Licenciement pour insuffisance professionnelle

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Licenciement pour insuffisance professionnelle

25 mai 2023
Cour d’appel de Paris
RG
21/00730

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 25 MAI 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00730 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAF6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/08996

APPELANT

Monsieur [O] [U]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083

INTIMEE

S.A.S. AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le n° d’immatriculation 428 785 042,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Cécile FOURCADE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1815

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Nicolas TRUC, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [O] [U] a été embauché par la société Amazon France logistique selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2014 en qualité de responsable « supply chain ».

En 2017, il s’est vu confier les fonctions de responsable des opérations logistiques sur le site de l’entreprise situé à [Localité 5].

Après entretien préalable le 5 décembre 2017, M. [U] a été licencié par lettre recommandée du 12 décembre 2017 ainsi rédigée :

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement par courrier remis en main propre le 27 novembre 2017.

Au cours de cet entretien qui s’est tenu le mardi 5 décembre 2017, auquel vous vous êtes présenté assisté de Madame [Z] [A], Représentante du Personnel, nous vous

avons exposé les motifs nous conduisant à envisager une mesure de licenciement pour motif personnel à votre encontre.

Les explications que vous nous avez fournies au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation de ces faits, de sorte que nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, lequel est fondé sur les motifs suivants.

Vous avez été embauché au sein de la Société à compter du 18 décembre 2014 en qualité de Responsable Supply Chain Amont, statut cadre niveau 7 selon la classi’cation de la convention collective applicable à la relation de travail.

Suite à une évaluation annuelle non satisfaisante faisant état de carences dans l’exercice de vos fonctions, vous avez exprimé votre volonté de changer d’environnement et de prendre un poste opérationnel dans un centre logistique, lequel devait vous permettre de parvenir à des résultats satisfaisants. Vous avez ainsi été retenu pour le poste de Responsable des Opérations logistiques, niveau 7 de la convention collective. Cela constituait un nouveau départ vous permettant de vous concentrer sur de nouveaux objectifs opérationnels.

A compter du 18 avril 2017, vous avez donc été affecté sur le site de [Localité 6] en attendant l’ouverture du site de [Localité 5] prévue fin septembre 2017, a’n de vous former au poste de Responsable des Opérations logistiques, en travaillant avec des collègues expérimentées.

Or malgré cette période de formation, vous n’avez pas su assimiler les attentes de ce poste, ni appliquer les process standards pourtant mis en place et vus lors de votre période de formation sur [Localité 6]. De plus, vous n’avez pas suivi les directives de votre responsable hiérarchique, notamment dans le cadre de vos missions de manager d’une équipe. Enfin, nous avons, à plusieurs reprises, eu à déplorer votre attitude d’opposition latente aux valeurs de l’entreprise.

En effet, nous déplorons tout d’abord vos carences dans vos missions d’application des standards Amazon, alors même que votre responsable hiérarchique vous a rencontré à plusieurs occasions a’n de vous rappeler les missions élémentaires que nous attendions de votre part.

Ainsi, dès le 13 octobre 2017, votre responsable hiérarchique, [M] [B], Directeur des Opérations logistiques, vous a indiqué lors de votre point hebdomadaire qu’il manquait des informations chiffrées dans le tableau de bord quotidien. Ces informations sont primordiales pour le bon fonctionnement de l’activité, afin de piloter les ‘ux de marchandises au quotidien, ou planifier les plans de transport. Vous lui avez alors indiqué que vous aviez en effet détecté dès la semaine 37, lors de la dernière semaine de formation sur le site de Lauvvin-Planque, que vous et vos équipes ne saviez pas remplir ce reporting.

Pourtant, vous n’avez rien mis en oeuvre pour résoudre cet écart ni sollicité d’aide de votre manager. Votre manager a constaté le 20 octobre dernier que ce reporting n’était toujours pas correctement effectué et les 6, 7 et 8 novembre 2017, votre homologue Responsable des Opérations logistiques dans le département réception vous a à nouveau demandé de remplir ces données, sans succès. Ces chiffres sont pourtant cruciaux puisque ce sont sur ces chiffres que se basent l’ensemble des calculs de capacité et de plans de transport, et vous n’avez pourtant pas pris la mesure de leur importance.

De même, vous avez pour responsabilité de préparer quotidiennement la feuille de route de vos équipes, leur indiquant les priorités, pour ainsi piloter au mieux la journée de travail.

Vous devez en effet leur donner les volumes attendus pour la journée (en termes de palettes et de camions attendus), et donc leur proposer une répartition des équipes en fonction de ces chiffres (répartition en fonction des différents process et du nombre de personnes formées à ces derniers).

Une fois encore, malgré les relances multiples et le soutien de votre responsable hiérarchique qui vous a proposé de reprendre exactement le modèle construit par votre homologue Monsieur [R] [W], vous n’avez pas su préparer correctement vos journées. Ainsi, le 10 novembre 2017, votre préparation insuffisante ne vous a pas permis de détecter une planification trop importante de camions par rapport à la dimension de l’équipe. Nous avons dû déplorer en milieu de journée plus de 20 camions en attente d’être déchargés, créant une file d’attente de plus de 3 heures sur le parking. Une telle désorganisation est très préjudiciable à la Société en ce qu’elle impacte directement les relations avec nos prestataires de transport et a mis en dif’culté toute l’équipe qui n’était pas prévenue d’une telle arrivée massive de camions.

Enfin, à la fin de votre journée de travail, il est impératif de remplir un document récapitulant les informations essentielles permettant une bonne passation avec l’équipe suivante. Force est de constater que vous n’avez pas rempli ce document systématiquement, et vous avez même cessé de le remplir à partir du 2 novembre, sans que vous soyez en mesure de nous indiquer les raisons de ces carences.

Ces points élémentaires sont pourtant cruciaux dans le pilotage de nos flux. Ainsi, si les équipes ne connaissent pas la marchandise en retard, ou attendue pour la journée, il est impossible de planifier les ressources de manière adéquate et d’avoir de la visibilité sur l’activité à venir.

Lorsque votre responsable hiérarchique vous l’a rappelé, vous avez indiqué que cela ne vous semblait pas être la priorité, marquant ainsi votre refus de vous conformer aux directives de votre supérieur hiérarchique et aux process de la Société.

En outre, le 5 octobre 2017, votre responsable hiérarchique vous a demandé d’initier un appel à volontariat auprès des salariés pour réaliser des heures supplémentaires dans votre équipe au vu du retard pris dans le déchargement des camions. Une fois encore, vous avez refusé de suivre les recommandations de votre supérieur hiérarchique, lequel refus a généré une désorganisation immédiate. En effet, 3 camions, qui représentent près de 3 000 unités, n’ont de ce fait pas pu être déchargés à temps ce jour-là, impactant la confiance des transporteurs envers notre site. En outre, cette marchandise n’a pas pu être mise en stock et donc proposée à nos clients sur le site internet. A nouveau, ces événements démontrent que vous ne prenez pas la mesure de vos responsabilités et des conséquences induites par vos manquements, ce qui n’est pas acceptable compte-tenu de votre expérience et de votre

niveau de responsabilité. Par ailleurs, nous avons également constaté des carences de votre part dans vos missions de manager. Votre responsable hiérarchique vous a demandé, à plusieurs reprises oralement, de formaliser des entretiens individuels avec votre équipe toutes les semaines. En effet, les managers de votre équipe étaient majoritairement inexpérimentés et nouvellement embauchés, et demandaient donc votre soutien. Malgré ces demandes, ces entretiens n’ont pas été formalisés, ne permettant pas à votre manager d’avoir une vision d’ensemble de l’équipe.

Pire encore, alors que votre responsable hiérarchique vous a demandé d’être vigilant sur le suivi du niveau d’apprentissage et de compétences de l’un de vos managers durant sa période d’essai, vous n’avez pas formalisé de point avec lui pour l’évaluer de manière objective et complète. Ainsi, malgré les différents rappels de la part de votre supérieur hiérarchique, vous avez réalisé votre évaluation de manière très tardive, nous obligeant à informer le salarié de la rupture de sa période d’essai de manière tardive également, ce qui a envoyé un message négatif à l’ensemble des équipes, et pourrait également ternir l’image employeur d’Amazon. En outre, cela n’a pas permis de prévoir suffisamment en amont un plan de remplacement, mettant les chefs d’équipe en difficulté. Cela prouve une nouvelle fois votre incapacité à accompagner, suivre et développer vos équipes, alors même que vous avez une expérience importante en tant que manager et notamment chez Amazon dont vous connaissiez déjà les méthodes utilisées.

En outre, vous avez laissé Madame [S] [N], Manager au sein de votre équipe, travailler le samedi 14 octobre sans lui avoir transmis aucune instruction et alors même qu’elle n’était pas suffisamment expérimentée pour gérer une équipe seule, sans directive.

Votre responsable hiérarchique a dû pallier vos carences et dû lui indiquer ses priorités pour la journée.

De même, lorsque Monsieur [P] [L], Manager au sein de votre équipe vous a indiqué vouloir quitter l’entreprise, vous n’avez pas tenté de comprendre les raisons de ce départ nl même les leviers qui auraient pu le faire rester, alors que cela relevait de vos missions managériales.

Le manque d’accompagnement des nouveaux managers de votre équipe n’a pas créé un sentiment de confiance et d’implication au sein de votre équipe, générant de la démotivation au sein de vos collaborateurs. Ainsi dans votre équipe, trois managers sur quatre (dont un seul pour lequel il s’agissait de notre décision) ont quitté la société dans les deux mois qui ont suivi le lancement du site. Nous regrettons et désapprouvons donc votre attitude démotivée et l’abandon de votre part de la recherche de solutions pour aider et soutenir votre équipe dans le cadre d’un lancement de site.

Vous avez par ailleurs, le 7 novembre 2017, écrit un email à votre responsable hiérarchique en lui indiquant que vous trouviez ses félicitations auprès d’un agent d’exploitation trop excessives, le percevant comme des félicitations

De manière générale, votre attitude passive voire même d’opposition ou de dénigrement à l’égard de votre supérieur hiérarchique et de la société que nous avons constatés ne sont pas en ligne avec les attentes légitimes de la société pour un salarié occupant un poste de votre niveau et vos responsabilités.

Enfin, le 9 novembre 2017, en fin de matinée, vous avez indiqué à une agent de sécurité, qui n’était pas sous votre responsabilité

Face à ce constat, il nous semble aujourd’hui manifeste que nous ne pouvons escompter aucune amélioration dans le futur.

Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, s’analysant en une insuffisance professionnelle, nous considérons que la situation actuelle rend impossible la poursuite de nos relations contractuelles.

Par la présente, nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse (…) ».

Le conseil de prud’hommes de Paris, saisi par M. [U] le 28 novembre 2018 en contestation de la rupture de son contrat de travail, l’a, par jugement du 26 novembre 2020, notifié le 2 décembre 2020, débouté de toutes ses demandes.

M. [U] a interjeté appel de cette décision par déclaration de son conseil au greffe de la cour d’appel de Paris le 30 décembre 2020.

Selon ses dernières conclusions remises et notifiées le 5 janvier 2023, M. [U] soutient devant la cour les demandes suivantes ainsi exposées :

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 26 novembre 2020 en ce qu’il a débouté M. [U] de toutes ses demandes, statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamner la société Amazon France Logistique à verser à M. [U] les sommes suivantes :

‘ rappel de salaire pour l’année 2017 : 4 500 euros, outre 450 euros au titre des congés payés afférents

‘ indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 45 000 euros ;

‘ dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 23 000 euros ;

‘ solde d’indemnité de non-concurrence : 9 850 euros, outre 985 euros au titre des congés payés afférents ;

‘ indemnisation de la perte de chance d’acquérir les actions attribuées en 2016 : 53 800 euros ;

‘ indemnité de procédure : 5 000 euros.

Dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes de Paris.

Ordonner la remise de bulletin de paye, attestation Pôle emploi et certificat de travail conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter d’un mois suivant la notification du jugement, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte.

Condamner la société Amazon France Logistique aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises et notifiées le 27 juin 2021, la société Amazon France logistique demande à la cour d’appel de :

‘ Déclarer mal fondé M.[O] [U] en son appel ;

‘ Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [O] [U] de l’ensemble de ses demandes,

‘ Débouter M. [O] [U] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

– Débouter M. [U] de ses demandes suivantes :

« Condamner la société Amazon France Logistique à verser à M. [U] les sommes suivantes :

‘ rappel de salaire pour l’année 2017 : 4 500 euros, outre 450 euros au titre des congés payés afférents

‘ indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 45 000 euros ;

‘ dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 23 000 euros ;

‘ dommages et intérêts pour nullité de la convention de forfait jours : 10 000 euros ;

‘ solde d’indemnité de non-concurrence : 9 850 euros, outre 985 euros au titre des congés payés afférents ;

‘ application de l’article L.8223-1 du code du travail (travail dissimulé) : 45 416,76 euros ;

‘ indemnisation de la perte de chance d’acquérir ses actions attribuées en 2016 : 67 262,58 euros ;

‘ indemnité de procédure : 5 000 euros.

Dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes de Paris.

Ordonner la remise de bulletin de paye, attestation Pôle emploi et certificat de travail conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter d’un mois suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte.

Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir au visa de l’article R.1454-28 du code du travail et de l’article 515 du code de Procédure Civile.

Condamner la société Amazon France Logistique aux entiers dépens. »

A titre reconventionnel,

– Condamner M. [O] [U] aux dépens et à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 janvier 2023.

Il est renvoyé pour plus ample exposé aux conclusions des parties évoquées ci-dessus.

Sur ce

1) Sur le licenciement

En application de l’article L.1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

En vertu des articles L.1235-1 et L.1235-2 du même code, dans leur version applicable au litige, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n’appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin par toute mesure d’instruction qu’il estime utile, il appartient néanmoins à l’employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement sus-reproduite reproche en substance à M. [U] les griefs suivants :

– le non-suivi des directives du responsable hiérarchique et des standards Amazon,

– une attitude passive voire d’opposition latente aux valeurs de l’entreprise,

– des carences managériales en raison d’un manque d’accompagnement des équipes,

– le dénigrement de son supérieur hiérarchique.

Elle précise (page 5) que l’ensemble des griefs reprochés à M. [U] s’analyse en une insuffisance professionnelle.

Celle-ci se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. L’appréciation de l’insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l’employeur mais ce dernier doit, en tout état de cause, invoquer des faits objectifs précis et vérifiables pour justifier le licenciement.

M. [U] conteste, pour sa part, la réalité des reproches de l’employeur, mettant en avant un environnement de travail extrèmement dégradé au sein du site de [Localité 5], nouvellement ouvert et dysfonctionnant, où il a été affecté en 2017, ainsi qu’une absence d’accompagnement de l’employeur pour faire face aux difficultés rencontrées.

Il convient de constater qu’il est essentiellement versé aux débats, relativement au travail accompli par M. [U] sur le site de [Localité 5], des échanges de courriels, dont un certain nombre, en anglais, ne sont pas traduits, relatifs, pour la plupart, à des questions, difficultés techniques ou situations (pièces 66-1 à 66.20 de l’intimée) dont le contexte demeure inconnu ou invérifiable et qui n’objectivent aucunement une insuffisance professionnelle de M. [U] dans la réalisation de ses tâches.

Il sera d’autre part observé qu’aucun document ne précise ou ne définit celles-ci comme les objectifs ou réalisations attendus de M. [U] en termes notamment de management ou de délais de traitement, le tableau non traduit intitulé « Inbound opération manager routine » (pièce 14 de l’employeur) n’autorisant aucun constat sur ce point.

Le courriel du 7 novembre 2017 (pièce 6-12 de l’employeur) aux termes duquel M. [U] fait part à son supérieur hiérarchique [M] [B] qu’il a trouvé son ton, son attitude et ses propos inappropriés lors de la « Gemba ROR » du matin et qui n’est manifestement que l’expression d’un désaccord de méthode entre deux salariés exerçant des fonctions d’encadrement, n’apparaît pas, non plus, de nature à caractériser une insuffisance professionnelle.

Les autres pièces produites par l’employeur à savoir plusieurs courriels de salariés

(Mme [G], M. [E] – pièces 6-20 et 13 ) évoquant M. [U] en termes négatifs ou les formations dont il a bénéficié, des lettres (pièces 9 et 10) avertissant des salariés du non-renouvellement de leurs périodes d’essai jugées sans plus d’explication non concluantes ainsi que l’attestation succincte de la salariée [Y] [F] (pièce 10) rapportant que

M. [U] lui aurait dit que «  le vendredi, il ferait en sorte (qu’elle) ne soit plus là », n’objectivent pas non plus suffisamment, aux yeux de la cour, une incapacité de M. [U] à remplir ses fonctions au point de pouvoir faire obstacle à la poursuite de la relation de travail.

En l’état de ces constatations et le doute devant en toute hypothèse profiter au salarié, le licenciement de M. [U] sera tenu pour dépourvu de cause réelle et sérieuse, la décision prud’homale étant infirmée.

M. [U] demande que son salaire mensuel de référence soit fixé à 7 791, 67 euros mensuels compte tenu d’une prime bonus de 8 000 euros qu’il estime avoir été indûment compensée par l’employeur sur ses indemnités de non-concurrence.

Mais ainsi que le soutient la société Amazon France logistique, le bonus de 8 000 euros était conditionné à une ancienneté de 37 mois hors préavis par l’article 6 du contrat de travail que le salarié ne possédait pas à la date de notification du licenciement. Le bonus ayant ainsi été versé à tort, il ne saurait être reproché à l’intimée de l’avoir compensé avec l’indemnité de non-concurrence due.

Ces constatations conduisent à retenir, au vu des bulletins de paie et de l’attestation Pôle emploi produits, un salaire mensuel brut de de référence d’un montant de 6 541 euros.

Compte tenu de l’ancienneté de M. [U], soit 3 ans au service d’une entreprise employant habituellement plus de 11 salariés, de son salaire mensuel brut retenu (6 541 euros), de son âge (année de naissance 1979) et des éléments sur son évolution professionnelle, il lui sera alloué, en application de l’article L 1235-3 du code du travail, une indemnité de licenciement abusif arbitrée à 22 000 euros.

2) Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

M. [U] reproche à la société Amazon France logistique une exécution déloyale du contrat de travail en ce qu’elle aurait mis en place un système de sous-notation qui lui aurait été dissimulé dont l’intimée conteste l’existence.

Le salarié verse aux débats (sa pièce 5) un récapitulatif de rémunérations individuelles pour la période de mars 2015 à avril 2016 mais il ne peut être inféré de ce seul document un quelconque lien entre l’évolution de sa situation professionnelle ou financière dans l’entreprise avec une évaluation erronée ou dissimulée de son travail ou de son travail.

Le rejet de la demande en paiement de dommages et intérêts qui n’est pas suffisamment justifiée sera confirmé.

3) Sur le rappel de salaire pour l’année 2017

Le dispositif des dernières conclusions de M. [U] sollicite le paiement de 4 500 euros, outre les congés payés, à titre de rappel de salaire pour l’année 2017. Mais cette réclamation ne faisant l’objet d’aucune explication quant à son fondement et son calcul dans le corps de ses conclusions, son rejet sera confirmé.

4) Sur l’indemnité de non-concurrence

M. [U] sollicite à ce titre le paiement de 9 850 euros, outre l’indemnité de congés payés afférente, reprochant à la société Amazon France logistique d’avoir déduit de l’indemnité de non-concurrence à laquelle il avait droit (11 775,10 euros), 8 000 euros au titre d’un bonus que l’employeur soutient avoir irrégulièrement versé.

Mais ainsi qu’il a été analysé (cf paragraphe supra) M. [U] ne pouvait prétendre à ce bonus en application de l’article 6 du contrat de travail dont les dispositions sont parfaitement claires et précises quant à ses conditions d’octroi contrairement à ce qu’il soutient.

La société Amazon France logistique étant ainsi fondée à déduire le bonus de 8 000 euros de l’indemnité de non-concurrence versée à hauteur de 3 775,10 euros au mois de janvier 2019, le rejet de la demande en paiement sur ce point sera confirmé.

5) Sur la perte de chance d’acquérir les actions attribuées en 2016

M. [U] soutient que le licenciement lui aurait fait perdre la chance d’acquérir 46 actions gratuites attribuées en 2016, préjudice dont il sollicite réparation à hauteur de 53 810 euros soit 80 % de la valeur qu’il leur attribue, l’employeur objectant que la rupture du contrat de travail est privative de toute attribution d’actions gratuites.

Il n’est pas contesté, en l’espèce, que M. [U] s’est vu attribuer par l’employeur en 2016 la possibilité d’obtenir 46 actions gratuites à acquérir ultérieurement dans des conditions non spécifiées et dont il a perdu définitivement le bénéfice du fait de son licenciement.

La rupture injustifiée de son contrat de travail lui ayant ainsi fait perdre de façon certaine la chance d’obtenir l’attribution de ces actions, ce préjudice sera réparé par l’allocation d’une indemnité arbitrée à 8 000 euros.

6) Sur les autres demandes

L’équité exige d’allouer à M. [U] 3 000 euros en compensation de ses frais non compris dans les dépens par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Il sera enjoint à la société Amazon France logistique de remettre à M. [U], sans qu’il y ait lieu à astreinte, des documents de fin de contrat rectifiés compte tenu de cette décision.

Les entiers dépens seront laissés à la charge de la société Amazon France logistique qui succombe à l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 26 novembre 20202 en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [U] au titre des rappels de salaire, de l’exécution déloyale du contrat de travail et de l’indemnité de non-concurrence ;

Infirme pour le surplus ;

Dit le licenciement de M. [U] abusif et condamne la société Amazon France logistic à lui payer 22 000 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, 8 000 euros pour perte de chance d’obtenir le bénéfice d’actions gratuites et 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, sommes portant intérêts au taux légal à compter de cette décision ;

Enjoint à la société Amazon France logistique de délivrer à M. [U] un bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes à cette décision ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Amazon France logistique aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

 


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