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Droit moral : décision du 12 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/05593

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Droit moral : décision du 12 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/05593

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 22/05593
N° Portalis 352J-W-B7G-CVQRC

N° MINUTE :

Assignation du :
27 Avril 2022

JUGEMENT
rendu le 12 Janvier 2024
DEMANDERESSE

Madame [E] [K]
[Adresse 1]
[Localité 6] (ETATS UNIS)

représentée par Maître Alexis FOURNOL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1601

DÉFENDERESSE

Société EDITION MODERN
[Adresse 2]
[Localité 3] (ETATS-UNIS)

représentée par Maître Béatrice LAFONT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0843

Copies délivrées le :
– Maître FOURNOL #E1601 (exécutoire)
– Maître LAFONT #E843 (ccc)

Décision du 12 Janvier 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/05593 – N° Portalis 352J-W-B7G-CVQRC

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-président
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistée de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 20 Octobre 2023 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [E] [K] est l’unique ayant-droit de [S] [A], créateur français de meubles et objets de décoration (1902-1981).
La société de droit californien Edition modern, dirigée par M. [U] [H], commercialise des meubles et des articles de décoration.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 février 2021, le conseil de Mme [K] a mis en demeure la société Edition modern de cesser la fabrication de meubles et luminaires reproduisant des créations de [S] [A] et de lui adresser les documents permettant de connaître l’étendue de la contrefaçon.
Ayant découvert qu’un artisan français, M. [F] [C], réalisait des reproductions non autorisées d’œuvres de [S] [A] pour le compte de la société Edition modern, Mme [K] a fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de celui-ci le 16 février 2021 et a fait assigner l’EURL [C] devant le tribunal judiciaire de Rennes en contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme.
Elle a également fait pratiquer, le 10 septembre 2021, une saisie-contrefaçon dans un hôtel parisien ayant acquis des meubles contrefaisant, selon elle, des œuvres de [S] [A] achetés à la société Edition modern et a assigné la société d’exploitation hôtelière de La Samaritaine devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d’auteur le 4 octobre 2021.
Par acte du 4 janvier 2022, Mme [K] a fait assigner la société Edition modern devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits d’auteur et réparation du préjudice en résultant.
Dans ses dernières conclusions du 14 février 2023, Mme [K] demande au tribunal de:A titre principal,
– ordonner à la société Edition modern de cesser toute reproduction d’une œuvre de [S] [A], de rappeler les produits contrefaisants et de les détruire à ses frais, sous astreintes,
– condamner la société Edition modern à lui payer la somme de 3.700.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon ou, subsidiairement, ordonner à la société Edition modern de produire les pièces permettant de déterminer le préjudice, sous astreinte, et renvoyer l’affaire à la mise en état sur ce point,
A titre subsidiaire,
– condamner la société Edition modern à lui payer la somme de 3.500.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement du parasitisme,
– dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2021 et ordonner la capitalisation des intérêts,
– ordonner diverses mesures de publication de la décision à intervenir, sous astreinte,
– se réserver la liquidation des astreintes,
– condamner la société Edition modern aux dépens et à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 15 février 2023, la société Edition modern demande au tribunal de débouter Mme [K] de ses demandes et de la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2023.

MOTIVATION

I . Sur la contrefaçon de droit d’auteur

1 . Sur l’originalité des objets pour lesquels il est revendiqué un droit d’auteur

Mme [K] soutient que 53 créations de [S] [A], qui sont représentées sur le site internet (selon captures d’écran faites en janvier et février 2021 versées en pièce n°7), sont des oeuvres originales qui reflètent la personnalité de leur auteur, indiquant les caractéristiques originales de celles-ci.Elle identifie ces œuvres à partir d’extraits de biographies de [S] [A] et du site du [4] de [Localité 5].

La société Edition modern oppose que l’identification des œuvres dont la contrefaçon est alléguée ne repose que sur des photographies qui ne permettent pas d’appréhender leur originalité ni d’apprécier leur éventuel caractère contrefaisant et conteste en toute hypothèse leur originalité en ce que le design des meubles et luminaires de [S] [A] est très largement dicté par leur fonction et que leur forme est soit très classique, soit simple, soit reproduit la nature.
Sur ce,

L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu’elle est originale, d’un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’ article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que “l’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur ”.
Pour être éligible à la protection, une création doit se matérialiser sous une forme suffisamment précise pour définir son objet.

L’originalité d’une œuvre résulte notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires de son auteur qui caractérisent un effort créatif portant l’empreinte de sa personnalité, et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable.Elle peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également, de la combinaison originale d’éléments connus.
La reconnaissance de la protection par le droit d’auteur ne repose donc pas sur un examen de l’œuvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l’appréciation de la recherche créative.

La preuve de l’existence d’une œuvre et de son originalité n’exige pas qu’elle soit matériellement produite aux débats dès lors qu’elle est identifiée de manière suffisamment précise.Les 53 meubles et luminaires pour lesquels Mme [K] revendique la protection par le droit d’auteur sont identifiés par un nom et décrits au moyen de photographies issues de catalogues et de livres d’art, assorties de la mention des dimensions et des matériaux les composant.
Ces éléments suffisent à identifier de façon suffisamment précise chacune de ces œuvres, de la même façon que des photographies des produits argués de contrefaçon peuvent suffire à apprécier l’existence ou non d’une reproduction de leurs caractéristiques originales le cas échéant.

a) S’agissant des modèles de luminaires de la ligne Bouquet (appliques à 1, 2, 5 ou 6 branches et chandeliers à 8 ou 12 branches), Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de :- un élément fixe et centré du point de départ des branches qui consiste soit en une boule soit en une demi-sphère,
– des branches avec une ondulation rythmique identique liées sur la partie verticale et montante du point de fixation, une première courbe descendante resserrée puis une courbe plus large remontante,
– un abat-jour conique recouvrant la fin de la courbe, le sommet de l’abat-jour ne dépassant jamais le sommet de l’ondulation,
créant une impression d’ensemble de ploiement des branches sous poids des abat-jours ainsi qu’un bouquet de fleurs.

Les luminaires Bouquet sont caractérisés par des branches affectées d’une ondulation identique et d’une forme bien particulière, dépassant le sommet des abat-jours, ce qui leur confère une physionomie propre qui traduit un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (et ne se retrouve pas dans les prétendues antériorités produites par la défenderesse dont les lignes et formes différent).
b) S’agissant du modèle de lampadaire Coeur, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de six tiges en métal courbées accolées et qui se réunissent en leur milieu, comme six pétales d’une fleur dont une demi-sphère, au centre, évoque le bouton d’où jaillissent deux extrémités d’une tige métallique unique qui dessine la forme d’un cœur allongé au creux duquel est suspendu un abat-jour disproportionné par rapport à la lampe, le jeu entre la proportion du socle, d’un cœur très effilé et d’un abat-jour allongé qui témoigne du génie esthétique du décorateur et de la recherche formelle réalisée.
Le lampadaire Coeur est caractérisé par des éléments métalliques présentant un dessin très particulier dans son inspiration et ses proportions, qui démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse n’invoquant pour sa part que l’extrême simplicité de forme, qui ne saurait exclure l’originalité).
c) S’agissant des modèles de luminaires de la ligne Jacques ou Corbeille (une applique et une suspension), Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de : – un élément fixe et centré du point de départ des branches qui consiste soit une boule soit une demi-sphère,
– des branches avec une ondulation rythmique liées sur la partie verticale et montante du point de fixation, une première courbe descendante et un motif symétrique des branches inférieures et supérieures, laquelle sert ainsi de point de jonction pour la branche portant l’abat-jour et dont les branches sont ensuite à nouveau jointes sur un point fixe en forme de boule,
– un abat-jour conique recouvrant la fin de la courbe, le sommet de l’abat-jour ne dépassant jamais le sommet de l’ondulation.

Les luminaires Jacques ou Corbeille sont caractérisés par des branches ondulées réunies pour former un motif particulier (bien différent de celui du modèle créé dans les années 1940 par [W] [B], présenté en défense comme une antériorité), ce qui leur confère un aspect singulier qui traduit un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
d) S’agissant de l’applique Croisillon, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de :- un cadre tubulaire rectangulaire dans lequel s’inscrivent des tiges métalliques plus fines formant deux triangles isocèles rectangles et des carrés,
– deux étages composés de deux rangs d’abat-jours déployés sur trois bras dans des directions différentes, l’abat-jour du milieu étant sur une ligne inférieure aux abat-jours extérieurs,
– le rythme ternaire qui se dégage de l’agencement de la grille, des bras et des abat-jours.

L’applique Croisillon est caractérisée par des éléments métalliques présentant un dessin très particulier dans son inspiration et ses proportions et une disposition particulière des abat-jours, qui démontrent un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse n’invoquant pour sa part que la simplicité des formes, qui ne saurait exclure l’originalité).
e) S’agissant de l’originalité de l’applique Forme libre, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’un tube métallique fixé à trois accroches servant également d’assises à trois des six abat-jours, de forme ondulée avec des abat-jours redressés pour contrebalancer la sinuosité de la courbe métallique, évoquant un nuage en suspension comme cloué sur une paroi murale.
L’applique Forme libre est caractérisée par un élément métallique présentant un dessin très particulier dans son inspiration et ses proportions ainsi qu’une forme et une disposition particulière des six abat-jours, qui démontrent un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse se bornant à juger insuffisante la démonstration de l’originalité).
f) S’agissant du modèle de lustre Hérisson, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de longues branches descendant abruptement d’une demi sphère pour remonter brièvement en courbe vers des abat-jours très allongés et pointus.
Ces seuls éléments, purement descriptifs de l’objet, sont banals et appartiennent au fond commun de la fabrication de luminaires suspendus. Ils sont donc insuffisants à caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
g) S’agissant des modèles de luminaires de la ligne Jet d’eau (appliques à 3, 5 ou 9 branches), Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de :- branches qui partent d’une demi-sphère avec un rebord rappelant la forme d’une vasque,
– l’ondulation des branches passant légèrement en dessous de ce rebord et remontent presque à la verticale,
– la fixation de l’abat-jour au sommet, au centre d’une petite branche annexe comme en suspension, puis qui redescend comme les jets d’eau attirés par la gravité,
évoquant le jaillissement des jets d’eau d’une fontaine.

Ces appliques sont caractérisées par des branches ondulées réunies pour former un motif particulier dans son inspiration et ses proportions, ce qui leur confère un aspect singulier qui traduit un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse se bornant à juger insuffisante la démonstration de l’originalité).
h) S’agissant du modèle de lampe 1955, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de trois tubes rectilignes se rejoignant à un tiers de la hauteur de la lampe dans une boule, à partir de laquelle se déploie une tige droite à l’extrémité de laquelle est fixé un abat-jour inversé.
La combinaison du trépied, de la boule, de l’abat jour et de la tige, aboutissant à un luminaire d’aspect bien différent de celui du modèle en années 1950 par [W] [B], présenté en défense comme une antériorité, démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse se bornant à juger insuffisante la démonstration de l’originalité).
i) S’agissant des modèles de luminaires de la ligne Liane, Mme [K] revendique l’originalité de l’utilisation de tubes de métal déformés pour obtenir des lignes ondulées arythmiques réunies de façon harmonieuse se croisant et portant à l’extrémité des abat-jours suspendus comme des clochettes.
Ces luminaires sont caractérisés par le dessin très particulier de leurs branches et la disposition des abat-jours suspendus, qui démontrent un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur sans constituer la copie d’un objet existant (la défenderesse objectant que [S] [A] a seulement imité la nature).
j) S’agissant du lampadaire Mille pattes, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison du pied de lampe composé de 12 tiges verticale, l’effet contrastant de l’abat-jour très horizontal et le mouvement de l’ensemble.
Ce lampadaire est caractérisée par un pied métallique présentant un dessin très particulier dans son inspiration et ses proportions, qui démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse se bornant à juger “classique” ce luminaire).
k) S’agissant des modèles de luminaires de la ligne Ondulation (cinq appliques et un lustre), Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’une branche sinusoïdale servant d’appui aux supports des abat-jours qui se placent dans les creux de la courbe.
Les luminaires Ondulation sont caractérisés par la présence d’un élément métallique ondulé combiné à des abat-jours qui s’inscrivent dans l’espace de chaque creux produisant un effet très particulier, bien différent de celui du lustre créé dans les années 1930 par [V] [J], présenté en défense, et qui démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
l) S’agissant des modèles Persan (appliques à 3 ou 8 branches et lampadaire à 3 branches), Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de branches légèrement ondulées jaillissant à la verticale d’une base descendant abruptement d’une demi sphère pour remonter brièvement en courbe vers des abat-jours très allongés et pointus.
Ces seuls éléments, purement descriptifs de l’objet, sont banals et appartiennent au fond commun de la fabrication de luminaires suspendus. Ils sont donc insuffisants à caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
m) S’agissant des appliques Point Messery (à 1, 2 ou 3 lampes, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’une fixation métallique sur le mur, d’une branche similaire à celle des luminaires Bouquet fixée dans la boule et surmontée d’un abat-jour cônique.
La combinaison de la fixation du luminaire au mur par un dispositif présentant un motif arbitraire et de la branche dont la forme a été jugée originale supra (point 16) démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur (la défenderesse se bornant à juger ces luminaires banals).
n) S’agissant des appliques [A] 5, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’une fixation en forme de demi-sphère, disproportionnée au regard de sa fonction, servant de point de départ aux branches supportant les abat-jours selon un ordonnancement spécifique accordant à l’ensemble un rythme singulier et un effet pyramidal.
Ces seuls éléments, purement descriptifs de l’objet, sont banals et appartiennent au fond commun de la fabrication de luminaires suspendus. Ils sont donc insuffisants à caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
o) S’agissant du lustre Serpentin, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’une fixation unique au plafond, d’une branche principale sinusoïdale dans les creux de laquelle sont fixés des abat-jours cylindriques, produisant un effet de “lévitation”.
Au bénéfice de la motivation supra pour les luminaires Ondulation comportant les mêmes caractéristiques (point 36), l’aspect La combinaison de la fixation du luminaire au mur par un dispositif présentant un motif arbitraire et de la branche dont la forme a été jugée originale supra démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
p) S’agissant du lampadaire Ski Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’un socle en forme de flocon et d’une branche en forme de ski.
Ce luminaire n’a pas la forme d’un ski (éventuellement celle d’un bâton) ni sa base celle d’un flocon et comporte les éléments fonctionnels de tout lampadaire : un socle et un tronc vertical portant l’ampoule incliné pour orienter l’abat-jour vers le bas. Ces caractéristiques sont banales et appartiennent au fond commun de la fabrication de luminaires posés. Ils sont donc insuffisants à caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
q) S’agissant de l’originalité des lustres Vallauris (à 2 ou 4 lampes), Mme [K] revendique l’originalité de la forme et les proportions de leur structure métallique et l’espacement régulier entre les abat-jours.
Comme le soutient la société Edition modern, la forme triangulaire de la structure du lustre et ses proportions, de même que la répartition régulière des abat-jours sur celle-ci ne suffisent pas à caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
r) S’agissant du lampadaire Yo-yo, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison d’un socle composé de trois pieds simples, d’une tige en métal verticale au sommet de laquelle se trouve un anneau et de la fixation, aux deux tiers de la hauteur, d’une tige métallique permettant la mise en place de l’abat-jour montant jusqu’en haut de la tige, le tout figurant un yo-yo inversé, un Y inversé et un O.
La combinaison du trépied, de l’anneau sommital, de l’abat-jour très allongé et placé latéralement démontre un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, et si le luminaire photographié en pièce 7 de la défenderesse reprend ces mêmes éléments, il a été réalisé postérieurement.
s) S’agissant des canapés, fauteuils et chaises Croisillon, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de :- quatre pieds sans lien et sans renfort entre eux,
– l’absence de soudure ou de démarcation entre les différents éléments de la structure,
– un piètement arrière décalé dans un positionnement ludique,
– une ligne unique entre le piètement arrière et le dossier,
– un dossier constitué de croisillons,
– des pieds se terminant par des boules,
– une couleur rouge faisant ressortir les lignes et une assise discrète et blanche.

Ces choix arbitraires de structure, de forme et d’ornementation confèrent aux meubles Croisillon un aspect propre et démontrent un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur et les exemples de réalisations antérieures de [S] [R], de [G] [P] et de la maison Knoll produits en défense démontrent au contraire leur singularité.
t) S’agissant du miroir Boule, Mme [K] revendique l’originalité d’un cadre circulaire composé d’un double cerclage de métal dans lequel sont insérées des boules en laiton situées aux emplacements des heures sur une horloge.
Ces seuls éléments, appartenant au fond commun de la décoration, sont insuffisants pour caractériser un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
u) S’agissant des fauteuils de jardin, tables et tabourets Ondulation, Mme [K] revendique, pour le fauteuil, l’originalité de la combinaison de :- une structure composée de trois lignes discrètes faites de tubes métalliques,
– trois ondulations distincte sur chaque côté du fauteuil,
– la transparence entre les différentes ondulations donnant l’ensemble du meuble une impression de légèreté voire de flottement de l’assise,
– le contraste entre les lignes perpendiculaires et les sinusoïdes,
et, pour les tables et le tabouret, le fait qu’un unique tube sinusoïdal assure encadre et soutient ces meubles.

Ces choix arbitraires de structure, de forme et de matériaux confèrent aux meubles Ondulation un aspect très singulier et témoignent d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
v) S’agissant de la table Val d’or, Mme [K] revendique l’originalité de la combinaison de :- une structure faite d’une seule ligne brisée continue courant autour et sous le plateau, formant trois pieds et soutenant le plateau,
– le haut des pieds ressortant au-dessus du plateau et formant des créneaux continuant ainsi la forme dessinée par la partie inférieure du pied au plateau
– le contraste entre la ligne brisée et la forme circulaire du plateau en verre transparent.

Ces choix arbitraires de structure, de forme et d’ornementation confèrent aux tables Val d’or un aspect très singulier et témoignent d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur et les exemples de réalisations antérieures de [I] [T] et de la maison Perk associates produits en défense démontrent de plus fort leur caractère propre.
w) S’agissant de l’originalité de la chaise de bar et du fauteuil Yo-yo, Mme [K] revendique : – pour le fauteuil, la combinaison de pieds avant du fauteuil légèrement inclinés sur le côté et de pieds arrière courbés se terminant par des cercles et une assise très légère de couleur jaune se démarquant des tiges de métal de la structure et,
– pour la chaise de bar, la combinaison d’une structure épurée consistant en quatre pieds en tiges métalliques reliés au tiers de leur hauteur par un cercle et se terminant par un autre cercle et une assise en forme de ballon.

Ces choix arbitraires de structure, de forme et d’ornementation confèrent à la chaise de bar et au fauteuil Yo-yo un aspect très singulier et témoignent d’un effort créatif portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur.
Il en résulte que, à l’exception des modèles de luminaires Hérisson, Persan, [A] 5, Ski et Vallauris et du miroir Boule, les meubles et luminaires de [S] [A] précités, présentent des caractéristiques originales, tout particulièrement par le dessin et les proportions de leurs éléments métalliques d’ornement ou de structure, et sont donc protégés par le droit d’auteur.
2 . Sur les usages non autorisés

Mme [K] fait valoir que :- elle ne poursuit que la contrefaçon d’œuvres fabriquées et commercialisées sans autorisation sur le territoire français ;
– la société Edition modern a fait fabriquer par M. [C] des reproductions identiques et non autorisées de 53 œuvres de [S] [A] en lui fournissant des plans, croquis et photographies de celles-ci, en les désignant parfois directement par leur nom et en reprenant tous les écarts observés, et ce en plus de 600 exemplaires ce qui caractérise des actes de contrefaçon ;
– si les éléments trouvés chez M. [C] ne sont que des éléments des œuvres, ces éléments sont la reproduction servile (formes, dimensions, titres et matériaux) d’éléments originaux caractéristiques : les branches des luminaires Bouquet et Liane, des éléments des modèles Pointe Messery, les pieds des tables Val d’or et les fixations et demi-sphères des luminaires des appliques Bouquet, Jacques, Jet d’eau et Persane et la structure de la table basse Ondulation ;
– la société Edition modern a commercialisé les meubles et luminaires contrefaisants en France via son site internet qui s’adresse également à des clients français.

La société Edition modern oppose que :- les parties sont américaines, son activité se situe sur le sol des Etats-Unis d’Amérique (où deux procédures sont en cours) et la présente action n’est justifiée que par l’existence d’un droit d’auteur en France, de sorte que le tribunal ne peut se prononcer que sur des dommages subis en France et n’ordonner que des mesures sur ce territoire ;
– la copie servile alléguée ne saurait être démontrée par des photographies ;
– les éléments trouvés dans les ateliers de M. [C] sont de simples éléments en fer forgé d’une grande banalité et les courriels échangés entre ce dernier et le gérant de la société Edition modern ne permettent pas de déterminer ce qui a réellement été fabriqué et de le comparer aux œuvres antérieures ;
– les formes, proportions et plateaux des tables vendues à l’hôtel Cheval blanc sont différents du modèle Val d’or de [S] [A] et de même que les fauteuils.

Sur ce,

L’article 46 du code de procédure civile dispose notamment que : “ Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : […] – en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi”.
En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
La contrefaçon d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, qui n’implique pas l’existence d’un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.
La contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre première.

Les parties étant toutes deux domiciliées à l’étranger, le tribunal est compétent pour statuer sur la responsabilité délictuelle de la société Edition modern au titre de faits commis en France et sur la réparation de préjudices subis en France.
La saisie contrefaçon du 16 février 2021 dans les ateliers de M. [C] a montré la présence de structures métalliques de tables fortement évocatrices des lignes caractéristiques des tables Ondulation et Val d’or, de branches fortement évocatrices de celles des luminaires Hérisson, Jet d’eau, Bouquet, Liane et Pointe Messery et des fixations et demi-sphères fortement évocatrices de celles des luminaires des appliques Bouquet, Jacques, Jet d’eau et Persane.
Elle a également permis de saisir des plans, croquis et courriels adressés par M. [H] à M. [C] démontrant qu’il lui demandait de fabriquer des pièces métalliques pour l’exécution de copie des modèles de [S] [A] suivants (pièces demandeur n°11) : table Val d’or, table Ondulation, miroir Boule, lustres Corbeille, Bouquet, Jet d’eau et Vallauris, appliques Bouquet, Ondulation, Forme libre, Persane, Liane, Jet d’eau et Pointe Messery, fauteuil et chaise Croisillon, fauteuil Ondulation, chaise de bar et lampadaire Yo-yo, lampadaires Ski et Liane en les désignant par leur nom d’origine, ce qui confirme que les similarités visuelles entre les oeuvres originales et les éléments observables sur les photographies de la saisie ne sont pas fortuites.
Ainsi qu’il a été retenu supra, les éléments métalliques des meubles Ondulation, Yo-yo et Val d’or et les branches métalliques des luminaires Corbeille, Bouquet, Jet d’eau, Ondulation, Forme libre, Liane, et Pointe Messery sont des éléments caractéristiques faisant l’originalité de ces modèles.
En revanche, les fixations et demi-sphères des luminaires des appliques Jacques et Jet d’eau n’en constituent pas des éléments essentiels et les luminaires modèle Ski, Persan et Vallauris n’ont pas été jugé originaux.
La société Edition modern a, de plus, vendu à l’hôtel Cheval blanc huit tables basses rondes qui reposent sur trois pieds réalisés par un seul élément de métal rouge courant à l’extérieur et en dessous du plateau et dépassant de celui-ci en six points présentant une forme de créneaux particulière, identique à celle caractéristique de l’originalité du modèle Val d’or de [S] [A].Elle lui a également vendu 23 fauteuils dont la structure est en tubes de métal rouge, dont le dossier est constitué de croisillons et dont les pieds se terminent par des boules, d’aspect identique au modèle Croisillon de [S] [A] et reprenant donc toutes ses caractéristiques originales.

Or, la ligne de l’élément métallique des tables basses et la structure et la couleur des fauteuils ne sont aucunement mineures ni ne relèvent d’un genre mais sont au contraire caractéristiques de ces meubles, tandis que les légères différences de proportions entre les tables vendues et le fait que le plateau d’une table soit blanc opaque et non en verre sont inopérantes pour l’analyse. D’ailleurs, la société Edition modern se borne à affirmer que les tables et fauteuils qu’elle a vendus sont “très différents” des oeuvres originales, contre l’évidence de leur aspect et alors que son site internet présente expressément ces meubles comme le modèle Croisillon de [S] [A] et le modèle Val d’or de [S] [A], de même que les factures de vente des 4 juin et 21 mai 2020 sur lesquelles apparaît, sous son nom commercial la mention “The Pierre CHAREAU and [S] [A] collection with other FRENCH MODERN designers”.

La société Edition modern a aussi vendu à des clients en France 8 exemplaires d’une lampe applique Bouquet en 7 septembre 2018 et, le 13 mars 2020, 3 exemplaires d’une chaise de bar Yo-yo.
Dès lors, les faits de contrefaçon des tables Ondulation et Val d’or, des fauteuils et chaises Croisillon, du fauteuil Ondulation, de la chaise de bar Yo-yo et des luminaires Bouquet, Liane, Pointe Messery Corbeille, Jet d’eau, Ondulation, Forme libre, Liane, Croisillon et Yo-yo de [S] [A] sont caractérisés.
Le site internet , accessible depuis la France, promeut les objets vendus par la société Edition modern, ce qui caractérise une contrefaçon.En revanche, contrairement à ce qu’elle soutient, les pièces 6.1 et 6.2 de Mme [K] n’indiquent aucunement que les objets sont fabriqués en France, il y est au contraire précisé qu’ils sont fait à Los Angeles (handcrafted in the Los Angeles atelier).

Dès lors les faits de contrefaçon sont également caractérisés pour les luminaires lampadaire Cœur, lampe 1955, lampadaire Mille pattes et lustre Serpentin.
3 . Sur la réparation

Mme [K] fait valoir que :- la production et la commercialisation en masse des meubles contrefaisants de mauvaise qualité et de mauvaise facture, à l’initiative, sous le contrôle et au profit de la société Edition modern portent atteinte à l’intégrité spirituelle et matérielle de l’œuvre de [S] [A] constituée de pièces ayant toujours été réalisées sur mesure pour ses clients, la banalisant et la dépréciant ;
– l’ensemble des meubles contrefaits par M. [C] sur les directives de la société Edition modern doivent être pris en considération dans l’appréciation de son préjudice, même si certains d’entre eux ont pu être commercialisés en dehors du territoire français, dès lors que la fabrication a bien eu lieu sur le territoire national ;
– elle ne peut apprécier exactement l’étendue réelle des actes contrefaisants car la société Edition modern n’a pas déféré à sa demande de transmettre les éléments le permettant mais les prix de vente indiqués sur la plateforme Rubylux par laquelle la société Edition modern a commercialisé de nombreux meubles fabriqués sur le territoire français permet d’évaluer le chiffre d’affaires réalisé par la société [C] à plus de 2.507.000 euros, de sorte que le préjudice matériel peut être fixé à la somme de 1.500.000 euros, de même que les bénéfices réalisés par le contrefacteur ;
– le préjudice moral est d’autant plus important que la société Edition modern est à l’initiative d’un réseau international de fabrication et de commercialisation de nombreuses reproductions non autorisées de meubles de [S] [A] ;
– il convient d’ordonner à la société Edition modern de cesser toute reproduction d’une œuvre de [S] [A] et la publication du jugement, y compris en anglais sur le site .

La société Edition modern oppose que :- la commercialisation à l’étranger ne saurait fonder une atteinte aux droits patrimoniaux de Mme [K] en France et le même préjudice sera sûrement demandé devant les juridictions américaines ;
– son site internet n’est pas un site marchand ;
– elle n’a fait fabriquer par M. [C] que les composants métalliques de 431 pièces entre 2018 et 2021 versant à l’appui son récapitulatif succinct “basé sur les factures commerciales du transporteur” ;
– il n’existe aucun préjudice moral, Mme [K] ne protégeant en réalité que les intérêts économiques de son fils, qui a fondé la maison [A] en 2019 pour fabriquer des rééditions des créations de [S] [A] ;
– il n’existe aucune atteinte au droit moral car ses meubles sont fabriqués en petite quantité et sont de très bonne qualité ;
– ayant produit spontanément tous les documents portant sur les ventes réalisées en France, la demande subsidiaire au titre du droit d’information doit être rejetée ;
– les demandes d’interdiction, de rappel et de publication sont excessives dans leur nombre, leur nature et leur portée territoriale ;
– la juridiction française ayant été saisie en tant que celle du lieu du préjudice, elle ne peut prononcer de réparation que des actes réalisés en France.

Sur ce,

L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
L’emploi de l’adverbe distinctement et non cumulativement exclut le cumul des points 1 , 2 et 3, l’indemnisation de la contrefaçon étant soumise au principe général d’indemnisation du préjudice intégral, sans perte ni profit pour la victime.

L’article L. 331-1-2 du même code prévoit “Si la demande lui est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres Ier, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services.La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime”.

L’article L. 331-1-4 du même code prévoit qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte aux droits.

Le site internet de la société Edition modern, selon la pièce 7 de Mme [K], datée de janvier et février 2021, présente 53 objets comme des rééditions de créations de [S] [A], puis “ [S] [A] in the style of”.Lors des opérations de saisie-contrefaçon du 16 février 2021, M. [C] a déclaré fabriquer des éléments de ferronnerie pour le compte de la société Edition modern depuis 2018.

Mme [K] verse aux débats des devis et factures de l’EURL [C] à la société Edition modern saisis, dont il résulte un montant total de facturation de 117.292 euros de 2018 à 2020.
La société Edition modern verse aux débats :- une déclaration selon laquelle M. [C] ne lui a livré que 431 pièces entre 2018 et 2021, sans aucun justificatif, ni indication de la nature ou la valeur desdites pièces,
– une facture des tables Val d’or du 11 septembre 2021 au prix de 11.301 dollars,
– une facture des 23 fauteuils Croisillon du 4 juin 2020 au prix de 50.750 euros,
– une facture du 7 septembre 2018 de 8 exemplaires d’une lampe applique Bouquet au prix de 14.575 euros,
– une facture du 13 mars 2020 de 3 exemplaires de le chaise de bar Yo-yo au prix de 5.400 dollars,
– une facture du 17 juin 2020, un exemplaire d’un lustre Vallauris au prix de 4.850 dollars.

Ces éléments ne permettent pas de déterminer le nombre d’objets contrefaits en France, ni les bénéfices réalisés par la société Edition modern et le préjudice de Mme [K] ne saurait être liquidé sur la base de ses extrapolations.
Il y a donc lieu d’enjoindre à la société Edition modern de communiquer à Mme [K] les éléments, certifiés par un tiers indépendant permettant de les évaluer, de surseoir à statuer sur la liquidation du préjudice patrimonial et du préjudice moral qui en dépendent l’affaire à l’audience de mise en état pour conclusions de Mme [K] sur les préjudices. Eu égard à l’ancienneté de la demande, la fixation d’une astreinte à l’exécution de cette injonction est justifiée.
Une mesure d’interdiction sera ordonnée selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Compte tenu de cette interdiction, les meubles et luminaires litigieux étant fabriqués sur commande, les mesures de retrait des circuits commerciaux et de destruction sollicitées ne sont pas utiles. En outre, le préjudice pouvant être entièrement réparé par une indemnité, la demande de publication apparaît disproportionnée et est donc rejetée.
Mme [K] ne démontre aucune atteinte à l’intégrité des œuvres.En particulier il n’est aucunement établi que la société Edition modern produirait de façon dégradée. Au contraire, les informations sur les compétences de M. [C] sont flatteuses et les seuls acquéreurs identifiés en France sont un hôtel de luxe et un architecte d’intérieur.
Il n’est pas plus établi qu’elle produirait des meubles en grande quantité mais cette circonstance est en toute hypothèse inopérante à caractériser une atteinte au droit moral de l’auteur.

Il y a donc lieu de rejeter la demande fondée sur l’atteinte au droit moral de l’auteur.
II . Sur la demande subsidiaire sur le fondement du parasitisme

Mme [K] demande la condamnation de la société Edition modern pour parasitisme s’agissant de la reproduction des créations qui ne seraient pas protégées par le droit d’auteur, ici les modèles de luminaires Hérisson, Persan, [A] 5, Ski et Vallauris et le miroir Boule.
La société Edition modern oppose que Mme [K] ne justifie d’aucun investissement pour valoriser l’œuvre de [S] [A] ou asseoir la valeur économique de ses créations.
Sur ce,

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.Le parasitisme, qui n’exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

Il incombe à celui qui allègue un acte de parasitisme d’établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d’une valeur économique individualisée.
Il ressort des pièces du dossier que la société Edition modern a fait fabriquer des modèles de luminaires Hérisson, Persan, [A] 5, Ski et Vallauris et du miroir Boule par l’EURL [C]. Or, elle entendait vendre ces objets en se prévalant de leur conception par [S] [A], admettant ainsi l’existence d’une valeur économique.En revanche, Mme [K] ne démontre pas que celle-ci résulte de ses propres investissements, savoir-faire ou travail intellectuel.

Il y a donc lieu de rejeter la demande.
III . Dispositions finales

Le présent jugement étant partiellement avant-dire droit, il y a lieu de réserver les dépens.
L’équité justifie toutefois de condamner dès à présent la société Edition modern à payer à Mme [K] la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Fait interdiction à la société Edition modern de faire fabriquer, de fabriquer, d’offrir à la vente et de commercialiser en France les modèles de tables Ondulation et Val d’or, de fauteuils et chaises Croisillon, du fauteuil Ondulation, de la chaise de bar Yo-yo et de luminaires Bouquet, Liane, Pointe Messery Corbeille, Jet d’eau, Ondulation, Forme libre, Liane, Croisillon, Yo-yo Cœur, lampe 1955, Mille pattes et Serpentin présentés sur son site internet et ce dans un délai de 15 jours à compter de la date de signification du présent jugement, puis sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, qui courra pendant 180 jours ;

Ordonne à la société Edition modern de communiquer à Mme [E] [K] les factures et une attestation de son expert-comptable ou tout professionnel indépendant, permettant de déterminer en nombre, prix et chiffre d’affaires les modèles de tables Ondulation et Val d’or, de fauteuils et chaises Croisillon, du fauteuil Ondulation, de la chaise de bar Yo-yo et de luminaires Bouquet, Liane, Pointe Messery Corbeille, Jet d’eau, Ondulation, Forme libre, Liane, Croisillon, Yo-yo, Cœur, lampe 1955, Mille pattes et Serpentin fabriqués en tout ou partie et/ou vendues en France pour les années 2018 à 2023, et ce dans un délai de 45 jours à compter de la date de signification de la présente décision, puis sous astreinte de 300 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ;

Se réserve la liquidation des astreintes prononcées ;

Déboute Mme [E] [K] de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droits d’auteur et le parasitisme s’agissant des modèles Hérisson, Persan, [A] 5, Ski, Vallauris et Boule ;

Déboute Mme [E] [K] de ses demandes fondées sur l’atteinte au droit moral de l’auteur ;

Déboute Mme [E] [K] de ses demandes de retrait des circuits commerciaux, de destruction et de publication ;

Sursoit à statuer sur la liquidation des préjudices résultant de la contrefaçon ;

Réserve les dépens ;

Condamne la société Edition modern à payer à Mme [E] [K] la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 20 juin 2024 pour conclusions de Mme [E] [K] sur les préjudices.

Fait et jugé à Paris le 12 Janvier 2024

Le GreffierLa Présidente
Quentin CURABETIrène BENAC

 


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