Droit du spectacle vivant : 13 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/19368

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Droit du spectacle vivant : 13 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/19368
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13 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/19368

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2023

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19368 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CET7U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 18/07050

APPELANTE

Madame [W] [J] [S] épouse [V]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Delphine TINGRY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0196

INTIMEE

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Marc BAILLY, Président, et Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,entendue en son rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Marc BAILLY, Président

M. Vincent BRAUD, Président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,chargée du rapport

Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, Président de chambre et par Yulia TREFILOVA,Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 novembre 2021, Mme [W] [S] (épouse [V], nom d’usage) a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 7 septembre 2021 dans l’instance l’opposant à la société BNP Paribas, qu’elle avait assignée en responsabilité (pour manquement à son devoir de mise en garde), l’a déboutée de toutes ses demandes, et l’a condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile).

À l’issue de la procédure d’appel clôturée le 9 mai 2023 les moyens et prétentions des parties s’exposent de la manière suivante.

Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 avril 2023, l’appelant, Mme [V],

présente ainsi qu’il suit ses demandes à la cour :

‘Vu les dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil, dans leurs dispositions antérieures à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;

Vu la jurisprudence citée ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les pièces visées.

Il est demandé à la cour d’appel de Paris de bien vouloir :

– Dire et juger Madame [V] recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

– Infirmer le jugement querellé en ce qu’il a :

-Débouté Madame [Y] [S] épouse [V] de ses demandes de condamnation de la société BNP Paribas ;

-Condamné Madame [Y] [S] épouse [V] à verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

-Condamné Madame [Y] [S] épouse [V] aux dépens.

Statuant à nouveau,

– Dire et juger que la société BNP Paribas a manifestement manqué à son obligation de mise en garde à l’égard de Madame [V], ès qualités ;

– Dire et juger que ce manquement a porté préjudice à Madame [V] qui a perdu la chance de ne pas se porter caution solidaire du remboursement du prêt consenti par BNP Paribas à la société [Localité 5] ;

En conséquence,

– Condamner BNP Paribas à payer à Madame [V] la somme de 748 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle subit, au regard de son engagement de caution solidaire et du passif de la société [Localité 5] ;

– Condamner BNP Paribas à payer à Madame [V] la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral ;

– Condamner BNP Paribas à payer à Madame [V] la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile outre les entiers frais et dépens de la présente procédure ainsi que de celle de première instance dont distraction est requise au profit de Maître Delphine Tingry, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.’

Par uniques conclusions communiquées par voie électronique le 26 avril 2022 l’intimé, la société BNP Paribas

demande à la cour, en ces termes :

‘Vu les articles 1103 nouveau (ancien article 1134) et 2288 (ancien) du code civil,

Vu les pièces du dossier,

Vu la jurisprudence citée,

-Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il :

-déboute Mme [Y] [S] épouse [V] de ses demandes de condamnation de la société BNP Paribas ;

-condamne Mme [Y] [S] épouse [V] à verser une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamne Mme [Y] [S] épouse [V] aux dépens.

-dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

-Débouter Madame [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-Condamner Madame [V] à payer à BNP Paribas la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.’

Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Selon acte authentique en date du 13 novembre 2014, la société [Localité 5], société par actions simplifiée dont la présidente et unique associée est Mme [Y] [S] épouse [V], a acquis des locaux, situés [Adresse 6], lieudit ‘[Adresse 6]’, à [Localité 5] (Indre). Ces locaux au jour de la vente étaient déjà loués, aux termes d’un bail de neuf années dont une période ferme de six années, depuis le 1er novembre 2010, à la société RLPG [Localité 5] y exploitant un fonds de commerce sous l’enseigne Leader Price appartenant au groupe Casino.

L’acquisition a été en totalité financée au moyen d’un prêt consenti par la société BNP Paribas, d’un montant de 930 000 euros, remboursable au taux de 2,80 % en 180 mensualités de 6 333,33 euros chacune, et garanti, entre autres, par l’engagement de caution solidaire de Mme [S] à hauteur de la somme de 1 209 000 euros.

Par acte d’huissier de justice daté du 4 mars 2016, la société RLPG [Localité 5], qui avait cessé toute activité dans les lieux dès le 20 février 2016, a fait délivrer son congé à son bailleur. En l’absence de nouveau preneur, la banque, par avenant du 11 octobre 2017, a consenti à la société [Localité 5] le gel du remboursement du prêt pendant 12 mois, et à l’expiration du différé total les parties sont convenues d’un rééchelonnement du remboursement du prêt, en 152 versements mensuels d’un montant de 6 510,67 euros chacun.

Par jugement en date du 6 juin 2018, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de sauvegarde en faveur de la société [Localité 5]. La période d’observation a été prolongée, pour une nouvelle période de six mois, par jugement du 21 novembre 2018, et à nouveau, à titre exceptionnel jusqu’au 6 décembre 2019. Enfin, par jugement du 4 décembre 2019, le tribunal a arrêté un plan de sauvegarde en faveur de la société [Localité 5], en dix annuités représentant chacune 10 % de la dette.

Mme [S] a alors fait assigner en responsabilité la société BNP Paribas, pour manquement à son devoir de mise en garde à l’égard de la caution.

Parallèlement, la société [Localité 5] a introduit une action en nullité de la vente pour dol ou erreur, que le tribunal de grande instance de Créteil a déclaré irrecevable. Le jugement a été infirmé par la Cour d’appel de Paris, qui sur le fond a débouté la société [Localité 5] de ses demandes. Saisie de pourvoi, la Cour de cassation, par arrêt du 5 novembre 2020, a retenu l’absence de dol, rappelant que la rentabilité économique d’un investissement immobilier, lorsque celle-ci n’était pas entrée dans le champ contractuel, ne constitue pas une qualité substantielle du bien objet d’une vente immobilière.

Comme en première instance Mme [V] à l’appui de ses prétentions met en avant sa qualité de caution non avertie, étant profane en matière d’investissement commercial. Elle expose avoir longtemps travaillé dans le milieu du cinéma (comme directrice de casting) puis dans le domaine de l’organisation de concerts. Entre 2012 et 2014, elle a vendu des biens immobiliers afin de pouvoir se porter acquéreur de locaux commerciaux, au travers de trois sociétés, et avec l’aide de professionnels. Il s’agissait là de sa première opération commerciale, et ces acquisitions ont été réalisées courant 2014 au cours d’une période de quelques mois, trop courte pour que Mme [V] ait le temps d’acquérir des connaissances en matière d’investissement commercial. En outre, même la présence de professionnels avertis aux côtés de l’emprunteur ne dispense pas la banque de délivrer des conseils. Or, la BNP Paribas a consenti à la société [Localité 5] un prêt risqué, s’abstenant de procéder à une analyse financière de l’opération commerciale envisagée. La société BNP Paribas ne s’est pas renseignée sur la viabilité financière du projet, ni sur la valeur réelle du bien à financer, ni sur la situation financière du preneur, la société RLPG [Localité 5]. Le crédit ne pouvait être consenti à la société [Localité 5] sur la seule base de la capacité financière de Mme [V], et la banque aurait dû alerter cette dernière sur le risque important de non-remboursement du prêt en cas de départ du locataire.

La société BNP Paribas répond, comme en première instance, qu’il n’appartient pas à la banque prêteur de fonds de vérifier l’opportunité économique de l’opération financée. Aussi, le devoir de mise en garde ne s’exerce qu’à l’égard de la caution profane et en cas de crédit excessif. Or, en l’espèce, Mme [V] est ‘avertie’, dès lors qu’elle bénéficie d’une forte expérience en matière d’investissement immobilier et ce même en ce qui concerne l’investissement immobilier commercial, puisqu’elle a procédé à des investissements en 2014 par l’intermédiaire de trois sociétés dans trois ensembles immobiliers commerciaux. Elle détenait quarante biens immobiliers, et la production de nombreux mails qu’elle a échangés avec la BNP Paribas démontre qu’elle avait des connaissances suffisantes pour appréhender les enjeux d’un prêt accordé à la société dont elle est la seule dirigeante et pour laquelle elle s’est portée caution. S’agissant du risque d’endettement excessif, ce risque tant pour la société que pour la caution n’est pas démontré dès lors que Mme [V] ne verse aucun élément sur son patrimoine ni sur la situation financière de la société [Localité 5].

Sur ce,

Il doit être rappelé que sauf convention contraire, le banquier en sa qualité de prêteur de deniers n’a pas d’obligation de conseil sur l’opportunité économique de l’opération financée, et qu’il n’a pas à se substituer à l’emprunteur pour s’assurer de la rentabilité de l’entreprise ou de la viabilité du projet, étant au contraire tenu de ne pas s’immiscer dans les affaires de son client. Ainsi, en l’espèce, contrairement à ce que défend Mme [V], la banque BNP Paribas n’avait pas à s’intéresser à l’adéquation du montant du loyer par rapport au chiffre d’affaires réalisé par le preneur, ou à le rapporter à ceux pratiqués dans la région pour ce secteur d’activité, ni à expertiser la valeur du bien financé (ce qui selon l’appelante aurait permis de constater que le bien a été acheté à un prix trop élevé et que le loyer était excessif la preuve en étant selon elle, que les locaux n’ont pu être reloués que six ans plus tard pour un loyer inférieur de 54 % à celui qui était en cours au moment de l’acquisition de l’immeuble).

En revanche, il est de principe que le banquier est tenu, à l’égard de la caution, au jour de son engagement, et ce à supposer qu’elle soit profane, à un devoir de mise en garde, lorsqu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti lequel résulte de l’inadéquation du prêt aux capacités financières de la caution ou à celles de l’emprunteur.

Aussi, ce devoir de mise en garde pèse sur le banquier quand bien même l’engagement de la caution serait proportionné par rapport à ses facultés financières, dès lors que le concours bancaire garanti par la caution était d’emblée voué à l’échec, rendant inéluctable la mise en oeuvre de la caution.

En l’espèce, tout d’abord, c’est à juste titre que le premier juge a relevé que Mme [V] ne donne pas de renseignements sur sa situation financière actuelle. En réalité elle se borne à indiquer qu’elle paiera l’annuité du plan sur ses deniers personnels, sans aucunement prétendre qu’elle serait dans l’impossibilité de le faire.

Ensuite, comme jugé par le tribunal, le prêt immobilier litigieux était remboursable par échéances d’un montant mensuel de 6 333 euros tandis que les loyers étaient de 7 916,67 euros par mois, et aucun élément dans le dossier, au moment de l’octroi du crédit, ne permettait d’en déduire que le preneur pouvait quitter les lieux sans permettre de louer les locaux pour un prix similaire. D’ailleurs, la société BNP Paribas fait elle aussi observer que le prêt a été remboursé pendant trois ans, et que les difficultés sont apparues lorsque la société [Localité 5] a perdu son locataire, de sorte que la perte locative que déplore Mme [V] est totalement étrangère à la société BNP Paribas.

Mme [V] ne rapporte donc pas la preuve, qui lui incombe, du caractère inadapté du concours accordé par la banque à la société [Localité 5], et donc d’une faute de la société BNP Paribas dans l’octroi du crédit au titre duquel Mme [V] s’est engagée comme caution.

Dans ces conditions, il n’y a pas même lieu d’examiner si Mme [V] est ou non caution avertie. Surabondamment, le premier juge ne saurait être factuellement contredit en ce qu’il a exactement souligné à cet égard, que Mme [V] a acquis trois ensembles immobiliers à usage commercial par le biais de trois sociétés différentes entre le 25 août 2014 et le 13 novembre 2014, en des localisations sur tout le territoire français (Indre, Meurthe et Moselle, Nord) et il est constant que pour y parvenir, Mme [V] a préparé l’opération qu’elle critique aujourd’hui, vendant six des quarante lots immobiliers qui constituaient son patrimoine immobilier dès 2012, pour une somme de 874 500 euros, et en s’entourant notamment des services d’un conseiller en investissement immobilier, et d’un avocat fiscaliste. Au vu de l’ensemble de ces éléments, Mme [V], quelle que fut et soit encore sa carrière professionnelle dans le domaine artistique, ne peut plus être considérée comme profane en matière d’investissement immobilier.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a été jugé qu’aucune mise en garde en sa qualité de caution, ne lui était due.

*****

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Mme [V] qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l’équité il y a lieu de faire droit à la demande de l’intimé formulée sur ce même fondement mais uniquement dans la limite de la somme de 4 000 euros, correspondant au montant auquel elle-même a évalué ses propres frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE Mme [W] [S] épouse [V] à payer à la société BNP Paribas la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

DÉBOUTE Mme [W] [S] épouse [V] de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE Mme [W] [S] épouse [V] aux entiers dépens d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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