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Droit moral : décision du 31 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/14958

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Droit moral : décision du 31 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 22/14958

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 31 JANVIER 2024

(n° 019/2024, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/14958 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJTS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 18/04238

APPELANTS

M. [Z] [T]

Né le 22 février 1977 à [Localité 14]

Demeurant [Adresse 2] –

[Localité 15]

CHINE

Mme [M] [N]

Née le 24 mai 1972 à [Localité 9]

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 15]

CHINE

Madame [C] [T]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentés par Me Frédéric THOMAS de la SELARL INGOLD & THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B 1055

Assistés de Me Jean-Marc BOCCARA, avocat au barreau de PARIS, toque B 198

INTIMEE

S.A.S. SOCIETE D’EXPLOITATION DE L’HOTEL ET DU RESTAURANT [7],

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 402 594 006

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K 148

Assistée de Me Françoise HECQUET du Cabinet PREEL HECQUET PAYET-GODEL PHPG, avocate au barreau de PARIS, toque R 282

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,

Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre, et par Valentin HALLOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [Z] [T] et Mme [M] [N] se présentent comme formant un duo d’artistes contemporains, collectivement connus sous la dénomination *LLND, spécialistes d’art multimédia de l’espace sonore et visuel. Ils indiquent exposer leurs ‘uvres dans différentes villes du monde telles que [Localité 11], [Localité 8], [Localité 12], [E], [W], [G] ou encore [Localité 15], notamment au sein de la maison Chopard.

Ils ont conçu une sculpture monumentale intitulée « Speaker Mouths » décrite comme une ‘uvre interactive sonore et visuelle composée notamment d’un micro et de haut-parleurs intégrés dans chaque bouche. L’ensemble du système électronique est situé dans la partie basse de 1’oeuvre qui fait office de socle. Des tubes d’environ 2 mètres de hauteur forment des tiges qui réunissent le socle aux bouches qui composent l”uvre et par lesquels passent des câbles électriques qui relient les émetteurs aux récepteurs, ces derniers étant raccordés ensemble par un micro central qui transmet le son par des pitchs et le renvoie en passant par chaque bouche. Les tiges sont normalement fixées au socle par un anneau de protection qui permet de les maintenir à la verticale. Un adhésif de silicone est fixe’ autour de chaque anneau de chaque pied de chaque tige, en haut et en bas, de manière à conserver l’étanchéité du socle en bois marin ignifugé et à protéger le système électronique de l”uvre qui se trouve à l’intérieur du socle.

Les artistes ont mandaté Mme [C] [T] pour représenter leurs intérêts et promouvoir cette ‘uvre en France.

Cette ‘uvre a été exposée à [Localité 11] en décembre 2011 sur la place [Localité 13] devant la boutique [10].

La société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) exploite 1’hôtel et le restaurant [7] Barrière situés au [Adresse 6] à [Localité 11]. Le jardin de la cour intérieure de l’hôtel est utilisé pour des expositions.

Les parties se sont mises d’accord en mars 2013 pour que l”uvre soit exposée, à titre gracieux, dans le jardin du 1er étage de l’hôtel [7] « éventuellement jusqu’en septembre. A définir ». La sculpture a été livrée le 28 mars 2013.

La direction de l’hôtel indique qu’elle a contacté [C] [T] à plusieurs reprises en 2014 pour lui demander de retirer la sculpture, une nouvelle exposition devant prendre place dans le jardin mi-juin 2014, et que confrontée à son absence de réponse, elle a fait procéder en août 2015 à son démontage partiel par son service technique en désolidarisant la partie supérieure – soit les bouches et les tiges – de son socle, lequel a été calfeutré, recouvert de gazon synthétique et utilisé pour l’installation d’une autre ‘uvre.

Après de nombreux échanges entre les parties ne permettant pas la vérification de l’état de la sculpture et les conditions de son démontage, les artistes ont sollicité et obtenu selon une ordonnance rendue sur requête le 25 avril 2016, la désignation d’un huissier afin de procéder à des opérations de constat, à l’occasion desquelles des fissurations et des traces de corrosion ont notamment été relevées, ainsi que le fait que les câbles des haut-parleurs ont été désolidarisés et arrachés de l”uvre. Un rendez-vous organisé le 29 juin 2016 n’a pas pu aboutir à la restitution de l”uvre, dont l’accès nécessitait le déplacement de jardinières d’arbustes.

Par décision rendue en référé le 19 janvier 2017, a été ordonnée la récupération de la sculpture par [C] [T] en présence d’un huissier chargé de faire tout constat utile. L”uvre a finalement été restituée le 29 mars 2017.

C’est dans ces conditions que par acte du 5 avril 2018, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont fait assigner la SEHRF pour demander la réparation de leurs préjudices sur le fondement du contrat de prêt à titre gratuit et subsidiairement du contrat de dépôt, ainsi que du fait d’une atteinte au droit moral des auteurs.

Dans un jugement du 27 septembre 2019, dont appel, le tribunal de grande instance de Paris a :

– Dit que l’accord entre les parties relatif à l’exposition de l”uvre Speaker Mouths s’analyse en un contrat de dépôt ;

– Dit que la responsabilité délictuelle de la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] n’est pas établie en l’absence de faute démontrée ;

– Débouté [Z] [T] et [M] [N] de leurs demandes indemnitaires de ce chef ;

– Rejeté les demandes indemnitaires de [C] [T] ;

– Condamné la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] à verser au duo d’artistes *LLND ‘ [Z] [T] et [M] [N] ensemble – une somme de 5.000 euros en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à leur droit moral d’auteur ;

– Débouté la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de sa demande reconventionnelle ;

– Condamné la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] à verser au duo d’artistes *LLND – [Z] [T] et [M] [N] ensemble – la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté [C] [T] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Rejeté la demande relative aux frais d’exécution de la décision ;

– Condamné la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] aux dépens incluant les frais du constat d’huissier réalisé en exécution de la décision rendue le 19 janvier 2017 ;

– Dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Le 30 octobre 2019, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont interjeté appel de ce jugement.

Le 16 décembre 2020, les parties ont donné respectivement leur accord au principe de la médiation.

Par ordonnance du 5 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné une médiation pour permettre aux parties de trouver une solution amiable a’ leur litige.

Suite à la demande des parties, l’affaire a été retirée du rôle le 29 mars 2022.

Le 2 août 2022, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] ont demandé que l’affaire soit réinscrite au rôle.

Dans leur dernières conclusions numérotées 3, notifiées le 25 octobre 2023, [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] demandent à la cour de :

– Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 27 septembre 2019 sauf qu’il a juge’ que les conditions dans lesquelles l”uvre a été démontée est constitutive d’une atteinte au droit moral des artistes, sauf en ce qu’il débouté la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de sa demande reconventionnelle, et sauf en ce qu’il a condamné la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] aux entiers dépens incluant les frais du constat d’huissier en exécution de la décision rendue le 19 janvier 2017 ;

Statuant a’ nouveau,

– Juger que le contrat liant les artistes et la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est un contrat de dépôt en vertu duquel la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] était tenu d’une obligation de garde et de conservation de l”uvre SPEAKER MOUTH ;

A titre subsidiaire,

– Juger que la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a commis une faute délictuelle ;

– Juger que la responsabilité délictuelle de la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est établie ;

En tout état de cause,

– Débouter la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions

– Juger que la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] est responsable des dommages et détériorations causées a’ l”uvre ;

– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 100.000 euros a’ titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi du fait de la destruction de l”uvre « SPEAKER MOUTHS » ;

– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 80.000 euros a’ titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d’exposer l”uvre a’ titre onéreux,

– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 75.000 euros au titre de l’atteinte au droit moral des auteurs ;

– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [C] [T] la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait du défaut d’information et de la destruction de l”uvre ;

– Condamner la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ payer a’ Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de la présente instance ;

– Donner acte a’ Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] de ce qu’ils se réservent, de solliciter en suivant, la réparation de chaque élément de leur préjudice, en se réservant pour ce faire la désignation de Monsieur [J] [Y], Expert-Comptable, Expert Judiciaire près la Cour d’Appel de Paris exerçant au [Adresse 3] [Localité 4] ;

– Condamner, en cas d’exécution forcée du jugement a’ intervenir que les appelants seraient contraints d’engager, la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] a’ prendre en charge les émoluments de recouvrement d’huissier prévu a’ l’article A 444-32 du code de commerce.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, notifiées le 3 novembre 2023, la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) demande à la cour de :

A titre principal,

– INFIRMER le jugement attaque’ en toutes ses dispositions ;

Statuant a’ nouveau :

– Débouter Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] de l’ensemble de leurs demandes ;

A titre subsidiaire,

– Confirmer le jugement attaque’ en toutes ses dispositions ;

A titre très subsidiaire,

– Évaluer a’ de plus juste proportion le préjudice allégué par Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N],

– Condamner Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] a’ payer a’ la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] la somme de 12.600 euros au titre de l’obligation de conservation mise a’ sa charge,

– Ordonner la compensation entre cette somme et les dommages et intérêts qui pourrait être mis a’ charge de la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7],

– Déclarer irrecevable ou a’ défaut la rejeter la demande de donner acte de Madame [C] [T], Madame [M] [N] et Monsieur [Z] [T] de ce qu’ils se réservent, de solliciter en suivant, la réparation de chaque élément de leur préjudice, en se réservant pour ce faire la désignation de Monsieur [J] [Y],

En tout état de cause,

– Condamner in solidum Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] a’ payer a’ la Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

– Condamner in solidum Madame [C] [T], Monsieur [Z] [T] et Madame [M] [N] aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me PACHALIS conformément a’ l’article 699 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le chef du jugement non contesté

Le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a jugé que l’accord entre les parties relativement à l’exposition de l”uvre s’analyse en un contrat de dépôt.

Sur la responsabilité de la société SEHRF

[Z] [T], [M] [N] et [C] [T] font valoir que le SEHRF a commis une violation de son obligation contractuelle de garde et de conservation de l”uvre ; que le dépositaire ne peut exiger du déposant qu’il reprenne le dépôt ; que l’obligation de garde et de conservation subsiste jusqu’à la restitution effective de l”uvre, peu important que le contrat soit a’ durée indéterminée ou a’ durée déterminée ; qu’afin d’être libéré de son obligation de garde, le dépositaire doit sommer le déposant de reprendre la chose avant d’être autorisé judiciairement à déposer la chose en un autre lieu ; qu’à défaut d’avoir demandé et obtenu une autorisation judiciaire, le [7] ne pouvait procéder à son démantèlement sans violer ses obligations contractuelles ; qu’en jugeant que le [7] devait être considéré comme libéré de son obligation contractuelle au titre du contrat de dépôt à compter du 1er juin 2014, date à laquelle il avait manifesté pour la première fois clairement son intention de ne plus conserver l”uvre, le tribunal judiciaire a violé les règles applicables au contrat de dépôt ; que l’huissier a constaté que le [7] a procédé à des arrachements, a perdu des éléments essentiels à l’unicité de l”uvre, et n’a pas convenablement protégé le socle de l”uvre; que le [7] a refusé de présenter l”uvre à Mme [T] car celle-ci sollicitait de faire constater son état par un expert et un huissier au moment de la restitution ; qu’il n’est pas sérieux pour un hôtel 5 étoiles, aussi prestigieux, de prétendre qu’il n’a pas pu mobiliser cinq personnes pour déplacer et protéger le socle de la sculpture.

A titre subsidiaire [Z] [T], [M] [N] et [C] [T] soutiennent que le [7] a commis une faute délictuelle en démontant l”uvre en plusieurs parties, en arrachant le silicone qui fixait les tiges et rendait l”uvre imperméable et en laissant des ouvertures béantes dans le socle ; qu’en laissant l”uvre ainsi sans s’employer à protéger la sculpture des infiltrations, le [7] a, par sa négligence ou son imprudence, favorisé la dégradation de l”uvre en la laissant en proie aux intempéries et infiltrations.

La Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] fait valoir qu’il existait un accord de volonté entre les deux parties pour que le contrat prenne fin en septembre 2013 ; qu’à compter de cette date, la SEHRF n’était  plus tenue par aucune obligation contractuelle ; que c’est à juste titre que le tribunal a retenu que le contrat de dépôt ayant pris fin, la responsabilité de la SEHRF ne peut être engagée que sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

La Société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] ajoute que sur le fondement de la responsabilité délictuelle les consorts [T]-[N] doivent rapporter la preuve d’une faute ; que les détériorations constatées peuvent parfaitement provenir de l’effet du temps sur l”uvre exposée à l’extérieur depuis 2010 sans aucune protection particulière ; que si l”uvre a été démontée, c’est parce qu’elle avait besoin de retrouver la libre disposition de son jardin pour exposer d’autres artistes ; qu’elle a demandé le 19 mars 2015 à Mme [C] [T] de venir récupérer l”uvre avant le 30 avril en lui indiquant que, passé ce délai, elle procèderait au déménagement dans un garde meuble ; que Mme [T] n’a pas répondu ; que l”uvre litigieuse a donc été démontée début août 2015 et le socle laissé sur place en raison de son poids ; que l”uvre avait été livrée démontée ; que le constat d’huissier réalisé le 1er avril 2016 démontre qu’à l’exception d’un peu de rouille sur la base de certaines tiges, l’oeuvre est en bon état ; que si les consorts [T]-[N] avaient procédé à l’enlèvement de l”uvre dès le mois de septembre 2013 ou à tout le moins en juin 2014, aucune des dégradations dont ils se plaignent ne serait survenue ; que c’est en raison de leur carence que pour pouvoir proposer son espace d’exposition à d’autres artistes, elle a été contrainte de démonter l”uvre et de la stocker le temps qu’ils se décident à venir la récupérer.

Sur ce,

L’article 1921 du code civil énonce que le dépôt volontaire « se forme par le consentement réciproque de la personne qui fait le dépôt et de celle qui le reçoit », et l’article 1927 du même code que « le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ».

En l’espèce, la cour constate que les parties se sont mises d’accord pour le dépôt de l”uvre litigieuse selon mail de confirmation de la société SEHRF du 27 mars 2013 lequel indique le souhait de cette dernière de la conserver « éventuellement jusqu’à septembre, à définir », ce dont il résulte une commune intention des parties de fixer le terme du dépôt autour du mois de septembre 2013 à une date à définir, l”uvre ayant été déposée dès le 28 mars 2013.

La cour constate également que la SEHRF a réclamé l’enlèvement de l”uvre par courriel du 1er juin 2014, aux termes duquel elle indique avoir laissé des messages sans réponse, et que Mme [C] [T] s’est bornée à y répondre par un mail du 10 juillet 2014 indiquant ne pas pouvoir répondre favorablement à cette demande dans la précipitation, demandant un délai de trois mois pour prévoir le déplacement de l”uvre et indiquant « nous aurons des possibilités de l’installer dans un autre lieu à partir de septembre prochain. Je ne manquerai pas de vous tenir informé dès que ce sera possible », cette dernière ne justifiant d’aucun autre courrier ni d’aucune diligence à cette date pour y procéder.

Ainsi, alors que le terme convenu pour le dépôt de l”uvre litigieuse était à une date à définir autour du mois de septembre 2013, et que la SEHRF justifie d’une demande non équivoque d’enlèvement de l”uvre par mail du 1er juin 2014, postérieure de plus de six mois audit terme, c’est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal a jugé que la SEHRF doit être considérée comme libérée de son obligation contractuelle au titre du contrat de dépôt à partir du 1er juin 2014, date à laquelle le contrat de dépôt est donc échu, de sorte que seule sa responsabilité délictuelle est susceptible d’être engagée après cette date.

Il résulte des pièces du dossier que la SEHRF a réclamé l’enlèvement de l”uvre par courriel du 1er juin 2014, puis qu’elle a indiqué à Mme [T] par courriel du 19 mars 2015 que son numéro de téléphone ne répondait plus, qu’elle devait faire retirer l’oeuvre pour la rentrée 2014, et que « n’ayant à ce jour pas de nouvelles de votre part, et dans le cas où l’enlèvement de l”uvre ne serait pas effectué avant le 30 avril, nous entreprendrons son déménagement dans un garde-meuble à votre charge », courriel auquel Mme [C] [T] n’a pas répondu, de sorte qu’il ne peut être fait grief à la SEHRF d’avoir procédé au démontage de l”uvre en août 2015.

Le tribunal a également pertinemment considéré par des motifs que la cour approuve que s’il ressort du constat d’huissier du 29 mars 2017 que le socle de l’oeuvre litigieuse est gorgé d’eau, que les équipements sonores sont hors d’état de fonctionner, qu’une structure métallique est rouillée et que des structures de résine des bouches présentent des fissures, il n’est cependant pas démontré que ces dégradations sont imputables aux conditions de stockage par la SEHRF, alors que cette sculpture est exposée depuis 2011 à l’extérieur sans que soient justifiées la qualité des matériaux la composant pour résister à une telle exposition, ni de prescriptions particulières des artistes ou de leur représentante aux fins de la protéger, les consorts [T]-[N] ne démontrant pas s’être préoccupés des conditions dans lesquelles l”uvre était conservée alors qu’ils ont imposé au [7] une prolongation de ce dépôt pour une durée excédant largement celle initialement convenue.

Il s’ensuit qu’en l’absence de faute imputable à la SEHRF, sa responsabilité délictuelle n’est pas établie. Le jugement sera confirmé de ce chef comme en ce qu’il a débouté M. [Z] [T] et Mme [M] [N] de leurs demandes indemnitaires subséquentes. Il doit également être confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [C] [T], cette dernière ne pouvant faire grief à la société SEHRF d’avoir subi un prétendu préjudice moral alors qu’elle a été contactée à plusieurs reprises par le [7] sans donner de suite.

Sur l’atteinte au droit moral des auteurs

M. [Z] [T] et Mme [M] [N] font valoir qu’il a été porté atteinte à l’intégrité de l”uvre ainsi qu’à son esprit du fait qu’une partie de l”uvre a servi de socle pour une autre sculpture sans autorisation des auteurs.

La SEHRF soutient que la sculpture litigieuse était démontable ; que les éléments de l”uvre pouvaient être dissociés ; qu’aucune atteinte au droit moral des artistes ne peut être déduite du seul fait que l”uvre a été démontée ; qu’au regard du peu d’intérêt que les artistes ont manifesté pour le devenir de leur oeuvre, l’atteinte à leur droit moral doit être relativisée ; que la cote du duo d’artistes LLND est plutôt faible et qu’il doit en être tenu compte dans l’appréciation du préjudice allégué.

C’est par de justes motifs adoptés par la cour que le tribunal a constaté qu’il avait été porté atteinte au respect de l’oeuvre en ce que son socle, qui faisait partie de l’ensemble sonore et visuel interactif, a été utilisé comme support d’une autre sculpture.

Le tribunal a justement évalué à 5 000 euros le préjudice en résultant en tenant compte des difficultés de réutilisation dudit socle, partie intégrante de l”uvre, mais aussi de la négligence des auteurs.

Il n’y a pas lieu d’examiner la demande reconventionnelle de la SEHRF formée « à titre très subsidiaire » pour les frais de stockage, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions conformément à sa demande subsidiaire.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [C] [T], M. [Z] [T] et Mme [M] [N] aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à payer à ce titre, à la société d’exploitation de l’hôtel et du restaurant [7] (SEHRF) la somme de 3 000 euros.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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