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Droit moral : décision du 21 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Marseille RG n° 19/12518

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Droit moral : décision du 21 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Marseille RG n° 19/12518

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°23/ DU 21 Décembre 2023

Enrôlement : N° RG 19/12518 – N° Portalis DBW3-W-B7D-W7BI

AFFAIRE : M. [H] [T] – SOCIETE DU JOURNAL MIDI LIBRE ( Maître Victoria CABAYÉ de l’ASSOCIATION ROUSSEL-CABAYE & ASSOCIES)
C/ S.A.R.L. SUNSET PRODUCTIONS (la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON)

DÉBATS : A l’audience Publique du 19 Octobre 2023

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 21 Décembre 2023

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [H] [T]
né le 20 Novembre 1979 à [Localité 4]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

S.A. SOCIETE DU JOURNAL MIDI LIBRE, inscrite au RCS de MONTPELLIER sous le numéro 456 801 158, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités de droit audit siège, dont le siège social est [Adresse 7]

Tous deux représentés par Maître Victoria CABAYÉ de l’ASSOCIATION ROUSSEL-CABAYE & ASSOCIES, avocats postulant au barreau de TOULON et par Maître Laurent SALLELES, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER

C O N T R E

DEFENDERESSE

S.A.R.L. SUNSET PRODUCTIONS, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 803 901 735, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Alain DE ANGELIS de la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON, avocats postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Xavier BACQUET, avocat plaidant au barreau de PARIS

EXPOSE DU LITIGE

[H] [T], salarié du journal le Midi Libre, a interviewé et pris en photo [S] [D] lors de sa venue à [Localité 5] le 21 juillet 2017. Un article illustré d’une photographie de [S] [D] est paru le lendemain dans le journal le Midi Libre.

Par acte en date du 6 novembre 2019, [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE ont fait assigner la SARL SUNSET PRODUCTION devant le Tribunal judiciaire de Marseille en contrefaçon de droits d’auteur portant sur une photographie, réclamant sa condamnation à payer la somme de 10.000 euros à la SA SOCIETE JOURNAL DU MIDI LIBRE à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier et la somme de 20.000 euros à Monsieur [T] à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, outre la cessation de toute diffusion de la photographie litigieuse sur tous supports, sous astreinte.

Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 22 octobre 2021, la SARL SUNSET PRODUCTIONS a saisi le juge de la mise en état de fins de non recevoir tirées du défaut de qualité à agir de Monsieur [T], et du défaut d’intérêt à agir des deux demandeurs.

Par ordonnance en date du 9 juin 2022, le juge de la mise en état a constaté que que [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE se désistaient de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, condamné la SARL SUNSET PRODUCTION aux dépens de l’incident, et dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL MIDI LIBRE demandent au Tribunal de :
– dire et juger que la photographie litigieuse réalisée par Monsieur [H] [T] est originale et protégée par le droit d’auteur,
– dire et juger que la SARL SUNSET PRODUCTIONS a commis des actes de contrefaçon en divulguant, diffusant, reproduisant sans son nom, et en modifiant la photographie litigieuse dont Monsieur [H] [T] est l’auteur,
– condamner par conséquent la SARL SUNSET PRODUCTIONS à payer :
* 10.000 € à la S.A. SOCIETE DU JOURNAL MIDI LIBRE à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la diffusion sans contrepartie de la photographie réalisée par son salarié Monsieur [H] [T],
* 20.000 € à Monsieur [H] [T] à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral lié à la divulgation de son œuvre photographique sans son autorisation et sans mention de son nom, ainsi qu’à son altération résultant de sa diffusion en noir et blanc et non pas en couleurs,
– condamner également la SARL SUNSET PRODUCTIONS à faire cesser toute diffusion de la photographie litigieuse, sur tous supports, sous astreinte de 2.000 € par infraction constatée, à compter d’un délai d’un mois après la signification de la décision à intervenir,
– assortir la décision à intervenir de l’exécution provisoire,
– condamner la SARL SUNSET PRODUCTIONS à leur payer une somme globale de 5.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ils précisent qu’à l’issue de la parution de la photographie dans le journal le Midi Libre, Monsieur [T] a transmis certaines photographies à [K] [O], gérant de la SARL SUNSET PRODUCTION et que c’est suite à cette communication qu’ils ont constaté que Madame [D] avait publié la photographie litigieuse sur son site Instagram.
Ils soutiennent que les pièces versées aux débats démontrent que c’est à la demande de [K] [O] que [H] [T] lui a transmis par courriel des fichiers constituant treize photographies, et que cette transmission n’autorisait pas SARL SUNSET PRODUCTIONS à faire un quelconque usage de ces photographies, et certainement pas à les transmettre à [S] [D] pour qu’elle les diffuse sur son site Instagram, ce qu’elle a pourtant fait le 21 juillet 2017.
Ils rappellent que Monsieur [T] a demandé à Monsieur [O] de faire retirer la photographie et que ce dernier lui a répondu qu’il allait demander à Madame [D] de l’enlever.
Ils affirment qu’en transmettant la photographie litigieuse à [S] [D] et en ne s’assurant pas qu’elle s’interdirait de l’utiliser, la SARL SUNSET PRODUCTIONS a commis une faute qui est directement à l’origine des préjudices subis; qu’en effet, [S] [D] n’aurait jamais dû être en possession des fichiers informatiques lui permettant de publier cette photographie, et cette transmission sans aucune précaution, ni avertissement quant au risque encouru, caractérise la faute.

En défense, dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mai 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des moyens, la SARL SUNSET PRODUCTION demande au Tribunal de :
– débouter Monsieur [T] et la société MIDI LIBRE de leurs entières demandes ,
– condamner solidairement Monsieur [T] et la société MIDI LIBRE au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de procédure, en ce compris les frais de signification de la décision à intervenir.

Elle fait valoir que la photographie litigieuse a été publiée par Madame [D] sur son compte Instagram personnel dont elle a seule accès.
Elle souligne qu’elle n’était ni agent, ni en charge des intérêts de Madame [D] et que cette qualité appartient à un tiers, que les demandeurs se refusent à mettre en cause.
Elle ajoute que les demandeurs ne caractérisent pas l’existence d’une faute, la simple transmission d’une photographie ne caractérisant pas une faute délictuelle, et qu’il ne pourrait s’agir que d’une négligence ou d’une imprudence.
Elle reproche encore aux demandeurs de ne pas démontrer leur préjudice, leurs demandes n’étant de surcroît étayées d’aucune évaluation patrimoniale ne serait-ce que sur la commercialisation des photographies de l’auteur, leur prix sur le marché et en conclu qu’aucun élément n’est fourni pour évaluer le préjudice invoqué qui peut dès lors très bien être apprécié à l’euro symbolique.

La procédure a été clôturée à la date du 13 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.”
Cependant, une création intellectuelle n’est protégeable que si elle reflète la personnalité de son auteur, autrement dit si elle est originale, ce quels que soient son genre, ses mérites ou sa destination.
Il faut, mais il suffit, que l’oeuvre dont la protection est revendiquée porte une empreinte réellement personnelle et traduise un travail et un effort créateur exprimant la personnalité de son auteur pour que celui-ci puisse revendiquer la protection organisée par le code de la propriété intellectuelle.
L’originalité de la photographie litigieuse n’est pas contestée, pas plus que la titularité des droits des demandeurs sur cette oeuvre.

L’atteinte à une oeuvre, réprimée par les dispositions conjuguées de l’article L111-1 et L122-4 du Code de la propriété intellectuelle, doit être démontrée par celui qui l’allègue.

En matière civile, la bonne foi est indifférente à la caractérisation de la contrefaçon.
Monsieur [T], salarié du journal le Midi libre, a interviewé et pris en photo [S] [D] lors de sa venue à [Localité 5] le 21 juillet 2017. Un article illustré d’une photographie est paru le le 21 juillet 2017 dans le journal le Midi Libre .

Monsieur [T] a ensuite transmis certaines photographies à [K] [O], gérant de la SARL SUNSET PRODUCTION et par la suite, Madame [D] a publié la photographie illustrant l’article sur son site Instagram.

Les demandeurs précisent que Monsieur [T] a demandé à Monsieur [O] de retirer cette photographie et que ce dernier lui a répondu qu’il allait demander à Madame [D] de l’enlever.

Ils versent aux débats un échange de textos entre “[K]” et “[H]” au sujet duquel il n’est pas contesté qu’il s’agit de [K] [O] et [H] [T]. Le dénommé [K] indique : « Je vais demander à [S] [D] de l’enlever mais c’est une drôle de façon de remercier l’artiste de sa confiance (…) ».

Ils produisent également un courriel mentionnant l’envoi à [Courriel 3] de 13 fichiers “qui seront supprimés le 28 juillet 2017” et comportant un lien de téléchargement “wetransfer” accompagné du message : ‘Ci-joint les images (avant traitement…). Merci de ton retour” et un autre courriel indiquant “ [Courriel 3] a téléchargé vos fichiers”.

Ilscommuniquent également un extrait du site internet [06].org/news/2017/7/24 comportant la photo en cause sous le titre “BULLFIGHTING : HEADS OR TAILS ? It’s all the same…July 24, 2017″ et des extraits de sites nationaux et internationaux (programme-television.org.huffingtonpost.fr, valeursactuelles.com, lavanguardia.com) reprenant cette photographie avec pour certains la mention “Instagram [06]” ou “capture d’écran @[06]”.

Dans ses conclusions, la SARL SUNSET PRODUCTION reconnaît avoir transmis cette photographie à Madame [D] “pour rendre service aux demandeurs sans être ni le conseil ni l’agent de Madame [D]”.

L’article L122-4 du Code de la propriété intellectuelle énonce que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

Ainsi, la transmission d’une photographie sans l’autorisation du titulaire des droits de cette photographie constitue une contrefaçon.

La contrefaçon est caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation ou l’exploitation d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés.

La SARL SUNSET PRODUCTIONS a fait preuve de négligence en transmettant cette photographie sans faire mention de son auteur ni rappelé ses droits.

Il donc établi une contrefaçon de droits d’auteur au préjudice de [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE.

En application de l’article L 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1/ les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2/ le préjudice moral causé à cette dernière ;
3/ et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire, cette somme étant supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte et n’étant pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

En l’espèce, la SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE sollicite au titre de son préjudice financier l’allocation de la somme de 10.000 euros en réparation de la diffusion sans contrepartie de la photographie réalisée par son salarié [H] [T].

Compte tenu de la diffusion limitée à la personne représentée sur la photographie, ce préjudice sera alloué à ce titre la somme de 500 euros.

S’agissant du droit moral, qui confère à l’auteur respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, il est certain que la reproduction de son oeuvre, sans que son nom n’y soit associé, constitue une violation du droit moral de [H] [T] justifiant que lui soit allouée la somme de 500 euros.

[H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE demandent également de condamner la SARL SUNSET PRODUCTIONS à faire cesser toute diffusion de la photographie litigieuse, sur tous supports, sous astreinte de 2.000 € par infraction constatée, à compter d’un délai d’un mois après la signification du présent jugement.

Il sera cependant rappelé que le seul manquement fautif est la transmission d’une photographie à [S] [D] sans autorisation de l’auteur.
[H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE ont choisi de ne pas assigner Madame [D] à laquelle ils imputent cette diffusion.
Cette demande sera donc rejetée.

Succombant, la SARL SUNSET PRODUCTIONS sera condamnée aux entiers dépens de l’instance, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle sera par ailleurs condamnée à régler aux demandeurs la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en vue de la présente instance.

L’exécution provisoire sera ordonnée compte tenu de l’ancienneté de l’affaire..

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

Condamne la SARL SUNSET PRODUCTIONS à payer la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier ;

Condamne la SARL SUNSET PRODUCTIONS à payer [H] [T] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

Déboute [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL DU MIDI LIBRE du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SARL SUNSET PRODUCTIONS aux entiers dépens de l’instance, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;

Condamne la SARL SUNSET PRODUCTIONS à payer à [H] [T] et la SA SOCIETE DU JOURNAL MIDI LIBRE, ensemble, la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.

AINSI JUGE ET PRONONCE ET MIS A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 21 DECEMBRE 2023.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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