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Droit moral de l’Auteur : 21 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18408

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Droit moral de l’Auteur : 21 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18408

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2022

(n°137, 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 20/18408 – n° Portalis 35L7-V-B7E-CC2C7

Décision déférée à la Cour : jugement du 12 novembre 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS 3ème chambre 1ère section – RG n°18/10754

APPELANT

M. [L] [O]

Né le 15 décembre 1974 à [Localité 7]

De nationalité française

Exerçant la profession de réalisateur

Demeurant [Adresse 6]

Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque L 0010

Assisté de Me Stéphane HASBANIAN plaidant pour la SCP BAYLE & HASBANIAN, avocat au barreau de PARIS, toque P 398

INTIMES

M. [S] [W]

Exerçant la profession de scénariste-dialoguiste

Demeurant [Adresse 2]

M. [Y] [F]

Exerçant la profession d’auteur-compositeur-interprète

Demeurant [Adresse 1]

M. [P] [B]

Exerçant la profession de compositeur de musique de films

Demeurant [Adresse 5]

M. [H] [K]

Exerçant la profession de réalisateur

Demeurant [Adresse 4]

Représentés par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistés de Me Lorenzo VALENTIN substituant Me Catherine DENOUN, avocat au barreau de PARIS, toque D 1498

S.A.R.L. 74 FILMS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 3]

[Localité 7]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 439 976 366

S.A.S. PATHE FILMS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 3]

[Localité 7]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 780 077 921

Représentées par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477

Assistées de Me Cécile LABARBE plaidant pour la SCP KIEJMAN & MAREMBERT, avocate au barreau de PARIS, toque P 200

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Laurence LEHMANN a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre, désignée pour compléter la Cour

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, Faisant Fonction de Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 12 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris,

Vu la déclaration d’appel du 16 décembre 2020 par M. [L] [O],

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 2 juin 2022 de M. [O], appelant,

Vu les uniques conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 14 juin 2021 de MM. [S] [W], [Y] [F], [P] [B] et [H] [K], intimé

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 juin 2022 des sociétés 74 Films et Pathé Films, intimées,

Vu l’ordonnance de clôture du 16 juin 2022.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

M. [L] [O] se présente comme un auteur, acteur, réalisateur et producteur d”uvres audiovisuelles.

La société 74 Films, immatriculée le 7 décembre 2001 au registre du commerce et des sociétés de Paris, a pour activités déclarées la production de films et de toutes ‘uvres audiovisuelles, multimédias ou musicales ainsi que la production de spectacles vivants.

La société Pathé Films, anciennement dénommée Pathé Production, immatriculée le 26 avril 1963 au registre du commerce et des sociétés de Paris, a pour activité déclarée la distribution de films cinématographiques.

M. [S] [W] est scénariste, MM. [Y] [F] et [P] [B] sont compositeurs et M. [H] [K] réalisateur.

Un contrat de production audiovisuelle a été conclu le 12 juillet 2013 entre la société 74 Films et M.[W] en vue de l’écriture du scénario d’un film provisoirement nommé ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’.

La réalisation du film a été confiée par la société 74 Films à M. [O] suivant un contrat de cession des droits d’auteur correspondant à sa contribution de réalisateur conclu le 2 juin 2014.

Les musiques du film ont été confiées à MM. [F] et [B].

Le film, ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ coproduit par les sociétés 74 Films et Pathé Films est sorti en salles le 14 octobre 2015 et a rencontré un très grand succès devenant le film français ayant totalisé le plus grand nombre d’entrées en salles en 2015.

Les sociétés 74 Films et Pathé Films ont postérieurement au succès du film coproduit deux autres films ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ et ‘Alad 2’ sortis en salles respectivement les 18 octobre 2017 et 3 octobre 2018. Les scénarios et les musiques de ces deux films ont été également confié à M. [W] et MM. [F] et [B]. La réalisation de ces films était en revanche donnée à M. [K].

M. [O] indique avoir appris le lancement de la production de ces deux films qui semblaient être dérivés du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ par les réseaux sociaux alors qu’il avait toujours exprimé son souhait d’être informé de toute éventuelle suite de son film.

Il s’en étonnait auprès de M. [W] par mail du 26 septembre 2016 puis auprès de M. [V] [F], gérant de la société 74 films, par mail du 6 décembre 2016.

Ce dernier répondait par mail du 24 décembre 2016 que le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ n’était pas une suite des ‘nouvelles aventures d’Aladin’ et ne comportait pas d’emprunts à Aladin mais qu’en revanche il serait bien rémunéré relativement à la suite ‘Alad 2’ conformément à son contrat de réalisateur.

Les échanges de mails se poursuivaient, sans succès, jusqu’à l’une des avant-premières du film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’, le 12 octobre 2017, à laquelle M. [O] assistait.

Considérant que le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ constituait un remake du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’, M. [O] a mis en demeure le 17 octobre 2017 la société 74 Films d’exécuter ses obligations contractuelles et notamment de lui verser la somme de 73.500 euros à titre de minimum garanti à valoir sur les rémunérations proportionnelles provenant de l’exploitation du remake de son film. Il sollicitait également une indemnité au titre du préjudice moral.

La société 74 Films a refusé de donner une suite favorable à ces demandes, considérant que le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ n’était pas un remake du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’.

M. [O], estimant qu’en l’absence de versement de la rémunération complémentaire due au titre de ses droits sur le remake, la société 74 Films avait commis une faute contractuelle, s’est, par courrier recommandé avec accusé de réception du 1er février 2018, prévalu de la clause de résiliation prévue à l’article 14 du contrat du 2 juin 2014.

Puis, par actes d’huissier de justice des 1er et 24 août 2018, M. [O] a fait assigner les sociétés 74 Films et Pathé Films et MM. [W], [F] et [B] en qualités de co-auteurs des deux films ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ et ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ ainsi que M. [K] auteur en qualité de réalisateur du film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’.

Le jugement du tribunal judiciaire du 12 novembre 2020 dont appel, au bénéfice de l’exécution provisoire, a :

– débouté M. [O] de ses demandes formées au titre de la résiliation du contrat de réalisation du 2 juin 2014,

– rejeté les demandes de M. [O] formées au titre de la contrefaçon de ses droits d’auteur-réalisateur,

– débouté M. [O] de ses demandes formalisées au titre du parasitisme,

– rejeté la demande reconventionnelle de dommages-intére’ts pour procédure abusive des sociétés 74 Films et Pathé Films,

– condamné M. [O] à payer aux sociétés 74 Films et Pathé Films 10.000 euros chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [O] aux dépens.

M. [O] sollicite de la cour d’infirmer le jugement et statuant à nouveau de :

A titre principal

– Juger que le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ constitue un remake du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ au sens du contrat du 2 juin 2014 ou à tout le moins un spin-off selon la définition générale ;

– Juger que la société 74 Films a manqué à ses obligations contractuelles en ne versant pas à M. [O] les sommes prévues à l’article 7 – 1) – A. du contrat ;

En conséquence :

– Juger que la résiliation du contrat du 2 juin 2014 est valablement intervenue à compter du 16 mars 2018, date de fin du délai de 30 jours ouvrés à compter de la réception par la société 74 Films de la mise en demeure de s’exécuter ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme de 73.500 euros à titre de dommages et intére’ts en réparation du préjudice matériel subi du fait de l’inexécution du contrat ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à rendre compte à M. [O] de l’ensemble des recettes d’exploitation du film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] les rémunérations proportionnelles dues au titre de l’exploitation du film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ jusqu’au 16 mars 2018, date de résiliation du contrat ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme de 100.000 euros de dommages et intére’ts à titre de réparation du préjudice moral subi du fait de l’inexécution contractuelle ;

Par ailleurs,

– Juger que, du fait de la résiliation du contrat du 2 juin 2014, M. [O] est de nouveau titulaire exclusif de ses droits d’auteur sur le film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ ;

– Juger qu’en continuant à exploiter les films ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’, ‘Alad’2’ et ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’, apre’s le 16 mars 2018, date de résiliation du contrat, les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices des trois films, ont porté atteinte aux droits d’auteur de M. [O] sur le film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ ;

En conséquence :

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme provisionnelle de 50.000 euros à titre de dommages et intére’ts en réparation du préjudice subi du fait de l’exploitation du film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ depuis le 16 mars 2018, date de résiliation du contrat ;

Par ailleurs,

– Juger que les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, ont porté atteinte au droit moral d’auteur de M. [O] ;

En conséquence :

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette atteinte ;

A titre subsidiaire

Sur le liminaire soulevé par les sociétés Pathé Films et 74 Films :

-Juger irrecevables les sociétés Pathé Films et 74 Films en leur nouvelle prétention tardive tendant à faire déclarer irrecevables les demandes de M. [O] fondées sur l’atteinte à ses droits patrimoniaux, pour défaut de droit d’agir, et ce, en application du principe de concentration des prétentions ;

– A tout le moins, Juger que M. [O] a nécessairement qualité à agir dès lors qu’il conteste que le droit d’adapter le film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’, sous la forme d’une ‘uvre dérivée, autre que «remake», «prequel», «sequel» et «spin off», a été cédé aux sociétés Pathé Films et 74 Films,

En conséquence :

-Juger recevables les demandes de M. [O] fondées sur la contrefaçon,

-Rejeter la fin de non-recevoir des sociétés Pathé Films et 74 Films,

Sur le fond :

-Juger que ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ constitue une ‘uvre dérivée du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ dont M. [O] n’a pas cédé les droits d’exploitation aux sociétés Pathé Films et 74 Films ;

En conséquence :

– Juger que les sociétés Pathé Films et 74 Films se sont rendues coupables de contrefaçon ;

-Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, à verser à M. [O] la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

– Juger la résiliation du contrat du 2 juin 2014 à compter du prononcé de la décision ;

En tout état de cause

– Faire interdiction aux sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, d’exploiter le film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ à compter de la date de résiliation du contrat du 2 juin 2014 ;

– Faire interdiction aux sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, d’exploiter le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ à compter de la date de résiliation du contrat du 2 juin 2014 ;

– Faire interdiction aux sociétés Pathé Films et 74 Films, coproductrices, d’exploiter le film ‘Alad 2’ à compter de la date de résiliation du contrat du 2 juin 2014 ;

– Débouter les sociétés Pathé Films et 74 Films de leurs demandes reconventionnelles ;

– Débouter les intimées de toutes leurs demandes, fins et conclusions notamment au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Ordonner la publication de la décision à intervenir, par extraits choisis par M. [O], dans un délai d’un mois à compter de sa signification, aux frais exclusifs des sociétés Pathé Films et 74 Films, dans deux revues mensuelles spécialisées et, pendant une période de 3 mois sur deux sites web spécialisés, au choix de M. [O] ;

– Condamner in solidum les sociétés Pathé Films et 74 Films à verser à M. [O] la somme de 100.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Les sociétés Pathé Films et 74 Films demandent à la cour de :

A titre principal

Juger que :

le film ‘Les nouvelles aventures de Cendrillon’ ne constitue pas un remake du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ au sens du contrat du 2 juin 2014 conclu entre M. [O] et la société 74 Films,

M. [O] ne peut se prévaloir de la résiliation du contrat d’auteur du 2 juin 2014 conclu entre M. [O] et la société 74 Films,

la société 74 Films n’a pas manqué à ses obligations contractuelles.

En conséquence confirmer le jugement entrepris.

A titre subsidiaire

– Déclarer M. [O] irrecevable en ses demandes fondées sur l’atteinte à ses droits patrimoniaux, pour défaut de droit d’agir ;

– Juger que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ ne constitue pas une ‘uvre dérivée du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ ;

En conséquence débouter M. [O] de ses demandes de réparation et confirmer le jugement de premie’re instance sur le terrain de la contrefaçon.

Au surplus, statuant à nouveau,

– Infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle des sociétés Pathé Films et 74 Films pour procédure abusive et juger que la procédure initiée et poursuivie par M. [O] présente un caracte’re abusif et le condamner à verser à chacune des sociétés Pathé Films et 74 Films la somme de 10.000 euros de dommages-intérêts au titre de la procédure abusive.

En tout état de cause

– Condamner M. [O] à verser à chacune des sociétés Pathé Films et 74 Films la somme de 30.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Prendre acte de l’abandon de la demande de M. [O] formulée au titre du parasitisme.

MM. [W], [F], [B] et [K] sollicitent de la cour la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de M. [O] à leur verser à chacun la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La cour constate que M. [O] ne reprend plus en cause d’appel ses demandes relatives au parasitisme de sorte que le jugement est irrévocable de ce chef.

Sur les manquements contractuels allégués par M. [O]

Le contrat de «cession de droits réalisateur long métrage» conclu entre la société 74 Films et M. [O] prévoit en son article 7 A) une rémunération de l’auteur (M. [O]) et de son agent (la société Adequat) en cas de production ou coproduction par le producteur (la société 74 Films) d’un «Remake, Prequel, Sequel ou Spin-off».

Le contrat a pris soin de définir ces termes en son article 2 III relatif aux droits d’exploitation dérivés cédés par M. [O] à la société 74 Films.

Ainsi le contrat stipule notamment :

* à l’article 2 III 3 «Les droits de «remake», c’est-à-dire le droit de produire, réaliser et exploiter, en toutes langues, une ou plusieurs nouvelles ‘uvres audiovisuelles (et notamment cinématographiques et/ou télévisuelles en tous formats (téléfilms, séries, etc.)), littéraires et/ou audio ou autres, lesquelles reprennent en substance tout ou partie des thèmes, intrigues, situations, personnages, dialogues, voire découpage, cadrage, mise en scène, etc. du Film initial objet de la présente convention».

«Les éléments susvisés, constitutifs du Film pourront être utilisés librement en vue de l’établissement du scénario définitif du/des remake(s). Ces contributions originales pourront être reprises pour les besoins du remake en tout ou partie, sans changement comme en y apportant toutes adaptations, transformations, additions, suppressions, transpositions ou variations que le producteur du/des remake(s) jugerait utiles. Le remake pourra notamment prendre la forme, le cas échéant, d’un film musical et/ou d’animation».

* à l’article 2 III 5 «Les droits de «spin-off», c’est-à-dire le droit de produire, réaliser et exploiter, en toutes langues, une ou plusieurs nouvelles ‘uvres audiovisuelles (et notamment cinématographiques et/ou télévisuelles en tous formats (téléfilms, séries, etc.)), littéraires et/ou audio ou autres, dont l’action ne comporterait pas nécessairement de lien direct avec celle du Film initial, mais qui en prendraient un ou plusieurs personnages, principaux ou secondaires, pour le(s)s placer dans une histoire et des situations entièrement originales, antérieure, contemporaines ou postérieure à l’action du film initial».

«Le producteur du/des spin-off(s) disposera des mêmes prérogatives que celle visées au paragraphe 3 ci-dessus pour le remake».

M. [O] prétend que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ constitue un remake du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ tel que défini par ledit contrat ou à tout le moins un spin-off selon la définition générale.

Il se prévaut à titre principal d’une violation de ce contrat du fait du refus des producteurs de lui verser la rémunération prévue à cet article, sollicitée à hauteur de 73.500 euros à titre de minimum garanti et demande, outre le paiement de ce qu’il considère lui être dû, la résiliation dudit contrat à compter du 16 mars 2018.

La cour doit dès lors déterminer si le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ est un remake ou un spin-off du film ‘Les nouvelles aventures d’Aladin’ et comme tel ouvrant un droit à rémunération au profit de M. [O] et non s’il constitue une violation d’un droit d’auteur dont M. [O] serait titulaire lui permettant de s’opposer à sa diffusion et d’obtenir des dommages et intérêts délictuels sur le fondement de la contrefaçon, cette demande étant seulement présentée à titre subsidiaire.

Sur la qualification de «remake»

C’est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu’il convient de se reporter aux termes du contrat, ci-dessus cités, pour définir ce qu’est un remake dans le cadre de la relation contractuelle établie entre la société 74 films et M. [O].

En revanche, c’est à tort que le jugement, sous couvert de recherche de la commune intention des parties, a ajouté à la définition donnée à l’article 2 III 3 du contrat liant les parties en retenant qu’il ne peut «y avoir de remake que si l”uvre seconde reprend l’histoire et l’intrigue du premier film».

La cour, doit au seul regard de la définition claire du remake donnée par le contrat vérifier si le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ reprend en substance tout ou partie des thèmes, intrigues, situations, personnages, dialogues, voire découpage, cadrage, mise en scène du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’.

L’expression «en substance», de la définition implique que la reprise doit être substantielle, c’est à dire importante et significative et non anecdotique ou ponctuelle. La recherche de cette reprise substantielle doit être notamment faite au regard des «intrigues, situations, personnages, dialogues, voire découpage, cadrage, mise en scène» du premier film par rapport au second sans que l’un de ces éléments soit privilégié par rapport aux autres. Les reprises peuvent être effectuées de manière parcellaire dans chacun de ces éléments mais doivent au final constituer une reprise substantielle.

Il ressort des éléments produits au débat que les producteurs, après le succès commercial du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’, ont voulu adapter un nouveau conte, selon un procédé narratif équivalent et ont confié l’écriture du scénario à M. [W] et la création de la musique à MM. [F] et [B] qui étaient déjà intervenus pour le premier film. En revanche, la réalisation du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ a été confiée à M. [K].

La cour constate au vu des pièces produites au débat et notamment des deux films litigieux de grandes similitudes dans le traitement des thèmes, intrigues, découpage et mise en scène des deux films.

Il s’agit dans les deux cas d’un conte célèbre dont la version racontée n’est pas la version originelle mais celle «revisitée» par un conteur ou conteuse qui se trouve obligé de raconter l’histoire à des ou un enfant avec lesquels il est bloqué contre sa volonté. Le conteur proposera un conte qui n’aura pas au départ l’approbation des enfants mais sera accepté avec la promesse que «sa version», différente de ce qu’ils attendent, leur plaira. La narration commence dans les deux films dans le Paris du XXIème siècle dans lequel l’histoire est contée et la voix off du conteur s’efface plongeant le spectateur dans le conte situé dans une autre époque et un autre lieu.

Dans les deux films le spectateur va s’apercevoir que le personnage principal du conte prend les traits du conteur, décrit par celui-ci de manière avantageuse. D’autres personnages des contes Aladin et Cendrillon vont eux aussi prendre l’apparence de personnes proches (ami(e)s, parents, relations professionnelles, rivaux… ) du conteur et vivant à l’époque moderne.

De même la narration se fait dans les deux films par des «allers-retours» entre la période contemporaine et le conte. A plusieurs reprises, le spectateur entend, sur les images du conte, en voix-off, le personnage principal narrer le conte aux enfants. Parfois des personnages du monde contemporain interviennent dans le conte en tenue actuelle.

Il y a également en commun une interaction sur le déroulé de l’histoire du conte par l’intervention des enfants qui n’approuvent pas la scène qui leur est contée et qui obtiennent du narrateur qu’il la modifie selon leur souhait. Les enfants en sont dans les deux cas remerciés par un des personnages du conte.

Dans les deux films, le dénouement du conte correspond à celui de l’histoire dans le monde contemporain et les personnages principaux se rendent compte à travers l’histoire qu’ils racontent des obstacles qu’ils rencontrent dans leur vie. Les solutions et les réponses qu’ils trouvent pour leurs personnages dans les contes sont identiques à celles qu’ils doivent mettre en ‘uvre dans le monde réel.

A cela s’ajoute la reprise d’éléments de mise en scène, dialogues et de cadrages communs :

* la lampe d’Aladin et le miroir de la marâtre de Cendrillon nécessitent un «déverrouillage» et un code à l’instar d’un smartphone. Le code est d’ailleurs oublié par les deux protagonistes,

* une scène récurrente de peintures enfantines et grotesques sur des toiles,

* l’apparition opportune d’un personnage d’un autre conte, Blanche neige chez Aladin et le Petit chaperon rouge chez Cendrillon pour faire diversion et permettre au héros de s’échapper,

* la présence d’une scène d’apparition d’Aladin et de Cendrillon, après transformation par le génie ou la marraine, sous forme de clip vidéo très moderne interprété et dansé par le héros

* des scènes se déroulant sur des places publiques, les personnages s’adressant à la foule qui inter-agit avec l’orateur en champs/contrechamps.

Par ailleurs, il est justifié par les éléments du débat que la promotion du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ a été faite en référence constante au film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ et que la filiation de l’un avec l’autre a été un élément de communication utilisé par les producteurs pour que le public associe les deux films et que les nombreux spectateurs qui avaient aimé le premier film aient envie de voir le second. De même, les affiches des deux films sont visuellement très semblables dans leurs structures et leurs couleurs. De plus le début de la bande annonce du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’est structuré à l’identique de celle du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ avec une voix identique énonçant par des mots simples des éléments caractéristiques des contes «une lampe magique, un génie», «une citrouille, un soulier», avant d’interroger le spectateur «Vous pensez connaître cette histoire ‘» ou «vous n’avez pas deviné ‘» puis le titre du film apparaît en lettres d’or.

Les extraits de presse, produits au débat, ont effectivement présenté ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ comme étant la déclinaison du précédent film’Les Nouvelles Aventures d’Aladin’.

Ainsi, au vu de ces éléments, et nonobstant une histoire racontée différente liée au conte dont le film est inspiré, la cour constate que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ doit être qualifié de «remake»au sens de l’article l’article 2 III 3 du contrat conclu le 2 juin 2014 entre M. [O] et la société 74 Films et le jugement entrepris est infirmé de ce chef.

Sur le droit à rémunération de l’article 7 A) du contrat

Dès lors le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ ouvre droit à rémunération en application de l’article 7 A) dudit contrat à hauteur de «30 % hors taxes de l’économie du présent contrat (rémunérations proportionnelles visées à l’article 6 des présentes, minimum garanti) pour l’Auteur et l’Agent» et «versées hors assiette d’amortissement du minimum garanti du Film».

Le minimum garanti fixé à l’article 8 pour la réalisation film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ était fixée à une somme brute hors taxes de 245.000 euros au profit de M. [O].

M. [O] est dès lors bien fondé à demander la condamnation de la société 74 Films à lui verser la somme de 73.500 euros (30% de 245.000) au titre du contrat liant les parties et à lui rendre comptes des recettes effectives générées par l’exploitation du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’.

En revanche ces condamnations ne seront pas prononcées à l’encontre de la société Pathé Films s’agissant de condamnations liées à un contrat auquel cette société n’était pas partie et dont il n’est pas justifié qu’elle doive en être déclarée redevable.

Sur la résiliation du contrat

L’article 14 intitulé « Résiliation » du contrat conclu entre la société 74 Films et M. [O] stipule

14-1 : «À défaut d’exécution par l’une ou l’autre des Parties de ses obligations, et 15 (quinze) jours ouvrés à compter de la première présentation d’une mise en demeure sous pli recommandé avec accusé de réception restée infructueuses, les présentes pourront être résiliées aux torts et griefs de la partie défaillante, si bon semble à l’autre partie, sans préjudice de tous dommages et intérêts. Au-delà d’un délai d’un an à compter de la sortie du Film en salles, le délai précité sera porté à 30 (trente) jours ouvrés (…)».

Par un courrier recommandé avec accusé de réception adressé le 1er février 2018, M. [O] mettait en demeure la société 74 Films de lui verser la somme de 73.500 euros au titre du minimum garanti et de s’engager à lui verser les rémunérations proportionnelles dues sur le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ et à lui rendre compte des recettes d’exploitations du film. Il reproduisait et se prévalait de la clause de l’article 14-1 ci-dessus énoncée et précisait qu’à défaut d’exécution dans un délai de 30 jours ouvrés le contrat serait résilié aux torts et griefs de la société 74 Films.

M. [O] demande à la cour de juger que la résiliation du contrat du 2 juin 2014 est valablement intervenue à compter du 16 mars 2018, date de fin du délai de 30 jours ouvrés à compter de la réception par la société 74 Films de la mise en demeure de s’exécuter.

Les sociétés 74 Films et Pathé Films pour s’opposer à la résiliation du contrat au 16 mars 2018 se contentent d’affirmer qu’elles n’ont pas failli à leurs obligations dès lors que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ n’est pas le remake du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’. La cour rappelle que la qualification de remake a cependant été ci-dessus retenue.

MM. [W], [F], [B] et [K] font valoir à titre subsidiaire que la résiliation ne pourrait en tout état de cause être prononcée dès lors que le film est une ‘uvre de collaboration. Pour autant, la résiliation demandée étant effectuée en application d’un contrat individuel de cession de droit concernant le seul réalisateur et non sur le droit d’auteur, la qualification d”uvre de collaboration du film est sans incidence.

Ainsi, la cour constate la résiliation du contrat en application de l’article 14 à la date du 16 mars 2018, étant toutefois rappelé qu’aux termes de l’article 14-2 il est stipulé que la résiliation «sera sans incidence sur les cessions, transferts de droit et autres contrat d’exploitation des droits cédés que le producteur aura valablement conclu avant son intervention».

Sur les autres demandes formées à titre principal et subsidiaire par M. [O]

M. [O] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 100.000 euros au titre d’un préjudice moral subi du fait de l’inexécution contractuelle,cette demande n’étant pas justifiée et ne s’inférant pas de l’inexécution du contrat.

Il prétend par ailleurs que la résiliation du contrat de cession aurait pour effet de rendre contrefaisante toute exploitation des films ‘Alad 2’ et ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ à compter du 16 mars 2018. Il sollicite qu’il lui soit rendu compte des recettes d’exploitations du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ à compter du 16 mars 2018 et l’allocation à titre provisionnel de la somme de 50.000 euros.

Pour autant, la simple résiliation fautive prononcée par le présent arrêt du fait du non paiement de droits contractuellement dus, en l’espèce un pourcentage de recettes d’un film qualifié de remake au sens du contrat, ne suffit pas à justifier du caractère contrefaisant dudit film au regard de droits d’auteur qui seraient détenus M. [O].

La cour note que dans ses développements subsidiaires, M. [O] expose qu’il a été démontré que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ est un remake du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’, et qu’il en constitue donc une adaptation contrefaisante.

Or, ainsi qu’il a été ci-dessus retenu la qualification contractuelle du remake ouvrant droit à rémunération n’est pas celle d’un acte de contrefaçon.

Dès lors, M. [O] qui n’apporte pas la démonstration de la contrefaçon sera débouté de ses demandes fondées sur des actes de contrefaçon qui auraient été commis à compter du 16 mars 2018.

Pour les mêmes motifs, il ne peut être fait droit à la demande indemnitaire présentée par M. [O] au titre de son droit moral d’auteur.

Les mesures d’interdiction d’exploitation des films en cause ne sont pas plus justifiées et la demande de publication, s’agissant de la résolution d’un litige contractuel n’est pas justifiée.

Sur les demandes incidentes, les frais et dépens

Le sens de l’arrêt conduit à rejeter les demandes formées par les société 74 Films et Pathé Films sur le fondement de l’abus de procédure.

Il conduit également à infirmer le jugement quant aux condamnations prononcées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les sociétés 74 Films sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Elles sera condamnée à payer à M. [O], en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 10.000 euros.

La société Pathé Films, MM. [W], [F], [B] et [K] seront déboutées de leurs demandes de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire du 12 novembre 2020,

Statuant à nouveau,

Dit que le film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ doit être considéré comme un remake du film ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’ au sens du contrat de cession des droits d’auteur conclu entre M. [O] et la société 74 Films en date du 2 juin 2014,

Dit résilié ledit contrat à compter du 16 mars 2018,

Condamne la sociétés 74 Films à payer à M. [O] la somme de 73.500 euros à titre de minimum garanti en application de l’article 7 A) dudit contrat et lui enjoint de lui communiquer les recettes effectives générées par l’exploitation du film ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’,

Déboute M. [O] de sa demande au titre d’un préjudice moral du fait de l’inexécution contractuelle,

Déboute M. [O] de sa demande provisionnelle pour préjudice matériel du fait d’actes de contrefaçon et de celle fondée sur le droit moral de l’auteur,

Déboute M. [O] de ses demandes d’interdiction d’exploitation des films ‘Les Nouvelles Aventures d’Aladin’, ‘Alad 2’ et ‘Les Nouvelles Aventures de Cendrillon’ et de publication de l’arrêt,

Déboute les sociétés 74 Films et Pathé Films de leurs demandes incidentes en procédure abusive,

Condamne la société 74 Films à payer à M. [O] la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes contraires à la motivation,

Condamne la société 74 Films aux dépens de première instance et d’appel.

La Greffière La Conseillère, Faisant Fonction de Présidente

 


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