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7 décembre 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/02969
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 07 DECEMBRE 2023
N° RG 21/02969 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UYYI
AFFAIRE :
[L] [I]
C/
S.A. NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu
le 17 Septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 19/00037
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Joyce KTORZA de
la SELARL CABINET KTORZA
Me Eric MANCA de
la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [L] [I]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Joyce KTORZA de la SELARL CABINET KTORZA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0053
APPELANT
****************
S.A. NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Octobre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Présidente chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nathalie COURTOIS, Président,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,
FAITS ET PROCÉDURE
M. [L] [I] a été engagé par le biais de lettres d’engagement successives à compter du 2 juillet 1998, avec reprise d’ancienneté au 1er septembre 1992, en qualité d’imitateur dans le cadre du programme ‘Les Guignols de l’info’, statut artiste-interprète, par la société Canal + puis par la société Nulle Part Ailleurs Production (ci-après NPA Production), qui est spécialisée dans la production de films et de programmes pour la télévision, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévisions.
Le 30 mars 2018, la société NPA Production notifiait à M. [L] [I], âgé de 72 ans, sa mise à la retraite d’office, en application des dispositions de l’article L.1237-5 du code du travail, à l’issue d’une période de préavis de trois mois, dispensée et rémunérée.
Le 1er juin 2018, la société Nulle Part Ailleurs Production a annoncé la suppression de l’émission ‘Les Guignols’, entraînant la mise en oeuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi le 21 juin 2018.
Lors d’une première réunion du comité d’entreprise en date du 29 juin 2018, suivie par celles des 5 et 25 juillet 2018, l’UES Canal+ a remis aux représentants du personnel la présentation de son projet d’arrêt des émissions ‘les Guignols’, ‘ L’album de la semaine’ et ‘ L’effet papillon’.
Le 30 août 2018, le plan de sauvegarde de l’emploi est signé par les organisations syndicales et dans le cadre de cet accord, la société Nulle Part Ailleurs Production s’est engagée à proposer un CDI aux salariés imitateurs et marionnettistes les plus anciens afin de leur faire bénéficier des mesures prévues par le PSE.
Le 10 janvier 2019, M. [L] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, aux fins d’obtenir la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée, la nullité de son ‘licenciement’ en raison du caractère discriminatoire de sa mise à la retraite d’office ou à défaut sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s’opposait.
Par jugement de départage rendu le 17 septembre 2021, notifié le même jour, le conseil a :
requalifié les contrats à durée déterminée d’usage du salarié en un contrat à durée indéterminée avec la société Nulle Part Ailleurs Production à compter du 1er septembre 1992,
fixé le salaire mensuel de référence de M. [L] [I] à la somme de 11279,80 euros,
condamné la société à lui verser les sommes suivantes :
* 30 000 euros à titre d’indemnité de requalification
* 12 397,50 euros à titre de rappel de prime de 13ème mois
* 56 558 euros à titre de rappel de salaire
rappelé que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de jugement et que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision
débouté les parties du surplus de leurs demandes
condamné la société Nulle Part Ailleurs Production à verser à M. [L] [I] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
condamné la société Nulle Part Ailleurs Production aux entiers dépens,
ordonné l’exécution provisoire.
Le 8 octobre 2021, M.[L] [I] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Le 15 octobre 2021, la société Nulle part ailleurs Production a également relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance de jonction du 5 septembre 2022, les deux procédures ont été jointes sous le RG 21/2969.
Par conclusions récapitulatives n°3 transmises par RPVA du 6 septembre 2023, M. [L] [I] sollicite de la cour de voir :
confirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 17 septembre 2021 en ce qu’il a :
requalifié les CDD de Monsieur [I] en un CDI avec NPA Production à compter du 1er septembre 1992
fixé la rémunération mensuelle de référence de Monsieur [I] à 11 279,80€
condamné NPA Production à lui verser les sommes suivantes :
au titre de l’indemnité de requalification : 30 000 €
au titre de l’indemnité de l’article 700 du Code de procédure civile : 1500€
infirmer pour le surplus
statuant à nouveau de :
au titre de l’exécution du contrat de travail :
condamner la Société NPA Production à verser à Monsieur [L] [I] au titre du rappel de 13 ème mois :12 397,50 €
à titre principal, sur le fondement de l’article 1383 du code civil et l’aveu de NPA Production quant au CDI reconnu à Monsieur [L] [I], condamner la Société NPA Production à verser à Monsieur [L] [I] . au titre des rappels de salaire : 65 151 €
. au titre des congés payés afférents : 6 515 €
à titre subsidiaire, compte tenu de la disponibilité permanente de Monsieur [L] [I] pour NPA Production, condamner la Société NPA Production à verser à Monsieur [L] [I],
. au titre des rappels de salaire : 65 151 €
. au titre des congés payés afférents : 6 515 €
à titre très subsidiaire, compte tenu de l’engagement de NPA production de faire travailler Monsieur [I] trois jours par semaine, condamner la Société NPA Production à verser à Monsieur [L] [I],
. au titre des rappels de salaire : 66 000 €
. au titre des congés payés afférents : 6 600€
Au titre de la rupture du contrat de travail :
Juger que la rupture de la collaboration s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la Société Nulle Part Ailleurs
Production à verser à Monsieur [L] [I], les sommes suivantes :
. au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 203 036 €
. au titre de l’indemnité compensatrice de préavis : 13 659 €
. au titre des congés payés afférents : 1 365 €
. au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement : 39 169€
. au titre du reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement économique : 147 413 €
. au titre des dommages-intérêts pour privation du congé de reclassement: 115 053€
au titre du préjudice de retraite, juger recevable la demande de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d’avoir cotisé aux Caisses Cadre et condamner la Société Nulle Part Ailleurs Production à verser à Monsieur [L] [I] au
titre des dommages-intérêts en réparation de la perte de chance d’avoir cotisé aux Caisses des Cadres : 118 000 €
en tout état de cause, condamner la Société Nulle Part Ailleurs Production à verser à Monsieur [L] [I] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile la somme de 7 000 € pour la présente procédure d’appel
le tout assorti de l’intérêt au taux légal à compter de la réception par la Société Nulle Part
Ailleurs Production de la convocation adressée par le Greffe du Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour le Bureau de Jugement
débouter la Société Nulle Part Ailleurs Production de l’intégralité de ses conclusions, fins et prétentions
condamner la Société Nulle Part Ailleurs Production aux entiers dépens.
Par conclusions n°3 transmises par RPVA du 5 septembre 2023, la Société Nulle Part Ailleurs Production sollicite de voir :
infirmer le jugement prononcé le 17 septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt, en ce qu’il a condamné Nulle Part Ailleurs Production à verser à [L] [I], les sommes suivantes :
o 56 558,00 euros à titre de rappel de salaire
o 12 397,50 euros à titre de rappel de prime de 13 ème mois
statuant à nouveau, débouter (à titre principal) M. [I] de sa demande en rappel de salaire
fixer (à titre subsidiaire) à 6 000,00 euros les droits de M. [I] au titre de sa demande en rappel de salaire
débouter M. [I] de sa demande en rappel de prime sur 13ème mois
pour le surplus, confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [I] de ses demandes suivantes :
o 32 014,00 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
o 3 201,00 euros au titre des congés payés afférents
o 96 973,00 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement
o 146 318,00 euros à titre de reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement
économique
o 177 460,00 euros à titre de dommages-intérêts pour privation du congé de
reclassement
o 626 400,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul (à titre principal),
et 313 164,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réel et sérieuse (à titre subsidiaire)
o 80 000,00 euros à titre de réparation du préjudice de retraite (à titre principal)
ordonner la désignation d’un expert pour le calcul du préjudice subi par l’absence de cotisation de la société NPA Production aux Caisses des Cadres (à titre subsidiaire)
et y ajoutant, débouter M. [I] de sa demande visant à faire condamner NPA
Production en cause d’appel, à 118 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de la perte de chance d’avoir cotisé aux Caisses des Cadres
en conséquence de quoi, débouter de plus fort M. [I] de ses demandes sur :
o indemnité compensatrice de préavis (13 659,00 euros) et des congés payés y afférents
(1 365,00 euros)
o reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement (39 169,00 euros)
o reliquat d’indemnité conventionnelle de licenciement économique (147 413,00 euros) o dommages-intérêts pour privation du congé de reclassement (115 053,00 euros)
o dommages-intérêts pour licenciement sans cause réel et sérieuse (203 036,00
euros)
o dommages intérêts en réparation de la perte de chance d’avoir cotisé aux Caisses
des Cadres (118 000,00 euros).
Par ordonnance rendue le 20 septembre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 octobre 2023.
Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exécution du contrat de travail
Sur le rappel de prime du 13ème mois
La demande de la société Nulle Part Ailleurs Production de voir confirmer le jugement en ce qu’il a dit prescrite la demande de M.[L] [I] au titre de l’année 2015 est sans objet, les premiers juges n’ayant été saisis que pour les années 2016 à 2018 et n’ayant pas eu à se prononcer sur une quelconque prescription outre le fait que cette fin de non-recevoir ne figure pas au dispositif de ses conclusions.
M.[L] [I] sollicite la condamnation de la société Nulle Part Ailleurs Production à un rappel de prime de treizième mois à hauteur de la somme de 12.397,5 euros pour les années 2016, 2017, 2018, ce à quoi la société s’oppose, soulignant que la somme de 20.181,75 euros a déjà été versée au salarié à ce titre.
Le litige porte non pas sur le bien fondé de cette prime mais sur son montant. De même que s’agissant de la période considérée, les deux parties s’accordent comme le jugement querellé, à la circonscrire aux années 2016 à juin 2018 conformément à l’article L.3245-1 du code du travail, issu de la loi du 14 juin 2013.
La convention collective d’entreprise Canal + applicable prévoit que : « Tous les salariés titulaires d’un contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée, reçoivent pour une année complète de présence, une gratification égale au montant des appointements bruts de base au taux en vigueur au mois de décembre de l’année considérée.
Cette gratification est payée en deux versements effectués à la fin du mois de juin et à la fin du mois de décembre.
Pour les salariés ne possédant pas une année complète de présence, la gratification est calculée proportionnellement au temps de présence sur le ou les semestres considérés.
En cas de cessation du contrat de travail, le calcul prorata temporis de la gratification est effectué sur la base du dernier mois de salaire brut de base. »
La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail, de sorte que, ainsi que l’a justement souligné le jugement querellé: ‘il convient de calculer la prime de treizième mois pour chaque année en fonction des salaires effectivement perçus’.
En l’espèce, le jugement querellé, après avoir constaté que le salaire moyen mensuel de M.[L] [I] s’élevait à la somme de 16 056 euros en 2016, à 12 222 en 2017 et à 8603 en 2018, a retenu les sommes suivantes: 16 056 + 12 222 + 8 603/2 soit un total de 32 579,50 euros.
La société Nulle Part Ailleurs Production soutient avoir versé à M.[L] [I] la somme de 16 817,13 euros au titre des années 2016 à 2017 et la somme de 3364,62 euros au titre de l’année 2018 soit un total de 20 181,75 euros.
Si comme la société Nulle Part Ailleurs Production, sans que cela soit contesté par M.[L] [I], le jugement querellé constate que la société Nulle Part Ailleurs Production a déjà versé
la somme arrondie à 20 182 euros, pour autant la société Nulle Part Ailleurs Production ne produit aucun justificatif démontrant une quelconque erreur quant calcul du total dû (32 579,50 euros) ni l’acquittement du surplus restant dû soit la somme de 12 397,50 euros.
Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu’il a fait droit à cette demande de rappel de prime du treizième mois pour un montant restant dû de 12 397,50 euros.
Sur le rappel de salaire
M.[L] [I] invoque la requalification de son contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée et soutient, à titre principal, qu’il aurait dû être rémunéré sur la base d’un temps plein, sollicitant la différence de salaire entre ce qu’il a effectivement perçu au cours de sa collaboration de mars 2017 à mars 2018 et ce qu’il aurait perçu si l’entreprise n’avait pas modifié son contrat de travail.
A titre subsidiaire, le salarié soutient s’être toujours tenu à la disposition de son employeur durant les périodes d’inactivité séparant ses CDD, dites périodes interstitielles. Il indique qu’il était toujours averti au dernier moment et qu’il n’a pas travaillé ailleurs de mars 2017 à mars 2018, période pour laquelle il réclame le rappel de salaire.
A titre très subsidiaire, il soutient que la société Nulle Part Ailleurs Production s’est engagée à le faire travailler un minimum de trois jours par semaine et demande sur cette base un rappel de salaires.
La société intimée fait valoir en réplique que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la rémunération afférente à la durée de travail convenue et que sur les périodes interstitielles (hors contrat de travail), c’est au salarié qui sollicite le paiement d’établir être demeuré à la disposition permanente de l’employeur par le fait de ce dernier. En l’état, le salarié ne rapporte pas, selon elle, la preuve de ses allégations.
Sur la demande de rappel au titre du contrat à temps plein
Il est de jurisprudence constante que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les autres stipulations contractuelles, de sorte que la détermination des jours de travail, qui résulte de l’accord des parties intervenu lors de la conclusion de chacun des contrats, n’est pas affectée par la requalification en contrat à durée indéterminée (Cass Soc, 2 juin 2021, n° 19-18080).
En conséquence, ayant été rémunéré pour les heures travaillées conformément aux engagements contractuels dûment signés par les parties et exécutés, ce que M.[L] [I] ne conteste pas, le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de rappel au titre de la disponibilité permanente de M.[L] [I]
Il est constant que le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail. Il doit apporter la preuve d’avoir été contraint de rester à la disposition permanente de son employeur.
M.[L] [I] soutient qu’il s’est tenu à la disposition permanente de son employeur en invoquant :
– l’absence de refus de jours de travail proposés par l’employeur
– l’absence de planning
– la signature de contrats journaliers ne mentionnant pas les horaires de travail
– l’absence de visibilité quant à la durée de ses missions
– l’absence de régularité dans la détermination des jours de travail
– son contact par téléphone au dernier moment pour travailler
Il précise qu’il limite sa demande de rappels de salaire à la période de mars 2017 à juin 2018.
Pour chacun de ces griefs, la société Nulle Part Ailleurs Production soutient qu’ils ont été écartés par la cour de cassation par des décisions de principe portant sur le même type de litige en rappelant systématiquement que la charge de la preuve pèse sur le salarié et qu’il y a inversion de la charge de la preuve à exiger de l’employeur par exemple :
– de démontrer que le salarié a refusé de travailler pendant cette période (Cass.soc.du 16 septembre 2015 n°24-16277) en réponse à l’argument tiré de l’absence de refus de jours de travail proposés par l’employeur
– de faire spécifier dans les contrats litigieux la durée effective mensuelle ou hebdomadaire de travail du salarié et d’y intégrer le planning précis des jours de travail (Cass.soc.du 17 février 2021 n°18-23989) en réponse aux arguments de l’absence de planning, de la signature de contrats la veille pour le lendemain ou le jour même, de l’absence de visibilité quant à la durée des missions, de l’absence de régularité dans la détermination des jours de travail.
Elle ajoute que sur l’année 2017, M.[L] [I] n’a travaillé que 104 jours soit 9 jours par mois en moyenne et 7 jours sur le premier trimestre 2018. Elle rappelle que devant le juge départiteur, il a déclaré avoir fait le choix de se concentrer uniquement sur NPA PROD.
Il convient de constater que M.[L] [I] n’a pas travaillé exclusivement pour la société Nulle Part Ailleurs Production, ses déclarations de revenus faisant apparaître comme relevé par l’intimée qu’il avait d’autres employeurs tel que :
– en 2017 : NPA PRODUCTION LUMIÈRE (89 274 euros), AUDIENS LES CONGES SPECTACLES (16 681 euros), CANAL LUMIÈRE (29 052 euros),
– en 2018: NPA PRODUCTION LUMIÈRE (54 930 euros), AUDIENS LES CONGES SPECTACLES (11 112 euros), SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS (27 862 euros).
Même si la part consacrée aux autres employeurs est moindre que celle réservée à la société Nulle Part Ailleurs Production, cela démontre qu’il ne se tenait pas à l’entière disposition de la société Nulle Part Ailleurs Production.
M.[L] [I] invoque également une planification orale de son travail sans offre de preuve alors que la société Nulle Part Ailleurs Production produit les lettres d’engagement conclues depuis la saison 2012. Par ailleurs, l’absence de planning de travail ne constitue pas une preuve au vu du nombre de jours travaillés en 2017 (9 jours/mois) et en 2018 (7 jours sur le premier trimestre 2018) qui lui permettaient de travailler pour des tiers, ce que ses déclarations de revenus confirment.
Au soutien de sa demande, M.[L] [I] invoque également la modification de la ligne éditoriale pour l’émission ‘Les Guignols’, notifiée aux salariés par courrier du 2 mars 2017 que l’appelant ne produit plus en appel, consistant notamment au déménagement du lieu de tournage, à la fin des enregistrements en direct et au regroupement des tournages sur trois journées par semaine et à l’engagement d’un minimum de trois jours de travail.
Il résulte de ce courrier retranscrit par les premiers juges, dans des termes non remis en cause par les parties, que ‘A compter du 20 mars 2017 et jusqu’à la fin de la saison (23 juin 2017), nous serons en mesure de vous proposer, en raison de ce nouveau format d’émission et de la nécessaire période de transition qui nous occupera alors pour sa mise en production, un minimum de 3 journées de travail par semaine, à l’exception des semaines complètes qui feraient l’objet d’une déprogrammation’. Les premiers juges précisant comme rappelé dans les écritures de M.[L] [I] qu’ ‘Elle [la société Nulle Part Ailleurs Production] justifie également avoir rappelé au demandeur par courrier du 20 mars 2017 qu’elle l’avait bien informé lors d’un entretien le 16 février 2017 de l’arrêt de l’émission entre le 6 et le 20 mars 2017 ‘.
Comme relevé par les premiers juges, ‘M.[L] [I] ne produit pas de mails échangés avec son employeur dans lesquels il solliciterait du travail et expliquerait qu’il reste disponible ou qu’il ne sait pas s’il peut ou non assurer des missions pour d’autres sociétés de production compte tenu de l’incertitude de ses plannings’.
Outre le fait que M.[L] [I] ne démontre pas l’incertitude quant aux jours travaillés, la lecture des bulletins de paie faisant apparaître qu’il était pour l’essentiel sollicité les lundis, mardis et jeudis voire le mercredi, il n’établit pas sa disponibilité constante au seul profit de la société Nulle Part Ailleurs Production, les revenus résultant de son activité avec d’autres employeurs démontrant le contraire.
En conséquence, c’est donc à tort que les premiers juges ont dit que M.[L] [I] a été contraint à compter du 20 mars 2017 de se rendre disponible pour la société Nulle Part Ailleurs Production trois jours par semaine, sans précision des jours de la semaine et en a déduit qu’il se tenait à la disposition permanente de son employeur au moins trois jours par semaine, alors qu’il convenait de rechercher si M. [L] [I] était à la disposition permanente de son employeur entre deux périodes travaillées.
M. [L] [I] ne produit aucun élément (mails, relevés téléphoniques, courriers) permettant d’établir qu’il se trouvait à la disposition permanente de la société.
Il en résulte qu’il n’est pas fondé en sa demande en paiement d’un rappel de salaire sur les périodes intermédiaires, pour la période sollicitée, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur la demande de rappel au titre de l’engagement de la société Nulle Part Ailleurs Production de lui garantir 3 jours de travail par semaine
Le salarié invoque le courrier du 2 mars 2017 (pièce 15 de l’appelant supprimée selon son bordereau de pièces), par lequel la société Nulle Part Ailleurs Production s’engagerait à lui garantir trois jours de travail par semaine et sollicite à ce titre la somme de 66 000 euros.
La société Nulle Part Ailleurs Production conteste cette allégation et invoque le courrier qu’elle lui a adressé le 20 mars 2017 (pièce adverse 7 supprimée selon le bordereau de pièces), dont le contenu retranscrit par la société Nulle Part Ailleurs Production n’est pas contesté par M. [L] [I], dans lequel elle lui précisait ‘les conditions de votre collaboration sont fixées au gré de chacun de vos engagements. Au delà de ce cadre, et sauf erreur, la société n’a jamais souscrit de garantie pérenne vous concernant’. Elle produit à ce titre les lettres d’engagement.
Il convient de constater que les parties ont signé des lettres d’engagement pour des journées de travail définies, avec une rémunération au cachet convenue entre les parties tant sur la période revendiquée par M. [L] [I] que sur la période mentionnée dans le courrier du 20 mars précité. Ainsi donc, les journées travaillées ont été rémunérés selon la convention conclue entre les parties, de sorte qu’il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir respecté ses engagements outre le fait que M. [L] [I] ne produit pas en appel les pièces qu’il invoque au soutien de sa demande.
Il convient de débouter M. [L] [I] de sa demande de rappel de salaire en complétant le jugement querellé.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur la mise à la retraite d’office
M.[L] [I] soutient que sa mise à la retraite d’office équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, la décision de rompre ce dernier intervenant trois mois avant le PSE duquel il aurait pu bénéficier, et du caractère abusif de la décision de mise à la retraite, ce que la société Nulle Part Ailleurs Production conteste.
La lettre de notification de la mise à la retraite d’office de M. [L] [I] vise l’article L1237-5 du code du travail.
Aux termes des articles L.1237-5 et suivants du code du travail, la mise à la retraite s’entend de la possibilité donnée à l’employeur, à certaines conditions, de rompre le contrat de travail d’un salarié qui a atteint l’âge à partir duquel il est en droit de bénéficier d’une pension vieillesse à taux plein
Tant que le salarié n’a pas atteint l’âge de 70 ans, la mise à la retraite nécessite l’accord écrit du salarié. Si les conditions légales de la mise à la retraite sont réunies, la mise à la retraite n’étant pas un licenciement, l’employeur n’a pas à la motiver (Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-21.758). Si en revanche, elles ne sont pas réunies, la rupture du contrat de travail par l’employeur constitue un licenciement.
Il est acquis aux débats qu’au moment de la rupture de son contrat de travail, M. [L] [I] était âgé de 72 ans et éligible à la mise à la retraite dans ses conditions définies par les articles L.1237-5 et suivants du code du travail.
S’agissant du premier moyen selon lequel le contrat de travail aurait été exécuté de façon déloyale par la société, il résulte de l’article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur incombe au salarié.
En l’espèce, dès lors que l’employeur a fait correctement usage des dispositions prévues aux articles L.1237-5 et suivants du code du travail et faute pour M. [L] [I] de prouver quelconque action déloyale de la part de ce dernier, la mise en place d’un PSE plusieurs semaines après la rupture de son contrat ne constitue pas un acte déloyal.
De même, s’agissant de l’abus de droit soulevé par le salarié, ce dernier ne démontrant pas en quoi la société avait déjà prévu d’arrêter l’émission ‘Les Guignols de l’info’ et de mettre en place un PSE, duquel il aurait pu bénéficier, lorsque sa mise à la retraite a été décidée cinq mois avant le PSE, l’abus de droit ne peut être caractérisé outre le fait que dès lors que les conditions prévues à l’article L1237-5 précité sont remplies, l’employeur n’a pas à justifier que la mise à la retraite du salarié répond à un objectif légitime.
Par conséquent, il y a lieu de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes qui a jugé régulière la mise à la retraite d’office du salarié et l’a débouté de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement économique et pour privation du congé de reclassement.
Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour préjudice de retraite
M. [L] [I] sollicite la réparation du préjudice de la perte de chance d’avoir cotisé aux caisses de retraite des cadres pour la période du 1er septembre 1992 au 30 mars 2018, la société lui opposant la prescription et l’irrecevabilité de son action.
En application de l’article 2224 du code civil, le délai de prescription de l’action en dommages-intérêts fondée sur le défaut d’affiliation par l’employeur du salarié à un régime de retraite et de règlement des cotisations qui en découlent est de cinq ans. Il ne court qu’à compter de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite, jour où le salarié titulaire de la créance à ce titre a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action, sans que puissent y faire obstacle les dispositions de l’article 2232 du code civil.
En l’espèce, au jour où M.[L] [I] a saisi la juridiction prud’homale le 10 janvier 2019, il avait liquidé ses droits à retraite depuis 9 ans, ainsi qu’il ressort du rapport qu’il verse lui-même aux débats, de sorte que la prescription de son action, fondée sur l’obligation de l’employeur de l’affilier à un régime de retraite statut cadre, avait commencé à courir dès 2010, date de la liquidation par le salarié de ses droits à la retraite.
En effet, lorsqu’il a procédé à la liquidation de ses droits à la retraite, M. [L] [I] n’ignorait pas qu’il ne bénéficiait pas d’une retraite de cadre, situation qu’il pouvait contester utilement dans le délai de 5 ans.
Le fait que le certificat de travail délivré le 30 juin 2018 à l’occasion de sa mise à la retraite d’office indique qu’il a été employé au sein de la société Nulle Part Ailleurs Production en qualité d’imitateur au statut cadre du 1er septembre 1992 au 30 juin 2018 est sans effet.
Dès lors, il convient de constater que la demande de M.[L] [I] est prescrite et donc que sa demande de dommages et intérêts au titre de la réparation du préjudice de la perte de chance d’avoir cotisé aux caisses de retraite des cadres irrecevable, réformant le jugement uniquement par substitution de motif.
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Les demandes formées de ce chef seront donc rejetées.
Sur les dépens
Il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens par elles engagés.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement de départage du 17 septembre 2021 du conseil des prud’hommes de Boulogne Billancourt en ce qu’il a dit que M.[L] [I] se trouvait à la disposition permanente de la société, en ce qu’il lui a alloué la somme de 56 558 euros à titre de rappel de salaire, en ce qu’il a débouté M. [L] [I] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte de chance d’avoir cotisé aux caisses cadres;
Confirme pour le surplus;
Statuant à nouveau et y ajoutant;
Déboute M. [L] [I] de sa demande de rappel de salaires;
Dit prescrite et irrecevable la demande de M. [L] [I] de dommages-intérêts au titre de la perte de chance d’avoir cotisé aux caisses cadres ;
Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elles engagés.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Isabelle FIORE greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,