Harcèlement numérique au travail : licenciement d’un cadre dirigeant 
Harcèlement numérique au travail : licenciement d’un cadre dirigeant 
Ce point juridique est utile ?

Le cadre dirigeant qui après avoir entretenu une relation avec une collaboratrice et qui ne cesse de l’importuner par de nombreux moyens : SMS, Whatsapp, appels téléphoniques, aussi bien sur son téléphone portable que sur la ligne fixe personnelle, messagerie professionnelle, messagerie personnelle et Sametime, s’expose à un licenciement pour faute grave (comportement inadapté).

Statut des relations affectives au travail  

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas en principe justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il se rattache à la vie professionnelle et constitue un manquement du salarié à l’obligation découlant de son contrat de travail.

Par ailleurs, si l’utilisation des messages portant correspondance à priori personnelle à partir de la messagerie et du téléphone personnel du salarié est de nature à contrevenir aux dispositions relatives au secret des correspondances même si les messages ont été transmis à l’employeur par la destinataire, il résulte des autres pièces précises et concordantes du dossier, notamment des courriels envoyés sur la boîte professionnelle de la victime, du témoignage de la DRH, du courrier du médecin du travail, que le cadre a adopté un comportement déplacé envers cette collaboratrice malgré le refus que celle-ci avait clairement exprimé d’en rester à une relation strictement professionnelle générant une souffrance au travail.

En effet, au-delà de la relation nouée en dehors du lieu de travail, la victime avait clairement indiqué à la fin du mois de mai 2017 qu’elle souhaitait en rester à une relation strictement professionnelle. Or, le cadre a encombré son téléphone et surtout sa boîte mail professionnelle de messages se faisant de plus en plus insistant et n’hésitant pas à faire valoir sa qualité de membre du codir.

Malgré son ancienneté et sa position de directeur, le cadre a été dans l’incapacité d’entendre les refus de sa collègue, s’est servi de son adresse professionnelle pour la relancer au temps et sur le lieu du travail.

S’il n’est pas fait référence dans la lettre de licenciement à des faits de harcèlement à proprement parler, la juridiction conserve la possibilité d’apprécier la qualification des faits énoncés dans la lettre de licenciement pour dire s’ils constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ce comportement sur le lieu et le temps du travail par un salarié dans une position hiérarchique élevée dans le but d’obtenir une explication en raison d’un possible dépit amoureux ou aux fins d’entretenir une relation malgré le refus clairement opposé par une collaboratrice, qui sans être sous la subordination directe n’en était pas moins vulnérable, constitue un manquement à ses obligations découlant de son contrat de travail incompatible avec ses responsabilités.

Sanction des comportements inadaptés

Le comportement inadapté d’un salarié à l’égard d’une de ses collègues peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement quand bien même le harcèlement évoqué par les témoignages n’est pas retenu dès lors que l’employeur reste tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés et que le comportement incriminé est de nature à constituer un manquement à cette obligation.

En l’espèce, les éléments transmis par l’employeur établissent des troubles objectifs au sein de l’entreprise et leur lien avec le comportement inadapté d’un salarié, occupant de surcroît une position élevée dans la hiérarchie, envers une autre salariée.

Notion de faute grave 

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.


20 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/04108

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04108 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCAE2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F17/07671

APPELANT

Monsieur [G] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374

INTIMÉE

Association AFDAS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Laurent GAMET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0061

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, chargée du rapport et Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

L’association Afdas (ci-après l’Afdas), qui compte plus de 200 salariés, est agréée par l’Etat pour gérer sur le plan national l’ensemble du dispositif de la formation professionnelle des secteurs du spectacle vivant, du cinéma, de l’audiovisuel, de la publicité, des loisirs, de la presse ainsi que des agences de presse et de l’édition.

L’Afdas ne relève d’aucune convention collective.

M. [G] [W] a été engagé par l’Afdas suivant contrat du 30 mai 1985 à compter du 30 mai 1985 en tant qu’aide comptable.

Il est successivement devenu assistant administratif, adjoint au service de gestion des entreprises, responsable des relations Entreprises et formations en alternance, responsable du département Publicité et Loisirs, responsable recherches et développement, directeur du développement et à compter du 1er août 2014 directeur des partenariats et des relations institutionnelles.

Son salaire moyen mensuel s’élevait au dernier état de la relation contractuelle à la somme de 8 363, 33 euros.

Par courrier remis en main propre le 6 juillet 2017, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 13 juillet 2017 au licenciement avec mise à pied conservatoire.

Le 19 juillet 2017, l’Afdas a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave en ces termes:

‘Par courrier remis en main propre le 6 juillet 2017, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement. La gravité des faits nous a contraints à prononcer votre mise à pied à titre conservatoire.

Nous avons recueilli vos explications lors de cet entretien le 13 juillet 2017 au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [S] [J], Délégué syndical de la CFE-CGC. Nous avons pris connaissance de votre courrier en date du 15 juillet 2017. Vous occupez actuellement les fonctions de Directeur des Partenariats et Relations Institutionnelles. A ce titre, vous êtes membre du Comité de Direction.

Depuis le mois de mai 2017, vous n’avez eu de cesse d’importuner une collaboratrice de l’entreprise par de nombreux moyens : SMS, Whatsapp, appels téléphoniques, aussi bien sur son téléphone portable que sur la ligne fixe personnelle, messagerie professionnelle, messagerie personnelle et Sametime. Quelques exemples :

– 17 mai 2017 : 5 SMS entre 19h06 et 21h12 ;

– 19 mai 2017 : 4 SMS entre 18h16 et 20h49 ;

– 26 mai 2017 (jour de pont) : 4 appels entre 11H35 et 16h06 ;

– 27 mai 2017 (samedi) : 7 SMS entre 21h28 et 23h22 ;

– 28 mai 2017 (dimanche) : 10 SMS entre 00h50 et 22h30 ;

– 28 mai 2017 (dimanche) : 2 appels sur le téléphone portable personnel ;

– 28 mai 2017 (dimanche) : appel sur son téléphone fixe, entrant ainsi en relation avec le mari de la collaboratrice ;

– 1er juin 2017 : WHATSAPP entre 20h16 et 21h57 ;

– 2 juin 2017 : WHATSAPP entre 11h59 et 20h02 ;

– 3 juin 2017 (samedi) : WHATSAPP entre 12h30 et 20h17′

Intimidée par votre statut de dirigeant mais souhaitant préserver sa vie personnelle et familiale, cette collaboratrice a tenté à de nombreuses reprises de mettre fin à cette situation en vous demandant de cesser vos appels et vos messages.

Vous avez accru votre pression par des intrusions encore plus violentes et traumatisantes:

– « silence + indifférence = mort » ;

– « j’arrive car trop inquiet » (avec l’adresse personnelle de la collaboratrice) ;

– « Que trépasse si mon coeur faiblit’ les épreuves ne font pas peur car mes sentiments sont plus forts que tout’ » ;

– « Si comportement = mes appels téléphoniques intempestifs + mes écrits = JALOUSIE! ».

– « C’est vraiment toi qui réponds là’ J’en suis pas sûr ! Si c’est vous M. R., je ne vous crains pas ! Si vous êtes un homme, confrontez-vous à moi’ » ;

– « Je suis devenu un virus et un spam pour toi’ » ;

– « Pardon’ pardon’ pardon’ ».

Vos intentions étaient clairement exprimées :

-ton mari, même s’il a 5 têtes de plus que moi, j’ai pas peur » ;

-Photo d’un coeur blessé par un couteau ;

Vous n’avez pas hésité à faire des commentaires sur la fille de cette collaboratrice : « très belle femme avec des yeux très expressifs, très gentils et très belles mains aussi’ ».

Sur conseil du médecin du travail, cette collaboratrice vous a, de nouveau, le 22 juin 2017, demandé d’arrêter vos agissements répétés.

Vous lui avez alors adressé un mail dans lequel vous indiquez être navré de votre comportement tout en lui adressant des reproches professionnels.

Constatant que vous ne changez pas d’attitude, épuisée par vos agissements et se sentant menacée professionnellement, cette collaboratrice a de nouveau pris attache avec le médecin du travail, qui a écrit à la Direction. Elle a également alerté la Direction des Ressources Humaines.

Lors de la fête annuelle du Comité d’entreprise, vous avez encore importuné cette collaboratrice en public et vous lui avez adressé deux messages au milieu de la nuit.

Vos agissements intolérables ont profondément perturbé le fonctionnement de l’entreprise.

Nous vous notifions votre licenciement pour faute grave, privative de toute indemnité de licenciement et de préavis’.

Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes, lequel l’a par jugement rendu le 15 juin 2020 débouté de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné aux dépens et a débouté l’association Afdas de sa demande reconventionnelle.

M. [W] a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée par la voie électronique le 10 juillet 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 16 septembre 2022, M. [W] demande à la Cour de :

-infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions en ce qu’il l’a intégralement débouté de ses demandes ;

– statuer à nouveau et ainsi,

– juger que le licenciement de M. [W] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse;

-requalifier le licenciement de M. [W] en licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

-condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 150 539, 94 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 301.079, 88 euros (36 mois) au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 25 089 , 99 euros (3 mois) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 2508,99 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 6650, 22 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 665,02 euros au titre des congés payés afférents ;

– condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 75 269,97 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

-condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 50 179,98 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

-condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 393,53 euros à titre de remboursement des frais professionnels ;

-ordonner à l’association Afdas de délivrer à M. [W] les bulletins de paie, le certificat de travail, le solde de tout compte et l’attestation pôle emploi conformes aux condamnations rendues sous astreinte de 200 euros par jour de retard de document ;

-condamner l’association Afdas à verser à M. [W] la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-ordonner la capitalisation des intérêts à compter de l’introduction de la demande au titre de l’article 1154 du code civil ;

-condamner l’association Afdas aux dépens.

Aux termes de ses conclusions déposées par la voie électronique le 19 octobre 2022, l’association Afdas demande à la Cour de :

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris en date du 15 juin 2020 ;

– débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner M. [W] à verser à l’Afdas la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile

L’instruction a été déclarée close le 16 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. [W] fait valoir que l’employeur n’a pris aucune des mesures qui lui incombaient pour réagir de façon idoine à une situation supposée de harcèlement, notamment en ne diligentant aucune enquête malgré les recommandations du médecin du travail et a initié une procédure de licenciement sur les seules déclarations et éléments partiels de Mme [Z] et sur les résultats d’une investigation menée sur son ordinateur professionnel. Par ailleurs, il soutient que la faute grave qui lui est imputée est inexistante dès lors que le comportement qui lui est reproché ne relevait ni d’un harcèlement sexuel ni d’un harcèlement moral.

L’Afdas soutient au contraire qu’elle n’a pas licencié M. [W], cadre dirigeant, parce qu’il aurait une liaison avec une collègue mais pour avoir continué de poursuivre cette salariée, statut employé, malgré son souhait de mettre fin à la relation fin mai 2017. De ce fait, en dépit des demandes répétées de cette salariée, M. [W] n’a pas cessé son comportement harcelant, faisant pression hors et dans le contexte professionnel, usant de sa qualité de dirigeant du Codir.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

L’employeur verse aux débats :

– le courrier du médecin du travail adressé au Directeur des ressources humaines en date du 3 juillet 2017 alertant sur la situation de la Mme [Z] en ces termes :« Je souhaite par ce courrier attirer votre attention sur la situation de Mme [Z], qui occupe le poste de chef de projets au sein de l’Afdas. Avec son accord oral du 30 juin 2017, je vous informe que je l’ai reçu en visite occasionnelle e 21 juin 2017.

La salariée me dit vivre une situation de mal être au travail qui perdure selon ses dires depuis quelques semaines et qui serait liée à des difficultés relationnelles avec un autre salarié de votre établissement.

C’est aussi avec son accord que je tiens aujourd’hui à vous en parler pour que vous puissiez envisager les mesures nécessaires pour améliorer sa situation de travail afin d’éviter toute altération de sa santé et pour couper court à la situation qu’elle dit vivre et qui est potentiellement délétère pour sa santé.

Je me permets en tant que conseiller de l’employeur de vous rappeler votre obligation légale de sauvegarde de la santé de vos employés, obligation renforcée par l’évolution de la jurisprudence qui confère désormais à l’employeur une « obligation de sécurité de résultats » de nature contractuelle en matière de protection de la santé physique et mentale des salariés employés.

Il semble donc nécessaire de prendre toutes les dispositions visant à évaluer la situation de travail de Mme [Z] et d’y apporter les éventuelles corrections nécessaires à sa poursuite au sein de votre établissement et dans des conditions de travail de préservation de son état de santé’».

-le constat d’huissier établi le 6 juillet 2017 ayant constaté la présence à compter du 29 mai 2017 de messages laissés sur le téléphone portable de Mme [Z] en provenance du téléphone de M. [W], faisant suite à un incident durant lequel M. [W] a voulu se présenter à son domicile. Durant les échanges, M. [W] mentionne ne pas craindre son mari, exprime son dépit qu’elle ne réponde que par des propos qu’il juge distants, lui demande de lui téléphoner pour lui donner notamment l’occasion de s’expliquer alors que Mme [Z] indiquait qu’elle ne comprenait pas ses messages, que la situation la mettait de plus en plus mal à l’aise et finalement jugeait préférable de rester en bonne entente seulement dans le cadre professionnel. Face à l’insistance de M. [W] elle réitérait sa demande de rester dans le cadre professionnel et lui demandait de ne plus lui envoyer de messages. Pour autant, M. [W] tentait de l’appeler, lui adressait de nouveaux messages dont une image avec un couteau planté dans un c’ur, évoquait les caractéristiques physiques de la fille de Mme [Z] etc..

La seconde liasse du constat contient les courriels par lesquels M.[W] adressait à Mme [Z] plusieurs messages tant sur sa messagerie personnelle que sur la messagerie professionnelle faisant apparaître sa qualité de directeur et se plaignant face au silence de Mme [Z] qu’elle ne rappelle pas un membre du codir qui l’a appelée 3 fois en deux semaines ; qu’elle fasse dire à sa voisine qu’elle n’était pas disponible alors qu’elle était à son poste, qu’elle lui dise bonjour de façon nonchalante’

– le témoignage de Mme [H], responsable offre et qualité de la formation au sein de l’Afdas, qui relate que Mme [Z] lui avait fait part du harcèlement dont elle était victime de la part de M. [W], lui avait montré les messages et avait évoqué notamment les appels téléphoniques à son domicile, les menaces de se rendre à son domicile. Elle décrivait Mme [Z] comme très choquée et sidérée et se sentant en danger. En tant que manager, elle avait apporté son soutien à sa collaboratrice, avait veillé à la protéger en étant attentive aux actions entreprises par M. [W] et ses déplacements et était restée à ses côtés lors de la convention annuelle de l’Afdas;

– l’attestation de Mme [Z] elle-même témoignant de ce qu’elle suit depuis des séances pour regagner confiance en elle et surmonter ses angoisses suite à cette intrusion dans sa vie personnelle et professionnelle.

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas en principe justifier un licenciement disciplinaire à moins qu’il se rattache à la vie professionnelle et constitue un manquement du salarié à l’obligation découlant de son contrat de travail.

Si l’utilisation des messages portant correspondance à priori personnelle à partir de la messagerie et du téléphone personnel du salarié est de nature à contrevenir aux dispositions relatives au secret des correspondances même si les messages ont été transmis à l’employeur par la destinataire, il résulte des autres pièces précises et concordantes du dossier, notamment des courriels envoyés sur la boîte professionnelle de Mme [Z], du témoignage de Mme [H], du courrier du médecin du travail cité ci-avant, que M. [W] a adopté un comportement déplacé envers cette collaboratrice malgré le refus que celle-ci avait clairement exprimé d’en rester à une relation strictement professionnelle générant une souffrance au travail.

En effet, au-delà de la relation nouée en dehors du lieu de travail, Mme [Z] avait clairement indiqué à la fin du mois de mai 2017 qu’elle souhaitait en rester à une relation strictement professionnelle. Or, M. [W] a encombré son téléphone et surtout sa boîte mail professionnelle de messages se faisant de plus en plus insistant et n’hésitant pas à faire valoir sa qualité de membre du codir.

La Cour note en conséquence que M. [W], malgré son ancienneté et sa position de directeur, a été dans l’incapacité d’entendre les refus de sa collègue, s’est servi de son adresse professionnelle pour la relancer au temps et sur le lieu du travail.

S’il n’est pas fait référence dans la lettre de licenciement à des faits de harcèlement à proprement parler, la juridiction conserve la possibilité d’apprécier la qualification des faits énoncés dans la lettre de licenciement pour dire s’ils constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Au surplus, le comportement inadapté d’un salarié à l’égard d’une de ses collègues peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement quand bien même le harcèlement évoqué par les témoignages n’est pas retenu dès lors que l’employeur reste tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés et que le comportement incriminé est de nature à constituer un manquement à cette obligation.

Les éléments transmis par l’employeur établissent des troubles objectifs au sein de l’entreprise et leur lien avec le comportement inadapté d’un salarié, occupant de surcroît une position élevée dans la hiérarchie, envers une autre salariée.

M. [W], qui banalise son comportement en occultant la persistance de ses agissements sur le lieu et le temps de travail malgré les messages de refus, ne produit aucune pièce de nature à contredire utilement les témoignages et pièces produits par l’employeur.

L’attestation de Mme [U], ancienne salariée de l’Afdas, à l’origine de l’évolution professionnelle de M. [W], ne présente que peu d’intérêt en ce qu’elle n’a pas constaté personnellement de fait en lien avec le litige. L’avis « consultatif » d’une psychologue se livrant à l’analyse des pièces du dossier et des échanges entre M. [W] et Mme [Z] aux fins de conclure que M. [W] n’a pas le profit de harceleur et que Mme [Z] serait sous « l’emprise de son mari », des certificats de médecins, l’avis de son psychiatre se basant sur les déclarations de son patient et analysant également certains courriels pour conclure que M. [W] est généreux, délicat et n’a pas le profil de harceleur ou enfin l’appréciation du président de l’association « Harcèlement moral Stop » ne rapportent aucun fait précis en lien avec les griefs évoqués.

Le salarié ne peut utilement arguer de ce que ses messages procéderaient de sa gentillesse, de sa crainte suite au meurtre d’une des salariées de l’association par son conjoint que cela puisse arriver à Mme [Z], de sa naïveté, de l’échange de nombreux messages antérieurement avec Mme [Z] alors qu’il a utilisé son adresse professionnelle vis-à-vis d’elle, ce qui suffit à caractériser le lien existant entre le comportement adopté et l’activité professionnelle. Par ailleurs, le médecin du travail a procédé à une alerte sur la situation de la salariée.

Il n’est pas discuté qu’aucune enquête interne n’a été diligentée.

Mais il sera relevé que, contrairement à ce que le salarié soutient, il ne résulte pas des règles applicables qu’une enquête devait nécessairement être diligentée par l’employeur. L’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 cité par le salarié sur le harcèlement et la violence au travail invite et non oblige les employeurs à prendre toute mesure appropriée pour prévenir le harcèlement et la violence au travail. .

Il ressort de ces dispositions que la procédure appropriée n’ est qu’une recommandation et nullement une obligation.

Il ne peut en conséquence être reproché à l’Afdas de ne pas avoir mis en oeuvre une enquête dès lors qu’elle considérait que les faits reprochés au salarié étaient suffissament établis pour engager une procédure disciplinaire.

Les éléments de fait versés aux débats révèlent l’instauration par M. [W] d’une pression à l’égard de Mme [Z] qui, sans être sa subordonnée, n’en était pas moins à un niveau hiérarchique moindre dans l’entreprise. La réalité de la souffrance de Mme [Z] en raison de l’attitude de M. [W] est établie au travers du témoignage évoquée de sa manager et le courrier du médecin du travail au delà de ses propres mots.

Ce comportement sur le lieu et le temps du travail par un salarié dans une position hiérarchique élevée dans le but d’obtenir une explication en raison d’un possible dépit amoureux ou aux fins d’entretenir une relation malgré le refus clairement opposé par une collaboratrice, qui sans être sous la subordination directe n’en était pas moins vulnérable, constitue un manquement à ses obligations découlant de son contrat de travail incompatible avec ses responsabilités.

La matérialité du grief est établie.

Une telle attitude, qui est de nature à porter préjudice aux relations d’ordre professionnel et de surcroit à la santé psychique d’une autre salariée, constitue un comportement fautif susceptible de rendre impossible le maintien de M. [W], cadre dirigeant, au sein de l’entreprise.

L’employeur, débiteur d’une obligation de sécurité à l’égard des salariés et garant du bien être au travail, est en effet tenu de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité, laquelle implique de pouvoir travailler dans un environnement exempt de toute pression.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations que le licenciement pour faute grave de M. [W] est fondé.

Le jugement sera en conséquence confirmé et M. [W] débouté de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail.

Sur la demande au titre de l’exécution déloyale

M. [W] reproche à son employeur de ne pas avoir mené toutes les investigations et de pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour faire la lumière des agissements dénoncés et a manqué de ce fait à son obligation de loyauté envers un salarié qui avait 32 ans d’ancienneté et aucun passé disciplinaire.

Cependant il a été jugé au point précédent que le licenciement était fondé.

Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de la demande présentée de ce chef.

Sur la demande au titre du préjudice moral

M. [W] fait valoir qu’il a été psychologiquement brisé à la suite de ce licenciement, ce qui l’a plongé dans un état anxiodépressif dont il garde de vifs stigmates.

Il sera rappelé que le salarié licencié peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, à la condition de justifier d’une faute de l’employeur dans les circonstances entourant le licenciement de nature brutale ou vexatoire, la simple mise en oeuvre d’une mise à pied conservatoire et une éviction brutale ne pouvant caractériser un comportement fautif de l’employeur.

En l’espèce, le salarié établit par des pièces médicales avoir été suivi pour un syndrome dépressif réactionnel à son licenciement.

Cependant, en l’absence de toute faute démontrée imputable à l’employeur dans le prononcé du licenciement puis dans le cadre du présent litige, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [W] de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice moral.

Sur le remboursement des frais professionnels

M. [W] sollicite un remboursement de frais à hauteur de 393, 53 euros, faisant valoir qu’il a transmis sa demande à son employeur .

L’Afdas fait valoir que M. [W] n’a jamais envoyé les documents complétés et n’a jamais produit les justificatifs de sorte qu’il doit être débouté de sa demande.

Il est admis que les frais professionnels nécessaires à l’exécution du contrat de travail doivent être remboursés au salarié par l’employeur à moins qu’il n’ait été contractuellement prévu que le salarié en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire.

Par courrier en date du 26 juillet 2017, M. [W] réclamait le règlement de ses frais professionnels en ces termes « je vous propose de me verser une somme forfaitaire de 50% du montant des frais d’indemnités kilométriques 2016 déclarées au service comptabilité de l’Afads l’année dernière ».

Par courrier en date du 18 août 2017, l’Afdas l’informait que « afin de respecter nos obligations légales en la matière et conformément aux règles internes de l’Afdas nous vous invitons à compléter et à nous retourner les formulaires de référence (note de frais et remboursement des indemnités kilométriques) que nous joignons à ce courrier. Nous vous rappelons que les frais, autres que les frais kilométriques, doivent faire l’objet de justificatifs afin de pouvoir être remboursés.

Nous vous joignons la copie de votre agenda sur la période de référence pour vous permettre d’établir ces documents ».

Il ressort des pièces versés au débat que M. [W] ne produit aucun justificatif des frais qu’il indique avoir engagés, la production de son agenda sur l’année 2017 ne permettant pas à la Cour d’en faire le calcul.

Dès lors, il sera débouté de cette demande.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante, M. [W] sera condamné aux dépens d’appel.

L’équité ne justifie pas qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [W] aux dépens d’appel ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

La greffière, La Présidente.


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