Droit du Numérique : Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 3, 14 décembre 2022, 22/06002

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Droit du Numérique : Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 3, 14 décembre 2022, 22/06002

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRET DU 14 DECEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06002 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQMH

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Mars 2022 -Président du TC de PARIS – RG n° 2022009259

APPELANTE

S.A.S. BIOSERENITY prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

assistée par Me François JONQUERES, avocat au barreau de PARIS, toque : J031

INTIMÉE

S.A.S. BIOSENCY prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

assistée par Me Sarah GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : R255

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre

Jean-Christophe CHAZALETTE, Président

Patricia LEFEVRE, conseillère

Greffier, lors des débats : M. Olivier POIX

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-Paul BESSON et par Olivier POIX, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

******

La société Bioserenity, fondée en 2014 est spécialisée dans le domaine de la recherche en biotechnologie et plus particulièrement dans le développement de dispositifs médicaux

intelligents, fournissant à ce titre des solutions de diagnostic des patients à distance.

Elle est titulaire de deux marques verbales BioSerenity l’une française et l’autre internationale désignant notamment les classes de produits 9, 42 et 44 ainsi que de la marque française Smart Healthcare Solutions.

La société Biosency, immatriculée le 12 juillet 2017, est également spécialisée dans la recherche et le développement de dispositifs médicaux. Elle a développé un dispositif médical français de télé suivi et de prévention dédié aux insuffisants respiratoires chroniques, sous la forme d’un bracelet connecté BORA Brand ®, qui associé à l’application mobile Bora connect ® permet de transmettre en temps réel les paramètres biologiques du patient aux professionnels de santé.

Elle est titulaire de marques verbales et semi-figuratives françaises et de l’Union européenne BIOSENCY enregistrées pour désigner des produits et services notamment des classes 9 et/ou 42 et 44 ainsi que des marques françaises et de l’Union européenne BORA CONNECT, BORA BAND, BORA CARE.

Le 15 septembre 2020, la société Bioserenity a fait assigner la société Biosency devant le

tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de marques, en concurrence déloyale et parasitisme. Par un jugement de plein droit exécutoire par provision en date du 2 décembre 2021, le tribunal a débouté la société Bioserenity de l’intégralité de ses demandes et a fait droit à la demande reconventionnelle de la société Biosency en nullité de la marque Smart Healthcare Solutions. Le 10 février 2022, la société Bioserenity a interjeté appel de cette décision.

Parallèlement, le 5 janvier 2022, la société Bioserenity a saisi la société Apple Inc. d’une plainte au motif que l’application Bora connect présente sur Apple store porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle à savoir à sa marque Bioserenity.

La société Biosency a été avisée de cette plainte par un courriel d’Apple Inc. du 19 janvier 2022 qui lui rappelait que le fait de ne pas répondre au plaignant ou de ne pas prendre des mesures en vue de résoudre le litige pouvait conduire à la suppression de l’application en cause.

Dans sa réponse en date du 25 janvier 2022, la société Biosency a informé Apple Inc. de la teneur de la décision du tribunal judiciaire en date du 2 décembre 2022 et que la seule occurrence du terme Biosency qui apparaît sur l’application Bora Connect correspond à une référence de sa dénomination sociale ; elle lui a demandé de ne prendre aucune mesure de suppression.

Le 1er février 2022, la société Bioserenity a informé Apple Inc. qu’elle entendait maintenir sa plainte dans la mesure où un contentieux était en cours en Europe et qu’elle était seule titulaire d’une marque aux Etats-Unis qu’elle entendait protéger, ; elle écrivait accepter que l’application demeure sur le site Apple store sous le nom Bora connect à la condition que le nom Biosency soit complètement supprimé et elle sollicitait au minimum qu’Apple retire l’application Biosency de l’Apple store américain puisque Biosency n’a pas de marque américaine (ajoutant qu’elle ne disposait pas d’autorisation de FDA). Puis devant le refus de la société Biosency, elle a réitéré auprès d’Apple Inc. le 8 février 2022, sa demande de retrait de l’application partout où cela est possible et au minimum aux Etats-Unis jusqu’à ce que (la société Biosency) retire le terme Biosency de l’application.

Par un courriel du 16 février 2022, la société Biosency a rappelé à Apple Inc. la teneur de la décision du 2 décembre 2021 ; elle l’a informée d’une part, que dès lors qu’elle n’était pas encore présente dans tous les pays, elle avait retiré l’application Bora Connect de l’Apple store dans les pays où elle n’était pas encore présente et d’autre part, de son intention de réinstaller l’application au fur et à mesure de son expansion territoriale.

Autorisée par une ordonnance du 16 février 2022, la société Biosency a, par un acte extra-judiciaire du 17 février 2022, fait assigner la société Bioserenity en référé d’heure à heure devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin qu’il lui soit principalement sous astreinte, ordonné de retirer sa plainte déposée le 5 janvier 2022, de diffuser le jugement du 2 décembre 2021 auprès des hébergeurs auprès desquels elle a déposé une plainte ou réclamation et qu’il lui soit interdit de déposer toute autre plainte ou réclamation à un hébergeur à l’encontre de l’application mobile Bora Connect, et tout autre produit de ses produits.

Par ordonnance contradictoire du 4 mars 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :

– ordonné à la société Bioserenity de retirer sa plainte déposée le 5 janvier 2022 auprès de l’App Store, ainsi que toute autre plainte ou réclamation qu’elle aurait pu déposer auprès d’un hébergeur à l’encontre de l’application mobile Bora Connect et tout autre produit de la société Biosency et sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard, passé un délai d’une semaine à compter de la signification de l’ordonnance et pour une période de deux mois ;

– interdit à la société Bioserenity de déposer toute plainte ou réclamation similaire à l’encontre de l’application Bora Connect ou tout autre produit de la société Biosency sous astreinte de 20.000 euros par infraction constatée à compter de la présente ordonnance ;

– débouté la société Biosency de ses demandes de diffusion d’une copie du jugement du 2 décembre 2021 et de publication de la présente ordonnance ;

– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande d’indemnisation ;

– condamné la société Bioserenity à verser à la société Biosency la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance,

-dit que sa décision est de plein droit exécutoire par provision.

Le 18 mars 2022, la société Bioserenity a interjeté appel et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 juillet 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des prétentions et des moyens développés, elle demande à la cour, au visa des articles 485, 700 et 873 du code de procédure civile et de l’article 6 I.4 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 d’infirmer l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a débouté la société Biosency de ses demandes de diffusion du jugement du 2 décembre 2021 et de publication de l’ordonnance du 4 mars 2022 et dit n’y avoir lieu à référé sur la demande d’indemnisation et statuant à nouveau, de dire n’y avoir lieu à référé et annuler les mesures d’interdiction prononcées à son encontre, à savoir l’ordre qui lui a été donné de retirer sa plainte déposée le 5 janvier 2022 auprès de l’App Store, ainsi que toute autre plainte ou réclamation qu’elle aurait pu déposer auprès d’un hébergeur ainsi que l’interdiction de déposer toute plainte ou réclamation similaire. Elle soutient également le débouté des demandes de la société Biosency au titre de son appel incident ainsi que ses demandes de dommages et intérêts pour abus du droit d’appel, sollicitant que la société Biosency lui rembourse la somme de 5 000 euros versée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et qu’elle soit condamnée à lui payer sur ce même fondement la somme de 15 000 euros et aux entiers dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des prétentions et des moyens développés la société Biosency soutient au visa des articles 485, 559, 873, 905 et suivants du code de procédure civile, de l’article 6 I.4 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et de l’article 1240 du code civil, la confirmation de l’ordonnance déférée dans ses dispositions lui sont favorables et son infirmation en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes de diffusion et de publication et qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé.

Elle sollicite que la cour, statuant à nouveau,

– interdise à la société Bioserenity de diffuser toute information de nature à faire croire que ses produits porteraient atteinte aux marques Bioserenity, sous astreinte de 300 000 euros par infraction constatée à compter de la décision à intervenir ;

– lui ordonne de :

– diffuser à l’ensemble des hébergeurs auprès desquels elle a déposé une plainte ou réclamation pour atteinte à ses droits à l’encontre de l’application Bora Connect, une copie du jugement du 2 décembre 2021, et ce sous astreinte de 200.000 euros par jour de retard, passé un délai de 24 heures à compter de la décision à intervenir ;

– publier l’ordonnance à intervenir, en français et en anglais, sur la page du site internet www.bioserenity.com en une police et taille de caractère 16, pendant un délai de 30 jours à compter de sa mise en ligne, et ce sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard, passé un délai de 5 jours à compter de la décision à intervenir ;

– astreintes dont elle se réservera la liquidation ;

Elle réclame également :

– l’autorisation de publier l’ordonnance à intervenir, en intégralité ou par extraits de son choix, sur son site internet www.biosency.com pendant un délai de 30 jours à compter de sa mise en ligne ainsi qu’en intégralité ou par extraits de son choix, dans cinq journaux, revues ou magazines de son choix, aux frais avancés de la société Bioserenity, sans que le coût de chaque insertion ne puisse dépasser la somme de 5 000 euros HT ;

– la condamnation de la société Bioserenity à lui verser la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus en réparation de son préjudice moral ;

– et en tout état de cause de débouter la société Bioserenity de ses demandes, de statuer ce que de droit sur l’amende civile de 10 000 euros au titre de l’abus du droit d’appel et de la condamner à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des dommages et intérêts pour abus du droit d’appel et celle de 70 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

La société Bioserenity prétend que le premier juge a, pour faire droit aux demandes de la société Biosency, fait une appréciation erronée des faits et du droit. Elle nie l’existence d’un trouble manifestement illicite comme celle d’un dommage imminent, ce que conteste la société Biosency faisant valoir que le signalement auprès d’Apple Inc. est manifestement illicite au regard des dispositions de l’article L6 I-2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et constitue un acte de concurrence déloyale ; elle prétend être exposée à un risque de réitération d’un acte dommageable.

La société Bioserenity nie le caractère manifestement illicite du trouble dont se plaint la société Biosency. Elle fait valoir que son dirigeant qui réside aux Etats-Unis a, ainsi qu’il est classique en matière de nouvelles technologies, mis en place une alerte afin de garder un oeil sur les activités de ses concurrents et qu’il a ainsi été informé de la mise à disposition du public d’une application de la société Biosency sur l’Apple store, y compris aux Etats-Unis alors que sa commercialisation n’est pas autorisée sur ce territoire. Elle conteste que sa plainte ne soit pas fondée dès lors qu’elle est seule titulaire d’une marque américaine, le signe Bioserenity sous laquelle elle vend ses produits et que sa demande concernait en particulier l’application Biosency aux Etats-Unis. Elle prétend justifier d’un risque de confusion entre les signes. Elle explique que dans le cadre de la procédure d’examen de la demande de retrait ouverte le service des litiges de l’Apple store, le litige a été rapidement circonscrit au territoire des Etats-Unis et déduit du retrait volontaire de l’application par son adversaire que sa plainte ne peut pas être qualifiée d’abusive. Elle invoque la portée limitée territorialement de la décision du 2 décembre 2021, et rappelle qu’elle en a interjeté appel.

Ainsi que l’avance la société Biosency, la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit que les hébergeurs n’engagent leur responsabilité civile que s’ils continuent à diffuser un contenu illicite dont le caractère manifestement illicite leur a été signalé (article 6-I.2) et elle sanctionne pénalement le fait pour toute personne, de présenter (aux hébergeurs) un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion alors qu’elle sait cette information inexacte (article 6-I.4).

La société Biosency a développé une solution médicale connectée, Bora Care de télé-suivi et de prévention dédié aux insuffisants respiratoires chroniques qui a, ce qui n’est pas contesté, obtenu un marquage CE. Ce dispositif médical est composé d’un bracelet connect dénommé Bora band qui est associé à une application mobile Bora connect qui doit être téléchargée sur un smartphone, application sans laquelle le bracelet ne peut pas fonctionner.

Le 5 janvier 2022, la société Bioserenity a saisi la société Apple Inc. d’une plainte dénonçant comme portant atteinte à ses droits de propriété intellectuelle (sa marque Bioserenity) la présence de l’application mobile Bora connect.

Or à cette date, la société Bioserenity ne pouvait pas ignorer la teneur de la décision du 2 décembre 2021 exécutoire par provision et qui écartait de façon particulièrement argumentée, toute contrefaçon de ses marques françaises et européenne Bioserenity par le signe Biosency ; le tribunal estimait également que ne constituaient pas des preuves pertinentes d’un risque de confusion, le message posté sur le réseau Linkedin par M. [N] ainsi que le message électronique de la société Icosa, messages qui sont également produits dans le cadre du présent litige et auxquels la société Bioserenity fait allusion dans les courriels adressés à Apple Inc.

La société Bioserenity a dénoncé une atteinte à ses droits de propriété industrielle, sans la moindre restriction ou réserve, tout en sachant que cette plainte exposait la société Biosency à un retrait de son application.

Elle a été destinataire en copie du courriel du 25 janvier 2022 par lequel la société Biosency informait Apple Inc. de la teneur de la décision du tribunal judiciaire en date du 2 décembre 2022 et que la seule occurrence du terme Biosency qui apparaît sur l’application Bora Connect correspond à une référence de sa dénomination sociale.

Par un courrier électronique du 1er février 2022, la société Bioserenity a informé à Apple Inc. qu’elle entendait maintenir sa plainte dans la mesure où un contentieux était en cours en Europe et qu’elle était seule titulaire d’une marque aux Etats-Unis, écrivant qu’elle acceptait que l’application demeure sur le site Apple store sous le nom Bora connect à la condition que le nom Biosency soit complètement supprimé, sollicitant au minimum qu’Apple retire l’application Biosency de l’Apple store américain puisque Biosency n’a pas de marque américaine, concluant veuillez également noter que Biosency n’a pas d’autorisation de la FDA pour son application/appareil. Ce qui a amené Apple Inc à constater, ainsi qu’il ressort du message adressé aux deux sociétés le 1er février suivant, que la question n’est pas résolue pour le moment.

Contrairement aux allégations de la société Bioserenity, celle-ci n’a pas circonscrit sa plainte au seul territoire américain puisqu’elle subordonnait alors le maintien de l’application Bora connect sur l’Apple store à la suppression de toute référence à la dénomination sociale de la société intimée, sans la moindre restriction territoriale ainsi que, a minima le retrait de l’application sur le territoire américain.

A cette occasion, elle dénonce malicieusement un défaut d’autorisation entretenant une confusion entre le dispositif médical et l’application téléchargeable nécessaire à son fonctionnement. En effet, il n’est pas contesté que seule l’application Bora connect est accessible sur l’Apple store et qu’elle ne peut donc être utilisée que par des patients qui ont par ailleurs acquis le bracelet électronique sur un territoire couvert par le marquage CE.

Elle a ensuite, dans son courriel du 8 février 2022 invoquant l’enregistrement de sa marque aux Etats-Unis et l’autorisation de la FDA dont elle dispose, demandé à Apple Inc d’agir dans l’intérêt des patients et de retirer l’application partout où cela est possible et au minimum aux Etats Unis jusqu’à ce que (la société Biosency) retire le terme Biosency de l’application.

La cour ne peut pas suivre la société Bioserenity dans une démarche qui occulte tant la date de la plainte que son contenu.

Sa bonne foi doit s’apprécier à la date de la plainte, le 5 janvier 2022. Il doit être fait le constat qu’elle a dénoncé une atteinte à ses droits de marque, sans restriction territoriale, alors qu’elle savait que son action en contrefaçon avait été jugée mal fondée par une décision exécutoire par provision et dont les effets, eu égard à la détention de marque française et européenne, s’étendaient au-delà du territoire national, ce qui suffit à établir l’existence, avec l’évidence requise en référé d’un trouble manifestement illicite.

Il convient d’ajouter qu’elle prétend en contradiction avec ses échanges avec Apple Inc avoir précisé l’objet de sa démarche à savoir le retrait aux USA, dans la mesure elle a toujours maintenu une demande excédant ce territoire, réclamant dans son dernier courriel la suppression de l’application partout où cela était possible ;

De plus, dans son courriel adressé à Apple Inc le 17 février 2022, le dirigeant de la société Bioserenity prétend avoir obtenu satisfaction, écrivant que la société Biosency a reconnu, par le retrait de son application, le bien fondé de sa demande. Il considère que le problème était résolu, si comme il croit le savoir, la société Biosency a retiré l’application dans tous les pays à l’exception de la France.

Or ce courriel a été envoyé, le 17 février 2022 à 18h16 soit le jour où la société Bioserenity a été assignée en référé d’heure à heure et qu’elle avait été destinataire du courriel adressé la veille par la société Biosency. Les termes de ce message étaient dépourvus d’ambiguïté quant à la portée de la décision du 2 décembre 2021 et la société Biosency précisait que n’étant pas présente dans tous les pays, elle retirait l’application Bora Connect de l’Apple store dans les pays où elle n’était pas encore présente mais qu’elle avait l’intention de réinstaller l’application au fur et à mesure de son expansion territoriale.

Ce retrait auquel a été contrainte la société Biosency ne constitue pas l’aveu qu’y voit la société Bioserenity de la légitimité de sa plainte, le courriel du 16 février 2022 est explicite tant sur le fait que la société Biosency estimait sa position fondée et sur les limites territoriales du retrait quant à son intention de réinstaller son application au fur et à mesure de son expansion territoriale.

Aucun des arguments de la société Bioserenity pour écarter un trouble manifestement illicite qui subsistait à la date de l’audience devant le juge des référés du tribunal de commerce et qui subsiste, ne résiste à l’examen.

Par ailleurs, compte tenu des effets d’un déréferencement de l’application sur l’Apple store (sa désactivation et donc un arrêt de la continuité de fonctionnement du dispositif connecté pour les patients), la menace de celui-ci suffit à caractériser le dommage imminent qui justifie qu’il soit fait injonction à la société Bioserenity de retirer sa plainte du 5 janvier 2022.

En effet, la société Biosency ne peut pas envisager de reprendre l’expansion de son activité, notamment à destination de nouveaux territoires, sans faire cesser la menace que fait peser la plainte déposée le 5 janvier 2022, sur la pérennité du référencement de son application et donc sur la continuité de son fonctionnement.

Dès lors, la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a ordonné à la société Bioserenity de retirer sa plainte déposée le 5 janvier 2022 auprès de l’App Store.

Statuant en référé, le premier juge ne pouvait pas étendre son injonction à d’autre hébergeur qu’il n’identifie pas ou à d’autres produits en l’absence de démonstration d’un dépôt d’une autre plainte ou autre réclamation, ou de l’intention exprimée ou démontrée de la société Bioserenity de procéder à une réclamation auprès d’un autre héberger. Pour les mêmes motifs, il ne pouvait pas interdire toute autre plainte ou réclamation similaire.

Ces demandes seront rejetées et l’ordonnance querellée sera infirmée en ce qu’elle a étendu l’obligation de retrait à toute autre plainte ou réclamation qu’elle aurait pu déposer auprès d’un hébergeur à l’encontre de l’application mobile Bora Connect et tout autre produit de la société Biosency et en ce qu’elle a interdit à la société Bioserenity de déposer toute plainte ou réclamation similaire à l’encontre de l’application Bora Connect ou tout autre produit de la société Biosency.

Dans le cadre de son appel incident, la société Biosency entend obtenir qu’il soit fait interdiction à la société Bioserenity de diffuser toute information de nature à faire croire que ses produits porteraient atteinte à ses marques, sans pour autant justifier que la société Bioserenity aurait diffusé de telles informations ni même qu’elle aurait tenté de la faire. Le dirigeant de la société Bioserenity a de surcroît clairement exprimé, dès le 17 février 2022 d’attendre avant toute nouvelle démarche qu’il soit statué sur le mérite de l’appel dirigé à l’encontre de la décision du 2 décembre 2021 et l’existence de ce recours est également un obstacle à l’accueil de cette prétention.

Pour les motifs qui précèdent, la demande de diffusion de la décision du 2 décembre 2021, qui n’est pas définitive sera rejetée, comme les demandes de publication de l’arrêt à intervenir. Il convient d’ajouter que ses mesures, au regard des motifs principalement invoqués à leur soutien (rétablir la vérité sur le caractère mensonger de la dénonciation, sauvegarder la réputation de l’entreprise) apparaissent comme des mesures de réparation, qui de surcroît présentent un caractère irréversible qui exclut qu’elles soient prononcées par le juge des référés.

La société Biosency réclame des dommages et intérêts provisionnels au titre d’un préjudice moral, qu’elle se contente d’invoquer sans apporter aux débats le moindre élément pour le caractériser et en déterminer le quantum.

La décision déférée sera confirmée sur le rejet de ces demandes.

Enfin, la société Biosency prétend à l’allocation de dommages et intérêts au titre de l’abus du droit d’appel, demande qui compte tenu de l’infirmation partielle de l’ordonnance entreprise, ne peut pas prospérer.

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et frais irrépétibles seront confirmées. A hauteur d’appel, chacune des parties conservera la charge de ses frais répétibles et irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance rendue le 4 mars 2022 en ce qu’elle a :

– ordonné à la société Bioserenity de retirer sa plainte déposée le 5 janvier 2022 auprès de l’Apple Store, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, passé un délai d’une semaine à compter de la signification de l’ordonnance et pour une période de deux mois ;

– débouté la société Biosency de ses demandes de diffusion d’une copie du jugement du 2 décembre 2021 et de publication de la présente ordonnance ;

– dit n’y avoir lieu à référé sur la demande d’indemnisation ;

– condamné la société Bioserenity à verser à la société Biosency la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance

– rappelé que sa décision était de plein droit exécutoire par provision ;

et l’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Déboute la société Biosency de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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