Droits d’auteur ou salaire : le conseil de prud’hommes compétent
Droits d’auteur ou salaire : le conseil de prud’hommes compétent
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Le conseil de prud’hommes est bien compétent pour trancher le litige portant sur la demande d’intégration d’une somme dans le salaire de référence du reporter photographe,  aux fins de déterminer si cette somme doit être qualifiée de salaire ou de droit d’auteur et être prise en compte pour le calcul notamment des rappels de salaire, de l’indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité de préavis et de l’indemnité pour travail dissimulé.


 

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 22/02530 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VLXT

AFFAIRE :

[L] [D]

C/

S.A.S. ABACA PRESS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juillet 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° RG : F20/01262

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Pauline LE BOURGEOIS

Me Claire de BUSSY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Pauline LE BOURGEOIS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de TOULOUSE, vestiaire : 163 substitué par Me David METIN, avocat au barreau de VERSAILLES

APPELANT

****************

S.A.S. ABACA PRESS

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Claire DE BUSSY de l’AARPI DE BUSSY GIANCARLI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0384

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Mars 2023, Madame Isabelle CHABAL, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

La société Abaca press, dont le siège social est situé [Adresse 3], dans le département des Hauts-de-Seine, a pour activité principale la réalisation, la diffusion et la commercialisation en France et à l’étranger de reportages photographiques réalisés soit par ses propres photographes, soit par des photographes indépendants, soit en partenariat avec d’autres agences françaises ou étrangères.

Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective des journalistes du 1er novembre 1976.

M. [L] [D], né le 19 mai 1971 a été engagé par la société Abaca press par contrat de travail à durée indéterminée, à effet au 1er mai 1997, en qualité de reporter photographe, exerçant sur le territoire français ou dans tout autre pays où la société exerce ou exercera son activité.

Il indique avoir travaillé aux Etat-Unis durant l’année 1999 et à compter du début de l’année 2000.

Par courrier du 3 juillet 2000, M. [D] a demandé à la société Abaca press de bénéficier d’un congé pour création d’entreprise à compter du 3 octobre 2000 pour une durée d’un an, renouvelable deux fois, aux fins d’exercer une activité de photographe indépendant aux Etats-Unis.

Par courrier du 27 mars 2017, il a été mis fin aux fonctions de M. [D] dans la société Abaca US, dont la société Abaca press détenait 50 % du capital, à la suite de la fermeture de cette société, le 31 mars 2017.

M. [L] [D] a de nouveau été engagé par la société Abaca press, par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 2 mai 2017, en qualité de reporter photographe, continuant à exercer aux Etats-Unis, avant de revenir en France au moment de la crise sanitaire du Covid-19.

Il a été placé en arrêt de maladie du 16 juillet 2020 au 19 janvier 2021.

Par requête du 16 octobre 2020, M. [L] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et paiement de différentes sommes à titre de rappel de salaires.

Le 19 janvier 2021, le médecin du travail a déclaré M. [D] inapte à son poste de travail, avec dispense d’obligation de reclassement, l’état de santé du salarié faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier en date du 22 janvier 2021, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement qui s’est tenu le 2 février 2021.

Par courrier en date du 11 février 2021, la société Abaca press a notifié à M. [D] son licenciement pour inaptitude dans les termes suivants :

‘A la suite de l’avis d’inaptitude en date du 19 janvier 2021 vous concernant que nous avons reçu du Docteur [V] [I], médecin du travail, précisant que votre état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (cas de dispense de l’obligation de reclassement), nous vous avons convoqué, par courrier en date du 22 janvier 2021, à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, ledit entretien étant fixé au mardi 2 février 2021.

Par courriel en date du 1er février 2021, vous nous avez prévenu de votre non-présentation à cet entretien.

En raison de votre inaptitude à occuper votre emploi constatée le 19 janvier 2021 par le Docteur

[V] [I], médecin du travail, et de l’impossibilité de tout reclassement selon l’avis du médecin du travail indiquant que votre état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (cas de dispense de l’obligation de reclassement), nous vous notifions par la présente votre licenciement pour inaptitude, conformément aux dispositions des articles L. 1226-2-1 et suivants du code du travail.

Par application de l’article L. 1226-4 alinéa 3 du code du travail, votre licenciement prend donc effet à la date d’envoi de la présente lettre et vous n’avez aucun préavis à effectuer.’

Dans le dernier état de ses demandes devant le conseil de prud’hommes, M. [D] sollicitait la condamnation de la société Abaca press à lui payer les sommes à caractère indemnitaire et/ou salarial suivantes :

– juger la moyenne mensuelle brute de salaire à 5 875 euros (salaire mensuel brut intégrant les droits d’auteur),

– juger de l’ancienneté de M. [D] au 1er mai 1997,

– rappel de salaire de janvier 2020 au 11 février 2021 : 36 335 euros brut s’y ajoutant 3 633,50 euros brut d’indemnité de congés payés,

– 14 708 euros de remboursement de frais engagés pour le déménagement,

– 10 000 euros de provisions sur les droits d’auteur sur les photos,

– 3 815 euros (dépôt de garantie) de frais non réglés,

– ordonner sous astreinte de 150 euros par jour, passé un délai de 15 jours, suivant la notification de la décision, à la société Abaca press d’établir des relevés mensuels de vente portant sur la vente de toutes les photos réalisées à compter de mai 1997 jusqu’à la date de licenciement en février 2021,

– juger que les manquements graves et réitérés de l’employeur à ses obligations contractuelles justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail, à la date de la décision à intervenir,

– juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent,

A titre principal sur la base d’une ancienneté de 23 ans

– 88 125 euros d’indemnité de licenciement sur la période de mai 1997 à mars 2012,

– 99 484 euros (17 mois) pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire sur la base d’une ancienneté fixée à mai 2017

– 20 562 euros sur l’indemnité de licenciement,

– 23 500 euros (4 mois) de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause

– 11 750 euros d’indemnité de préavis de 2 mois et 1 175 euros de congés payés afférents,

– 35 250 euros au titre du travail dissimulé.

M. [D] demandait en outre au conseil de prud’hommes de condamner la société Abaca press à payer 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les entiers dépens ainsi que les frais d’exécution de la décision à intervenir.

La société Abaca press a soulevé in limine litis l’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes pour statuer sur les demandes portant sur l’établissement des relevés de vente sur les photographies réalisées de mai 1997 à février 2021, la provision sur les droits d’auteur sur les photos et le calcul du salaire de référence en tenant compte des droits d’auteur à hauteur de 1 000 dollars mensuels.

Par jugement contradictoire rendu le 21 juillet 2022, la section encadrement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– déclaré recevable l’exception d’incompétence du conseil de prud’hommes soulevée par la société SAS Abaca press sur les 3 demandes suivantes :

. ordonner sous astreinte de 150 euros par jour, passé un délai de 15 jours, suivant la noti’cation de la décision, à la société Abaca press d’établir des relevés mensuels de vente portant sur la vente de toutes les photos réalisées à compter de mai 1997 jusqu’à la date de licenciement en février 2021,

. provisions de 10 000 euros au titre des droits d’auteur,

. intégration de la somme de 1 000 dollars US dans le salaire de référence reconstitué et rappel de salaire sur une somme indiquée par les parties comme droits d’auteur,

– déclaré que sur les 2 premières demandes, M. [D] a retiré ses demandes à la fin des plaidoiries et celles-ci, désormais sans objet, ne sont donc plus soumises à l’exception d’incompétence matérielle,

– déclaré que la demande portant sur la somme de 1 000 dollars US présentée, « in limine litis » est recevable et déclaré l’exception d’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes soulevée par la société SAS Abaca press [sic],

– renvoyé M. [D] à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire pour ses demandes liées à l’octroi de 1 000 dollars US au titre des droits d’auteur,

– convoqué les parties à l’audience devant le bureau de jugement du 19 septembre 2022 à 9h pour examiner toutes les demandes liées à l’application du contrat de travail et à la rupture de celui-ci, cette information valant convocation des parties,

– indiqué que le salaire de référence de M. [D] ne pourra pas comprendre la somme de 1 000 dollars US convertie en euros du fait de l’exception d’incompétence matérielle déclarée par le conseil de céans ainsi que déduction au titre du rappel de salaire portant sur cette demande,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, sans examen au fond, y compris sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens à la charge respective des parties.

M. [L] [D] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 5 août 2022.

Par ordonnance rendue le 20 septembre 2022, la présidente de la 6ème chambre de la cour d’appel de Versailles, déléguée par le premier président, a autorisé M. [D] à assigner à jour fixe la société Abaca press à l’audience du 7 mars 2023. L’assignation a été délivrée le 3 octobre 2022.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 août 2022, M. [L] [D] demande à la cour de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

. déclaré que la demande portant sur la somme de 1 000 dollars US présentée « in limine litis » est recevable,

. déclaré l’exception d’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes soulevée par la société SAS Abaca press [sic],

. renvoyé M. [D] à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire pour ses demandes liées à l’octroi de 1 000 dollars US au titre des droits d’auteur,

. convoqué les parties à l’audience devant le bureau de jugement du 19 septembre 2022 à 9 h pour examiner toutes les demandes liées à l’application du contrat de travail et à la rupture de celui-ci,

. indiqué que le salaire de référence de M. [D] ne pourra pas comprendre la somme de 1 000 dollars US convertie en euro du fait de l’exception d’incompétence matérielle déclarée par le conseil de céans ainsi que déduction au titre du rappel de salaire portant sur cette demande,

. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, sans examen au fond, y compris sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

. laissé les dépens à la charge respective des parties,

Statuant à nouveau

– juger que le conseil de prud’hommes est compétent pour trancher le litige sur le fondement de l’article L. 1411-1 du code du travail, et en particulier sur la demande d’intégration de la somme de 1 000 dollars US convertie en euro (845 euros) dans le salaire de référence de M. [D], dès lors que cette somme doit être quali’ée de salaire et non de droits d’auteur,

– juger, dès lors, recevables les demandes de M. [D] fondées sur un salaire de référence intégrant la somme de 1 000 dollars US (845 euros), et en particulier :

. rappels de salaire depuis janvier 2020,

. indemnité légale de licenciement,

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. indemnité de préavis,

. indemnité pour travail dissimulé,
– condamner la société Abaca press SAS à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 (du) code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 janvier 2023, la société Abaca press demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré recevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Abaca press au titre des trois demandes de M. [D] visant à :

. voir ordonner sous astreinte de 150 euros par jour, passé un délai de 15 jours, suivant la notification de la décision, à la société Abaca press d’établir des relevés mensuels de vente portant sur la vente de toutes les photos réalisées à compter de mai 1997 jusqu’à la date de licenciement en février 2021,

. obtenir une provision de 10 000 euros au titre des droits d’auteur,

. voir intégrer la somme de 1 000 dollars US dans le salaire de référence reconstitué et rappel de salaire sur une somme indiquée par les parties comme droits d’auteur,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les débats sur l’exception d’incompétence n’avaient plus lieu d’être au sujet des demandes relatives à la production forcée de relevés de photos vendues depuis son licenciement et de provision sur droits d’auteur à ce titre, compte tenu de leur retrait par le demandeur, en constatant ces deux retraits,

– confirmer le jugement en ce que le conseil de prud’hommes s’est (dit) incompétent pour statuer sur la demande de M. [D] visant à intégrer la somme de 1 000 dollars US dans son salaire de référence reconstitué et sur sa demande de rappels de salaire à ce titre depuis janvier 2021, en l’invitant à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire, seul compétent en matière de droits d’auteur,

– débouter M. [D] de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

– débouter M. [D] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner au contraire à verser 4 000 euros au profit d’Abaca press et aux entiers dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIF DE L’ARRET

Sur la violation du principe du contradictoire

M. [D] fait valoir que le conseil de prud’hommes a statué sur une exception de compétence concernant l’intégration de la somme de 1000 dollars US dans son salaire de référence en violant le principe du contradictoire car ce point ne figurait pas dans les conclusions écrites de la société Abaca press, qui l’a développé seulement oralement à l’audience.

La société Abaca press répond que la procédure est orale devant le conseil de prud’hommes.

L’article R. 1453-3 du code du travail prévoit que la procédure prud’homale est orale.

Le juge doit en conséquence se prononcer sur les demandes formulées contradictoirement devant lui à l’audience.

En l’espèce, la société Abaca press a soulevé avant toute défense au fond une exception d’incompétence du conseil de prud’hommes pour ‘statuer sur toutes les demandes de M. [D] se rapportant à des droits d’auteur, le tribunal judiciaire ayant une compétence exclusive en la matière’, par conclusions écrites qui visaient les demandes tendant, d’une part à voir ordonner, sous astreinte, à la société Abaca press d’établir des relevés mensuels au titre des ventes des photos qu’il a réalisées de mai 1997 jusqu’à la date de son licenciement en février 2021 et d’autre part à voir condamner la société à payer à M. [D] une somme de 10 000 euros à titre de provision sur les droits d’auteur prévus contractuellement.

Il ressort de la décision de première instance que lors de l’audience devant le bureau de jugement, la société Abaca press a soulevé trois demandes ‘in limine litis’, étendant oralement son exception d’incompétence à la demande de M. [D] portant sur l’intégration de 1 000 dollars US dans son salaire.

Le conseil de prud’hommes a retenu à juste titre que la procédure a été respectée dès lors que la plaidoirie étant orale et contradictoire, des conclusions écrites n’étaient pas obligatoires et que la partie défenderesse a pu répondre aux trois points de la plaidoirie en réplique à la demande d’exception. Le conseil de prud’hommes n’a donc pas violé le principe du contradictoire.

Sur le nécessaire examen au fond pour juger de la qualification de la somme de 1 000 dollars US

M. [D] expose que sa demande d’intégrer la somme mensuelle de 1 000 dollars US dans son salaire de référence est comprise dans sa demande tendant à fixer la moyenne mensuelle brute du salaire à 5 875 euros, laquelle a une incidence sur ses prétentions relatives au travail dissimulé et au rappel de salaires ; que la société Abaca press y a répondu dans ses conclusions en défense et non au titre des exceptions d’incompétence et qu’il était nécessaire d’examiner sa demande au fond avant de statuer sur la compétence ; que le conseil de prud’hommes n’a procédé à aucune qualification juridique de la somme litigieuse et s’est borné à retenir la qualification de ‘droit d’auteur’ opposée par la société Abaca press, alors que lui-même fait valoir que la somme de 1 000 dollars US constitue en réalité la contrepartie du travail qu’il a réalisé pour la société Abaca press avec laquelle il avait un lien de subordination.

Il expose que le caractère forfaitaire et fixe des sommes qui lui ont été versées est exclusif de la qualification de droit d’auteur ; que son contrat de travail prévoit le versement de droits d’auteur, après la rupture du contrat ; que la société Abaca press, qui a été son employeur unique, a artificiellement scindé son salaire en une partie versée en euros mentionnée sur le contrat de travail de mai 2017 et une autre partie occulte versée en dollars US ; que les factures produites par la société Abaca press ne peuvent justifier de la qualification de droits d’auteur ; que toutes les sommes perçues dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent recevoir la qualification de salaire, la somme mensuelle de 1 000 dollars US convertie en euros devant être intégrée à son salaire mensuel de référence.

La société Abaca press réplique qu’il est courant qu’un photographe salarié d’une agence perçoive, distinctement de son salaire, des droits d’auteur au titre des clichés réalisés avant son contrat de travail pour son compte ou pour celui d’une autre agence ; qu’à la suite de la fermeture de la société Abaca US, Abaca press en a repris le fonds d’archives, dont les photographies réalisées par M. [D] ; que pour éviter tout litige quant à leur exploitation, les parties ont convenu que M. [D] percevrait un forfait de 1 000 dollars par mois, qui constitue le versement de droits d’auteur, lequel peut être forfaitaire. Elle souligne que les sommes réclamées par M. [D] à titre de rappel de salaire se rapportent à des prestations distinctes de son contrat de travail, puisqu’il s’agit soit de la facturation par la société de M. [D] de prestations d’accréditation qui ont pris fin en raison de l’absence d’événements liée à la crise du Covid-19, soit de la rétribution forfaitaire de droits d’auteur, qui était mentionnée sur les factures émises par M. [D].

L’article L. 1411-1 du code du travail dispose que ‘le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.’.

Le conseil de prud’hommes règle donc les conflits individuels du travail. Il est compétent pour déterminer la qualification juridique des sommes perçues par le salarié.

En l’espèce, dès lors que M. [D] prétend que la somme de 1 000 dollars US doit être intégrée à son salaire mensuel brut puisqu’il s’agirait, non pas de droits d’auteur, mais de la contrepartie d’un travail accompli pour la société Abaca press sous un lien de subordination, le conseil de prud’hommes devait déterminer la qualification juridique à donner à cette somme pour l’intégrer ou non au salaire de base et ne pouvait se déclarer incompétent pour statuer sur cette demande sans avoir examiné le fond.

Or, le conseil de prud’hommes, bien qu’ayant retenu que ‘il pourrait y avoir une discussion sur le montant des 1 000 dollars US dont la demande ne se situe pas dans l’application directe du contrat de travail’, a estimé que cette somme ne relevait pas de sa compétence, l’absence de réalité de la prise en charge des droits d’auteur liés à l’exploitation des photos d’archives de la société Abaca US sur le territoire américain n’étant pas du ressort du contrat de travail de droit français ni d’une des clauses du contrat de travail applicable aux parties.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement rendu le 21 juillet 2022 en ce qu’il s’est, en substance, déclaré matériellement incompétent pour statuer sur la demande d’intégration de la somme de 1 000 dollars US au salaire de référence de M. [D], qu’il a renvoyé ce dernier à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire pour les demandes liées à l’octroi de cette somme et dit que le salaire de M. [D] ne pourra pas comprendre la somme de 1 000 dollars US convertie en euro du fait de l’exception d’incompétence matérielle.

Statuant de nouveau, la cour dira que le conseil de prud’hommes est compétent pour trancher le litige portant sur la demande d’intégration de la somme de 1 000 dollars US convertie en euros (845 euros) dans le salaire de référence de M. [D], aux fins de déterminer si cette somme doit être qualifiée de salaire ou de droit d’auteur et être prise en compte pour le calcul notamment des rappels de salaire depuis janvier 2020, de l’indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité de préavis et de l’indemnité pour travail dissimulé.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Les dépens de l’instance d’appel seront mis à la charge de la société Abaca press.

Chacune des parties conservera à sa charge ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 21 juillet 2022 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :

– déclaré que la demande portant sur la somme de 1 000 dollars US présentée « in limine litis » est recevable et déclaré l’exception d’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes soulevée par la société SAS Abaca press [sic],

– renvoyé M. [D] à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire pour ses demandes liées à l’octroi de 1 000 dollars US au titre des droits d’auteur,

– indiqué que le salaire de référence de M. [D] ne pourra pas comprendre la somme de 1 000 dollars US convertie en euros du fait de l’exception d’incompétence matérielle déclarée par le conseil de céans ainsi que déduction au titre du rappel de salaire portant sur cette demande,

Dit que le conseil de prud’hommes est compétent pour trancher le litige portant sur la demande d’intégration de la somme de 1 000 dollars US convertie en euros (845 euros) dans le salaire de référence de M. [D], aux fins de déterminer si cette somme doit être qualifiée de salaire ou de droit d’auteur et être prise en compte pour le calcul notamment des rappels de salaire depuis janvier 2020, de l’indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité de préavis et de l’indemnité pour travail dissimulé,

Condamne la société Abaca press aux dépens de l’instance d’appel,

Déboute les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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