Compétence du Tribunal de commerce vis à vis des dirigeants : 15 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/04634

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Compétence du Tribunal de commerce vis à vis des dirigeants : 15 février 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 22/04634

L’article L.721-3 du code de commerce dispose : « Les tribunaux de commerce connaissent : 1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; 2° De celles relatives aux sociétés commerciales ; 3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Toutefois, les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations ci-dessus énumérées. Par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci.»

La société Action 33 fait grief à M. [T] d’avoir ainsi participé à la constitution d’une société qui lui faisait directement concurrence, implantée à proximité géographique, et dont il a été nommé directeur général le 4 octobre 2019 ; d’avoir dès le 24 septembre 2019 fait la promotion sur les réseaux sociaux de cette nouvelle société, et d’avoir publié le 11 novembre 2019 les photographies d’un chantier réalisé par la société AJT Services au sein d’une galerie commerciale Auchan dont l’appelante fait valoir qu’il s’agit de l’un des clients détournés.

6. Enfin, en vertu de l’article L.227-6 du code de commerce, le représentant légal d’une société par actions simplifiée, même dans sa forme unipersonnelle, est le président de la société. La loi du 1er août 2003 permet la nomination de directeurs généraux ayant les mêmes pouvoirs que le président, mais sous la réserve que leur nomination ait été publiée et ait fait l’objet d’une déclaration dans la demande d’immatriculation de la société au Registre du commerce et des sociétés, ce qui n’est pas établi en ce qui concerne M. [T], directeur général de la société AJT Services. L’intimé est donc fondé à opposer à l’appelante qu’elle ne peut le rechercher, devant le tribunal de commerce, en qualité de représentant légal de la société AJT Services.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

* * * COUR D’APPEL DE BORDEAUX QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE ————————– ARRÊT DU : 15 FEVRIER 2023 N° RG 22/04634 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M5RG S.A.S. ACTION 33 c/ Monsieur [E] [T] Nature de la décision : APPEL SUR COMPETENCE Notifié aux parties par LRAR le : Grosse délivrée le : aux avocats Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 septembre 2022 (R.G. 2021F01334) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 12 octobre 2022 APPELANTE : S.A.S. ACTION 33, agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1] représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS – LACOSTE – JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Oumy DIENE, substituant Maître Damien LORCY, avocat au barreau de BORDEAUX INTIMÉ : Monsieur [E] [T], né le 19 Juin 1988 à MARSEILLE (13000) de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] représenté par Maître Christelle JOUTEAU, substituant Maître Thierry LAMPE, avocat au barreau de BORDEAUX COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 04 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport, Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président, Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller, Madame Sophie MASSON, Conseiller, Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT ARRÊT : – contradictoire – prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile. La société par actions simplifiée Action 33, dont le siège social est situé à [Localité 3] ([Localité 3]), a pour activité les prestations de dépannage et d’installation de système de fermeture des bâtiments ainsi que la fourniture et la vente de tout équipement ou pièce d’équipement de fermeture des bâtiments. Cette société a, par contrat à durée indéterminée du 5 mars 2018, engagé Monsieur [E] [T] en qualité de serrurier vitrier métallurgiste. La société Action 33 a, le 8 novembre 2019, mis en demeure la société AJT Services d’une part et M. [T] d’autre part -ce dernier en qualité de directeur général de la société AJT Services- de mettre fin à leur concurrence déloyale puis, le 3 décembre 2019, a licencié M. [T] pour faute lourde. Le 23 novembre 2021, la société Action 33 a fait assigner la société AJT Services et M. [T] devant le tribunal de commerce de Bordeaux principalement en paiement solidaire de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial. Par jugement contradictoire prononcé le 26 septembre 2022, le tribunal de commerce a statué ainsi qu’il suit : In limine litis, – se déclare incompétent pour connaître des demandes visant Monsieur [E] [T] et renvoie la cause devant le conseil de prud’hommes de Bordeaux ; – dit qu’à défaut d’appel du jugement dans le délai de 15 jours de la notification du présent jugement, en application du l’article 82 du code de procédure civile, le greffier du tribunal transmettra le dossier de l’affaire à la juridiction de renvoi ; Au fond, – déboute la société Action 33 de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société AJT Services ; – condamne la société Action 33 à payer à la société AJT Services et à Monsieur [E] [T] la somme de 1.000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; – condamne la société Action 33 aux dépens. La société Action 33 a, par déclaration au greffe du 12 octobre 2022, relevé appel du jugement relatif à la compétence ; la procédure a été enregistrée au Répertoire général sous le numéro 22/4634. Elle a également, en vertu d’une ordonnance du 17 octobre 2022 l’y autorisant, assigné M. [T] à jour fixe par acte du 31 octobre 2022 ; la procédure a été enregistrée au Répertoire général sous le numéro 22/5085. Les deux procédures ont été jointes sous le numéro RG 22/4634 par mention au dossier en date du 7 décembre 2022. Il faut par ailleurs mentionner que la société Action 33 a également relevé appel le 12 octobre 2022 des chefs dispositifs du jugement du 26 septembre 2022 relatifs à ses demandes à l’encontre de la société AJT Services. L’affaire est enregistrée au répertoire général sous le numéro 22/4644.

***

Par dernières conclusions communiquées le 19 décembre 2022 par voie électronique, la société Action 33 demande à la cour de :

Vu l’article L721-3 du code de commerce,

Vu les articles 88, 586 et l’article 700 du code de procédure civile,

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,

Vu l’article L121-1 du code du travail,

– débouter M. [T] de ses demandes ;

– infirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 26 septembre 2022 en ce qu’il s’est déclaré in limine litis incompétent pour statuer sur les demandes présentées à l’encontre de Monsieur [T] au profit du conseil de prud’hommes et a condamné la société Action 33 au paiement de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

– évoquer sur le fond ;

A titre principal,

– renvoyer le dossier à la mise en état afin de permettre la jonction avec la procédure d’appel du même jugement rendu par le tribunal de commerce en date du 26 septembre 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/4644 à l’encontre de la société AJT Services ;

Subsidiairement,

A défaut de renvoyer à la mise en état,

– condamner M. [T] au paiement de 42.200 euros à la Société Action 33 en réparation du préjudice commercial, solidairement la Société AJT Services

– condamner M. [T] aux dépens solidairement avec la société AJT Services

– condamner M. [T] au paiement de la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, solidairement la Société AJT Services.

***

Par dernières écritures communiquées le 23 décembre 2022 par voie électronique, Monsieur [E] [T] demande à la cour de :

-Vu l’article L. 721-3 du code de commerce,

-Vu l’article L1411-1 du code du travail,

-Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,

– confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 26 septembre 2022 RG n°2021F01334, en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige qui oppose la société Action 33 à Monsieur [E] [T] et a renvoyé la cause devant le conseil de prud’hommes de Bordeaux ;

– subsidiairement, juger que le tribunal judiciaire de Bordeaux est compétent pour connaître du présent litige et ordonner le renvoi de la cause devant le tribunal judiciaire de Bordeaux ;

– débouter la société Action 33 de sa demande d’évocation ;

– à titre subsidiaire, renvoyer le dossier en mise en état afin d’être jugé avec le litige opposant la société Action 33 à la société AJT Services pendant devant la cour d’appel de Bordeaux sous le RG n°22/04644 ;

– à titre subsidiaire et à défaut de renvoyer en mise en état, débouter la société Action 33 de sa demande de condamnation de Monsieur [E] [T] à lui verser la somme de 42.200 euros en réparation du préjudice commercial ;

– débouter la société Action 33 de toutes autres demandes ;

– condamner la société Action 33 à verser à Monsieur [T] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. L’article L.721-3 du code de commerce dispose :

« Les tribunaux de commerce connaissent :

1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;

2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;

3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Toutefois, les parties peuvent, au moment où elles contractent, convenir de soumettre à l’arbitrage les contestations ci-dessus énumérées. Par exception, lorsque le cautionnement d’une dette commerciale n’a pas été souscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de la caution, la clause compromissoire ne peut être opposée à celle-ci.»

2. Au visa de ce texte, la société Action 33 fait grief au premier juge d’avoir décliné sa compétence en ce qui concerne l’action engagée contre M. [T] et soutient que, si le conseil de prud’hommes a compétence pour connaître des agissements d’un salarié dans le cadre de son contrat de travail, antérieurement à la rupture du contrat, il n’a pas compétence pour les apprécier lorsqu’ils sont commis postérieurement à la rupture du contrat.

L’appelante ajoute que, au demeurant, le tribunal de commerce est également compétent pour les faits reprochés à M. [T] par son employeur antérieurement à son licenciement et ne relevant pas de son contrat de travail.

3. L’intimé oppose à l’appelante le fait qu’elle lui a adressé une mise en demeure le 8 novembre 2019 alors qu’il était encore son salarié ; qu’il n’est pas le représentant légal de la société par actions simplifiée à associé unique AJT Services et qu’il n’a pas la qualité de commerçant, de sorte qu’il n’est établi aucun des critères de compétence du tribunal de commerce en ce qui concerne l’action menée à son encontre.

4. La cour relève que, selon les mentions de l’extrait Kbis délivré le 17 octobre 2019 de la société AJT Services, cette société par actions simplifiée a été créée le 4 octobre 2019 et immatriculée le 15 octobre suivant, lorsque M. [T] était encore lié par son contrat de travail.

La société Action 33 fait grief à M. [T] d’avoir ainsi participé à la constitution d’une société qui lui faisait directement concurrence, implantée à proximité géographique, et dont il a été nommé directeur général le 4 octobre 2019 ; d’avoir dès le 24 septembre 2019 fait la promotion sur les réseaux sociaux de cette nouvelle société, et d’avoir publié le 11 novembre 2019 les photographies d’un chantier réalisé par la société AJT Services au sein d’une galerie commerciale Auchan dont l’appelante fait valoir qu’il s’agit de l’un des clients détournés.

La société Action 33 soutient que ces agissements ont entraîné une baisse conséquente de son chiffre d’affaire dès le mois d’octobre 2019, évaluée sur le dernier trimestre 2019 à 64 % par rapport à l’exercice précédent (soit 40.035 euros HT).

La première mise en demeure adressée par l’employeur est datée du 8 novembre 2019, elle est donc antérieure au licenciement de M. [T]; la société y excipait à l’égard de ce dernier de l’obligation de loyauté du salarié.

5. L’appelante poursuit donc la réparation d’un préjudice qui résulterait de manquements commis antérieurement à la rupture du contrat de travail, au détriment de l’obligation de loyauté du salarié et se seraient poursuivis, selon le même mode opératoire, postérieurement à cette rupture, de sorte qu’ils forment un ensemble de faits indivisibles, insusceptibles de faire l’objet d’actions en indemnisation distinctes devant deux juridictions différentes sauf à entraîner un risque de contrariété de décisions, et entrent donc dans le champ des dispositions des articles L.1411-1 et suivants du code du travail.

6. Enfin, en vertu de l’article L.227-6 du code de commerce, le représentant légal d’une société par actions simplifiée, même dans sa forme unipersonnelle, est le président de la société. La loi du 1er août 2003 permet la nomination de directeurs généraux ayant les mêmes pouvoirs que le président, mais sous la réserve que leur nomination ait été publiée et ait fait l’objet d’une déclaration dans la demande d’immatriculation de la société au Registre du commerce et des sociétés, ce qui n’est pas établi en ce qui concerne M. [T], directeur général de la société AJT Services. L’intimé est donc fondé à opposer à l’appelante qu’elle ne peut le rechercher, devant le tribunal de commerce, en qualité de représentant légal de la société AJT Services.

7. La cour, dans les limites de l’appel, confirmera dès lors le jugement déféré en ce qu’il a décliné sa compétence au profit de celle du conseil de prud’hommes.

Y ajoutant, elle condamnera la société Action 33 à payer les dépens de l’appel et à verser à M. [T] une somme de 500 euros en indemnisation des frais irrépétibles de ce dernier.

PAR CES MOTIFS : La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort Dans les limites de l’appel, Confirme le jugement prononcé le 26 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux. Y ajoutant, Condamne la société Action 33 à payer à Monsieur [E] [T] la somme de 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile . Condamne la société Action 33 à payer les dépens. Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


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