L’employeur qui sollicite une salariée pour effectuer certaines tâches alors que celle-ci est en arrêt maladie en raison d’une triple facture du pied, s’expose à une condamnation pour déloyauté dans l’exécution du contrat de travail.
En l’occurrence, l’employeur a incontestablement manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, qui lui impose de ne pas faire travailler un salarié dont le contrat de travail est suspendu du fait d’un arrêt maladie.
Ce manquement qui a causé un préjudice à la salariée, caractérisé par l’impossibilité pour celle-ci de se reposer en vue de favoriser son prompt rétablissement, a été réparé par l’octroi d’une somme de 2 000 euros.
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 8 MARS 2023
N° RG 21/00684
N° Portalis DBV3-V-B7F-ULAS
AFFAIRE :
[N] [J]
C/
Société CMI DIGITAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 5 février 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : AD
N° RG : F 18/01901
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Cécile REYBOZ
Me Michael AMADO
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [N] [J]
née le 16 août 1982 à [Localité 5] (Maroc)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Cécile REYBOZ, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0303
APPELANTE
****************
Société CMI DIGITAL
N° SIRET : 433 934 312
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Michael AMADO, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0448
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [J] a été engagée en qualité de rédacteur pour le site public.fr, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 15 mars 2012, avec reprise d’ancienneté au 3 avril 2011, par la société Lagardère Digital France.
Cette société, spécialisée dans le traitement de données et l’hébergement de sites web, applique la convention collective nationale du journalisme. Son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés.
En 2014, la salariée a été promue chef de service numérique.
Par lettre du 10 avril 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 20 avril 2018.
Elle a été en arrêt maladie à compter du 11 avril 2018.
Elle a été licenciée par une lettre du 25 avril 2018 de six pages, au motif d’ ‘insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial;
– aggravées par une mésentente sérieuse qui vous est imputable avec plusieurs de vos collègues de travail, et une attitude irrespectueuse des autres dont votre hiérarchie.’
Le 18 juillet 2018, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de requalification de son licenciement pour insuffisance professionnelle et mésentente sérieuse en licenciement sans cause réelle ni sérieuse et en paiement d’une prime sur objectif et de diverses sommes de nature indemnitaire.
La société Lagardère Digital est devenue, par changement de nom et d’actionnaire, la société CMI Digital, à compter de décembre 2018.
Par jugement du 5 février 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section activités diverses) a :
– débouté Madame [N] [J] de la totalité de ses demandes,
– débouté la société CMI Digital (anciennement Lagardère Digital France) de sa demande reconventionnelle,
– condamné Mme [J] aux dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 25 février 2021, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 18 octobre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [J] demande à la cour de :
– la déclarer recevable en son appel,
– le déclarer fondé,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée,
– infirmer le jugement dont appel sur chef de demande et jugeant à nouveau :
– dire le licenciement prononcé sans cause réelle ni sérieuse,
– condamner la société CMI Digital au paiement des sommes suivantes:
. 28 328 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois, barème ordonnance Macron 23 septembre 2017),
. 10 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail (article L.1222-1 du code du travail),
. 10 000 euros pour non-respect des dispositions relatives à la durée du travail,
. 1480 euros de prime sur objectif,
. 148 euros de congés payés afférents,
. 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société CMI Digital demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 5 février 2021,
ce faisant,
– confirmer que le licenciement de Mme [J] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,
– rejeter Mme [J] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, fins et conclusions, l’en débouter,
à titre subsidiaire,
– ramener l’éventuelle indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,
en tout état de cause,
– rejeter Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts pour prétendue exécution déloyale du contrat de travail,
– rejeter Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts pour prétendu irrespect des dispositions relatives à la durée du travail,
– rejeter Mme [J] de sa demande en rappel de salaires (reliquat de prime et congés payés), l’en débouter,
à titre reconventionnel,
– condamner Mme [J] au paiement de la somme de 2 000 euros à son profit en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [J] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur le licenciement
La salariée soutient que la qualification de la lettre de licenciement est inexacte car elle vise des faits fautifs, dont certains sont prescrits, qui ne sont pas caractérisés, et pour lesquels elle n’a reçu aucun avertissement, ayant au contraire évolué pendant les sept ans de la relation contractuelle, passant de pigiste à chef du service numérique, que la baisse d’audience découle du constant sous-effectif de son équipe et d’une stratégie visant à plus de qualité et moins plus de quantité, qui constituent des raisons objectives à la baisse d’audience, connues de sa hiérarchie, de sorte qu’il est possible de s’interroger sur une éventuelle motivation économique du licenciement, qui a fait suite à son courriel du 27 décembre 2017 dans lequel elle a demandé de l’aide pour la réalisation de ses missions. S’agissant du comportement irrespectueux, elle fait valoir qu’il s’agit d’affirmations diffamatoires de l’employeur.
L’employeur objecte qu’il n’est nullement question de fautes dans la lettre de licenciement mais de difficultés imputables à la salariée, à laquelle s’ajoute une mésentente et une attitude irrespectueuse, sans référence à des agissements délibérés ou fautifs.
***
L’employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu’ils procèdent de faits distincts (Soc., 6 décembre 2007, pourvoi n° 06-43.449).
Il appartient au juge, le cas échéant, de donner sa véritable qualification au licenciement (Soc., 22 février 2005, pourvoi n° 03-41.474, Bull. 2005, V, n° 58). Il incombe au juge saisi d’un litige relatif à l’appréciation de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement, notamment lorsque le salarié soutient devant le juge que les motifs véritables de son licenciement ne sont pas ceux énoncés dans la lettre de rupture (Soc., 10 avril 1996, pourvoi n° 93-41.755, Bull V n° 149), tel que lorsque le salarié soutient que le véritable motif est de nature économique (Soc., 26 mai 1998, pourvoi n°96-41.062, Bull. 1998, V, n° 276);
L’insuffisance professionnelle peut être définie comme l’incapacité objective, non fautive et durable d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé.
Elle constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.
Au cas présent, la lettre de licenciement invoque une insuffisance professionnelle, une mésentente et une attitude irrespectueuse.
La lettre énonce notamment que ‘Depuis un an, le nombre de pages vues par visiteur a baissé sur le site de Public. En effet, même si le nombre de visites a augmenté passant de 13 527 618 en février 2017 à 16 436 241 en février 2018, le nombre de pages vues a baissé entre ces mêmes dates passant de 47 355 892 à 42 738 00 soit une baisse de 26% en un an du nombre de pages vues par visiteur (2,6 pages vues par visiteur en février 2018 contre 3,5 en février 2017).
Il en va de même pour l’application de Public, avec une baisse de plus de 15% du nombre de pages vues par visiteur. En effet, en février 2017, le nombre de visites était de 11 424 093 et le nombre de visites était de 7 395 356 et le nombre de pages vues de 98 705 658 soit 13,3 par visiteur.
Mais également pour les MSN puisqu’en février 2017, le nombre de pages vues était de 28 470 138 alors qu’en février 2018, ce nombre était de 8 979 765 soit une baisse de près de 70% ! Le chiffre d’affaires a diminué de 43% entre février 2017 et février 2018 passant de 18 911 euros à 10 843 euros.
Ces baisses s’expliquent notamment du fait des insuffisances relevées ci-dessus : par la diminution du nombre de contenu (passant de 1470 contenus publiés en février 2017 à 1111 publiés en février 2018), la fermeture du compte Twitter, l’absence de newsletter hebdomadaire mais également par lar qualité des contenus (fautes d’orthographe, diaporamas très peu commentés) et une désorganisation du service.
Autant de défaillances qui vous sont imputables, et reprochées. »
Il n’y est pas fait mention de faits fautifs mais bien de griefs de nature non disciplinaire, ayant trait à différents manquements de la salariée dans l’exécution de ses missions et des obligations découlant de son contrat de travail, l’employeur ne se plaçant à aucun moment sur un terrain disciplinaire, mais considérant que ces manquements caractérisent non pas des fautes mais des manquements justifiant la rupture du contrat de travail. Le licenciement ne revêt donc pas une qualification disciplinaire comme le soutient à tort la salariée.
Il convient d’examiner si les manquements invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement sont établis.
– Sur les’insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial’
L’employeur invoque d’abord des’insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial’, caractérisées par de nombreuses fautes d’orthographe dans les articles publiés, la tenue irrégulière des conférences de rédaction, un manque d’encadrement de son équipe, l’absence de réalisation de certains contenus, la fermeture du compte Twitter induisant une perte d’abonnés.
Pour établir ces manquements, l’employeur établit d’abord que, malgré le suivi par la salariée d’une formation en septembre 2015 de 2 jours (14h) intitulée ‘nouveau manager, réussir dans ses nouvelles fonctions’, et 5 séances de coaching en date du 14 décembre 2015, pour un montant de 3 600 euros facturés à la société, l’entretien professionnel de 2016 indique que la salariée reconnaît ses lacunes en management, et indique comme action prioritaire à mettre en place un coaching en management, le manager indiquant que la formation suivie en 2015 est ‘une première étape insuffisante et qui en appelle d’autres’.
Le compte-rendu d’entretien annuel d’activité de 2016 mentionne que la salariée doit toujours s’améliorer en terme de rigueur et formalisation, de gestion des priorités, de respect des engagements, que la salariée ‘doit mettre en place une réelle conférence de rédaction en début de semaine avec son équipe’, ‘arriver à l’heure aux rdv et réunions’, ‘améliorer son relationnel avec les autres’, et améliorer sa capacité à être porteuse de l’esprit d’entreprise en interne. Le bilan de l’année écoulée souligne que l’orthographe reste le gros point noir du site, la salariée devant veiller à relire les personnes les plus faibles de son équipe et prendre en compte le critère d’orthographe dans ses recrutements. Cet objectif est indiqué comme réalisé à 30 % seulement, la montée en compétence management à 10 %, et l’amélioration du travail et des échanges à 10%.
Le compte-rendu d’entretien annuel d’activité de 2017 mentionne la nécessité d’une amélioration de la salariée dans cinq compétences, notamment toujours la nécessité de mettre en place une conférence de rédaction régulière, même s’il est souligné une amélioration significative en matière de qualité éditoriale du site, particulièrement l’orthographe. Cette difficulté avait également été évoquée lors de l’entretien d’évaluation 2015, qui mentionne notamment comme points à améliorer la qualité de l’orthographe sur le site, l’aptitude à l’encadrement, la capacité d’écoute, la gestion des priorités.
S’agissant des fautes d’orthographe dans les contenus publiés, l’employeur produit un courriel du 13 juin 2016 (pièce 23 E) de Mme [F], supérieure hiérarchique de la salariée, indiquant qu’une publication d’un article comportant un contenu annonceur est truffée de fautes d’orthographe. La persistance de ce manquement est établi par le courriel du 19 décembre 2017 (Pièce 24) contenant un graphique établissant la baisse d’audience entre octobre 2016 et juillet 2017 de l’application Public.fr à laquelle sont reprochées les fautes d’orthographe et de grammaire, les bugs publicitaires avec publicités intrusives, les bugs techniques, la note de l’application étant de 2,5 sur iOs et 3,8 sur Android. Mme [F] y rappelle que ‘l’orthographe fait partie intégrante des compétences attendues chez un rédacteur et que chacun doit soigner la qualité éditoriale de ses contenus.’
La charte mise en oeuvre par la salariée, au terme de laquelle elle rappelle que l’orthographe est un point crucial, et les différentes procédures de relecture qu’elle a initiées, ne peuvent être considérées comme suffisantes au regard des nombreux commentaires des lecteurs déplorant au cours de l’année 2018 la piètre qualité orthographique des articles du site.
Ensuite, la baisse, invoquée dans la lettre de licenciement, du nombre de contenus et de leur audience, qui n’est pas contestée par la salariée, est établie par les pièces produites au dossier. En revanche, la salariée ne justifie pas que cette baisse est liée à une demande de l’employeur de réduire le nombre de diaporamas et de privilégier la qualité sur la quantité, ni n’établit le caractère insuffisant du nombre de salariés constituant son équipe, sur lequel elle aurait alerté l’employeur ou sollicité des renforts. En outre, elle ne produit aucune pièce démontrant avoir alerté cette équipe, avant février 2018, sur la baisse de l’audience ou du nombre de publications.
L’employeur établit également l’absence de réalisation d’une ‘newsletter’, reconnue par la salariée dans son courriel du 16 janvier 2018, et également de quatre autres ‘newsletters’ entre le 23 décembre et le 17 mars, ainsi que l’absence d’organisation d’une conférence de rédaction depuis mars 2017 selon un courriel d’un membre de l’équipe de la salariée, indiquant que des réunions n’ont eu lieu que pendant six mois, entre janvier et juin 2017, ces réunions n’abordant pas les audiences mais seulement les sujets à prévoir. La salariée ne justifie pas des raisons pour lesquelles ces conférences de rédaction n’ont pas été organisées comme le demandait régulièrement l’employeur.
La suspension du compte Twitter est établie par les différentes pièces produites par l’employeur qui a sollicité un interlocuteur pour tenter d’obtenir du réseau social un réexamen de la situation du compte public.fr comptant ‘300K followers’, suspendu en raison de ‘multiples infractions’ (aux droits à l’image), selon l’interlocuteur sollicité. Toutefois, les différentes pièces produites ne permettent pas de retenir que la salariée, qui objecte qu’elle n’était pas responsable du suivi des tweets du salarié à l’origine de la publication des tweet ayant causé la suspension, en est la responsable.
Les quelques échanges de SMS avec sa supérieure pendant ses congés, le 31 août 2017, puis pendant son arrêt maladie qui a suivi suite à un pied cassé, qui sont mesurés quant aux demandes faites à la salariée, laquelle, à l’interrogation de son interlocutrice, ne manifeste pas le souhait de ne pas être dérangée, à l’exception d’une demande urgente formulée un samedi en raison d’une migration importante sur un nouveau site, ne sont pas de nature à modifier l’appréciation de la cour d’appel quant à la réalité des manquements de la salariée à ses différentes missions.
– Sur la ‘ mésentente sérieuse qui (lui) est imputable avec plusieurs de (ses) collègues de travail, et (son) attitude irrespectueuse des autres dont (sa) hiérarchie.’
A l’appui de ce manquement, l’employeur produit un échange de courriels entre la salariée et sa supérieure dans lesquels la salariée écrit, au sujet de la suspension du compte twitter de Public.fr, qu’elle ‘s’en tape royalement de [Z] et [M]’, qu’elle ‘ne va pas se rendre malade pour des conneries’, en concluant son mail à sa supérieure en lui disant qu’elle n’a qu’à gérer comme elle veut (‘gère comme tu veux!’). L’employeur établit que ‘[M]’, engagée en qualité de ‘social media manager’ le 20 novembre 2017, a quitté l’entreprise le 4 janvier 2018 par rupture anticipée de sa période d’essai sollicitée par l’intéressée notamment en raison de ses relations avec Mme [J].
L’employeur produit également un échange de courriels du 14 février 2018 entre la salariée et une de ses collègues, à laquelle elle s’adresse de façon cavalière en lui en objectant à la réponse de l’intéressée à l’une de ses demandes ‘peu importe [O]. Ce n’est pas la question ! (…) Lol Comme tu veux, moi c’est juste pour qu’il y ait la News sur le site, c’est tout! ‘
Dans un échange de courriels le 27 mars 2018 avec un membre de son équipe, Mme [J] tient des propos à nouveau cavaliers, inadaptés à un échange entre un supérieur et son subordonné, auquel elle indique ‘[R], je te le répète, je ne serai pas là demain donc on décale la réu (…) C’est plus clair pour toi ”
Enfin, à un supérieur elle écrit le 1er février 2018 ‘Hello [K]. T’arrive bientôt ou tu as zappé notre point ” auquel l’intéressé lui répond ‘non je suis là je t’attends’.
Les courriels (pièce 8) dont se prévaut la salariée pour soutenir que l’entente était bonne avec ses interlocuteurs ne comportent aucune date de sorte que la cour ne peut en tirer aucune valeur probante quant à la bonne exécution de ses obligations contractuelles dans la période contemporaine de la rupture.
Il ressort de ces échanges que l’attitude irrespectueuse inadaptée de la salariée à l’égard de ses collègues, qu’ils soient ses subordonnés ou ses supérieurs, est établie et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il résulte de l’ensemble de ces constatations que les lacunes professionnelles de la salariée et son attitude irrespectueuse sont établies et caractérisent la réalité de l’insuffisance professionnelle qui lui est reprochée.
L’accumulation et la persistance de ces manquements dans le temps, en dépit des nombreux rappels de l’employeur dans ses entretiens d’évaluation et courriels échangés avec la salariée, caractérisent quant à elles leur sérieux, justifiant que l’employeur ait décidé de lui notifier la rupture de son contrat de travail.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté la salariée de ses demandes afférentes.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
Il est établi que l’employeur a sollicité la salariée pour effectuer certaines tâches alors que celle-ci était en arrêt maladie en raison d’une triple facture du pied.
Ce faisant, l’employeur a incontestablement manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, qui lui impose de ne pas faire travailler un salarié dont le contrat de travail est suspendu du fait d’un arrêt maladie.
Ce manquement qui a causé un préjudice à la salariée, caractérisé par l’impossibilité pour celle-ci de se reposer en vue de favoriser son prompt rétablissement, sera réparé par l’octroi d’une somme de 2 000 euros au paiement de laquelle il convient, par voie d’infirmation du jugement, de condamner l’employeur.
Sur le non respect des dispositions relatives à la durée du travail
La salariée ne formule pas une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires mais de dommages-intérêts au titre du non-respect des dispositions relatives à la durée du travail, lequel n’est pas suffisamment établi par le seul envoi de messages lors d’un week-end précédant la migration du site Public.fr, alors que la salariée bénéficiait d’un accès à distance lui permettant d’organiser librement la gestion de son temps de travail et son droit à la déconnexion.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.
Sur le rappel de prime sur objectifs
La salariée expose qu’elle était éligible à une prime sur objectifs ainsi que le mentionnent ses bulletins de paye de mars, dont le montant était annoncé verbalement en entretien annuel d’évaluation, ainsi que les résultats constatés pour l’année N-1 et les résultats attendus pour la nouvelle année, l’enveloppe global en cas d’objectifs atteints à 100 % étant de 3 038 euros. Alors qu’elle avait perçu en 2017 la somme de 1 802 euros, l’employeur ne lui a versé en mars 2018 que la somme de 1 520 euros, sans autre explication que l’atteinte ou non de ses objectifs, alors qu’elle était déjà convoquée à un entretien préalable au licenciement, et que lors de l’entretien annuel d’évaluation il lui avait été annoncé une prime à 100 %.
L’employeur, qui admet verser cette prime d’objectifs chaque année à tous les salariés de la société, objecte que la salariée n’ayant pas atteint ses objectifs elle a perçu une somme comparable à celle versée les années précédentes, que son manager ne lui a jamais promis une prime à 100 %, la salariée ayant tenté de se préconstituer une preuve le 14 mars 2018.
Au cas présent, si le contrat de travail ne prévoit aucune prime d’objectifs, cependant l’employeur ne conteste pas qu’une telle prime est versée chaque année à tous les salariés, son montant étant variable et fonction des résultats de l’intéressé. L’existence d’un engagement unilatéral de l’employeur quant au versement de cette prime, dont le montant dépend de l’atteinte des objectifs est donc caractérisée, seul son montant annuel étant variable.
Le bulletin de paie de mars 2017 (pièce 16) mentionne qu’une somme de 1 802 euros a été versée à ce titre, les bulletins des années antérieures, dont les conclusions indiquent qu’ils sont versés en pièce 16 également, ne figurent toutefois pas dans le dossier de plaidoirie. Il n’est donc pas établi que la salariée a bénéficié les années passées d’un versement correspondant à 100 % de cette prime. Elle n’établit pas davantage que l’employeur s’est engagé à lui verser la totalité de la prime lors de l’entretien annuel d’évaluation qui s’est tenu fin 2017, son propre courriel du 14 mars 2018 étant, à lui seul et à défaut d’offre de preuve le corroborant, dépourvu de valeur probante.
Enfin, il résulte des développements précédents que les résultats de la salariée étaient insuffisants en terme tant de nombre et que de qualité des publications dont elle avait la responsabilité. Il n’est pas contesté qu’elle a toutefois perçu une prime d’objectifs en mars 2018 d’un montant de 1 520 euros, de sorte qu’elle n’en pas a été totalement privée.
En conséquence, elle est mal fondée à solliciter un rappel de prime d’objectif pour l’année 2018.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société succombant partiellement en appel, il y a lieu d’infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, de la condamner aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur ce texte sera en outre rejetée.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
Statutant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société CMI Digital à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
CONDAMNE la société CMI Digital à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société CMI Digital aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président
L’employeur qui sollicite une salariée pour effectuer certaines tâches alors que celle-ci est en arrêt maladie en raison d’une triple facture du pied, s’expose à une condamnation pour déloyauté dans l’exécution du contrat de travail.
En l’occurrence, l’employeur a incontestablement manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, qui lui impose de ne pas faire travailler un salarié dont le contrat de travail est suspendu du fait d’un arrêt maladie.
Ce manquement qui a causé un préjudice à la salariée, caractérisé par l’impossibilité pour celle-ci de se reposer en vue de favoriser son prompt rétablissement, a été réparé par l’octroi d’une somme de 2 000 euros.
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 8 MARS 2023
N° RG 21/00684
N° Portalis DBV3-V-B7F-ULAS
AFFAIRE :
[N] [J]
C/
Société CMI DIGITAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 5 février 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : AD
N° RG : F 18/01901
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Cécile REYBOZ
Me Michael AMADO
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [N] [J]
née le 16 août 1982 à [Localité 5] (Maroc)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Cécile REYBOZ, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0303
APPELANTE
****************
Société CMI DIGITAL
N° SIRET : 433 934 312
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Michael AMADO, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0448
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 4 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [J] a été engagée en qualité de rédacteur pour le site public.fr, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 15 mars 2012, avec reprise d’ancienneté au 3 avril 2011, par la société Lagardère Digital France.
Cette société, spécialisée dans le traitement de données et l’hébergement de sites web, applique la convention collective nationale du journalisme. Son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés.
En 2014, la salariée a été promue chef de service numérique.
Par lettre du 10 avril 2018, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 20 avril 2018.
Elle a été en arrêt maladie à compter du 11 avril 2018.
Elle a été licenciée par une lettre du 25 avril 2018 de six pages, au motif d’ ‘insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial;
– aggravées par une mésentente sérieuse qui vous est imputable avec plusieurs de vos collègues de travail, et une attitude irrespectueuse des autres dont votre hiérarchie.’
Le 18 juillet 2018, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de requalification de son licenciement pour insuffisance professionnelle et mésentente sérieuse en licenciement sans cause réelle ni sérieuse et en paiement d’une prime sur objectif et de diverses sommes de nature indemnitaire.
La société Lagardère Digital est devenue, par changement de nom et d’actionnaire, la société CMI Digital, à compter de décembre 2018.
Par jugement du 5 février 2021, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section activités diverses) a :
– débouté Madame [N] [J] de la totalité de ses demandes,
– débouté la société CMI Digital (anciennement Lagardère Digital France) de sa demande reconventionnelle,
– condamné Mme [J] aux dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 25 février 2021, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 18 octobre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [J] demande à la cour de :
– la déclarer recevable en son appel,
– le déclarer fondé,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée,
– infirmer le jugement dont appel sur chef de demande et jugeant à nouveau :
– dire le licenciement prononcé sans cause réelle ni sérieuse,
– condamner la société CMI Digital au paiement des sommes suivantes:
. 28 328 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois, barème ordonnance Macron 23 septembre 2017),
. 10 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail (article L.1222-1 du code du travail),
. 10 000 euros pour non-respect des dispositions relatives à la durée du travail,
. 1480 euros de prime sur objectif,
. 148 euros de congés payés afférents,
. 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société CMI Digital demande à la cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 5 février 2021,
ce faisant,
– confirmer que le licenciement de Mme [J] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,
– rejeter Mme [J] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, fins et conclusions, l’en débouter,
à titre subsidiaire,
– ramener l’éventuelle indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à de plus justes proportions en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,
en tout état de cause,
– rejeter Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts pour prétendue exécution déloyale du contrat de travail,
– rejeter Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts pour prétendu irrespect des dispositions relatives à la durée du travail,
– rejeter Mme [J] de sa demande en rappel de salaires (reliquat de prime et congés payés), l’en débouter,
à titre reconventionnel,
– condamner Mme [J] au paiement de la somme de 2 000 euros à son profit en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [J] aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur le licenciement
La salariée soutient que la qualification de la lettre de licenciement est inexacte car elle vise des faits fautifs, dont certains sont prescrits, qui ne sont pas caractérisés, et pour lesquels elle n’a reçu aucun avertissement, ayant au contraire évolué pendant les sept ans de la relation contractuelle, passant de pigiste à chef du service numérique, que la baisse d’audience découle du constant sous-effectif de son équipe et d’une stratégie visant à plus de qualité et moins plus de quantité, qui constituent des raisons objectives à la baisse d’audience, connues de sa hiérarchie, de sorte qu’il est possible de s’interroger sur une éventuelle motivation économique du licenciement, qui a fait suite à son courriel du 27 décembre 2017 dans lequel elle a demandé de l’aide pour la réalisation de ses missions. S’agissant du comportement irrespectueux, elle fait valoir qu’il s’agit d’affirmations diffamatoires de l’employeur.
L’employeur objecte qu’il n’est nullement question de fautes dans la lettre de licenciement mais de difficultés imputables à la salariée, à laquelle s’ajoute une mésentente et une attitude irrespectueuse, sans référence à des agissements délibérés ou fautifs.
***
L’employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu’ils procèdent de faits distincts (Soc., 6 décembre 2007, pourvoi n° 06-43.449).
Il appartient au juge, le cas échéant, de donner sa véritable qualification au licenciement (Soc., 22 février 2005, pourvoi n° 03-41.474, Bull. 2005, V, n° 58). Il incombe au juge saisi d’un litige relatif à l’appréciation de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre, la véritable cause du licenciement, notamment lorsque le salarié soutient devant le juge que les motifs véritables de son licenciement ne sont pas ceux énoncés dans la lettre de rupture (Soc., 10 avril 1996, pourvoi n° 93-41.755, Bull V n° 149), tel que lorsque le salarié soutient que le véritable motif est de nature économique (Soc., 26 mai 1998, pourvoi n°96-41.062, Bull. 1998, V, n° 276);
L’insuffisance professionnelle peut être définie comme l’incapacité objective, non fautive et durable d’un salarié à accomplir correctement la prestation de travail pour laquelle il est employé.
Elle constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.
Au cas présent, la lettre de licenciement invoque une insuffisance professionnelle, une mésentente et une attitude irrespectueuse.
La lettre énonce notamment que ‘Depuis un an, le nombre de pages vues par visiteur a baissé sur le site de Public. En effet, même si le nombre de visites a augmenté passant de 13 527 618 en février 2017 à 16 436 241 en février 2018, le nombre de pages vues a baissé entre ces mêmes dates passant de 47 355 892 à 42 738 00 soit une baisse de 26% en un an du nombre de pages vues par visiteur (2,6 pages vues par visiteur en février 2018 contre 3,5 en février 2017).
Il en va de même pour l’application de Public, avec une baisse de plus de 15% du nombre de pages vues par visiteur. En effet, en février 2017, le nombre de visites était de 11 424 093 et le nombre de visites était de 7 395 356 et le nombre de pages vues de 98 705 658 soit 13,3 par visiteur.
Mais également pour les MSN puisqu’en février 2017, le nombre de pages vues était de 28 470 138 alors qu’en février 2018, ce nombre était de 8 979 765 soit une baisse de près de 70% ! Le chiffre d’affaires a diminué de 43% entre février 2017 et février 2018 passant de 18 911 euros à 10 843 euros.
Ces baisses s’expliquent notamment du fait des insuffisances relevées ci-dessus : par la diminution du nombre de contenu (passant de 1470 contenus publiés en février 2017 à 1111 publiés en février 2018), la fermeture du compte Twitter, l’absence de newsletter hebdomadaire mais également par lar qualité des contenus (fautes d’orthographe, diaporamas très peu commentés) et une désorganisation du service.
Autant de défaillances qui vous sont imputables, et reprochées. »
Il n’y est pas fait mention de faits fautifs mais bien de griefs de nature non disciplinaire, ayant trait à différents manquements de la salariée dans l’exécution de ses missions et des obligations découlant de son contrat de travail, l’employeur ne se plaçant à aucun moment sur un terrain disciplinaire, mais considérant que ces manquements caractérisent non pas des fautes mais des manquements justifiant la rupture du contrat de travail. Le licenciement ne revêt donc pas une qualification disciplinaire comme le soutient à tort la salariée.
Il convient d’examiner si les manquements invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement sont établis.
– Sur les’insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial’
L’employeur invoque d’abord des’insuffisances professionnelles notamment sur un plan managérial’, caractérisées par de nombreuses fautes d’orthographe dans les articles publiés, la tenue irrégulière des conférences de rédaction, un manque d’encadrement de son équipe, l’absence de réalisation de certains contenus, la fermeture du compte Twitter induisant une perte d’abonnés.
Pour établir ces manquements, l’employeur établit d’abord que, malgré le suivi par la salariée d’une formation en septembre 2015 de 2 jours (14h) intitulée ‘nouveau manager, réussir dans ses nouvelles fonctions’, et 5 séances de coaching en date du 14 décembre 2015, pour un montant de 3 600 euros facturés à la société, l’entretien professionnel de 2016 indique que la salariée reconnaît ses lacunes en management, et indique comme action prioritaire à mettre en place un coaching en management, le manager indiquant que la formation suivie en 2015 est ‘une première étape insuffisante et qui en appelle d’autres’.
Le compte-rendu d’entretien annuel d’activité de 2016 mentionne que la salariée doit toujours s’améliorer en terme de rigueur et formalisation, de gestion des priorités, de respect des engagements, que la salariée ‘doit mettre en place une réelle conférence de rédaction en début de semaine avec son équipe’, ‘arriver à l’heure aux rdv et réunions’, ‘améliorer son relationnel avec les autres’, et améliorer sa capacité à être porteuse de l’esprit d’entreprise en interne. Le bilan de l’année écoulée souligne que l’orthographe reste le gros point noir du site, la salariée devant veiller à relire les personnes les plus faibles de son équipe et prendre en compte le critère d’orthographe dans ses recrutements. Cet objectif est indiqué comme réalisé à 30 % seulement, la montée en compétence management à 10 %, et l’amélioration du travail et des échanges à 10%.
Le compte-rendu d’entretien annuel d’activité de 2017 mentionne la nécessité d’une amélioration de la salariée dans cinq compétences, notamment toujours la nécessité de mettre en place une conférence de rédaction régulière, même s’il est souligné une amélioration significative en matière de qualité éditoriale du site, particulièrement l’orthographe. Cette difficulté avait également été évoquée lors de l’entretien d’évaluation 2015, qui mentionne notamment comme points à améliorer la qualité de l’orthographe sur le site, l’aptitude à l’encadrement, la capacité d’écoute, la gestion des priorités.
S’agissant des fautes d’orthographe dans les contenus publiés, l’employeur produit un courriel du 13 juin 2016 (pièce 23 E) de Mme [F], supérieure hiérarchique de la salariée, indiquant qu’une publication d’un article comportant un contenu annonceur est truffée de fautes d’orthographe. La persistance de ce manquement est établi par le courriel du 19 décembre 2017 (Pièce 24) contenant un graphique établissant la baisse d’audience entre octobre 2016 et juillet 2017 de l’application Public.fr à laquelle sont reprochées les fautes d’orthographe et de grammaire, les bugs publicitaires avec publicités intrusives, les bugs techniques, la note de l’application étant de 2,5 sur iOs et 3,8 sur Android. Mme [F] y rappelle que ‘l’orthographe fait partie intégrante des compétences attendues chez un rédacteur et que chacun doit soigner la qualité éditoriale de ses contenus.’
La charte mise en oeuvre par la salariée, au terme de laquelle elle rappelle que l’orthographe est un point crucial, et les différentes procédures de relecture qu’elle a initiées, ne peuvent être considérées comme suffisantes au regard des nombreux commentaires des lecteurs déplorant au cours de l’année 2018 la piètre qualité orthographique des articles du site.
Ensuite, la baisse, invoquée dans la lettre de licenciement, du nombre de contenus et de leur audience, qui n’est pas contestée par la salariée, est établie par les pièces produites au dossier. En revanche, la salariée ne justifie pas que cette baisse est liée à une demande de l’employeur de réduire le nombre de diaporamas et de privilégier la qualité sur la quantité, ni n’établit le caractère insuffisant du nombre de salariés constituant son équipe, sur lequel elle aurait alerté l’employeur ou sollicité des renforts. En outre, elle ne produit aucune pièce démontrant avoir alerté cette équipe, avant février 2018, sur la baisse de l’audience ou du nombre de publications.
L’employeur établit également l’absence de réalisation d’une ‘newsletter’, reconnue par la salariée dans son courriel du 16 janvier 2018, et également de quatre autres ‘newsletters’ entre le 23 décembre et le 17 mars, ainsi que l’absence d’organisation d’une conférence de rédaction depuis mars 2017 selon un courriel d’un membre de l’équipe de la salariée, indiquant que des réunions n’ont eu lieu que pendant six mois, entre janvier et juin 2017, ces réunions n’abordant pas les audiences mais seulement les sujets à prévoir. La salariée ne justifie pas des raisons pour lesquelles ces conférences de rédaction n’ont pas été organisées comme le demandait régulièrement l’employeur.
La suspension du compte Twitter est établie par les différentes pièces produites par l’employeur qui a sollicité un interlocuteur pour tenter d’obtenir du réseau social un réexamen de la situation du compte public.fr comptant ‘300K followers’, suspendu en raison de ‘multiples infractions’ (aux droits à l’image), selon l’interlocuteur sollicité. Toutefois, les différentes pièces produites ne permettent pas de retenir que la salariée, qui objecte qu’elle n’était pas responsable du suivi des tweets du salarié à l’origine de la publication des tweet ayant causé la suspension, en est la responsable.
Les quelques échanges de SMS avec sa supérieure pendant ses congés, le 31 août 2017, puis pendant son arrêt maladie qui a suivi suite à un pied cassé, qui sont mesurés quant aux demandes faites à la salariée, laquelle, à l’interrogation de son interlocutrice, ne manifeste pas le souhait de ne pas être dérangée, à l’exception d’une demande urgente formulée un samedi en raison d’une migration importante sur un nouveau site, ne sont pas de nature à modifier l’appréciation de la cour d’appel quant à la réalité des manquements de la salariée à ses différentes missions.
– Sur la ‘ mésentente sérieuse qui (lui) est imputable avec plusieurs de (ses) collègues de travail, et (son) attitude irrespectueuse des autres dont (sa) hiérarchie.’
A l’appui de ce manquement, l’employeur produit un échange de courriels entre la salariée et sa supérieure dans lesquels la salariée écrit, au sujet de la suspension du compte twitter de Public.fr, qu’elle ‘s’en tape royalement de [Z] et [M]’, qu’elle ‘ne va pas se rendre malade pour des conneries’, en concluant son mail à sa supérieure en lui disant qu’elle n’a qu’à gérer comme elle veut (‘gère comme tu veux!’). L’employeur établit que ‘[M]’, engagée en qualité de ‘social media manager’ le 20 novembre 2017, a quitté l’entreprise le 4 janvier 2018 par rupture anticipée de sa période d’essai sollicitée par l’intéressée notamment en raison de ses relations avec Mme [J].
L’employeur produit également un échange de courriels du 14 février 2018 entre la salariée et une de ses collègues, à laquelle elle s’adresse de façon cavalière en lui en objectant à la réponse de l’intéressée à l’une de ses demandes ‘peu importe [O]. Ce n’est pas la question ! (…) Lol Comme tu veux, moi c’est juste pour qu’il y ait la News sur le site, c’est tout! ‘
Dans un échange de courriels le 27 mars 2018 avec un membre de son équipe, Mme [J] tient des propos à nouveau cavaliers, inadaptés à un échange entre un supérieur et son subordonné, auquel elle indique ‘[R], je te le répète, je ne serai pas là demain donc on décale la réu (…) C’est plus clair pour toi ”
Enfin, à un supérieur elle écrit le 1er février 2018 ‘Hello [K]. T’arrive bientôt ou tu as zappé notre point ” auquel l’intéressé lui répond ‘non je suis là je t’attends’.
Les courriels (pièce 8) dont se prévaut la salariée pour soutenir que l’entente était bonne avec ses interlocuteurs ne comportent aucune date de sorte que la cour ne peut en tirer aucune valeur probante quant à la bonne exécution de ses obligations contractuelles dans la période contemporaine de la rupture.
Il ressort de ces échanges que l’attitude irrespectueuse inadaptée de la salariée à l’égard de ses collègues, qu’ils soient ses subordonnés ou ses supérieurs, est établie et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il résulte de l’ensemble de ces constatations que les lacunes professionnelles de la salariée et son attitude irrespectueuse sont établies et caractérisent la réalité de l’insuffisance professionnelle qui lui est reprochée.
L’accumulation et la persistance de ces manquements dans le temps, en dépit des nombreux rappels de l’employeur dans ses entretiens d’évaluation et courriels échangés avec la salariée, caractérisent quant à elles leur sérieux, justifiant que l’employeur ait décidé de lui notifier la rupture de son contrat de travail.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté la salariée de ses demandes afférentes.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
Il est établi que l’employeur a sollicité la salariée pour effectuer certaines tâches alors que celle-ci était en arrêt maladie en raison d’une triple facture du pied.
Ce faisant, l’employeur a incontestablement manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, qui lui impose de ne pas faire travailler un salarié dont le contrat de travail est suspendu du fait d’un arrêt maladie.
Ce manquement qui a causé un préjudice à la salariée, caractérisé par l’impossibilité pour celle-ci de se reposer en vue de favoriser son prompt rétablissement, sera réparé par l’octroi d’une somme de 2 000 euros au paiement de laquelle il convient, par voie d’infirmation du jugement, de condamner l’employeur.
Sur le non respect des dispositions relatives à la durée du travail
La salariée ne formule pas une demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires mais de dommages-intérêts au titre du non-respect des dispositions relatives à la durée du travail, lequel n’est pas suffisamment établi par le seul envoi de messages lors d’un week-end précédant la migration du site Public.fr, alors que la salariée bénéficiait d’un accès à distance lui permettant d’organiser librement la gestion de son temps de travail et son droit à la déconnexion.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.
Sur le rappel de prime sur objectifs
La salariée expose qu’elle était éligible à une prime sur objectifs ainsi que le mentionnent ses bulletins de paye de mars, dont le montant était annoncé verbalement en entretien annuel d’évaluation, ainsi que les résultats constatés pour l’année N-1 et les résultats attendus pour la nouvelle année, l’enveloppe global en cas d’objectifs atteints à 100 % étant de 3 038 euros. Alors qu’elle avait perçu en 2017 la somme de 1 802 euros, l’employeur ne lui a versé en mars 2018 que la somme de 1 520 euros, sans autre explication que l’atteinte ou non de ses objectifs, alors qu’elle était déjà convoquée à un entretien préalable au licenciement, et que lors de l’entretien annuel d’évaluation il lui avait été annoncé une prime à 100 %.
L’employeur, qui admet verser cette prime d’objectifs chaque année à tous les salariés de la société, objecte que la salariée n’ayant pas atteint ses objectifs elle a perçu une somme comparable à celle versée les années précédentes, que son manager ne lui a jamais promis une prime à 100 %, la salariée ayant tenté de se préconstituer une preuve le 14 mars 2018.
Au cas présent, si le contrat de travail ne prévoit aucune prime d’objectifs, cependant l’employeur ne conteste pas qu’une telle prime est versée chaque année à tous les salariés, son montant étant variable et fonction des résultats de l’intéressé. L’existence d’un engagement unilatéral de l’employeur quant au versement de cette prime, dont le montant dépend de l’atteinte des objectifs est donc caractérisée, seul son montant annuel étant variable.
Le bulletin de paie de mars 2017 (pièce 16) mentionne qu’une somme de 1 802 euros a été versée à ce titre, les bulletins des années antérieures, dont les conclusions indiquent qu’ils sont versés en pièce 16 également, ne figurent toutefois pas dans le dossier de plaidoirie. Il n’est donc pas établi que la salariée a bénéficié les années passées d’un versement correspondant à 100 % de cette prime. Elle n’établit pas davantage que l’employeur s’est engagé à lui verser la totalité de la prime lors de l’entretien annuel d’évaluation qui s’est tenu fin 2017, son propre courriel du 14 mars 2018 étant, à lui seul et à défaut d’offre de preuve le corroborant, dépourvu de valeur probante.
Enfin, il résulte des développements précédents que les résultats de la salariée étaient insuffisants en terme tant de nombre et que de qualité des publications dont elle avait la responsabilité. Il n’est pas contesté qu’elle a toutefois perçu une prime d’objectifs en mars 2018 d’un montant de 1 520 euros, de sorte qu’elle n’en pas a été totalement privée.
En conséquence, elle est mal fondée à solliciter un rappel de prime d’objectif pour l’année 2018.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société succombant partiellement en appel, il y a lieu d’infirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, de la condamner aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Sa demande fondée sur ce texte sera en outre rejetée.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
Statutant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société CMI Digital à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
CONDAMNE la société CMI Digital à verser à Mme [J] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société CMI Digital aux dépens de première instance et d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président
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