auprès du régisseur d’avances et de recettes du tribunal judiciaire de Dunkerque par M. [Z] à valoir sur la rémunération de l’expert, sauf admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
– débouté M. [Z] de sa demande d’autorisation de réalisation des travaux urgents ;
– condamné provisionnellement M. [Z] aux dépens de la présente instance de référé, sous réserve de ce qui sera éventuellement décidé par la juridiction du fond, à l’exception de ceux exposés par la société Moreau Fontenoy, qui seront mis à la charge de M. [T] ;
– condamné M. [T] à payer à la société Moreau Fontenoy la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté MM. [T] et [Z] de leurs demandes au même titre.
‘ Par déclaration du 1er août 2022, M. [T] a relevé appel de cette décision, mais seulement en ce qu’elle a :
– jugé irrecevables les demandes formées par M. [T] contre la société Moreau Fontenoy ;
– condamné à titre provisionnel M. [Z] aux dépens de l’instance de référé, sous réserve de ce qui sera éventuellement décidé par la juridiction du fond, à l’exception de ceux exposés par la société Moreau Fontenoy, qui seront mis à la charge de M. [T] ;
– condamné M. [T] à payer à la société Moreau Fontenoy la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté MM. [T] et [Z] de leurs demandes au même titre.
‘ Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2022, M. [T] demande à la cour de :
« – Déclarer Monsieur [T] recevable et fondé en ses demandes ;
– Réformer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– Jugé irrecevables les demandes formées par Monsieur [G] [T] contre la SNC MOREAU FONTENOY ;
– Condamné Monsieur [G] [T] à payer à la SCN MOREAU FONTENOY la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et mis à sa charge les dépens exposés par la SNC MOREAU FONTENOY ;
– Débouté Monsieur [T] de sa demande en condamnation de la SNC MOREAU FONTENOY à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.
Et statuant à nouveau :
– Juger recevables les demandes formées par Monsieur [G] [T] contre la SNC MOREAU FONTENOY ;
– En conséquence juger recevable et fondée la demande en intervention forcée de la SNC MOREAU FONTENOY dans la procédure d’expertise demandée par Monsieur [Z] et ordonnée par le premier juge ;
– Débouter Monsieur [Z] de sa demande en désistement de sa demande d’expertise, qui n’est pas accepté par M. [T] ;
– Déclarer M. [Z] irrecevable en sa demande en condamnation de Monsieur [T] en paiement d’une somme de 7.200 euros à titre de dommages et intérêts, car constituant une demande nouvelle en appel.
– Déclarer M. [Z] irrecevable en sa demande en condamnation de Monsieur [T] en paiement d’une somme de 7.200 euros à titre de dommages et intérêts, en application de l’article 7 du bail ;
– Subsidiairement :
– Retenir l’existence de contestations sérieuses ne permettant pas au juge des référés d’apprécier cette demande ;
– Plus subsidiairement, si la Cour estimait, recevable et ne se heurtant pas à des contestations sérieuses, cette demande,
– Juger M. [Z] mal fondé et de le débouter ;
– A titre encore plus subsidiaire, s’il était fait droit à cette demande, la limiter à 3.200 euros;
Dans l’hypothèse d’une condamnation de M. [T] au bénéfice de M. [Z] :
– Condamner la SNC MOREAU FONTENOY à relever et garantir Monsieur [T] de toutes condamnations prononcées au bénéfice de M [Z] en principal, frais, intérêts dommages et intérêts ;
– Débouter M. [Z] de ses demandes formées à l’encontre de Monsieur [T] au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et des dépens ;
– Débouter la SNC MOREAU FONTENOY de ses demandes formées à l’encontre de M. [T] au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et des dépens ;
– Plus généralement débouter Monsieur [Z] et la SNC MOREAU FONTENOY de toutes leurs demandes ;
– Condamner la SNC MOREAU FONTENOY à payer à Monsieur [T] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.
– Condamner Monsieur [Z] à payer à Monsieur [T] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens tant de première instance que d’appel.»
‘ Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2023, M. [Z] et la société Moreau Fontenoy demandent à la cour de :
« DEBOUTER Monsieur [G] [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires à celles des concluants ;
CONFIRMER l’ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président près le Tribunal judiciaire de DUNKERQUE en date du 30 juin 2022 sauf en ce qu’elle a condamné Monsieur [R] [Z] à supporter provisionnellement les dépens de 1’instance de référé, et a débouté Monsieur [R] [Z] de sa dernande de voir condamner Monsieur [G] [T] à lui payer 3000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
YAJOUTANT,
CONDAMNER Monsieur [G] [T] à régler à Monsieur [R] [Z] la somme de 7200,00 euros au titre de la perte de jouissance relative aux deux appartements ;
CONSTATER le désistement d’instance de Monsieur [R] [Z] concernant la demande d’expertise judiciaire ;
CONDAMNER Monsieur [G] [T] à payer les entiers dépens de l’instance de référé initiée devant Monsieur le Président près le Tribunal Judiciaire de DUNKERQUE ;
CONDAMNER Monsieur [G] [T] à payer à Monsieur [R] [Z] la somme de 3000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile et des dépens au titre de l’instance de référé initiée devant Monsieur le Président près le Tribunal Judiciaire de DUNKERQUE ;
CONDAMNER Monsieur [G] [T] à régler à chacun des concluants la somme de 3000,00 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens de l’instance dont distractions au profit de Maître Franck GYS, avocat aux offres de droit et ce conformérnent aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile. »
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l’exposé de leurs moyens.
‘ L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, sans au demeurant en tirer aucune conséquence dans le dispositif de leurs écritures, M.[T] a, dès ses premières conclusions, sollicité la réformation de l’ordonnance entreprise, de sorte qu’il n’y a pas lieu de constater, fût-ce d’office, l’absence d’effet dévolutif de l’appel.
1. Sur la recevabilité des demandes formées par M. [T] contre la société Moreau Fontenoy
Aux termes de l’article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Selon l’article 2052 du même code, la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet.
De jurisprudence constante, la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions.
En l’espèce, le protocole d’accord conclu le 10 décembre 2021 entre M. [T] et la société Moreau Fontenoy est expressément soumis aux dispositions des articles 2044 et suivants du code civil.
En son préambule, un tel protocole rappelle qu’un litige est né entre les parties relativement aux désordres et dégradations affectant l’immeuble donné à bail, leur imputation et les travaux à réaliser étant discutés. Il précise que les parties entendent régler à l’amiable leurs différends, en prévoyant notamment à cette fin les engagements et renonciation suivants :
Article 2ème : ENGAGEMENT DE LA SNC MOREAU FONTENOY
La SNC MOREAU FONTENOY s’engage à régler la somme de 10 000 euros à Monsieur [G] [T] au titre des Différends.
Le règlement s’effectuera par prélèvement sur le prix de cession du fonds de commerce.
La SNC MOREAU FONTENOY donne tous pouvoirs au séquestre du prix de vente de son fonds de commerce décrit ci-dessus pour régler la somme dans les meilleurs délais.
La SNC MOREAU FONTENOY prendra en charge le coût des réparations de la couverture de l’immeuble objet du bail dans la limite de 4 000 euros selon devis de l’entreprise MA TOITURE et accepté par elle.
Le devis est joint en annexe.
Article 3ème : RENONCIATION DE MONSIEUR [G] [T]
En contrepartie de l’engagement pris à l’article 2ème, Monsieur [G] [T] renonce à tout recours de quelque manière que ce soit et pour quelque cause que ce soit au titre des Différends et fera son affaire personnelle des travaux de réparation, rénovation et autres réclamations liés aux travaux dans l’immeuble sis à [Localité 5], angle du [Adresse 2] et [Adresse 3] lui appartenant et objet du bail commercial sans recours contre la SNC MOREAU FONTENOY, ses associés ou tout occupant de son chef ou encore Monsieur [R] [Z].
M. [T] soutient que le protocole d’accord lui est inopposable, dès lors que la société Moreau Fontenoy n’en aurait pas respecté les termes, s’agissant tant du règlement d’une somme de 10 000 euros par prélèvement sur le prix de cession du fonds de commerce (1.1), que de la prise en charge du coût des réparations de la couverture de l’immeuble (1.2).
1.1 Sur le règlement d’une somme de 10 000 euros
Contrairement à ce que soutient l’appelant dans ses écritures, il est justifié par la société Moreau Fontenoy de diligences auprès du notaire séquestre pour obtenir le déblocage des fonds au bénéfice de M. [T].
C’est ainsi que, par courrier du 2 mai 2022, renouvelé le 13 mai suivant, le conseil de la société Moreau Fontenoy a rappelé au notaire séquestre les termes du protocole d’accord prévoyant la remise à M. [T] d’une somme de 10 000 euros à prélever sur le prix de cession du fonds et l’a invité à adresser ladite somme au conseil de M. [T].
Par nouveau courrier du 24 juin 2022, le conseil de la société Moreau Fontenoy est revenu vers le notaire séquestre pour lui rappeler les termes du protocole et lui indiquer que la société Moreau Fontenoy avait toutefois pris l’initiative d’établir un chèque de 10 000 euros libellé à l’ordre de la CARPA et à remettre au conseil de M. [T], de sorte qu’il était inutile de conserver une somme de même montant sur le compte séquestre, étant relevé que la remise d’un tel chèque n’est pas contestée par l’appelant.
Il n’est donc pas démontré que la société Moreau Fontenoy aurait failli à ses engagements s’agissant du règlement de la somme de 10 000 euros.
1.2 Sur la prise en charge du coût des réparations de la couverture de l’immeuble
Le protocole d’accord prévoit la prise en charge par la société Moreau Fontenoy du coût des réparations de la couverture de l’immeuble, selon devis de l’entreprise MA TOITURE pour un montant de 3 815,35 euros, un tel devis étant annexé au protocole.
La société Moreau Fontenoy produit une facture acquittée de même montant en date du 10 janvier 2022, la désignation des prestations rejoignant celles figurant au devis précité.
L’exécution de bonne foi du protocole d’accord suppose des travaux effectivement et correctement accomplis, ce que M. [T] conteste.
Il se prévaut à cette fin d’un rapport d’intervention de la société Nüwa en date du 24 mars 2022, ainsi que d’un témoignage du 17 mai 2022 et de photographies non datées émanant de la société SEP intervenue sur la toiture à la demande du bailleur.
Le contenu de ces pièces ne permet toutefois pas de se convaincre que les désordres constatés procèdent bien d’une prestation non conforme de l’entreprise MA TOITURE ou qu’ils n’ont pas pour origine des événements postérieurs à son intervention.
Il résulte de tout ce qui précède que l’inexécution de la transaction n’est pas établie, de sorte que celle-ci est opposable à M. [T], ce qui emporte l’irrecevabilité de ses demandes formées contre la société Moreau Fontenoy.
2. Sur la mesure d’instruction
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L’appréciation du motif légitime de nature à justifier l’organisation d’une mesure d’instruction doit être envisagée au regard de la pertinence des investigations demandées et de leur utilité à servir de fondement à l’action projetée.
En l’espèce, le premier juge a ordonné une expertise destinée à déterminer l’origine des désordres, leur imputabilité, les travaux propres à y remédier et les éventuels préjudices subis par M. [Z].
En cause d’appel, celui-ci entend se désister de sa demande d’expertise formée en première instance, au motif que le bailleur a effectué les travaux de remise en état nécessaires et ainsi rempli son obligation de délivrance, de sorte que l’expertise serait devenue sans objet.
C’est à tort que M. [T] se prévaut de l’article 395 du code de procédure civile pour refuser un tel désistement, dès lors que ce texte, au demeurant applicable à la seule première instance, régit uniquement le désistement d’instance. Or M. [Z] n’entend pas se désister de son instance, mais uniquement renoncer à sa demande d’expertise judiciaire.
Pour autant, il apparaît que M. [T] avait lui-même demandé l’organisation d’une mesure d’instruction en première instance, puisqu’il avait sollicité l’extension de la mission de l’expert, de sorte que la cour demeure saisie d’une demande d’expertise renouvelée à hauteur d’appel par M. [T], peu important l’abandon de ce chef de demande par Monsieur [Z].
La cour se doit donc à son tour d’apprécier le motif légitime d’une telle mesure d’instruction.
Si la transaction précédemment évoquée rend l’expertise sans intérêt dans les rapports entre M. [T] et la société Moreau Fontenoy, elle s’avère toutefois susceptible de contribuer à la résolution du litige subsistant entre M. [T] et M. [Z], celui-ci sollicitant la réparation d’une perte de jouissance au titre des désordres litigieux.
Il apparaît cependant qu’à la suite des travaux de remise en état finalement réalisés par M. [T], une telle expertise ne pourrait avoir lieu que sur pièces. Or les pièces produites à cette fin sont manifestement insuffisantes pour permettre à l’expert d’apprécier utilement l’origine des désordres, leur imputabilité et leurs conséquences, s’agissant de constats, rapports d’intervention, photographies et attestations impropres à établir la genèse des désordres et leur incidence exacte sur la jouissance des lieux.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une expertise, la décision entreprise étant infirmée de ce chef.
3. Sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [Z]
A hauteur d’appel, M. [Z] sollicite des dommages et intérêts au titre d’une perte de jouissance.
A supposer une telle demande recevable (3.1) et exclusive de toute contestation sérieuse (3.2), il conviendra d’apprécier son bien-fondé (3.3).
3.1 Sur la recevabilité de la demande
M. [T] conteste la recevabilité de la demande indemnitaire au double motif qu’elle serait nouvelle (3.1.1) et contraire aux stipulations du bail (3.1.2).
3.1.1 Sur la nouveauté de la demande
Aux termes de l’article 566 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
En première instance, M. [Z] sollicitait une mesure d’instruction afin d’évaluer le préjudice de jouissance qu’il estimait avoir subi à raison des désordres imputés au bailleur. La demande de dommages et intérêts qu’il forme en cause d’appel après abandon de sa demande d’expertise a pour but d’obtenir réparation du même préjudice, de sorte qu’elle tend aux mêmes fins au sens du texte précité.
Le moyen d’irrecevabilité tiré de la nouveauté sera donc écarté.
3.1.2 Sur la contrariété aux stipulations du bail
Aux termes de l’acte notarié du 10 décembre 2021, M. [Z] a acquis le fonds de commerce sans procéder au renouvellement du bail commercial en cours, de sorte que ses stipulations initiales ont vocation à s’appliquer.
M. [T] se prévaut de l’article 7 du bail commercial conclu 22 juin 2011 pour s’opposer à la recevabilité de la demande indemnitaire.
Un tel article stipule que le preneur supportera la gêne résultant éventuellement pour lui de l’exécution de toutes les réparations, reconstructions, surélévations et travaux quelconques, même de simple amélioration, que le bailleur estimerait nécessaires, utiles ou simplement convenables et qu’il ferait exécuter pendant le cours du bail dans les locaux loués ou dans l’immeuble dont ils dépendent, et il ne pourra demander aucune indemnité ni diminution de loyer ni interruption de paiement du loyer, quelles que soient l’importance et la durée de ces travaux, même si cette durée excédait quarante jours, à la condition que les travaux soient exécutés sans interruption, sauf cas de force majeure.
Indépendamment du fait qu’une telle clause de souffrance ne saurait s’appliquer en raison du trouble anormal de jouissance qu’ont manifestement entraîné les travaux d’ampleur réalisés dans les appartements litigieux, il apparaît que la condition tenant à l’absence d’interruption des travaux n’est pas remplie, faute pour M. [T] d’en rapporter la preuve.
Le moyen d’irrecevabilité tiré des stipulations du bail sera donc écarté.
3.2 Sur l’existence d’une contestation sérieuse
M. [T] considère que la demande indemnitaire se heurterait à une double contestation sérieuse tenant à la nécessité d’interpréter les dispositions contractuelles précitées et à la nécessité d’établir les manquements du bailleur à ses obligations.
Ainsi qu’il a été dit, la continuité des travaux est clairement imposée par l’article 7 du bail, sans nécessité d’en interpréter les termes.
Par ailleurs, M. [T] ne produit aucun élément de nature à établir, dans ses rapports avec M. [Z], le caractère sérieusement contestable d’un manquement à son obligation de délivrance, étant rappelé que M. [Z] a pris à bail l’immeuble après l’établissement du procès-verbal de constat du 8 décembre 2021 mettant en évidence l’existence de nombreux désordres dans les appartements litigieux.
Le moyen tiré de l’existence d’une contestation sérieuse sera donc écarté.
3.3 Sur le bien-fondé de la demande
M. [Z] soutient avoir été privé de la jouissance des appartements situés dans l’immeuble pendant la durée des travaux de remise en état et avoir ainsi subi une perte de chance de les donner en location pendant une période qu’il fixe de février 2022 au 30 octobre de la même année.
Il convient de rappeler que l’indemnisation d’une perte de chance intervient à l’aune de la chance perdue, sans pouvoir être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
En l’espèce, M. [Z] ne prouve pas qu’il avait le projet de donner en location les deux appartements litigieux dès son entrée en jouissance. A supposer même acquis un tel projet, il n’est pas justifié d’un marché locatif prétendument porteur, dont aurait pu résulter une mise en location avant l’achèvement des travaux de remise en état.
Faute d’établir l’existence d’une perte de chance, M. [Z] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’ordonnance entreprise sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles. Le sens de la présente décision justifie de condamner in solidum MM. [T] et [Z] aux dépens d’appel, tandis que l’équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision entreprise, sauf en ce qu’elle a ordonné une expertise ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit n’y avoir lieu à expertise ;
Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par M. [Z] ;
Le déboute d’une telle demande ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles ;
Condamne in solidum MM. [T] et [Z] aux dépens d’appel.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
[D] [J]