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Droit moral de l’Auteur : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/11689

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Droit moral de l’Auteur : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/11689

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

(n° 081/2022, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/11689 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD5FS

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Avril 2021 -Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n°21/53289

APPELANTE

Mme [J] [Y]

Née le 28 juillet 1962 à [Localité 4] (92)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Julie RODRIGUE, avocate au barreau de PARIS, toque C 1150

INTIMEE

S.A.S. UNIVERSAL MUSIC FRANCE,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 414 945 188

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD – SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J 125

Assistée de Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, toque E 329

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport et Mme Françoise BARUTEL, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente

Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

Mme Déborah BOHÉE, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Mme Karine ABELKALON, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Z] [F] [Y], dit [TL] [Y], était un batteur, auteur-compositeur, interprète nigérian, décédé à [Localité 5] le 30 avril 2020. Il est considéré comme l’un des pionniers du genre musical ‘Afrobeat’, issu d’un mélange de musique traditionnelle nigériane, de différents genres musicaux dont le jazz, de chant accompagné de percussions, popularisé au Nigéria dans les années 1970.

Mme [J] [Y] se présente comme héritière de M. [TL] [Y] en sa qualité de conjointe

survivante. Elle précise qu’elle a eu trois fils avec M. [Y], nés en 1987, 1990 et 1995, et que M. [Y] a eu d’une précédente union au Nigéria, six autres enfants, dont deux sont décédés.

Par acte sous-seing privé du 17 janvier 2017, M. [TL] [Y] a conclu avec la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, un contrat d’exclusivité portant sur l’enregistrement en studio d’au moins deux albums phonographiques comportant des titres inédits, pour une durée totale minimum de 24 mois à compter de la signature de ce contrat, l’artiste cédant notamment à la société productrice, la propriété des exécutions et/ou interprétations pour toute la durée légale de protection des phonogrammes et vidéogrammes.

En novembre 2020, Mme [Y] et M. [E] [G], guitariste qui accompagnait [TL] [Y], ont été conviés par M. [D] [NC], producteur de M. [Y], à l’écoute d’un album posthume intitulé « There is no end », dont ils ont considéré qu’il était très éloigné de l”uvre musicale du défunt. Après plusieurs rendez-vous et échanges de courriels, par lettre de son conseil en date du 1er décembre 2020, Mme [Y], invoquant le droit moral de l’artiste décédé, a fait connaître à M. [NC] son opposition à la publication de cet album.

Par message électronique du 26 février 2021, la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE a confirmé au conseil de Mme [Y] qu’elle allait procéder à la commercialisation de cet album à compter du 30 avril 2021, date anniversaire du décès de M. [TL] [Y].

Par acte d’huissier du 26 avril 2021, après y avoir été autorisée par ordonnance du 23 avril 2021, Mme [Y] a assigné la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, Division DECCA RECORDS (ci-après la société UNIVERSAL), devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé.

Par ordonnance rendue le 30 avril 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

– déclaré l’action de Mme [Y] irrecevable,

– condamné Mme [Y] aux dépens et au paiement à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE de la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 22 juin 2021, Mme [Y] a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions transmises le 4 février 2022, Mme [Y] demande à la cour :

– d’infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

– en conséquence,

– de déclarer Mme [Y] recevable à agir sur le fondement du droit moral en sa qualité d’héritière de [TL] [Y],

– de juger que la diffusion de l’album dit posthume de [TL] [Y] constitue un trouble manifestement illicite,

– en tout état de cause,

– de juger que l’exploitation de 13 titres de l’album improprement attribué à [TL] [Y] portent atteinte à son droit de divulgation, à son droit au nom et à l’intégrité de son ‘uvre,

– de juger que la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE a commis une faute en prétendant que [J] [Y] n’était que la veuve prétendue de [TL] [Y] et avait agi avec des objectifs de gain cupides et vénaux,

– en conséquence,

– d’ordonner sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, de cesser sur quelque support que ce soit et sous quelque forme que ce soit, l’exploitation de l’album « There is no End » en ce qu’il est attribué à [TL] [Y],

– d’interdire sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, de faire usage sur quelque support que ce soit et sous quelque forme que ce soit et à quelque titre

que ce soit, de l’album « There is no End » en ce qu’il est attribué à [TL] [Y],

– d’ordonner sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, pendant 90 jours, à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, de produire un arrêté des comptes sur :

– le nombre d’exemplaires de l’album fabriqués

– le nombre d’exemplaires sur le marché, dans le monde

– le nombre d’exemplaires vendus et à quels prix

– les noms des distributeurs dans le monde,

– d’ordonner sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, pendant 90 jours, à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, de produire :

– les contrats relatifs à l’album « There is no End » de quelque nature qu’ils soient

– les déclarations aux sociétés d’auteur

– d’ordonner sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, pendant 90 jours, à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, à diffuser dans 5 journaux au choix de Mme [Y] le correctif suivant : « Contrairement à ce qui a été mentionné et diffusé l’album « There is no end » contient 13 titres auxquels [TL] [Y] n’a jamais participé et qui ne sont pas l”uvre de [TL] [Y]. » et de dire que ce correctif, sera reproduit avec une photographie de [TL] [Y] et devra être diffusé dans les journaux et sur les sites internet des journaux choisis, aux frais de UNIVERSAL MUSIC FRANCE dans la limite de 6.000 €HT par publication,

– de se réserver la liquidation des astreintes,

– de condamner la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE à verser à Mme [Y], la somme de 30.000 € à titre de provision sur les dommages et intérêts pour les atteintes aux droits moraux dont elle est investie du fait de sa qualité d’héritière sur l”uvre de [TL] [Y],

– de condamner la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE à verser à Mme [Y] la somme de 1 € à titre de provision sur les dommages et intérêts pour préjudice moral,

– de débouter la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE de l’ensemble de ses demandes,

– de condamner la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE à payer à Mme [Y] la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 16 février 2022, la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE, intimée, demande à la cour :

– de débouter Mme [Y] de son appel,

– de confirmer l’ordonnance déférée,

– de juger Mme [Y] irrecevable en ses demandes faute de qualité à agir et de l’en débouter,

– de juger Mme [Y] en tout état de cause mal fondée en ses demandes fondées sur le droit moral de [TL] [Y] et de l’en débouter,

– de juger Mme [Y] irrecevable et mal fondée en sa demande de réparation d’un préjudice moral et de l’en débouter,

– de condamner Mme [Y] à payer à la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE une indemnité de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner Mme [Y] aux dépens dont distraction au profit de l’AARPI TEYTAUD SALEH dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2022.

MOTIFS DE L’ARRÊT

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la recevabilité des demandes de Mme [Y]

Mme [J] [Y] soutient qu’en sa qualité de conjointe survivante, elle est l’héritière de [TL] [Y], et qu’en l’absence de tout testament instituant un exécuteur testamentaire de [TL] [Y], elle est recevable à agir sur le fondement du droit moral de son mari sur son ‘uvre, qu’il s’agisse du droit de divulgation, du droit au respect de son nom ou du droit à l’intégrité de l’oeuvre ; que le fait que l’acte de notoriété n’ait pas encore été établi, en raison des difficultés à réunir des informations précises sur la famille vivant au Nigéria, n’est pas de nature à jeter un doute sur sa qualité d’héritière et de conjointe survivante ; que les filles de [TL] [Y] demeurant au Nigéria soutiennent son action, comme ses propres fils.

La société UNIVERSAL MUSIC FRANCE répond qu’en l’absence d’acte de notoriété, Mme [Y] ne fait toujours pas la preuve en appel de sa qualité à agir et doit être déclarée irrecevable en ses demandes. Elle ajoute qu’à supposer établie la qualité d’héritière de Mme [Y], ses demandes sont tout autant irrecevables dès lors qu’en vertu de l’article L.121-2 du code de la propriété intellectuelle, Mme [Y], conjointe survivante, n’est pas dévolutaire du droit de divulgation s’il existe des descendants, ce qui est le cas en l’espèce, et que la dévolution du droit à la paternité et du droit au respect de l’oeuvre se fait selon l’ordre établi par le code civil, de sorte que Mme [Y] en serait dévolutaire avec les descendants de [TL] [Y] au sein d’une indivision, ce qui pourrait lui permettre d’agir seule pour la défense des droits en question à la condition qu’il n’existe pas de désaccord entre les héritiers quant à l’exercice de ces droits, ce qui n’est précisément pas le cas puisque les filles survivantes de [TL] [Y] ont toutes approuvé la publication de l’album litigieux.

Ceci étant exposé, l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose : ‘ L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.

L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires’.

En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme [J] [Y] est la conjointe survivante, non divorcée, de [TL] [Y]. La notaire chargée du règlement de la succession de [TL] [Y] a en outre attesté, le 29 septembre 2021, ne pas avoir eu connaissance de testament en faveur d’un tiers concernant les droits d’auteur du défunt, ce qui l’a amenée à considérer que Mme [Y] avait la qualité d’héritière, même si l’acte de notoriété n’avait pu être encore établi. Est en outre fourni un courriel de la même notaire en date du 3 février 2022 à l’avocate de l’appelante, par lequel elle indique que Mme [Y] va être prochainement convoquée en vue de l’établissement de l’acte de notoriété, dans lequel elle ‘est bien héritière’. Ces éléments suffisent à établir sa qualité d’héritière de [TL] [Y].

Cependant, Mme [Y] agit expressément sur le fondement du droit de divulgation, du droit au respect du nom de l’auteur et du droit au respect de l’oeuvre, trois composantes du droit moral de l’auteur.

Or, selon l’article L.121-2 du code de la propriété intellectuelle, ‘L’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l’article L.132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.

Après sa mort, le droit de divulgation de ses oeuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur. A leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir.

Ce droit peut s’exercer même après l’expiration du droit exclusif d’exploitation déterminé à l’article L. 123-1″.

Il résulte de ces dispositions qu’à défaut d’exécuteurs testamentaires ou à leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, le droit de divulgation est exercé prioritairement par les descendants. En l’occurrence, [TL] [Y] a quatre filles de sa précédente union au Nigéria, outre les trois fils qu’il a eus avec Mme [J] [Y].

Mme [Y] prétend bénéficier du soutien de ses trois fils et fournit leurs trois attestations datées du 12 septembre 2021, dans lesquelles ils se bornent à faire état de ce que leur père, en dehors de ses tournées, aimait à rester chez lui et à recevoir des amis, et de ce que M. [FM] [ZT] (le réalisateur de l’album litigieux) leur est parfaitement inconnu. Les attestations dactylographiées de deux des fils ([R] et [W]), au demeurant non conformes à l’article 202 du code de procédure civile (absence de date, absence de la mention que le document est établi en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation l’expose à des sanctions pénales), ne peuvent être considérées comme suffisantes (pièce 13 bis).

De même, Mme [Y] prétend disposer du soutien de ses belles-filles nigérianes mais fournit des courriels de deux d’entre elles seulement ([B] et [N]), en date du 30 janvier 2021, 24 janvier et 2 février 2022, qui ne concernent pas la publication de l’album litigieux proprement dite (pièces 29, 32 et 33), alors que la société intimée, de son côté, produit des courriels des quatre filles, en date des 27 et 28 avril 2021, dans lesquels elles expriment toutes leur satisfaction à la sortie de l’album « There is no end » qu’elles disent, pour trois d’entre elles, avoir écouté.

En conséquence, Mme [Y], bien qu’héritière, sera déclarée irrecevable à agir seule sur le fondement du droit de divulgation.

Mme [Y] sera en revanche déclarée recevable à agir seule, en qualité de co-héritière, sur le fondement du droit à la paternité et du droit au respect de l’oeuvre, en l’absence d’exécuteur testamentaire connu désigné par M. [Y], sans que la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE puisse lui opposer les règles propres à l’indivision.

L’ordonnance sera en conséquence infirmée en ce sens.

Sur le bien fondé des demandes de Mme [Y]

Mme [Y] soutient que l’album posthume ‘There is no end’ porte atteinte au droit moral de [TL] [Y] en ce que sont attribués à ce dernier des titres auxquels il n’a jamais participé et en ce que des enregistrements de l’artiste ont été utilisés sans son accord et dans des conditions contraires à sa façon de travailler, des morceaux de batterie de [TL] [Y] ayant été accolés à des contributions auxquelles l’artiste n’a pas consenti de son vivant. Elle fournit plusieurs attestations en ce sens. Elle ajoute que sur 14 titres que comporte l’album litigieux, un seul (‘Cosmosis’) est réellement l’oeuvre de [TL] [Y] ; que ni elle, ni aucun des enfants de [TL] [Y], n’a autorisé la sortie de l’album ; que si les filles nigérianes de [TL] [Y] se sont réjouies de la sortie de l’album posthume, elles n’ont exprimé aucun désaccord à l’action entreprise à l’encontre de la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE ; que cette dernière ne produit aucun document permettant de vérifier d’où proviennent les morceaux de batterie présents sur l’album ; que si [TL] [Y] aimait jouer avec d’autres musiciens et pouvait participer à des ‘uvres diffusées sous le nom d’autres artistes en apparaissant seulement comme un ‘invité’, le procédé consistant à récupérer des enregistrements (sans expliquer lesquels et sans donner la moindre information sur leur provenance) pour y adjoindre, sans l’accord de l’auteur, des voix et de la musique constituent une dénaturation de l”uvre de [TL] [Y]. Elle précise qu’ayant échoué à empêcher la sortie de l’album, elle ne peut que solliciter le retour des exemplaires non vendus et l’interdiction d’exploiter.

La société UNIVERSAL MUSIC FRANCE répond que l’atteinte au droit moral de [TL] [Y] n’est pas caractérisée ou est très sérieusement contestable ; que ce dernier avait en effet consenti à ce que ses créations rythmiques soient associées à d’autres oeuvres, d’autres sons et à des prestations de rappeurs, de sorte qu’en créditant [TL] [Y] comme étant l’un des auteurs des ‘uvres composant l’album « There is no end », elle n’a pas méconnu son droit à la paternité. Elle fournit plusieurs attestations en ce sens.

Ceci étant exposé, aux termes de l’article 835 du code de procédure civile, ‘Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.

En l’espèce, Mme [Y] produit plusieurs témoignages desquels il ressort notamment que [TL] [Y] était très exigeant dans son travail de musicien, que le seul morceau de l’album litigieux dont il parlait était ‘Cosmosis’, que les batteries de l’album « There is no end » ‘ne correspondent en rien au côté aérien et spatial des rythmes de [TL] dans la manière dont les rythmes ont été séquencés et remixés. Le son (…) paraît noyé et l’on est loin du ‘Keep it simple’ à [TL]’ (M. [I], ami proche de [TL] [Y]) ; que [TL] [Y] n’aimait pas que son manager [D] [NC] se mêle de ses projets naissants et interfère dans son processus de création (M. [H], musicien) ; qu’avant sa mort, [TL] [Y] travaillait à un album devant s’intituler ‘Colors’ pour lequel M [NC] souhaitait qu’il s’adjoigne des rappeurs, ce que [TL] [Y] refusait, que [TL] [Y] ‘aurait été d’accord d’adjoindre des rappeurs comme il l’avait fait par le passé dans l’album ‘Home Cooking’ (…) mais il n’aurait pas associé des voix à des musiques (…) sans avoir pu écouter ces artistes avant. Ce n’était pas sa méthode’ ; qu’après le décès de [TL] [Y], M. [NC] a cherché à obtenir des musiques enregistrées avec l’artiste, ce qui lui a été refusé, et que les fichiers produits par UNIVERSAL MUSIC ne correspondent à aucun morceau de l’album litigieux (M. [G], musicien) ; que [TL] [Y] était exigeant dans son travail et que sa musique n’appartient pas à son manager qui, selon l’artiste, n’y comprenait rien (M. [M], musicien) ; que l’album litigieux n’est pas un album posthume mais un album’inspiré de [TL] car [TL] n’était pas présent pour y apporter sa validation finale, qui lui tenait tant à coeur’ (Mme [A], chanteuse) ; que [TL] [Y] était très pointilleux sur l’architecture des morceaux (M. [S], musicien) ; que sur l’album litigieux, les chansons, sauf une, ‘ont l’air d’avoir ajouté [TL] après sa mort. Le rap et le sujet ne semblent pas dans le style de [TL]. Ce qu’on entend a l’air d’avoir été fait sans lui (…) cet album ne sonne pas comme s’il l’avait écrit ‘ (M. [L], musicien). M. [U], musicien et ami de [TL] [Y], confirme par ailleurs qu’après le décès de [TL] [Y], M. [NC] l’a contacté pour obtenir les fichiers de l’album ‘Colors’ afin de récupérer des parties de batterie et les voix de [TL] pour les utiliser sur le projet d’album mené avec M. [ZT], ce qu’il a refusé. Il indique avoir été surpris en écoutant l’album « There is no end » dans lequel il n’a reconnu ni le ‘groove si particulier’ de [TL] [Y], ni son côté qualitatif et exigeant dans le travail, de sorte qu’il s’est demandé si l’artiste avait vraiment travaillé sur l’album.

Cependant, de son côté, la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE produit notamment : un courriel du 30 janvier 2020 de [D] [NC] adressant à [TL] [Y] et [FM] [ZT] (réalisateur de l’album ‘There is no end’) une sélection de ‘guest artists’ ‘pour le nouvel album de [TL]’ ; le témoignage de M. [TA], musicien, qui relate avoir rencontré [TL] [Y] lors d’une répétition de l’album en janvier 2020 et précise ‘Mon rôle était de jouer des synthés et un peu de guitare. [TL] avait bien insisté sur le fait qu’il ne voulait pas pour ce projet aller dans les codes traditionnels de l’Afro beat mais proposer à des rappeurs une sorte de version plus acoustique du rap traditionnel. Nous devions faire une musique hybride, il voulait faire quelque chose de nouveau. Il me répétait sans cesse qu’il n’aimait pas se répéter et que chaque nouvel album devait être différent du précédent. [TL] était satisfait de notre prestation (…) J’avais donc eu accès aux démos qu’ils avaient élaborées avec [FM] [ZT] et le résultat final 1 an et demi après est totalement fidèle à ce que j’avais pu entendre en janvier 2020. Ce qui m’a frappé lors de cette expérience c’est que [TL] [Y] avait une totale confiance en [FM] [ZT] pour retranscrire ses idées’ ; un témoignage de [P], présenté comme poète nigérian, ayant participé à l’enregistrement du titre « Cosmosis » de l’album « There is no end » qui déclare : ‘J’ai été informé du différend portant sur la vision de [TL] [Y] sur l’album qu’il a enregistré en 2019-2020, qui est aujourd’hui intitulé « There is no end ». Tout ce que je peux dire, dans mon interaction avec lui, c’est qu’il voulait faire un album qui serait une toile de fond pour les talents et les voix de l’Afrique et de la diaspora noire. Il voulait interagir avec le hip hop, avec le grime, avec la street music, avec la musique des jeunes. Il me disait qu’il voulait créer une sorte d’univers ou de toile de fond du son à partir desquels les jeunes talents de l’Afrique noire puissent eux-mêmes s’exprimer. Il évoluait sans cesse. Pour donner un exemple, sur la bande sur laquelle j’ai travaillé avec [TL] [Y] lui-même en studio les deux fois où nous avons enregistré, voici ce qui s’est produit et dont j’ai eu connaissance. Il a arrêté de battre. Cela donnait du funky, du dansant et de l’inhabituel. Et c’était toujours le génie musical de [TL] [Y]. Ensuite ça a été au tour d’autres instruments. Et tout ça en pleine connaissance, participation et supervision de [TL] (…) Alors il a aussi voulu le grime de [X]. Il voyait cela comme les deux aspects de la voix africaine (…) Est-ce que [TL] a travaillé comme ça dans le passé ‘ Je ne sais pas. Il me semble qu’il travaillait de façons variées. Ce dont je suis sûr c’est qu’il voulait et recherchait activement une collaboration avec un large éventail de voix musicales noires et africaines contemporaines (…) Il continuait à faire évoluer la musique’ ; un témoignage de [C] [V], présenté comme ayant collaboré avec [TL] [Y] pendant plus de 20 ans, qui indique : ‘En mars 2019 [TL] a présenté son projet de nouvel album à [C] [V] et à son équipe avec le désir d’inviter une nouvelle génération d’artistes à participer au projet en collaboration avec lui. [C] [V] a invité [X], aux côtés de [R] [O] et [P] au studio pour enregistrer avec [TL] [Y] et le résultat a été une chanson intitulée ensuite Cosmosis. [TL] [Y] était très content de cette collaboration parce qu’elle accomplissait son désir de travailler avec une nouvelle génération d’artistes. Nous sommes persuadés que [TL] [Y] était très enthousiaste au sujet de son nouvel album et très heureux du travail qu’il avait fait avec de nouveaux et différents collaborateurs. L’album There is no end est l’aboutissement de ce travail et correspond à ses désirs’ ; le témoignage de [T] [K], ingénieur du son de l’album, qui relate : ‘J’ai rencontré [TL] [Y] en 2014 pour l’enregistrement de son album « Film Of Life » (…) En 2019, il a contacté [FM] [ZT] pour travailler sur son futur album. J’ai à nouveau eu la chance de participer à ces sessions d’enregistrement qui se déroulaient cette fois au domicile de [FM] (…) Il devait s’agir d’un travail de composition et de pré-production d’un disque dont [TL] avait une idée très précise. En effet, il est venu spécialement chercher [FM] car [TL] pensait qu’il serait la personne la plus à même de comprendre sa vision et de l’écouter. Il souhaitait faire un album de musique « moderne » à destination d’un public jeune. Il était très important pour [TL] de transmettre son héritage musical et ce sous les formes les plus diverses possible. Son nouvel album devait être rap, électronique et suffisamment percutant pour refléter la musique actuelle. Nous avons travaillé en ce sens via des méthodes de composition innovantes et nouvelles pour [TL]. Je peux témoigner de la satisfaction et du plaisir réel que [TL] a manifesté lors de ces séances. Nous avons travaillé intensivement, de longues journées et soirées, et produit un grand nombre d’enregistrements. En quelques jours à peine nous avions déjà un matériel conséquent pour élaborer cet album. [TL] ne s’est pas contenté d’enregistrer des batteries. Il a composé lui-même toutes les basses, les accords de synthétiseur et dirigé [FM] sur d’autres instruments. Dans ce cadre intime et détendu, [TL] s’est livré et nous a appris beaucoup sur sa vie musicale et même sa vie avant qu’il ne joue du moindre instrument (…)’. Ces différents témoignages, émanant de personnes ayant, pour certaines, été les témoins directs de séances de répétition ou d’enregistrement de l’album litigieux, tendent à montrer que [TL] [Y] a souhaité pour l’album en cours de préparation un style nouveau incluant la participation de rappeurs et qu’il a consenti à ce que ses oeuvres soient associées à d’autres oeuvres.

En l’état des éléments produits de part et d’autre, ne se trouve pas démontrée, avec l’évidence requise en référé, l’existence d’une atteinte au droit moral de [TL] [Y], étant relevé, après le premier juge, qu’aucune comparaison avec l’oeuvre passée, antérieure à l’album litigieux, de l’artiste n’est possible à partir des pièces versées aux débats. Le trouble manifestement illicite allégué n’est pas caractérisé.

Mme [Y] sera en conséquence déboutée de ses demandes en ce qu’elles sont fondées sur le droit à la paternité et le droit au respect de l’oeuvre de [TL] [Y].

Sur les dépens et frais irrépétibles

Mme [Y], partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI TEYTAUD SALEH dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,

et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

L’équité ne commande pas de faire droit à la demande formée en appel par la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme l’ordonnance déférée en ce qu’elle a déclaré l’action de Mme [Y] irrecevable,

Statuant à nouveau,

Déclare Mme [Y] irrecevable à agir sur le fondement du droit de divulgation mais la dit recevable à agir sur le fondement du droit à la paternité et sur celui du droit au respect de l’oeuvre,

Déboute Mme [Y] de ses demandes sur ces fondements,

Confirme l’ordonnance pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne Mme [Y] aux dépens d’appel, dont distraction au profit de l’AARPI TEYTAUD SALEH dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,

Déboute la société UNIVERSAL MUSIC FRANCE de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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