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Droit moral : décision du 29 février 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/08086

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Droit moral : décision du 29 février 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/08086

N° RG 23/08086 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YJEN
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

3CB

N° RG 23/08086 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YJEN

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

[Y] [E]

C/

[R] [D]

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : Me Alexandrine PANTZ
Me Eva VIEUVILLE

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 29 FEVRIER 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré :

Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Monsieur Ollivier JOULIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier,

DEBATS :

A l’audience publique du 18 Janvier 2024 conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

Ollivier JOULIN, magistrat chargée du rapport, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte dans son délibéré.

JUGEMENT:

Réputé contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDEUR :

Monsieur [Y] [E]
né le 09 Septembre 1974 à LE PLESSIS TREVISE (94420)
de nationalité Française
7 rue Louis Canitrot
31320 CASTANET TOLOSAN

représenté par Me Eva VIEUVILLE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant, Me Alexandrine PANTZ, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

N° RG 23/08086 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YJEN

DEFENDERESSE :

Madame [R] [D]
née le 22 Avril 1993 à (31400)
de nationalité Française
31 chemin Maraîchers
31400 TOULOUSE

défaillant

*****

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [E], photographe professionnel exerce son activité professionnelle dans le cadre de l’EURL OBVIOUSIDEA dont il est gérant associé, il acquis une réputation de portraitiste dans l’exercice de son art auprès d’un studio réputé internationalement depuis 50 ans.

Il propose la réalisation de portrait en studio pour un tarif de 150 € par séance, les photographies étant destinées à un usage privé et non commercial.

Madame [R] [D] lui a commandé une séance de prise de vues pour constitution d’un book qui a été organisée le 12 mai 2016, une soixantaine de clichés ont été réalisés parmi lesquels une dizaine a été commandée.

En 2021 Monsieur [E] a constaté que ses photographies sont diffusées sur le réseau social MYM.

Estimant que ce site avait un caractère commercial et considérant que la publication a été faite sans licence, Monsieur [E] a fait effectuer le constat de la présence de six de ses photographies par huissier de justice puis a mis en demeure Madame [D] de supprimer ces clichés de son site, sans effet.

Madame [D] a reconnu avoir diffusé les photographies mais a refusé le principe d’une indemnisation.

Aucune conciliation n’a pu aboutir.

***

Selon acte du 27 septembre 2023 Monsieur [E] et la société OBVIOUSIDEA, SARL unipersonnelle au capital social de 275.000 €, dont le siège social est situé au 7 RUE LOUIS CANITROT 31320 CASTANET-TOLOSAN, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Toulouse sous le numéro 529 895 013, représentée par M. [Y] [E] agissant en tant que gérant ont fait assigner Madame [R] [D] afin de voir :

DÉCLARER RECEVABLES les conclusions, fins, et prétentions de [Y] [E] ;INTERDIRE À [R] [D] d’utiliser, publier, reproduire, représenter, vendre les photographies n°1 à 6 appartenant à [Y] [E] visées dans la pièce 8 à savoir : (n°1) [R] [D] en lifestyle sur le canapé infini ; (n°2) Tempête divine ; (n°3) Déesse brune Évanescente en bain de lumière ; (n°4) [R] [D] Timide et fragile ; (n°5) Contorsion par [R] [D] ; (n°6) Jeune fille timide et réservée mais qui assume son corps.

ASSORTIR cette interdiction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction constatée pendant une durée de 6 mois, à compter de la signification du jugement à intervenir ;

CONDAMNER [R] [D] à payer à [Y] [E] à titre d’indemnisation :
– la somme de 266 681,25€ TTC , ou à titre subsidiaire la somme de 86 625,00€TTC au titre des conséquences négatives ;

– la somme de 106 348,65€ TTC, au titre des bénéfices réalisés par [R] [D] ;

– la somme de 15 000,00 € TTC au titre du préjudice moral ;

– la somme de 133 340,63 € TTC, ou à titre subsidiaire la somme de 43 312,50 € TTC au titre de l’atteinte au droit moral du droit d’auteur ;

CONDAMNER [R] [D] à supprimer complètement les photographies n°1 à n°6 visées dans la pièce du site MYM https://mym.fans dans un délai de 2 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard et par infraction constatée pendant une durée de 6 mois ;

ORDONNER la publication par la succombante, et à ses frais, dans toute la largeur de sa page
personnelle MYM @sassy, dans un bandeau de couleur rouge, le texte suivant en lettres noires de taille égale de caractère Arial taille 12 dans la totalité de l’espace dudit bandeau, et ce pendant une durée ininterrompue de trente jours, sous astreinte de 1000 (mille) euros par jour de retard à compter de la signification du jugement : « par jugement du Tribunal Judiciaire de Paris (sic) rendu le …, [R] [D] a été condamnée pour avoir commis des actes de contrefaçon en reproduisant 6 photographies sans l’autorisation de l’auteur photographe. »

CONDAMNER [R] [D] à payer à [Y] [E] la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du CPC, aux entiers dépens de l’instance, ainsi qu’aux frais de constat d’Huissier d’une valeur de 1.544,20€TTC.

DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Il est précisé que les parties demeurent dans le ressort de Toulouse, de sorte que la juridiction interrégionale de Bordeaux est compétente pour connaître du litige relatif à la propriété artistique.

L’oeuvre photographique bénéficie en effet de la protection du droit d’auteur, les clichés réalisés à l’occasion d’une prise de poses dont Madame [D] était le modèle entrant dans le cadre de cette protection.

La reproduction de six photographies est justifiée par la production aux débats de constats d’huissiers l’établissant formellement.

Il existe une violation du droit moral de l’auteur puisqu’il n’est pas fait référence au fait qu’il s’agit de créations de celui-ci, son nom n’apparaissant nulle part, alors même qu’il n’est pas contesté qu’il ait réalisé ces clichés.

Ces oeuvres sont originales puisque résultant d’un effort créatif, le photographe a fait des choix de cadrage, d’angles de vue, d’éclairage, de jeux de lumière, dans la réalisation faite en studio, dans le cadre d’une mise en scène, sont ainsi décrits, photographie par photographie les choix opérés caractérisant la démarche artistique et créative. Il convient de se référer aux termes de l’assignation pour un plus ample exposé sur ce point.

L’atteinte au droit patrimonial s’apprécie en fonction des conséquences économiques négatives qui s’élèvent au regard de l’importance de la diffusion de 6 clichés reproduits 66 fois à la somme de 266.681,25 € en application du barème de l’Union des photographes professionnels, 86.625 € si l’on considère que la diffusion s’est faite en réseau local.

Il est précisé que la fréquentation du site où les photographies ont été postées est payant et il en est déduit une perception estimée à 106.348,65 € net hors commission de 26.485,11 € pour la contrefactrice.

Le préjudice moral est évalué à 15.000 €

L’atteinte au droit moral du fait de recadrages, d’absence de mention de l’auteur, de l’absence de paiement de redevances est chiffré à 133.340,63 € et subsidiairement (publication sur réseau social) à 43.312,60 €.

Les mesures d’interdiction, de suppression et de publication s’imposent comme mesures appropriées en raison de la contrefaçon;

Il est réclamé 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

***

Madame [R] [D] régulièrement assignée à son domicile n’a pas constitué avocat.

***

A l’audience il a été demandé au conseil de Monsieur [E] de préciser quelles étaient les conditions contractuelles par lesquelles les parties avaient convenu de sa prestation, celui-ci a répondu que ses conditions étaient accessibles sur le site internet”light in the eye” (pièce 5) en anglais et dont la traduction figurait pièce 6. Il a ajouté qu’il n’existait de contrat spécifique écrit, les conditions générales étant définies par ce document.

DISCUSSION

En application de l’article 472 du Code de procédure civile si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond.
Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Madame [R] [D] n’a pas constitué avocat, la présente décision sera rendue par jugement réputé contradictoire à son égard.

Selon l’article 16 du Code de procédure civile le juge ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

Le conseil de Monsieur [E] a indiqué que les parties étaient liées par les conditions générales de l’offre de prestations qui figuraient sur son site et dont il produit le contenu en anglais (pièce 5) ainsi qu’une traduction en français (pièce 6).

Il invoque ces dispositions pour considérer que Madame [D] n’ignorait pas quelles étaient ses conditions contractuelles.

Il apparaît que des mentions intitulées “mentions légal (sic)” figurant en anglais sur un site sont insuffisantes pour caractériser une adhésion aux conditions contractuelles souscrites. Il apparaît également, dans un document traduit de 5 pages que la seule mention intéressant le litige figure page 2 sous le sous titre “formule one” pour laquelle il est précisé qu’elle est la moins chère, pour répondre aux demandes des modèles débutantes ou confirmées (…) est réservée à un usage non commercial (pas de PLV, pas de publicité, pas de droits de diffusion média autre que l’usage de promotion individuelle), termes qui s’interprètent comme laissant au modèle la possibilité de diffuser pour sa promotion individuelle.

Or le professionnel reste tenu d’informer son client avec précision sur les conditions de vente de ses prestations et de s’assurer que celui-ci a parfaitement compris ces conditions.

De plus, en matière de photographie il existe une certaine complexité entre les droits du créateur d’une part (le photographe) et ceux du client qui est le sujet disposant par ailleurs d’un droit à son image, d’autre part, justifiant que l’information donnée soit claire, en langue française, et résulte sinon d’un écrit au moins d’un échange formel caractérisant l’adhésion aux conditions contractuelles

Cette complexité se reflète ainsi dans la réponse donnée à la mise en demeure par Madame [D] “à l’issue de la séquence photo, Monsieur [E] ne m’a jamais explicitement fait part d’une interdiction d’utiliser ses photographies et ne m’a jamais fait signer de contrat de cession d’image”.

Selon le demandeur (page 5 de ses conclusions) Madame [R] [D] avait déjà un book de photographies, et souhaitait le compléter avec des photographies de portrait.

Le tribunal en déduit que Madame [D] a acquis le droit de faire usage, des photographies qui lui avaient été remises à l’issue de la séance de photographies afin qu’elle puisse, selon les termes du demandeur “constituer un book” pour améliorer sa carrière. En général, la notion de portfolio (press-book en anglais) renvoie à un dossier comprenant diverses photographies sélectionnées pour effectuer une représentation de la personne sous forme de curriculum vitae en image, en général à destination des mannequins, acteurs, intermittents du spectacle. L’usage des photographies entre donc dans le cadre des prévisions contractuelles invoquées (de diffusion média dans un usage de promotion individuelle), à les supposer effectivement opposables à la défenderesse.

Selon l’article L. 112-2, 9°du Code de la Propriété Intellectuelle « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code :
(…) 9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie. ».

Le caractère d’oeuvres au sens du Code de la propriété intellectuelle n’est pas contestable en ce qui concerne les photographies effectuées en studio par Monsieur [E] les prises de vue nécessitant une mise en scène, un choix d’angle, de luminosité, de cadrage, suivi de retouches, l’ensemble supposant une action délibérée du photographe dans le cadre d’un projet artistique qu’il détaille dans son assignation sous le thème “bain de lumière”. La qualité d’auteur de Monsieur [E] ne souffre également d’aucune contestation.

Il a été constaté le 27 avril 2021 par huissier qu’une publication avait été faite sur le réseau MYM ( anciennement Meet Your Model, rencontre ton modèle, devenu Me you more – Moi, Toi Plus) sous le nom de “[L]” de six photographies dont Monsieur [E] est l’auteur (pièce 11), un cliché du demandeur figurait encore sur le réseau MYM le 16 novembre 2022 (pièce 14) les constatations par procès-verbal du 31 mai 2023 (pièce 21) ne peuvent être retenues puisque les opérations n’ont pas, selon les termes de l’huissier instrumentaire, été effectuées dans le respect du cadre juridique et technique des “constatations internet”.

La diffusion sur le réseau MYM suppose, selon le procès-verbal de constat un accès par abonnement (9,99 € HT par mois), ce qui permet de constater un usage commercial de six clichés effectués de Madame [D] par Monsieur [E] (“aimés” par une quinzaine à une vingtaine de personnes selon les indications du constat, 197 personnes pour le cliché figurant pièce 11 page 65/122).

Il n’est pas justifié que cette publication “privée” selon le réseau MYM soit contraire aux conditions acceptées par Madame [D], la constitution d’un portfolio sous une forme numérique étant la forme modernisée du portfolio papier dont l’usage est nécessairement à titre commercial puisqu’il s’agit de “vendre” son image, de faire sa promotion personnelle (de mannequin, d’acteur) à des producteurs ou des spectateurs.

Si Madame [D] qui disposerait d’environ 115 à 180 abonnés selon les indications du constat, a pu percevoir une rémunération de l’ordre de 8 € net par mois par abonné soit 1.200 € par mois, cette évaluation reste parfaitement hypothétique dès lors que le nombre d’abonnés payants est en réalité inconnu et ne peut se déduire du nombre de “followers”.

Il convient d’observer que les 6 clichés de Monsieur [E] ne constituent en outre qu’une partie du portfolio, il s’agit en conséquence d’une commercialisation avec un gain modéré, sans rapport avec le chiffrage avancé par le demandeur (plus de 100.000 € de chiffre d’affaires) et ses demandes indemnitaires pour un total de 523.000 € ou à titre subsidiaire de 270.000 €.

Il n’est pas constaté d’atteinte à l’oeuvre originale (notamment modification de celle-ci par recadrage, retouches…), ni même au regard de l’absence de précisions contractuelles, que l’usage des photographies acquises ait imposé que le nom du photographe soit associé aux clichés diffusés en reconnaissance de sa paternité sur ces oeuvres, le réseau social MYM n’apparaît pas référencer précisément les auteurs des photographies ou vidéos publiées.

Il est en outre paradoxal d’estimer à la fois que le droit moral est bafoué du fait de l’absence du nom de l’auteur et du fait que des photographies de moindre qualité côtoient les photographies de l’auteur qui pourtant n’est pas identifié.

En application de l’article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle “ « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. »

Il apparaît que selon mise en demeure du 17 décembre 2021 Monsieur [E] a notifié à Madame [D] qu’il considérait que l’exploitation de son travail sans son accord allait au-delà de la licence accordée et a mis Madame [D] en demeure de cesser toute reproduction et/ou représentation de son oeuvre (pièce 13) , or il résulte du procès-verbal de constat du 16 novembre 2022 qu’une photographie de Monsieur [E] était encore accessible sur le réseau social MYM ouvert sous le pseudonyme [L] (page 5 du site PV de constat page 22- 24). Par ailleurs selon l’échange de messages produit aux débats (pièce 16) les médias ont été retirés en avril 2023, enfin, contrairement aux indications figurant dans l’assignation Madame [D] n’a pas refusé de supprimer les photographies de son compte (pièce 18) de sorte que la demande d’interdiction n’est plus justifiée.

Au total il ne peut être fait droit aux demandes de Monsieur [E] qui sera débouté de la totalité de ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

STATUANT par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort.

DÉBOUTE Monsieur [E] de l’ensemble de ses demandes.

LUI LAISSE la charge des dépens.

La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 


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