Les auteurs de créations / oeuvres utilisées dans des oeuvres audiovisuelles doivent être crédités au même titre que les coauteurs de l’oeuvre audiovisuelle.
L’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose:“L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. L’article L. 113-7 du même code précise:“Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre. Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration : 1o L’auteur du scénario; Lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle.” La liste posée par l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle n’est pas limitative et toute personne justifiant avoir créé une forme originale contribuant au tout peut prétendre à la qualité d’auteur de l’oeuvre audiovisuelle. En l’espèce, il est établi que des marionnettistes professionnels n’ont pas été crédités sur les 14 vidéos mettant en scène les marionnettes litigieuses, ni sur les t-shirts et affiches les représentant. Si les marionnettistes professionnels ne bénéficient pas de la présomption de la qualité d’auteur d’une oeuvre audiovisuelle posée par l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, il n’est pas sérieusement contestable que les marionnettes, qui sont des créations originales, sont les éléments centraux des sketchs et font partie ainsi des principales contributions aux vidéos. Le projet de contrat proposé par la société Blast (producteur de l’émission) prévoyait d’ailleurs en son article 8 de créditer les vidéos des noms des marionnettistes professionnels. Ainsi, l’absence de crédit de leur nom au générique des vidéos porte atteinte à la paternité des marionnettistes professionnels. L’absence de crédit sur les produits dérivés porte également incontestablement atteinte au droit à la paternité des demandeurs, ainsi qu’au droit à l’intégrité de l’oeuvre. La société Blast est mal fondé à conclure à l’accord des demandeurs alors qu’il est constant que les négociations relatives aux cessions de droit n’ont jamais abouti, comme elle le souligne dans ses conclusions. Les marionnettistes professionnels justifient ainsi d’un trouble manifestement illicite né de l’atteinte à leur droit moral. |
Résumé de l’affaire : Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A], marionnettistes professionnels, sont coauteurs de trois marionnettes ayant fait l’objet de dépôts auprès de la SACD. En juillet 2022, ils collaborent avec la société coopérative d’intérêt collectif Blast pour développer une émission satirique intitulée « Les Marioles », diffusant des vidéos avec leurs marionnettes à partir du 30 décembre 2022. Estimant qu’aucune cession de droits n’a eu lieu, ils assignent Blast en référé pour contrefaçon de droits d’auteur. Une médiation ordonnée le 5 février 2024 échoue, et l’affaire est renvoyée à plusieurs audiences.
Dans leurs conclusions, Mme [S] et M. [A] demandent la reconnaissance de la contrefaçon, l’interdiction de diffusion des vidéos et des produits dérivés, ainsi que des réparations financières pour préjudices. Blast conteste la qualité à agir des demandeurs et demande le déboutement de leurs demandes, tout en formulant des demandes reconventionnelles pour atteinte à ses droits d’auteur. Le juge des référés, dans sa décision, écarte les fins de non-recevoir, interdit à Blast de diffuser les vidéos et de distribuer les produits dérivés, et condamne Blast à verser des provisions à Mme [S] et M. [A] pour atteintes à leurs droits patrimoniaux et moraux. Les demandes reconventionnelles de Blast sont déboutées, et la société est condamnée aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Sommaire Quelle est la nature des droits d’auteur en matière de marionnettes et leur protection juridique ?Les droits d’auteur en matière de marionnettes relèvent du Code de la propriété intellectuelle, notamment des articles L. 113-1 à L. 113-10. Ces articles stipulent que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit de droits patrimoniaux et moraux sur son œuvre. L’article L. 113-2 alinéa 1 définit l’œuvre de collaboration comme celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. Ainsi, chaque co-auteur a des droits sur l’œuvre, et l’exploitation de celle-ci doit se faire d’un commun accord, conformément à l’article L. 113-3. En l’espèce, les marionnettes créées par Mme [B] [S] et M. [R] [A] sont considérées comme des œuvres originales, éligibles à la protection par le droit d’auteur, ce qui implique que toute exploitation sans autorisation constitue une contrefaçon. Quelles sont les conditions de cession des droits d’auteur selon le Code de la propriété intellectuelle ?La cession des droits d’auteur est régie par les articles L. 122-1 et L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 122-1 précise que le droit d’exploitation comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, qui peuvent être cédés à titre gratuit ou onéreux. L’article L. 131-2 exige que les contrats de cession soient constatés par écrit. De plus, l’article L. 131-3 stipule que chaque droit cédé doit faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession, et le domaine d’exploitation doit être clairement délimité. Dans le cas présent, il n’existe pas de contrat formel de cession des droits d’auteur entre les parties, ce qui rend la cession des droits patrimoniaux non valide. Les échanges de courriels ne suffisent pas à établir une cession conforme aux exigences légales. Quels sont les recours possibles en cas de contrefaçon des droits d’auteur ?En cas de contrefaçon des droits d’auteur, l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle permet à l’auteur ou à ses ayants droit d’agir en justice pour faire cesser l’atteinte à leurs droits. Les recours incluent la demande d’interdiction de diffusion des œuvres contrefaisantes, la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi, ainsi que la destruction des produits contrefaisants. Dans le litige en question, Mme [B] [S] et M. [R] [A] ont demandé l’interdiction de diffusion des vidéos et des produits dérivés, ainsi que des dommages et intérêts pour la contrefaçon de leurs droits d’auteur, ce qui est conforme aux dispositions légales. Comment se définit le droit moral des auteurs et quelles en sont les implications ?Le droit moral des auteurs est défini par l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui stipule que l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. L’absence de crédit sur les œuvres ou les produits dérivés constitue une atteinte à ce droit moral. Dans le cas présent, Mme [B] [S] et M. [R] [A] n’ont pas été crédités dans les vidéos, ce qui porte atteinte à leur paternité et à l’intégrité de leur œuvre. Les implications de ce droit moral permettent aux auteurs de revendiquer la reconnaissance de leur contribution et de s’opposer à toute exploitation de leur œuvre qui pourrait nuire à leur réputation ou à l’intégrité de celle-ci. Quelles sont les conséquences juridiques d’une atteinte aux droits de la personnalité des auteurs ?Les droits de la personnalité, notamment le droit à l’image, sont protégés par l’article 9 du Code civil, qui stipule que chacun a droit au respect de sa vie privée. Toute reproduction de l’image d’une personne sans son autorisation préalable est considérée comme une atteinte à ce droit. Dans le litige, Mme [B] [S] et M. [R] [A] ont soutenu que leur image a été utilisée sans autorisation dans des vidéos et sur des plateformes de financement. La société Blast a tenté de justifier cette utilisation par un accord tacite, mais le juge a considéré que cette justification était sérieusement contestable. Les conséquences juridiques d’une atteinte à ces droits peuvent inclure des demandes de réparation pour le préjudice moral subi, ainsi que des mesures conservatoires pour faire cesser l’atteinte. Quels sont les critères pour établir un trouble manifestement illicite en matière de droits d’auteur ?Pour établir un trouble manifestement illicite, il faut démontrer que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, conformément à l’article 835 du Code de procédure civile. Cela implique que les droits d’auteur doivent être clairement établis et que la violation de ces droits doit être évidente. Dans le cas présent, les demandeurs ont prouvé que les vidéos diffusées et les produits dérivés contenaient leurs marionnettes sans autorisation, ce qui constitue une violation de leurs droits patrimoniaux. Le juge a reconnu que les atteintes aux droits d’auteur et au droit moral des demandeurs caractérisaient un trouble manifestement illicite, justifiant ainsi l’interdiction de diffusion et la demande de dommages et intérêts. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/50726 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3EF4
FMN° : 3
Assignation du :
10 Novembre 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 11 septembre 2024
par Anne BOUTRON, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEURS
Madame [B] [S]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Julien RIANT, avocat au barreau de PARIS – #C0959
Monsieur [R] [A]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Julien RIANT, avocat au barreau de PARIS – #C0959
DEFENDERESSE
SCIC BLAST – LE SOUFFLE DE L’INFO
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Virginie GUIOT, avocat au barreau de PARIS – #E432
DÉBATS
A l’audience du 04 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Anne BOUTRON, Vice-présidente, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] sont marionnettistes professionnels, se présentant comme coauteurs de trois marionnettes représentant [P] [X], [F] [L] et [J] [W], ayant fait l’objet de dépôts auprès de la société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).
La société coopérative d’intérêt collectif Blast exploite un média en ligne éponyme.
En juillet 2022, Mme [S] et M. [A] et la société Blast se sont rapprochés en vue du développement d’une émission satirique dénommée » Les Marioles « , consistant à mettre en scène des personnalités des mondes politique, économique et médiatique, sous forme de marionnettes. Dans ce cadre, quatorze vidéos mettant en scène alternativement les marionnettes de [P] [X], [F] [L] et [J] [W] ont été tournées et diffusées à compter du 30 décembre 2022.
Estimant qu’aucune cession de droits n’était intervenue entre les parties, Mme [S] et M. [A] on fait assigner la société Blast à l’audience des référés du 5 février 2024, par acte de commissaire de justice du 10 novembre 2023, en contrefaçon de droit d’auteur du fait de la diffusion de ces vidéos et de produits dérivés reproduisant lesdites marionnettes.
Par ordonnance du 5 février 2024, une médiation judiciaire a été ordonnée, qui n’a pas abouti et l’affaire renvoyée à l’audience du 2 avril 2024, à laquelle l’affaire a été une nouvelle fois renvoyée à l’audience du 4 juin 2024.
PRETENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 6 mai 2024, et reprises à l’audience du 4 juin 2024, Mme [S] et M. [A] demandent au juge des référés de:
Rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir ;
Sur la violation des droits d’auteur
– Dire qu’en diffusant des vidéos comprenant les oeuvres de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A] et en distribuant des produits dérivés reproduisant les mêmes oeuvres la SCIC BLAST a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur;
– Faire défense à la SCIC BLAST de poursuivre la diffusion, sur quel que support que ce soit, des vidéos reproduisants les oeuvres de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir ;
– Faire défense à la SCIC BLAST de distribuer, sur quel que support que ce soit, des produits reproduisants les oeuvres de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée (c’est à dire par produit contrefaisant
les œuvres de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A]) passé un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir ;
– Condamner la SCIC BLAST à verser à Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], à titre provisionnel et à valoir sur l’indemnisation définitive de leur préjudice :
* la somme provisionnelle de 50.000 euros chacun au titre des bénéfices injustement réalisés du fait de la contrefaçon par la diffusion de vidéo ;
* la somme provisionnelle de 25.000 euros chacun au titre des bénéfices injustement réalisés du fait de la contrefaçon par la distribution de produits dérivés ;
* la somme provisionnelle de 10.000 euros chacun réparation de leur préjudice moral ;
* la somme provisionnelle de 25.000 euros chacun en réparation du préjudice résultant de la violation de leur droit moral ;
Enjoindre à la SCIC BLAST de communiquer à Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, la copie intégrale :
* de l’ensemble des éléments relatifs au nombre de visionnages des vidéos reproduisant les marionnettes via le site internet https://www.blast-info.fr/ et les autres plateformes de vidéo diffusant les mêmes vidéos à savoir Youtube, TikTok, Facebook, Instagram ;
* de l’ensemble des éléments relatifs aux contreparties promises aux contributeurs de la page Kisskissbankbank par type de produit dérivé reproduisant les marionnettes ;
* de l’intégralité des justificatifs de dépenses de production de l’émission « Les Marioles » et revenus générés certifiés par un commissaire au compte ou un expert-comptable ;
– Ordonner la destruction des stocks de produits dérivés reproduisant les oeuvres de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir ;
– Ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq supports, journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A] et aux frais avancés de la SCIC BLAST dans la limite de 5.000 euros par publication et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir ;
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site Internet https://www.blast-info.fr/, la publication devant représenter au moins un tiers de la page d’accueil dudit site, à l’exclusion de toute représentation de cette publication dans un menu déroulant ou par l’intermédiaire d’un lien hypertexte, en caractères gras, noirs sur fond blanc, en police 24 Times New Roman, de façon à remplir un encadré et sous le titre : “Condamnation de la société BLAST pour contrefaçon de droits d’auteur par le Président du Tribunal judiciaire de Paris” et sur la page Kisskissbankbank https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/projetm/ en y publiant un lien hypertexte vers l’ordonnance à intervenir, cette publication devant être visible pendant cinq mois consécutifs, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou jour de non-respect passé un délai de sept jours à compter de la signification de la décision à intervenir
Sur la violation des droits de la personnalité,
– Condamner la SCIC BLAST à verser à Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A] la somme de 3.000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral causé par l’atteinte de leurs droits de la personnalité du fait de la reproduction de leur image dans les vidéos dénommées “DANS LES COULISSES DE LA FABRICATION DES MARIOLES” et « LES MARIOLES DEBARQUENT ENFIN SUR BLAST » et sur la page d’appel aux contributions sur le site www.kisskissbankbank.com ;
– Faire défense à la SCIC BLAST de procéder à toute nouvelle publication, de céder ou diffuser par tout moyen, et notamment par téléchargement, sur tout support, auprès de quiconque et de quelque manière que ce soit, les vidéos et la photographie représentant l’image de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A], et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;
En tout état de cause,
– Débouter la société BLAST de l’ensemble de ses demandes ;
– Dire que le juge des référés se réserve la liquidation des astreintes prononcées ;
– Rappeler que l’ordonnance à intervenir est exécutoire de plein droit ;
Condamner la SCIC BLAST à payer Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A] la somme de 7.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et les frais d’huissier pour l’établissement des constats en ligne de Maître [I] [Y] à hauteur de 3.129,20 euros TTC.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2024 et reprises à l’audience du 4 juin 2024, la société Blast demande en substance au juge des référés de:
A titre principal
Prononcer l’irrecevabilité des demandes relatives à de prétendus actes de contrefaçon de droits patrimoniaux d’auteur formulées communément par Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] dans le cadre de la présente action, pour défaut de qualité à agir de Madame [B] [S] et de Monsieur [R] [A]
A titre subsidiaire
Débouter Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] de l’ensemble de leurs demandes en contrefaçon de droits d’auteur, comme étant mal-fondées
En tout état de cause
Juger qu’il n’existe aucun trouble manifestement illicite au titre des prétendues atteintes aux droits d’auteur et aux droits à l’image de Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A], que leurs demandes formulées à ce titre font l’objet de contestations sérieuses, et qu’en conséquence, il n’y a pas lieu à référé, et en tant que de besoin, se déclarer incompétente en qualité de Juge des référés,
Condamner solidairement Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] au paiement de la somme provisionnelle de 293.293,20 euros au profit de la SCIC SAS Blast – Le souffle de l’info, à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices consécutifs à la violation de leur obligation d’exécuter leur engagement de bonne foi,
Interdire à Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] de poursuivre la diffusion non autorisée sur leur site internet https://puppetink.fr des sketchs intitulés « [L] le forcené de l’Elysée » et « [P] [X] au confessionnal » produits et diffusés par la SCIC SAS Blast – Le souffle de l’info, compte tenu des atteintes manifestement illicites portées à ses droits patrimoniaux d’auteur, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir,
CONDAMNER Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] au paiement à la SCIC SAS BLAST – LE SOUFFLE DE L’INFO de la somme d’un euro symbolique aux fins d’indemnisation des atteintes portées à ses droits patrimoniaux d’auteur sur les sketchs intitulés « [L] le forcené de l’Elysée » et « [P] [X] au confessionnal », compte tenu de la diffusion sans son autorisation de ces oeuvres de l’esprit sur leur site internet https://puppetink.fr,
DEBOUTER Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
CONDAMNER solidairement Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de la SCIC SAS BLAST – LE SOUFFLE DE L’INFO, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance, en ce compris les honoraires du Commissaire de justice pour l’établissement du procès-verbal de constat en date des 24 et 27 mai 2024 d’un montant de 964,40 euros TTC,
RAPPELER que l’exécution provisoire est de droit.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.
Sur le trouble manifestement illicite tiré des atteintes aux droits d’auteur
Moyens des parties
Mme [S] et M. [A] font valoir que la société Blast a porté atteinte à leurs droits patrimoniaux, en reproduisant et exploitant les trois marionnettes sur de nombreux supports et en distribuant des produits dérivés à l’effigie des Marioles, sans leur autorisation, aucun contrat de cession de droits d’auteur sur les œuvres n’ayant été formalisé. Mme [S] et M. [A] soutiennent que la société Blast a également porté atteinte à leurs droits moraux, en ce que leurs noms n’apparaissent pas dans les crédits des vidéos litigieuses ni dans les descriptions des produits dérivés, dont ils soulignent ne pas avoir autorisé la commercialisation. Ils contestent les fins de non recevoir soulevées par la société Blast tirées d’un défaut de qualité à agir, faisant valoir d’une part que M. [K] ne saurait se voir attribuer la qualité alléguée de co-auteur, niant avoir reçu des instructions de modification de sa part, soulignant qu’il ne s’est jamais présenté comme co-auteur des marionnettes avant la présente instance, de sorte qu’il n’avait pas à être appelé dans la cause. Ils opposent par ailleurs qu’il n’appartenait pas à la SACD d’agir en défense de leurs droits patrimoniaux dès lors que les marionnettes ne peuvent pas faire partie de son répertoire.
La société Blast soutient que les marionnettes litigieuses sont des œuvres de collaboration dont Mme [S], M. [A] et M. [K] sont les coauteurs, faisant valoir que celui-ci a participé à leur création en donnant à Mme [S] et M. [A] des instructions précises, tant au stade de la conception qu’à celui de la fabrication. Elle soutient que n’ayant pas régulièrement mis en cause M. [K], les demandes de Mme [S] et M. [A], qui n’ont pas été individualisées par marionnettes, sont irrecevables. Elle ajoute que M. [A] a cédé à la SACD ses droits patrimoniaux d’auteur sur les marionnettes litigieuses, de sorte que seule cette dernière a qualité à agir pour la défense des droits patrimoniaux y relatifs, M. [A] n’ayant pas rapporté la preuve d’une carence de la société de gestion collective à agir. Elle estime que Mme [S] doit également être déclarée irrecevable à agir dans la mesure où les demandes relatives aux atteintes alléguées aux droits patrimoniaux ont été formulées de manière commune par Mme [S] et M. [A], sans être individualisées. La société Blast conteste par ailleurs tout atteinte aux droits des demandeurs, aux motifs qu’un contrat de cession implicite de droits d’auteur a été conclu entre les parties, Mme [S] et M. [A] l’ayant expressément autorisée à exploiter les marionnettes litigieuses, la contrepartie n’étant pas financière mais consistant en l’obligation pour la société Blast d’associer les marionnettistes au projet des Marioles, ce qu’elle démontre avoir fait. S’agissant des demandes relatives au droit moral revendiqué par Mme [S] et M. [A], la société Blast oppose qu’ils ne sont pas coauteurs des œuvres audiovisuelles, et que l’absence de crédit sur les vidéos litigieuses ne porte pas atteinte à leurs droits moraux. Elle ajoute avoir présenté les auteurs des marionnettes dans certaines vidéos.
Réponse du juge des référés
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile:“Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.”
En application de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
A titre liminaire, il est observé que la qualité de titulaire de droits sur une œuvre de l’esprit est une condition du bien-fondé de l’action en contrefaçon de droit d’auteur et non la condition de sa recevabilité dès lors qu’elle ne résulte d’aucun titre enregistré et doit être appréciée par référence aux articles L.113-1 à L.113-10 du code de la propriété intellectuelle et dépend de la question préalable de l’originalité de l’œuvre en litige, dont il est jugé qu’il s’agit d’une condition dont dépend le bien-fondé de l’action en contrefaçon, et non sa recevabilité (Cass. Com., 29 janvier 2013, pourvoi n° 11-27.351).
Dès lors, les moyens soulevés à titre principal par la société Blast, tirées de l’absence de mise en cause de M. [K] et de l’apport allégué de droits patrimoniaux à la SACD, sont des moyens de défense au fond et non des fins de non recevoir qui supposent que soit au préalable établie la protection des marionnettes litigieuses par le droit d’auteur. A cet égard, l’originalité des marionnettes litigieuses et décrite en page 10 des conclusions des demandeurs, à laquelle il est renvoyé, n’est pas contestée, de sorte qu’elles doivent être considérées comme originales et éligibles à la protection par le droit d’auteur.
Sur l’absence de mise en cause de M. [H] [K]
L’article L. 113-2 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre de collaboration en tant que celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Selon l’article L. 113-3 du même code, l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d’un commun accord et en cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer. Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune.
En l’occurrence, pour établir la qualité de co-auteur de M. [K], la société Blast verse aux débats une attestation dans laquelle celui-ci déclare avoir demandé, par l’entremise de M. [D] [E], metteur en scène, de modifier certains traits des marionnettes de [P] [X] et de [J] [W] (pièce Blast n°31). Toutefois, cette attestation, non corroborée par des éléments objectifs, ne permet pas de s’assurer de la qualité revendiquée, et ce d’autant moins qu’au cours de l’élaboration du projet de l’émission les Marioles, la société Blast a toujours présenté Mme [S] et M. [A] comme seuls créateurs des mationnettes litigieuses (pièces demandeurs n°4-20, 4-22, 4-28), M. [K] étant présenté quant à lui comme auteur des textes (pièce Mme [S] et M. [A] nº4-28). En outre et en tout état de cause, l’attestation de M. [K] n’établit aucunement un apport original de celui-ci à la création des marionnettes qui lui permettrait de revendiquer la qualité de co-auteur alléguée.
Ce moyen est ainsi manifestement inopérant.
Sur le dépôt des marionnettes auprès de la SACD
Selon l’article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, “Les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant.”
La société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) est, selon l’article 1 de ses statuts (pièce Blast n°43) une société civile constituée par et pour les auteurs et compositeurs d’œuvres dramatiques et d’oeuvres audiovisuelles, cet article précisant que:
“Les œuvres dramatiques susvisées (encore dénommées œuvres de spectacle vivant) sont notamment les oeuvres théâtrales, les œuvres d’humour, les œuvres dramatico-musicales, les musiques de scène, les oeuvres chorégraphiques, les mises en scène, les pantomimes, les œuvres de cirque, les œuvres arts de la rue …
Les œuvres audiovisuelles susvisées sont notamment les œuvres cinématographiques, télévisuelles et d’animation, les créations interactives, les œuvres numériques, digitales et web, ainsi que les œuvres radiophoniques, y compris, lorsqu’il y a lieu, les images fixes tirées de ces œuvres.”
Selon l’article 1.II des statuts:
“II – Sous réserve des articles 8 et 9, tout auteur admis à adhérer aux présents statuts fait apport à la Société, du fait même de cette adhésion, en tous pays et pour la durée de la Société :
1) de la gérance du droit d’adaptation et de représentation dramatiques de ses œuvres ;
2) du droit d’autoriser ou d’interdire la communication au public de ses œuvres par un procédé quelconque, autre que la représentation dramatique, leur reproduction par tous procédés, ainsi que leur utilisation à des fins publicitaires, commerciales ou dans le cadre de tous systèmes d’intelligence artificielle.”
Elle a pour objet social déclaré (article 3 de ses statuts) notamment l’exercice et l’administration, dans tous pays de tous les droits relatifs à la représentation ou à la reproduction, sous quelque forme que ce soit, des œuvres de ses membres et a qualité pour ester en justice pour la défense des intérêts particuliers ou généraux dont elle a statutairement la charge.
L’article 14 du règlement général de la SCAD prévoit par ailleurs que “Chaque associé s’oblige à recueillir l’avis du Conseil d’Administration préalablement à tout procès qu’il aurait l’intention d’intenter ou dans lequel il aurait à se défendre et qui porterait directement ou indirectement sur une œuvre susceptible d’entrer dans le répertoire de la Société.”
En l’occurrence, la société Blast ne justifie d’aucune oeuvre déclarée au répertoire de la SACD mettant en scène les marionnettes litigieuses, le seul dépôt des marionnettes, qui ne sont ni des oeuvres dramatiques, ni des oeuvres audiovisuelles, étant impropre à lui seul à donner qualité à agir à la SACD, tel qu’allégué par la société Blast.
Il en résulte que le droit d’agir de M. [A] pour la défense de ses droits patrimoniaux sur les marionnettes litigieuses n’est pas sérieusement contestable, ni celle de Mme [S], soulevée subséquemment.
Ce moyen sera par conséquent également écarté.
Sur l’existence d’une cession de droit d’auteur
Le droit d’exploitation est défini par l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle comme comportant le droit de représentation et le droit de reproduction. L’article L. 122-7 du code de la propriété intellectuelle précise que ces deux droits sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux, l’article L. 131-2 du même code exigeant que ces contrats soient constatés par écrit.
L’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle dispose:“ La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.
Lorsque des circonstances spéciales l’exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article.
(…)”
Il en résulte qu’un écrit doit nécessairement constater la cession de droits d’auteur en respectant les exigences posées par l’article L.131-3 qui impose une mention distincte dans l’acte de cession pour chaque droit cédé (reproduction, représentation, diffusion, etc.) ainsi que la délimitation du domaine d’exploitation des droits cédés quant à son étendue (supports, formats…), sa destination (domaine d’activité), son lieu et sa durée.
En l’espèce, s’il apparaît des courriels échangés entre les parties en juillet 2022 (pièces Blast n°6 à 9) un accord de principe des demandeurs pour autoriser une exploitation gratuite des marionnettes en contrepartie d’un partenariat les associant au développement du projet d’émission les Marioles, il n’en résulte aucune cession de droits patrimoniaux sur les marionnettes litigieuses en l’absence d’accord des parties sur la délimitation du domaine d’exploitation des droits quant à son étendue, sa destination, au lieu et quant à la durée, étant relevé qu’à cette date les parties n’avaient pas encore défini quelles seraient les marionnettes à mettre en scène, autres que celle d’[F] [L].
Ainsi, il ne peut être considéré que ces échanges de courriels, qui ne visent ni les marionnettes concernées, ni les conditions de leur exploitation par la société Blast, valent cession de leurs droits d’auteur par Mme [S] et M. [A].
La société Blast ne saurait l’ignorer puisqu’elle a transmis aux demandeurs le 28 mars 2023 un projet de contrat de cession de droits (pièce demandeurs n°5-1), son président indiquant par courriel du 9 mars 2023 (pièce Blast n°23): “le problème juridique et financier que posent la fabrication et l’exploitation des marionnettes n’est pas insurmontable mais il est sérieux et nous devons nous mettre d’accord sur votre rétribution et notre droit d’exploiter les marionnettes”.
Il est constant que ce projet de contrat n’a pas été suivi d’effet, les parties demeurant en désaccord sur un nombre important de points tenant principalement à ses conditions financières (pièces Blast n°22 et 26), la société Blast soulignant d’ailleurs avoir suspendu son projet durant les négociations sans savoir si elle pourrait poursuivre le projet aux conditions économiques demandées par les créateurs de marionnettes (page 12 des conclusions de la société Blast).
Il est relevé en outre que les cessions de droit à titre gratuit doivent suivre le formalisme édicté par l’article 931 du code civil pour les donations, non rapporté en l’espèce.
Ainsi la société Blast ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, d’une cession de droit à titre gratuit à son bénéfice, tel qu’allégué, de sorte qu’il n’est pas sérieusement contestable que M. [A] et Mme [S] ont qualité pour poursuivre la défense de leurs droits patrimoniaux sur les marionnettes litigieuses.
Sur l’atteinte aux droits patrimoniaux des demandeurs
Selon l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction et en application de l’article 122-4 du même code, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants causes est illicite.
Il est établi et non contesté que 14 vidéos mettant en scène les marionnettes litigieuses ont été produites et diffusées sur Youtube et que des t-shirts et affiches représentant lesdites marionnettes ont été proposés aux personnes ayant participé au financement du lancement de l’émission (pièces demandeurs n°4-1, 4-2, 4-3, 4-26et 7-2), ce sans droit de leurs auteurs, ce qui constitue une violation des droits patrimoniaux des demandeurs caractérisant un trouble manifestement illicite.
Sur l’atteinte au droit moral des demandeurs
L’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose:“L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.
L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.”
L’article L. 113-7 du même code précise:“Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration:
1o L’auteur du scénario;
2o L’auteur de l’adaptation;
3o L’auteur du texte parlé;
4o L’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre;
5o Le réalisateur.
Lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle.”
La liste posée par l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle n’est pas limitative et toute personne justifiant avoir créé une forme originale contribuant au tout peut prétendre à la qualité d’auteur de l’oeuvre audiovisuelle.
En l’espèce, il est établi par les pièces nº4-1,4-2,7-1 des demandeurs et non contesté que Mme [S] et M. [A] n’ont pas été crédités sur les 14 vidéos mettant en scène les marionnettes litigieuses, ni sur les t-shirts et affiches les représentant.
Si Mme [S] et M. [A] ne bénéficient pas de la présomption de la qualité d’auteur d’une oeuvre audiovisuelle posée par l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle, comme le souligne la société Blast, il n’est pas sérieusement contestable que les marionnettes, qui sont des créations originales, sont les éléments centraux des sketchs et font partie ainsi des principales contributions aux vidéos. Le projet de contrat proposé par la société Blast prévoyait d’ailleurs en son article 8 de créditer les vidéos des noms des demandeurs (pièce Blast n°25). Ainsi, l’absence de crédit de leur nom au générique des vidéos porte atteinte à la paternité des demandeurs.
L’absence de crédit sur les produits dérivés porte également incontestablement atteinte au droit à la paternité des demandeurs, ainsi qu’au droit à l’intégrité de l’oeuvre. La société Blast est mal fondé à conclure à l’accord des demandeurs alors qu’il est constant que les négociations relatives aux cessions de droit n’ont jamais abouti, comme elle le souligne dans ses conclusions.
Les demandeurs justifient ainsi d’un trouble manifestement illicite né de l’atteinte à leur droit moral.
Sur le trouble manifestement illicite né des atteintes aux droits de la personnalité des demandeurs
Moyens des parties
Mme [S] et M. [A] font valoir que la société Blast a reproduit leur image sans autorisation, sur le site Kisskissbankbank ainsi que sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux (Youtube, Facebook, Instagram et Tiktok) consacrée aux coulisses de la fabrication des » Marioles « .
La société Blast estime disposer d’une autorisation tacite d’exploiter l’image des marionnettistes, ces derniers ayant pleinement participé à la réalisation du projet et toujours souhaité y être associés. Elle soutient que Mme [S] et M. [A] étaient informés de cette utilisation de leur image.
Réponse du juge des référés
Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile:“Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.”
L’article 9 du code civil dispose:“Chacun a droit au respect de sa vie privée.
Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée: ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.”
En application de l’article 9 du code civil, chacun, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et peut s’opposer à la divulgation d’éléments ressortissant de celle-ci, à moins qu’il s’agisse de faits notoires, anodins ou divulgués du fait même de la personne.
De même, il découle de ce texte que chacun dispose sur son image d’un droit exclusif et absolu et peut s’opposer à sa reproduction sans son autorisation préalable. Cette autorisation préalable peut être implicite et se déduire de circonstances de fait et notamment des conditions dans lesquelles cette image a été captée. La charge de la preuve de l’accord donné par une personne pour que soit diffusée son image repose sur celui qui a procédé à cette diffusion.
En l’espèce, il se déduit de la volonté de Mme [S] et M. [A] d’être pleinement associés au projet d’émission “les Marioles” et de leur participation à la vidéo présentant leur activité de marionnettiste et au cliché les représentant en arrière plan de la marionnette d’[F] [L], dont ils ne pouvaient ignorer qu’ils pourraient être utilisés pour la campagne de promotion et de recherche de financements de l’émission (pièces demandeurs n°4-1 et 4-2 et pièce Blast n°6), un accord tacite d’exploitation de leur image, de sorte que leurs prétentions sur ce fondement sont sérieusement contestables.
Il doit donc être dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de ce chef.
Sur les mesures sollicitées
Sur les demandes de provision
Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, une provision peut être accordée au demandeur lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose:« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »
En l’occurrence, la réalité des préjudices invoqués n’est pas sérieusement contestable dans son principe.
S’agissant du quantum des préjudices nés des atteintes aux droits patrimoniaux des demandeurs, les taux de redevances appliqués par la SACD auxquels ils font référence s’appliquent aux spectacles vivant de marionnettes (pièce n°12 des demandeurs) et non aux oeuvres audiovisuelles. Les demandeurs établissent toutefois que la rémunération d’une autorisation d’exploitation exclusive de marionnette peut varier entre 2 000 € et 4 500 € (pièces demandeurs n°11-3 et 11-5). De son côté, la société Blast justifie d’un résultat net comptable pour l’ensemble de son activité de 53 610 € au titre de l’exercice 2023 (sa pièce n°46), d’une collecte de dons de 93 885,01 € après déduction des coûts de production de la campagne de lancement de l’émission (sa pièce n°27), de l’absence de monétisation des vidéos litigieuses (pièce Blast n°36) et de l’absence de vente de produits dérivés qui ont été remis en contrepartie de dons (pièces Blast n°37 à 40). En outre, il n’est pas contesté que la société Blast n’est pas en possession des marionnettes d’[F] [L] et Mme [J] [W] dont l’acquisition de la propriété matérielle n’est en tout état de cause pas une condition de leur exploitation. Par ailleurs, les atteintes aux droits patrimoniaux constatées leur ont nécessairement causé un préjudice moral qui peut être fixé pour chacun d’eux à la somme de 1 000 euros. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le montant non sérieusement contestable à valoir sur les dommages et intérêts auxquels les demandeurs peuvent légitimement prétendre au titre des atteintes à leurs droits patrimoniaux peut être fixé à la somme de 5 000 € chacun à titre provisionnel.
Le préjudice non contestable résultant de l’atteinte au droit moral des demandeurs sera fixé, compte tenu de la diffusion de 14 vidéos depuis le 30 décembre 2022 jusqu’au jour de l’audience, n’étant pas établi ni même allégué que lesdites vidéos ne seraient plus diffusées, et de la diffusion de produits dérivés à au moins 3259 contributeurs, tel que reconnu par la société Blast (page 33 de ses conclusions), à un montant provisionnel de 5 000 € pour chacun des demandeurs.
Sur les demandes d’interdiction et de destruction des stocks
Le juge des référés peut prendre les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, prévues à l’article 835 alinéa premier.
Les atteintes précédemment caractérisées aux droit patrimoniaux et moral des demandeurs sur les marionnettes litigieuses justifient d’interdire à la société Blast la poursuite de la diffusion des 14 vidéos les mettant en scène et le prononcé d’une astreinte dans les termes du dispositif. En revanche, il n’y a pas lieu à référé sur la demande de destruction des stocks qui, du fait de son caractère définitif, apparaît dispropotionné eu égard aux droits et intérêts des parties en présence.
Sur les demandes de publication et de communication de pièces
Les mesures précédantes assurant suffisamment la protection des droits des demandeurs et compte tenu des pièces déjà produites par la société Blast dans la présente procédure, il n’y a pas lieu à référé sur ces demandes.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Blast
Moyen des parties
La société Blast fait grief à Mme [S] et M. [A] de ne pas avoir tenu leur engagement d’autoriser à titre gratuit l’exploitation des marionnettes en contrepartie de leur association au projet des Marioles, lui causant un préjudice économique du fait de la perte de ses investissements dans ce projet, un préjudice d’image vis-à-vis des contributeurs et un préjudice lié à la désorganisation interne de l’entreprise. La société Blast fait par ailleurs valoir qu’en diffusant sans son autorisation sur leur site internet https://puppetink.fr/video-serie/ les sketchs « [L] LE FORCENE DE L’ELYSEE – LES MARIOLES » et « [P] [X] AU CONFESSIONNAL – LES MARIOLES PARTIE 2 », Mme [S] et M. [A] ont porté atteinte à ses droits patrimoniaux, revendiquant à cet égard d’une part bénéficier de la présomption prétorienne de la qualité d’auteur reconnue aux personnes morales et compte tenu d’autre part de sa qualité de producteur.
Sur la première prétention de la société Blast, Mme [S] et M. [A] opposent qu’aucun contrat n’a été conclu entre les parties. S’agissant des demandes fondées sur le droit d’auteur, ils en sollicitent le rejet.
Réponse du juge des référés
Selon l’article 835 du même code, “Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.”
Sur la violation d’exécuter les contrats de bonne foi
Selon l’article 1104 du code civil,« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d’ordre public. »
Aux termes de l’article 1231-1 de ce code,« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
En l’espèce, la demande de la société Blast se heurte à une contestation sérieuse en l’absence de preuve de l’existence d’un contrat de cession de droit entre les parties.
Il n’y a pas lieu en conséquence à référé sur la demande de la société Blast de ce chef.
Sur la violation des droits d’auteur de la société Blast
Selon l’article L. 113-1, “la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée”.
L’article L. 113-7 du même code précise:“Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration:
1o L’auteur du scénario;
2o L’auteur de l’adaptation;
3o L’auteur du texte parlé;
4o L’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre;
5o Le réalisateur.
Lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle.”
En l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation de l’œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire, sur l’œuvre, du droit de propriété incorporelle de l’auteur.
L’article L.132-24 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle prévoit que:“Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d’une œuvre audiovisuelle, autres que l’auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l’auteur par les dispositions des articles L. 111-3, L. 121-4, L. 121-5, L. 122-1 à L. 122-7, L. 123-7, L. 131-2 à L. 131-7, L. 132-4 et L. 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle.”
En l’espèce, outre le fait que, comme relevé ci-dessus, Mme [S] et M. [A] peuvent prétendre à la qualité de co-auteur des oeuvres audiovisuelles mettant en scène les marionnettes qu’ils ont créées dès lors qu’elles en constituent un élément central et un apport original, les autres auteurs ayant participé à la création des sketchs litigieux sont crédités au générique de ces vidéos, (pièce n°4-22 des demandeur), de sorte que la société Blast est mal fondée à se prévaloir de la présomption prétorienne de la qualité d’auteur attribuée aux personnes morales.
En outre, à défaut de justifier d’un contrat de cession de droits par les coauteurs de ces vidéos, elle ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de sa titularité des droits patrimoniaux sur les vidéos litigieuses.
Il en résulte que les prétentions de la société Blast relative à la diffusion des sketchs litigieux par Mme [S] et M. [A] se heurtent à une contestation sérieuse et ne sauraient donner lieu à référé.
Sur les demandes accessoires
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la chargede l’autre partie.
Selon l’article 699 du même code, les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La société Blast, partie perdante, supportera les dépens de l’instance et l’équité commande de la condamner à payer à Mme [S] et M. [A], chacun, la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais de commissaire de justice exposés par les demandeurs (leur pièce n°9).
La société Blast sera déboutée de ses demandes de condamnation au titre des dépens et des frais irrépétibles.
L’exécution provisoire est de droit en application de l’article 514-1 alinéa 3 du code de procédure civile.
Le juge des référés, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,
Ecarte les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité à agir de Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] soulevées par la société Blast
Fait interdiction à la société BLast de diffuser, sur quelque support que ce soit, les 14 vidéos reproduisant les marionnettes d’[F] [L], [P] [X] et [J] [W], créées par Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A], et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification de la présente ordonnance et pendant 180 jours
Fait interdiction à la société Blast de distribuer, sur quel que support que ce soit, des produits reproduisant les marionnettes d’[F] [L], [P] [X] et [J] [W], créées par Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A], et ce, sous astreinte de 50 euros par infraction constatée (c’est à dire par produit contrefaisant les oeuvres Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A]) à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification de la présente ordonnance et pendant 180 jours
Se réserve la liquidation des astreintes
Condamne la société Blast à payer à Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] chacun 5 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts réparant les atteintes à leurs droits patrimoniaux
Condamne la société Blast à payer à Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] chacun 5 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts réparant les atteintes à leur droit moral
Dit n’y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes de Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] relatives aux atteintes aux droits d’auteur et aux droits de la personnalité
Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles de la société Blast
Déboute la société Blast de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et de la demande de condamnation des demandeurs aux dépens
Condamne la société Blast aux dépens
Condamne la société Blast à payer à Madame [B] [S] et Monsieur [R] [A] chacun 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Fait à Paris le 11 septembre 2024
Le Greffier, Le Président,
Flore MARIGNY Anne BOUTRON