Droit des inventions : 3 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/10255

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Droit des inventions : 3 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/10255

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 03 FEVRIER 2023

(n°21, 20 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 20/10255 – n° Portalis 35L7-V-B7E-CCDED

Décision déférée à la Cour : jugement du 12 mars 2020 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n°17/13662

APPELANTE

S.A. LAMECO, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Immatriculée au rcs de Versailles sous le numéro 302 177 936

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque L 0044

Assistée de Me Dariusz SZLEPER, avocat au barreau de PARIS, toque R 017

INTIMEE

Société [D] [T] GmbH, société de droit allemand, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 5]

[Localité 2]

ALLEMAGNE

Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque K 148

Assistée de Me Emmanuel GOUGÉ plaidant pour PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocat au barreau de PARIS, toque R 020

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 7 décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Mme Déborah BOHEE, Conseillère, désignée en remplacement de Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, empêchée

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 12 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Paris.

Vu l’appel interjeté le 22 juillet 2020 par la société Laméco.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 mai 2022 par la société Laméco, appelante.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 16 mai 2022 par la société [D] [T] GmbH, intimée.

Vu l’ordonnance de clôture du 19 mai 2022.

Vu les conclusions aux fins de révocation de l’ordonnance de clôture remises au greffe et notifiées le 3 juin 2022 par la société Laméco.

Vu l’ordonnance de révocation de l’ordonnance de clôture en date du 9 juin 2022 pour admettre la pièce 25 (avis préliminaire de la cour fédérale des brevets sur la validité de la partie allemande du brevet européen EP n°2 327 541) de la société Laméco et l’ordonnance de clôture du même jour.

Vu la remise à l’audience du 9 juin 2022 par Me [S], huissier de justice, du scellé constitué d’une cale métallique saisie lors de opérations de saisie-contrefaçon en date du 21 juin 2017.

Vu le renvoi des plaidoiries initialement prévues à l’audience du 9 juin 2022 à l’audience du 7 décembre 2022.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La société Laméco se présente comme spécialisée dans le domaine des « cales pelables » qu’elle créée, développe, fabrique et commercialise.

Elle expose qu’il s’agit de cales constituées de multiples couches collées entre elles, dont l’épaisseur peut être réduite en enlevant une partie des couches qui les constituent, afin de les adapter exactement à l’espace existant entre les pièces à rassembler. Elles constituent une sous-catégorie des cales dites « d’épaisseur » et sont utilisées dans différentes applications, l’un des plus importants marchés pour ce type de produits étant l’aéronautique.

La société Laméco est titulaire de plusieurs brevets parmi lesquels le brevet européen EP n°2 327 541 (ci-après EP’541), délivré le 7 mai 2014 sur la base d’une demande déposée le 25 novembre 2009. Il a pour titre : « Cale d’épaisseur et procédé de fabrication de ladite cale d’épaisseur ». Elle a acquis ce titre de M. [I] [B] par acte du 11 janvier 2016 inscrit au registre national des brevets le 16 juin 2017. Il est maintenu en vigueur en France par le paiement régulier des annuités.

La société de droit allemand [D] [T] GmbH conçoit, fabrique et commercialise des cales métalliques pour les industries aéronautique et automobile.

La société Laméco dit avoir constaté que la société [D] [T] exposait et offrait à la vente, à l’occasion du salon professionnel du [Localité 4] du mois de juin 2017, des cales pelables reproduisant selon elle les revendications de son brevet EP’541.

Aussi, après y avoir été dûment autorisée par une ordonnance sur requête du 20 juin 2017 du délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris, la société Laméco a fait réaliser des opérations de saisie-contrefaçon par huissier de justice, le 21 juin 2017, sur le stand de la société [D] [T] au salon du [Localité 4]. L’huissier instrumentaire a saisi deux exemplaires de la cale arguée de contrefaçon dont un exemplaire a été conservé en son étude.

La société Laméco a ensuite, par acte du 19 juillet 2017, fait assigner la société [D] [T] devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris en contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 du brevet européen EP’541.

Le jugement dont appel a :

– prononcé la nullité des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet européen EP 2 237 541 dont est titulaire la société Laméco’;

– ordonné la transmission du jugement, une fois passé en force de chose jugée, à l’Institut National de la Propriété Industrielle pour être transcrit au Registre National des Brevets’;

– débouté en conséquence la société Laméco de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon des revendications du brevet européen EP n°2 237 541 formées à l’encontre de la société [D] [T] ;

– condamné la société Laméco à verser à la société [D] [T] la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société Laméco aux dépens et autorisé Maître Emmanuel Gougé à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

La société Laméco a interjeté appel dudit jugement et a fait dresser les 26 juillet 2021 et 25 janvier 2022 deux procès-verbaux de constat concernant la pièce saisie lors des opérations de saisie-contrefaçon et conservée en l’étude de l’huissier instrumentaire, aux fins de réalisation par un professionnel de photographies haute résolution de cette pièce saisie.

Par ses dernières conclusions, la société Laméco demande à la cour de’:

– déclarer mal fondée la société [D] [T] en toutes ses prétentions, fins, moyens et conclusions’;

En conséquence :

– débouter la société [D] [T] de l’ensemble de ses demandes’;

Faisant droit à son appel principal’;

– prononcer la nullité du jugement du 12 mars 2020 pour violation du principe du caractère contradictoire des débats’;

Subsidiairement, réformer le jugement du 12 mars 2020 en toutes ses dispositions’;

En conséquence :

-dire et juger que les cales pelables ayant fait l’objet du procès-verbal de saisie- contrefaçon du 21 juin 2017 opéré par Me [S], huissier de justice à [Localité 6], au préjudice de la société [D] [T] sur son stand au Salon du [Localité 4], reproduisent les caractéristiques des revendications 1, 2, 3 et 4 du brevet européen n°2 327 541 ;

-dire et juger qu’en important en France les cales précitées, en les détenant et en offrant de telles cales à la vente et à la livraison sur le territoire français, la société [D] [T] a commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 du brevet européen n°2 327 541, tels que définis par les dispositions des articles L.613-2, L.613-3 et L.615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

En conséquence,

– interdire à la société [D] [T] tout acte d’exploitation des cales pelables reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 3 et 4 du brevet européen n°2 327 541 et notamment de fabriquer, importer et commercialiser en France, les cales présentant les caractéristiques techniques identiques aux cales ayant fait l’objet du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 21 juin 2017 établi par Me [S], huissier de justice à [Localité 6], et cela sous astreinte de 1 000 euros par infraction commise à compter de la signification du Jugement à intervenir ;

– condamner la société [D] [T] à lui payer une indemnité provisionnelle de 150 000 euros, sauf à parfaire ou compléter au titre de l’indemnisation du préjudice correspondant à son manque à gagner du fait des actes de contrefaçon précités ;

– nommer tel expert qu’il plaira à la cour de désigner, avec mission de lui fournir tous les éléments utiles à l’évaluation de son préjudice commercial, et notamment de rassembler tous les éléments relatifs aux ventes en France pendant la période non prescrite par la société [D] [T] des cales pelables pliées correspondant aux cales ayant fait l’objet de la saisie-contrefaçon du 21 juin 2017 ;

– condamner la société [D] [T] à lui payer une indemnité de 80 000 euros au titre de l’atteinte à la valeur de son brevet ;

– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans cinq revues ou journaux, y compris en version numérique sur Internet, au choix de la société demanderesse et aux frais de la société défenderesse ;

– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir pendant le délai d’un mois aux frais de la société [D] [T] sur son site internet ;

– condamner la société [D] [T] à lui payer une indemnité de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sauf à parfaire ou compléter ;

– condamner la société [D] [T] en tous les dépens qui comprendront notamment les frais de la saisie-contrefaçon du 21 juin 2017 et qui pourront être recouvrés directement par la SCP AFG, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions, la société [D] [T] GmbH sollicite de la cour de’:

– la juger recevable et bien fondée dans ses demandes et y faisant droit ;

– débouter la société Laméco de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence :

– juger le jugement rendu le 12 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Paris conforme aux principes posés aux articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile et que ledit tribunal n’a pas statué ultra petita ;

– confirmer le jugement rendu le 12 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Paris ;

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse ou` la cour viendrait à annuler ou réformer le jugement entrepris:

– juger nulles pour insuffisance de description, défaut de nouveauté ou défaut d’activité inventive les revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco ;

En conséquence :

– prononcer la nullité des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco ;

– débouter la société Laméco de son action en contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco ;

– juger que la partie la plus diligente procédera à l’inscription de l’arrêt à intervenir au registre national des brevets ;

A titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse ou` la cour considérerait valides les revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco :

– juger que son modèle de cales argué de contrefaçon ne reproduit pas les revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco, et ne constitue pas des moyens de mise en ‘uvre de la revendication 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco ;

En conséquence :

– débouter la société Laméco de son action en contrefaçon littérale ou par équivalence des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 327 541 de la société Laméco ;

A titre très infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse ou` la cour entrerait en voie de condamnation à son encontre :

– juger que les demandes indemnitaires et de mesures de condamnation accessoires sollicitées par la société Laméco tendant à la réparation de son prétendu préjudice ne sont pas justifiées et sont disproportionnées au regard des faits de l’espèce et devront en conséquence être rejetées ;

– débouter la société Laméco de ses demandes tendant à la réparation de son prétendu préjudice ou, condamner la société [D] [T] à payer à la société Laméco la somme d’un euro symbolique au titre des préjudices moral et commercial subis par la société Laméco ;

– débouter la société Laméco de sa demande de nomination d’un expert avec pour mission d’évaluer le préjudice commercial de la société Laméco ;

En tout état de cause :

– condamner la société Laméco à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en complément de la condamnation prononcée par le tribunal dans le jugement entrepris ;

– condamner la société Laméco aux entiers dépens de l’instance dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Emmanuel Gougé, Pinsent Masons France Llp.

Le brevet EP 541 est intitulé ‘cale d’épaisseur et procédé de fabrication de ladite cale d’épaisseur’.

Selon la description paragraphes [0001 et 0002], l’invention concerne en général les cales d’épaisseur et plus précisément, selon un premier aspect, un produit stratifié présentant une épaisseur réglable par délitage, ce produit comprenant un empilement de feuilles présentant chacune une résistance intrinsèque au déchirement, et adhérant l’une à l’autre par une force de liaison plus faible que la résistance des feuilles au déchirement, ce dont il résulte que chaque feuille peut être détachée de l’empilement sans se déchirer.

L’art antérieur cité aux paragraphes [0004] à [0005] de la description, est composé des brevets EP 06672233 divulguant un produit composite pelable et son application à la fabrication de cales pelables, les lamelles pelables étant adhérisées l’une à l’autre par une pellicule de matériau liant en permettant la séparation, et US 2008/0081141 présentant un produit constitué d’une pile de feuilles alternées avec des couches de matériau adhésif, chaque feuille ayant une résistance intrinsèque au déchirement et chaque couche connectant deux feuilles adjacentes avec une force de liaison inférieure à la résistance des feuilles au déchirement de sorte qu’il est possible de détacher des feuilles de la pile sans les déchirer.

Il est précisé au paragraphe [0007] que ces cales sont notamment utilisées dans des industries où aucune perte de cale dans l’ensemble mécanique n’est tolérable, pour des raisons de sécurité ou d’assurance qualité, que pour résorber le jeu entre deux pièces, on insère une cale entre elles avant de les serrer et que, lorsque les pièces à caler ont des surfaces au regard l’une de l’autre qui ne sont pas horizontales, il est utile de faciliter une tenue en place de la cale jusqu’au serrage en cas de montage ou après desserrage en cas de démontage. Il est alors cité au paragraphe [0008 et 0009] des documents présentant des moyens connus pour retenir les cales décrits en aéronautique dans le document WO2007/068949 qui enseigne de mettre un ruban adhésif sur la cale d’épaisseur qui est ensuite enlevé, solution qui convient pour les carénages d’ailes d’avion, mais que, dans d’autres parties de l’avion, la surépaisseur du ruban adhésif et sa tenue en température ne conviennent pas et que, pour enlever le ruban adhésif, il est nécessaire d’enlever la cale et il existe alors une plage temporelle dans laquelle la cale risque de tomber avant le serrage définitif des pièces, ou dans le domaine du bâtiment dans le document EP0362749 divulguant une cale retenue à la verticale à partir du sommet d’un châssis de fenêtre par fixation angulaire réalisée d’une seule pièce avec la cale, ce type de réalisation ne convenant pas dans le domaine de la mécanique de précision, où est présent un large éventail de surfaces obliques, le matériau de la cale de l’art antérieur étant approprié pour subir une déformation plastique au pliage de façon à réaliser la fixation angulaire, mais un matériau stratifié étant mieux approprié pour des tolérances de calage très précises, ces matériaux stratifiés posant toutefois le problème de résistance au pliage qui conduit à une rupture si on dépasse les limites élastiques

Le but de l’invention paragraphe [0010] est de proposer, pour remédier aux problèmes posés par l’art antérieur, une cale d’épaisseur comprenant plusieurs feuilles de métal séparées l’une de l’autre par un film de résine qui confère à la cale une force de cohésion entre les feuilles ayant :

– un module qui est supérieur à une valeur minimale de maintien de la cale rigide dans un plan,

– une composante perpendiculaire au dit plan, inférieure à une première valeur maximale qui permet de peler l’une des feuilles à laquelle on applique une force de séparation supérieure à ladite première valeur maximale, et

– au moins une composante dans ledit plan, inférieure à une deuxième valeur maximale qui permet de faire glisser les feuilles les unes sur les autres lorsqu’on applique à la cale une force de cisaillement supérieure à ladite deuxième valeur maximale,

ladite cale d’épaisseur comprenant au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche.

L’invention a également pour objet, paragraphe[0014], un procédé d’utilisation de cale d’épaisseur pour caler une deuxième pièce comportant une deuxième surface non horizontale sur une première pièce comportant une première surface non horizontale, comprenant des étapes consistant à :

– prendre une cale d’épaisseur comprenant plusieurs feuilles de métal séparées l’une de l’autre par un film de résine qui confère à la cale une force de cohésion entre feuilles ayant un module qui est supérieure à une valeur minimale de maintien de la cale rigide dans un plan et une composante perpendiculaire au dit plan inférieure à une première valeur maximale qui permet de peler l’une des feuilles à laquelle on applique une force de séparation supérieure à ladite première valeur maximale, ladite cale d’épaisseur comprenant en outre au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche ;

– arracher successivement une ou plusieurs feuilles sur une face jusqu’à obtenir une épaisseur de cale qui convient au calage ;

– placer la cale d’épaisseur sur la première surface de façon à ce que la patte maintienne la cale d’épaisseur sur la première pièce ;

– approcher la deuxième pièce de la première pièce contre la cale d’épaisseur.

Le brevet comporte 14 revendications dont seules les revendications 1, 2, 3, 4, et 6 sont invoquées par l’appelante à l’appui de son action en contrefaçon. Les revendications 1 à 4 sont des revendications de produit, les revendications 2, 3 et 4 étant des revendications dépendantes de la revendication 1, et la revendication 6 est une revendication indépendante de procédé.

Ces revendications se lisent comme suit :

Revendication 1′:

Cale d’épaisseur (20, 30, 40) comprenant plusieurs feuilles (1, 2, 3, 4, 5) de métal séparées l’une de l’autre par un film (21, 22, 23, 24, 25) de résine qui confère à la cale une force de cohésion entre feuilles ayant :

– un module qui est supérieur à une valeur minimale de maintien de la cale rigide dans un plan,

– une composante perpendiculaire au dit plan, inférieur à une première valeur maximale qui permet de peler l’une des feuilles à laquelle on applique une force de séparation supérieure à ladite première valeur maximale, et

– au moins une composante dans ledit plan, inférieure à une deuxième valeur maximale qui permet de faire glisser les feuilles les unes sur les autres lorsqu’on applique à la cale une force de cisaillement supérieure à ladite deuxième valeur maximale, caractérisée en ce qu’elle comprend au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche (13, 14, 15).

Revendication 2′:

Cale d’épaisseur selon la revendication 1, caractérisée en ce que ladite résine est à un état final de polymérisation.

Revendication 3′:

Cale d’épaisseur selon l’une des revendications précédentes, caractérisée en ce que le film de résine comporte une épaisseur infinitésimale.

Revendication 4′:

Cale d’épaisseur selon l’une des revendications précédentes, caractérisée en ce que la résine est une résine du type appartenant à la famille des résines thermodurcissables.

Revendication 6′:

Procédé de calage d’une deuxième pièce (32) comportant une deuxième surface (18) non horizontale sur une première pièce (31) comportant une première surface (17) non horizontale, comprenant des étapes consistant à :

– prendre une cale d’épaisseur (20, 30, 40) comprenant plusieurs feuilles (1, 2, 3, 4, 5, 6) de métal séparées l’une de l’autre par un film de résine qui confère à la cale une force de cohésion entre feuilles ayant un module qui est supérieure à une valeur minimale de maintien de la cale rigide dans un plan et une composante perpendiculaire au dit plan inférieure à une première valeur maximale qui permet de peler l’une des feuilles à laquelle on applique une force de séparation supérieure à ladite première valeur maximale, ladite cale d’épaisseur comprenant en outre au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche (13);

– arracher successivement une ou plusieurs feuilles (6, 5, 4) sur une face (9) jusqu’à obtenir une épaisseur de cale qui convient au calage ;

– placer la cale d’épaisseur (20, 30, 40) sur la première surface (17) de façon à ce que la patte (13) maintienne la cale d’épaisseur (20) sur la première pièce (31) ;

– approcher la deuxième pièce (32) de la première pièce (31) contre la cale d’épaisseur (20).

Sur la nullité du jugement entrepris

La société Laméco prétend à la nullité du jugement du 12 mars 2020 qui a annulé les revendications 1 à 4 et 6 de la partie française du brevet EP 541 pour insuffisance de description, aux motifs de la violation du principe de la contradiction par l’adoption unilatérale de la définition de l’homme du métier et par l’annulation de la revendication 6 pour insuffisance de description, le tribunal ayant en outre sur ce dernier point statué ultra petita.

Néanmoins et ainsi que le fait pertinemment valoir l’intimée, la définition de l’homme du métier retenue par le tribunal à savoir un spécialiste des cales pour l’industrie et partant, un spécialiste dans le domaine de la mécanique de précision, n’est qu’une définition plus précise que celle qu’elle a proposée dans ses écritures de première instance, à savoir un spécialiste des cales. La précision faisant référence au spécialiste dans le domaine de la mécanique de précision n’est’pas de nature à caractériser un défaut de respect du principe du contradictoire, la définition de l’homme du métier ayant été largement débattue devant les premiers juges, ce quand bien même cette définition n’est pas partagée par la société Laméco.

De même, la société [D] [T] a sollicité devant le tribunal la nullité des revendications 1 à 4 et 6. Si elle fondait la nullité des revendications 1 à 4 sur un motif d’insuffisance de description et de la revendication 6 sur celui de défaut d’activité inventive, il convient de relever que le motif d’insuffisance de description appartenait au débat contradictoire et c’est sans introduire un élément nouveau ni modifier l’objet du litige que les premiers juges ont retenu ce motif pour annuler la revendication 6 comme les revendications 1 à 4, étant relevé que l’article 12 du code de procédure civile permet au juge lorsque les parties n’ont pas, en vertu d’un accord exprès, limité le débat, de changer la dénomination ou le fondement juridique de la demande. Le tribunal n’a donc pas statué ultra petita ni violé le principe de la contradiction, le débat soulevé par la société Laméco selon lequel le tribunal a considéré de manière erronée que les cales pelables des revendications 1 à 4 et la cale pelable de la revendication 6 étaient identiques pour décider que l’ensemble de ces revendications étaient insuffisamment décrites, relevant du fond du litige.

La demande de nullité du jugement entrepris sera en conséquence rejetée.

Sur la nullité des revendications 1 à 4 et 6 de la partie française du brevet EP 541

Selon l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, « La nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’Article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. »

L’article 138, paragraphe 1, (alinéa a) de la convention sur le brevet européen (CBE) dispose que : «'(1) Sous réserve de l’Article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un état contractant, que si (…) l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des Articles 52 à 57. »

L’article 52-1 de la CBE prévoit que : « Les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle. »

L’article 54 de la CBE précise que :

« (1) Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique.

(2) L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. »

La société [D] [T] sollicitant la nullité des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 à la fois sur le fondement de l’insuffisance de description et du défaut d’activité inventive, il convient de définir l’homme du métier, sur laquelle les parties divergent, l’appelante considérant qu’il s’agit d’un spécialiste des matériaux stratifiés et l’intimée un spécialiste des cales pour l’industrie, cette même définition s’appliquant pour l’appréciation de ces deux motifs de nullité opposés.

– L’homme du métier

La société Laméco critique le jugement entrepris en ce qu’il a défini l’homme du métier comme un spécialiste des cales pour l’industrie et partant, un spécialiste dans le domaine de la mécanique de précision. Elle considère que le domaine technique de l’invention est celui des matériaux stratifiés et plus précisément des cales pelables qui sont par nature des produits stratifiés et qu’ainsi, l’homme du métier est un spécialiste des matériaux stratifiés, la fabrication de ces matériaux impliquant des compétences dans le domaine de la chimie.

L’invention objet du brevet EP 541 concerne des cales d’épaisseur pelables soit un produit stratifié présentant une épaisseur réglable par délitage, ces cales étant utilisées dans des industries où aucune perte de cale dans l’ensemble mécanique n’est tolérable, pour des raisons de sécurité ou d’assurance qualité telle l’industrie aéronautique.

Les problèmes techniques posés que se propose de résoudre l’invention sont ainsi que le soutient la société Laméco, le maintien d’une cale d’épaisseur pelable au moment de sa mise en place entre deux éléments à assembler afin d’éviter le risque de chute, et le pliage ou la déformation par l’application d’une force de cisaillement à ce produit stratifié sans rupture c’est-à-dire en maintenant les feuilles agglomérées entre elles.

Aussi, l’invention mettant en ‘uvre des techniques relevant de domaines différents à savoir d’une part, le domaine technique des cales d’épaisseur pour l’industrie qui sont insérées entre deux pièces pour en résorber le jeu avant de les serrer et, d’autre part, le domaine technique des produits stratifiés et leur résistance au pliage, l’homme du métier à prendre en considération est le spécialiste des cales d’épaisseur pelables qui connaît à la fois la problématique du maintien des cales d’épaisseurs entre deux éléments et la question de l’agglomération des feuilles composant cette cale pour permettre de les peler voir de les déformer pour en assurer un meilleur maintien et qui a donc des connaissances en chimie.

– Sur l’insuffisance de description

La société [D] [T], suivie en cela par les premiers juges, fait valoir que le brevet EP 541 n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et précise pour que l’homme du métier puisse être en mesure de l’exécuter, sans faire preuve d’activité inventive, avec ses connaissances professionnelles normales théoriques et pratiques.

Elle considère alors que l’invention objet du brevet EP 541 est insuffisamment décrite pour permettre à l’homme du métier, spécialiste des cales, de réaliser l’invention par de simples mesures d’exécution, estimant qu’il manque dans la description un nombre important d’exigences techniques pourtant essentielles à l’homme du métier pour réaliser l’invention en particulier pour mettre en ‘uvre la troisième caractéristique de la résine qui doit permettre un glissement de feuille à l’interface du film avec la feuille métallique sans rupture du film de résine, y compris dans l’état totalement polymérisé qui est favorable à la stabilité des propriétés de la cale. Elle estime qu’il manque à l’homme du métier des informations essentielles sur le choix de la résine et du solvant ainsi que les proportions de ces derniers pour lui permettre de réaliser l’invention à partir de ses seules connaissances professionnelles normales théoriques et pratiques. Elle ajoute que la description n’enseigne pas à l’homme du métier à quel moment il doit procéder au cisaillement de la cale pour parvenir à un glissement des feuilles sans rupture de la résine et soutient que le brevet EP 541 est silencieux sur l’état de polymérisation et de durcissement à atteindre pour envisager le cisaillement, la force de cisaillement qui doit être exercée sur la cale sans créer de rupture de la résine, ou encore l’angle de pliage, ce qui ne permet pas à l’homme du métier de réaliser le brevet.

Néanmoins, ainsi qu’il vient d’être relevé l’homme du métier à prendre en considération n’est pas uniquement le spécialiste des cales pour l’industrie mais le spécialiste des cales pelables et partant un professionnel qui a également des connaissances en chimie, les cales pelables comprenant un empilement de feuilles présentant chacune une résistance intrinsèque au déchirement et adhérant l’une à l’autre par une force de liaison plus faible que la résistance des feuilles au déchirement, l’art antérieur cité par la description visant le matériau liant et permettant la séparation des feuilles.

Or, s’agissant du matériau pour agglomérer les cales pelables, la description précise au paragraphe [0031] que dans une première étape, on prépare une solution liquide comprenant une résine non polymérisée à laquelle on ajoute du solvant en surabondance. Les quantités de solvant ajoutées habituellement, varient généralement de 15 à 20% pour faciliter une enduction de feuilles par des rouleaux encreurs comme dans une machine offset, par pulvérisation ou par trempage dans un bain. La surabondance a lieu dès qu’on ajoute du solvant dans une proportion supérieure à 20% de la solution avec pour effet de disperser la résine. Pour obtenir une dispersion plus conséquente de la résine, on peut aller jusqu’à 40% sans pénaliser la polymérisation de la résine que l’on effectuera ensuite. On peut aussi légèrement dépasser la valeur haute pour tenir compte d’une évaporation du solvant avant les étapes suivantes, notamment avant l’étape de polymérisation. Le type de solvant est adapté à la résine. L’acétone se révèle être un solvant très efficace, notamment pour une résine appartenant à la famille des thermodurcissables tels que, plus particulièrement les résines époxydes.

L’homme du métier tel que précédemment défini et qui a des connaissance en chimie, comprendra à la lecture des paragraphes [0031 à 0041] de la description qui précisent les quatre étapes de fabrication de la cale pelable, soit (1) la préparation d’une solution liquide, (2) l’enduction de la résine, (3) l’assemblage des feuilles enduites et leur polymérisation par chauffage et (4) la conformation finale de la cale, que le moyen essentiel du procédé breveté consiste à diluer la résine au-delà des préconisations de son fabricant en ajoutant en surabondance le solvant approprié dans une fourchette de 20 à 40 % de la solution, c’est-à-dire pratiquement le double de la quantité du solvant normalement utilisé pour diluer la résine et qui est de 15 à 20 % en volume de la solution à obtenir. Il comprendra la finalité de la dilution de la résine par un solvant en surabondance et la manière de disposer la résine dissoute sur la feuille métallique. Les paragraphes [0034 à 0037] lui indiquent les paramètres techniques pour obtenir la polymérisation recherchée lorsqu’il utilise une résine thermodurcissable ainsi que les caractéristiques générales de la polymérisation à savoir pour la phase de chauffage, observer une température comprise entre 170°C et 180°C, et la durée « de maintien en température » qui se situe dans la fourchette entre 1h et 7h, selon la masse d’agglomérat à polymériser. Connaissant les paramètres physiques des feuilles métalliques à agglomérer, il adaptera ainsi les conditions de la polymérisation, et notamment la durée de la cuisson de l’agglomérat, en fonction des spécifications techniques de chaque résine, et notamment la résine époxyde, fournies par les fabricants. Enfin, la description comporte au paragraphe [0041] l’indication de la manière d’opérer le pliage et précise que le pliage est effectué avec un rayon de courbure compris entre 1,3 et 1,5 mm, l’homme du métier pouvant également se référer au paragraphe [0029] de la description qui précise que ce pliage est comparable à celui qu’il est possible d’obtenir avec une cale d’épaisseur réalisée en acier.

La société [D] [T] ne peut donc être suivie lorsqu’elle affirme, sans le démontrer, que l’homme du métier tel que précédemment défini qui n’est pas seulement un spécialiste des cales mais a aussi de compétences dans le domaine des produits stratifiés et fera appel à ses connaissances en chimie, devra procéder à d’importantes expériences pour découvrir la bonne résine, le solvant adéquat, leurs proportion, température et durée de cuisson ainsi que les bons moment ou force pour procéder au cisaillement et l’angle de pliage à réaliser.

En effet, comme le fait valoir la société Laméco sans être utilement contredite, la cale pelable étant constituée de feuilles métalliques, l’homme du métier choisira les résines thermodurcissables ou les résines thermoplastiques, ce qui induit le choix du solvant préconisé par le fabricant, la description précisant que pour les résines thermodurcissables telle la résine époxyde qui sont vendus en kilos de poids, le solvant adapté est l’acétone.

Sur l’absence d’indication quant au refroidissement retenue par le tribunal pour conclure à l’insuffisance de description, la société Laméco indique sans être démentie qu’une fois le matériau thermodurcissable polymérisé dans un four, le refroidissement et notamment sa durée n’ont aucun impact sur ses propriétés, le procédé de thermo durcissement n’étant pas réversible.

En conséquence, c’est sans aller au-delà de simples essais de routine que l’homme du métier, au vu des informations de la description et de ses connaissances techniques notamment dans le domaine du matériau stratifié, pourra réaliser l’invention objet du brevet EP 541.

Le moyen de nullité fondé sur l’insuffisance de description doit en conséquence être rejeté.

– Sur la nouveauté

La société [D] [T] invoque devant la cour la nullité du brevet EP 541 pour défaut de nouveauté au motif qu’elle a fabriqué et proposé à la société Airbus en octobre 2009, soit antérieurement à la date du dépôt du brevet critiqué du 23 novembre 2009, une cale pelable répondant aux caractéristiques des revendications opposées.

Elle fournit au débat une attestation de M. [C] [W], employé de la société Airbus en qualité de «’Commodity Buyer Logistics and Transports’» en date du 9 novembre 2020 qui déclare avoir reçu le message de M. [G] [T] du 12 octobre 2009, joint à l’attestation, indiquant qu’il souhaite participer à l’appel d’offre et faisant état du travail de développement technique par la société des «’cales pelables SUS 0,1mm’» en particulier des cales qui se plient. Sont jointes à ce message quatre photographies de cales.

Ainsi que le fait valoir la société Laméco, le brevet est un titre présumé valable et le doute sur l’existence et la portée de l’antériorité doit profiter au breveté, l’antériorité devant être certaine dans la consistance de ce qu’elle divulgue et dans sa date.

S’il ne peut être déduit de la formule d’usage inscrite tout en bas de page du courriel adressé par la société [D] [T] selon laquelle «’The message is intended for the addressee or its representative only. Any form of unauthorized use, publication, reproduction, copying or disclosure of the content of this email is not permitted. If you are not the intended recipient of this email message and its contents please notify the sender immediately and delete this message and all the attachments subsequently.’», le caractère confidentiel des informations contenues que veut lui prêter la société Laméco pour considérer qu’il ne s’agit pas d’une divulgation au public, il n’en demeure pas moins que les quelques informations données dans ce message telles que «’fabriquer des cales qui se plient avec des feuilles de 0,05 se heurte au problème de la délamination au-delà de 0,8mm d’épaisseur totale de la cale, les quelques exemples d’échantillon que vous trouverez en photo ci-jointes le démontrent parfaitement, Nous achetons du matériel brut de 0,1 mm pour la production en série à partir duquel nous avons fabriqué des cales pelables, pour donner suite à cela des tests positifs sur le pliage et le pelage ont été réalisés’» et les photographies jointes montrant une cale pelable pliée, sont insuffisantes à démontrer qu’elles permettent à l’homme du métier d’exécuter cette invention, ce courriel ne caractérisant pas un accès direct et non ambigu à l’invention. Les affirmations de la société [D] [T] selon lesquelles cette cale pelable serait déjà commercialisée sur le marché ne sont par ailleurs étayées par aucune pièce.

Le moyen de nullité tiré de l’absence de nouveauté des revendications 1 à 4 et 6 du brevet EP 541 est en conséquence écarté.

– Sur l’activité inventive

Selon les dispositions de l’article 56 de la CBE, une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique.

La société [D] [T] conteste l’activité inventive de la revendication principale 1 ci-avant rappelée sur le fondement des documents suivants’:

– les enseignements du brevet EP 0 667 233 A1 (EP 233), dit document « D1 », pris seul ou en combinaison avec les connaissances générales de l’homme du métier, ou avec la demande de brevet US 2007/0253790 A1 ou avec le brevet CA 1 176 088 ; ou

– les enseignements du brevet FR 2 854 098 (famille du brevet US 2008/081141 dit document « D2 ») pris en combinaison avec la demande de brevet US 2007/0253790 A1 ou avec le brevet CA 1 176 088 ; ou

– les enseignements du brevet US 2,124,866, pris en combinaison avec le document D2 ou avec le brevet FR 2 854 098 (famille du document D2).

Ainsi que le fait valoir la société [D] [T], le brevet EP 0 667 233 A1 déposé le 16 août 1995 au nom de M. [I] [U] [B] qui porte sur un “produit composite laminé pelable et son application à la fabrication de cales de réglage” constitue l’état de l’art antérieur le plus proche selon le rapport de recherche et l’opinion de brevetabilité de l’examinateur de l’OEB.

Ce document, ainsi que le reconnaît la société Laméco dans la réponse du 14 novembre 2011 aux objections de l’examinateur de l’OEB (pièce 3-4 [D] [T]), «’divulgue une cale d’épaisseur comprenant plusieurs feuilles de métal séparées l’une de l’autre par un film de résine qui confère à la cale une force de cohésion entre les feuilles. Il ressort aussi de la description du document D1 que la force de cohésion entre feuilles a une composante perpendiculaire au dit plan, inférieure à une valeur maximale qui permet de peler l’une des feuilles à laquelle on applique une force de séparation supérieure à ladite valeur maximale.’».

Pour répondre aux objections de l’OEB, la société Laméco a alors modifié la revendication 1 telle que déposée pour y intégrer la caractéristique de la revendication 2 « en ce qu’elle comprend au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche’».

Selon la société [D] [T], il était évident pour l’homme du métier, en partant du brevet EP 233 qui enseigne toutes les caractéristiques de la cale d’épaisseur, en ce compris les caractéristiques de la force de cohésion de la résine liant les feuilles de métal, de prévoir une patte d’accroche à au moins une extrémité de la cale afin de pouvoir s’accrocher à des surfaces obliques des pièces qu’elle vise à caler entre elles.

Néanmoins, il n’est nullement démontré par la société [D] [T] qu’en partant du brevet EP 233 qui a pour but de proposer un produit composite laminé pelable permettant d’amortir les vibrations le traversant et a pour objet un produit composite laminé pelable comportant un empilement de lamelles pelables séparées ou adhérisées par une pellicule de matériau liant et caractérisé en ce qu’il comporte au moins une couche en un matériau différent de celui constitutif des lamelles pelables, l’homme du métier ci-avant défini serait amené de manière évidente avec l’aide de ses seules connaissances à plier la cale objet de ce brevet EP 233 pour résoudre le problème de maintien d’une cale d’épaisseur pelable au moment de sa mise en place entre deux éléments à assembler afin d’éviter le risque de chute. En effet, outre que le brevet EP 233 n’évoque nullement le problème de maintien des cales, aucun élément ne vient démontrer que l’homme du métier est incité à déformer par cisaillement cette cale pour créer une patte d’accroche, celui-ci apparaissant en être plutôt dissuadé par la présence d’une couche en un matériau différent en polymère. Si la figure 1 dudit brevet EP 233 montre une lamelle métallique partiellement pelée, elle ne divulgue ni ne suggère une patte d’accroche permettant de résoudre la question du maintien des cales entre les pièces à assembler.

La société [D] [T] fait alors valoir qu’il était évident pour l’homme du métier, en partant des enseignements du brevet EP’233, de caler des pièces avec une patte d’accroche, à savoir une cale avec au moins une extrémité qui n’est pas dans le prolongement du corps de la cale pour s’adapter aux surfaces des pièces à caler.

De telles cales pelables sont en effet selon elle connues dans l’état de l’art antérieur notamment les documents antérieurs suivants :

– la demande de brevet US 2007/0253790 (US 790), ou

– le brevet CA 1 176 088 5 (CA 088), ou

– les cales fabriquées et commercialisées par la société [D] [T] avant la date du dépôt du brevet EP’541.

Le brevet US 790 divulgue un dispositif de verrouillage d’objets en position. Le but de l’invention est de fournir un dispositif avec lequel il est possible, de manière simple, de verrouiller des récipients [containers] dans un système de chargement de fret précisément dans des tolérances étroites. L’invention objet de ce brevet pose donc un problème différent de celui que l’homme du métier est appelé à résoudre dans l’invention arguée de nullité.

Selon la société [D] [T], cette antériorité enseigne clairement à l’homme du métier un élément ajustable avec une extrémité notamment perpendiculaire pour mieux se tenir à la pièce sur laquelle il devait se positionner, et donc être calée à celle-ci. Elle considère alors qu’il est donc évident pour l’homme du métier, en partant du brevet EP’233 pris en combinaison avec les enseignements du brevet US’790, d’utiliser une cale d’épaisseur avec au moins une extrémité perpendiculaire au corps, à savoir avec une extrémité dotée d’une « patte d’accroche », pour caler des pièces en s’adaptant aux surfaces concernées.

Néanmoins, il sera relevé que si le brevet US 790 divulgue bien une cale pelable, celle-ci n’est pas équipée d’une patte d’accroche permettant de bloquer temporairement la cale entre deux éléments à serrer, mais d’un moyen de fixation de la cale dans la griffe de verrouillage et a donc une fonction différente. En outre, ce moyen de fixation n’est pas obtenu par l’emploi d’une force de cisaillement de la cale pelable. La société [D] [T] ne peut à cet égard, opposer à la société Laméco ses déclarations en réponse au grief d’insuffisance de description, concernant les connaissances auxquelles fait appel l’homme du métier pour réaliser l’invention objet du brevet EP 541, alors qu’en matière d’appréciation de l’activité inventive, il y a lieu de partir des antériorités citées et des connaissances de l’homme du métier à la date du dépôt du brevet ou de sa date de priorité, celui-ci n’ayant pas connaissance de l’invention objet du brevet critiqué.

Le brevet CA 088 divulgue un système de cale ajustable. Selon la société [D] [T], il était connu de l’homme du métier d’utiliser des cales avec des formes particulières, (partie courbée dénommée « knee region » ou « knee section » dans ledit brevet) notamment avec des courbures, avec une fonction d’accrochage et qu’il était donc évident pour l’homme du métier de combiner les enseignements du brevet CA’088, à savoir réaliser une cale avec une partie pliée à une extrémité pour s’adapter aux pièces, avec les enseignements du brevet EP’233 qui enseigne une cale composée de plusieurs feuilles métalliques dont la cohésion est assurée par une résine avec certaines propriétés.

Cette invention objet du brevet CA 088, dans son aspect le plus large, envisage un dispositif de cale ajustable destiné à être utilisé pour contrôler avec précision la distance entre une structure de support et une pièce à fixer à la structure de support.

Ainsi que le fait remarquer la société Laméco, cette invention ne concerne pas les cales pelables et ne traite pas la question du maintien d’une cale entre deux pièces à assembler, s’agissant d’un système de cale métallique ajustable qui est soudé sur un support.

En conséquence, aucun élément ne vient justifier que l’homme du métier combine cette antériorité avec la brevet EP 233 et s’il le fait, qu’il déduise de cette combinaison la création par l’effet de cisaillement d’une cale pelable, d’une patte d’accroche d’une cale entre deux pièces à assembler.

S’agissant des enseignements des cales de la société [D] [T] objet du courriel précité du 12 octobre 2019 adressé à la société Airbus, outre que cette antériorité ne peut être retenue que pour ce qu’elle décrit, à savoir peu de chose, il sera rappelé que le brevet EP 233 n’incite pas l’homme du métier, et même le dissuade, à appliquer un pliage pour former une patte d’accroche à la cale pelable objet du brevet et la société [D] [T] n’explique pas en quoi l’homme du métier sera amené à combiner ces deux documents pour parvenir de manière évidente à l’invention brevetée.

La société [D] [T] invoque ensuite le brevet FR 2 854 098 (FR 098) qui sert de base à la priorité du brevet US 2008/081141 (D2) déposé le 13 avril 2004 au nom de M. [I] [U] [B].

Ce brevet concerne un produit laminé avec organe d’identification électronique et dispositif d’identification et de suivi de ces produits. Selon l’abrégé, « l’invention concerne un produit laminé présentant une épaisseur réglable par délitage, ce produit comprenant un empilement (10) alterné de feuilles (11) et de couches (12) d’un matériau adhésif, chaque feuille (11) présentant une résistance intrinsèque au déchirement, et chaque couche (12) de matériau adhésif reliant l’une à l’autre deux feuilles (11) adjacentes de l’empilement (10) par une force de liaison plus faible que la résistance des feuilles (11) au déchirement, ce dont il résulte que chaque feuille (11) peut être détachée de l’empilement (10) sans se déchirer. Selon l’invention, le produit comprend un logement (20) ménagé dans l’épaisseur de l’empilement (10), et un organe électronique d’identification (30) disposé dans le logement (20) ».

La société [D] [T] se basant sur l’opinion de brevetabilité émise par l’OEB dans le cadre de l’examen de la demande de brevet EP’541 soutient que l’ensemble des caractéristiques de la revendication 1 de ce brevet tel que déposé (et correspondant à la partie non caractérisante de la revendication 1 du brevet EP’541 tel que délivré) est enseigné par ce document et que l’homme du métier aura été incité à partir des enseignements de ce document à résoudre le problème technique posé par le brevet EP 541. Elle considère alors que caler des pièces avec une patte d’accroche était évident pour l’homme du métier au regard de ses connaissances générales ou des enseignements de documents antérieurs, tels que le brevet US’790 ou le brevet CA’088 qui enseignent des cales avec au moins une extrémité pliée ou perpendiculaire par rapport au plan, de nature à constituer une patte d’accroche pour caler des pièces en s’adaptant aux surfaces desdites pièces.

Toutefois, il ressort de la description du brevet FR 098 que le problème technique qu’il se propose de résoudre est l’identification des cales une fois l’ajustement de l’épaisseur effectuée, la solution proposée étant l’aménagement d’un logement dans l’épaisseur de l’empilement et la disposition d’un organe électronique d’identification dans ce logement. Si elle divulgue une cale pelable qui présente des caractéristiques proches de celles objets de la revendication 1 en dehors de la partie caractérisante et de la caractéristique selon laquelle au moins une composante dans ledit plan inférieur à une deuxième valeur maximale permettrait de faire glisser les feuilles sur les autres lorsqu’on applique à la cale une force de cisaillement supérieure à ladite deuxième valeur maximale, ce malgré les affirmations de l’opinion préliminaire de l’OEB, elle ne vise nullement à régler la question du maintien d’une cale d’épaisseur pelable au moment de sa mise en place entre deux éléments à assembler afin d’éviter le risque de chute, et ne suggère pas le pliage ou la déformation par l’application d’une force de cisaillement à ce produit stratifié sans rupture c’est-à-dire en maintenant les feuilles agglomérées entre elles.

Aussi, le brevet FR 098 ne suggérant nullement à l’homme du métier le problème technique que se propose de résoudre le brevet EP 541, il ne peut être utilement soutenu l’absence d’activité inventive en combinant cette invention avec le brevet US 790 relatif à un dispositif de fixation de containers et avec le brevet CA 088 qui concerne une cale d’amortissement.

Pour les raisons qui précèdent, la combinaison avec les cales de la société [D] [T] objets du courriel à la société Airbus n’est pas plus pertinente pour conclure à un défaut d’activité inventive.

La société [D] [T] oppose enfin une dernière antériorité constituée par un brevet US 2 124 866 (US 866) publié en 1938 qui concerne une cale laminée basée sur des lamelles en acier pelables au couteau. Elle considère que ce brevet enseigne à l’homme du métier toutes les caractéristiques de la revendication 1 à l’exception de la résine et que l’homme du métier cherchera alors pour résoudre le problème posé par l’invention arguée de nullité, à utiliser une résine conférant à la cale une force de cohésion entre les feuilles. Elle en conclut que la revendication 1 du brevet EP 541 est dépourvue d’activité inventive au regard de ce brevet pris en combinaison avec le brevet EP 233 ou FR 098.

Ainsi que le fait valoir la société Laméco sans être démentie, le brevet US 866 pose le problème du maintien des lames en acier au sein d’une cale d’épaisseur et propose une solution qu’est le traitement des surfaces de ces lames par un procédé particulier afin d’y appliquer un adhésif. Cette invention comme la précédente, est étrangère au problème que souhaite résoudre le brevet EP 541 soit le maintien de la cale pelable entre deux pièces à assembler et le brevet US 866 ne présente pas les caractéristiques de la cale d’épaisseur objet du brevet critiqué, telle celle qui comporte au moins une extrémité qui sort du plan sous forme d’une patte d’accroche.

Il n’est pas établi par la société [D] [T] qu’il soit évident pour l’homme du métier de choisir une résine appropriée pour résoudre le problème posé par le brevet EP 541 en partant du brevet US 866, ce brevet ne posant pas la question du choix d’une résine pour régler le problème de maintien de la cale pelable entre deux pièces à assembler. De même, aucun élément ne vient soutenir l’affirmation selon laquelle l’homme du métier serait amené à combiner le brevet US 866 avec les brevets EP 233 et FR 098 tous étrangers à la problématique que se propose de résoudre le brevet EP 541.

Il ressort de ce qui précède, que le problème à résoudre dans le brevet EP 541 n’a pas été posé dans les antériorités citées par la société [D] [T] qui ne suggèrent pas plus les moyens techniques permettant d’obtenir la solution recherchée, et il n’est pas montré que l’homme du métier était à même avec ses seules connaissances et sans faire ‘uvre inventive, de proposer de résoudre le problème posé par l’invention avec des moyens employés à d’autres fins.

La société [D] [T] échoue donc à démontrer qu’il est évident pour l’homme du métier en partant de ces antériorités de réaliser l’invention objet du brevet EP 541.

Le moyen de nullité de la revendication 1 fondée sur l’absence d’activité inventive est en conséquence rejetée.

La revendication 1 du brevet EP 541 doit en conséquence être considérée comme valable. Il en va de même des revendications 2, 3 et 4 qui sont des revendications dépendantes.

S’agissant du défaut d’activité inventive de la revendication indépendante 6 qui est une revendication de procédé de calage, la société [D] [T] ne démontre pas qu’il est évident pour l’homme du métier partant du brevet EP 233 précité qu’elle invoque à nouveau, en combinaison avec ses connaissances générales qui comprennent ‘la force de cohésion utilisée dans le procédé faisant l’objet de la revendication 6’ car ‘ces paramètres de la force de cohésion de la cale de la revendication 6 sont parfaitement connus de l’homme du métier’, parvienne sans difficulté au procédé de calage revendiqué qui utilise une cale pelable dont l’extrémité sort du plan de la cale pour constituer une patte d’accroche permettant un pré positionnement de la cale dans son logement et son maintien avant le serrage.

Le moyen de nullité de la revendication 6 fondée que l’absence d’activité inventive est en conséquence également rejeté.

Sur la contrefaçon

La société Laméco reproche à la société [D] [T] d’importer et d’offrir à la vente des cales qui reproduisent les caractéristiques des revendications 1, 2, 3 et 4 de son brevet EP 541 et, en les exposant au salon du [Localité 4] se tenant en France, d’offrir à la vente des cales destinées à être utilisées pour le procédé de calage tel que défini dans la revendication 6.

La société [D] [T] lui oppose qu’elle ne démontre pas que la cale saisie lors des opérations de saisie-contrefaçon est la contrefaçon du brevet dont elle est titulaire, estimant que la société Laméco ne procède que par affirmation.

La société Laméco, pour démontrer les actes de contrefaçon allégués, se fonde sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 21 juin 2017, une attestation d’un de ses salariés du 19 juin 2017, un procès-verbal de constat dressé le 3 décembre 2018 sur le site internet georgmartin.de ainsi que deux procès-verbaux de constat dressés par huissier de justice les 26 juillet 2021 et 25 janvier 2022 dans le cadre duquel l’huissier constate la prise de clichés en gros plans de la pièce objet de la saisie-contrefaçon du 21 juin 2017 et dont l’huissier de justice était resté détenteur.

Il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par huissier de justice le 21 juin 2017 sur le stand de la société [D] [T] au salon du [Localité 4] que l’huissier instrumentaire constate la présence de deux cales arguées de contrefaçon exposées dans une vitrine en bordure du stand, qu’il s’agit d’une cale métallique dont un côté est biseauté et dont l’extrémité la plus petite est pliée, qu’un trou apparaît approximativement au centre de cette pièce et que la cale est composée d’une superposition de feuilles métalliques «’qui se soulèvent lorsque je procède à une traction sur la feuille supérieure’». L’expert accompagnant l’huissier de justice, déclare quant à lui «’j’observe un produit métallique rigide pouvant servir de cale d’épaisseur. Il est possible d’enlever de couches métalliques fines pour ajuster précisément l’épaisseur. Les couches sont collées les unes aux autres. Le produit est essentiellement plan ou plat mais à l’approche d’une des extrémités il comporte une patte en dehors du plan, la patte peut servir à accrocher. La patte est délimitée par une ligne d’angle qui a pu être faite à l’aide d’un outil produisant un cisaillement des couches. Au-delà de la ligne d’angle, les feuilles métalliques sont essentiellement collées les unes aux autres’». L’huissier instrumentaire saisit réellement les deux cales présentes.

La société Laméco fournit également au débat une attestation de M. [R] [F] en date du 19 juin 2017, directeur commercial Europe de cette société, qui témoigne avoir constaté que la société [D] [T] est présente sur un stand au salon du [Localité 4] et que sont exposées les cales pelables dont les caractéristiques apparaissent relever des revendications du brevet européen n° 2327541 B1exploité par la société Laméco et dont elle est titulaire. Est jointe à cette attestation une photographie non datée de mauvaise qualité où apparaît une cale posée sur un présentoir et une étiquette en contrebas sur laquelle est inscrite la mention M-Tech L placée en-dessous d’un autre présentoir sur lequel est posée une autre étiquette.

Par le procès-verbal du 3 décembre 2018 sur le site internet georgmartin.de, l’huissier de justice constate la présentation de «’solutions avec cales de réglage M-Tech. Stratégies optimales et produits pour les processus d’ajustage dans l’assemblage’» les cales M-Tech L étant décrites comme des cales pelables comprenant des tôles stratifiées qui sont collés sur une plaque à l’aide de résine polymère.

Néanmoins, ainsi que le fait valoir la société [D] [T], les éléments qui précèdent ne démontrent pas que la cale saisie sur son stand lors des opérations de saisie-contrefaçon correspond aux cales de la gamme M-Tech L décrites sur le site internet georgmartin.de, cette référence n’ayant pas été constatée par l’huissier instrumentaire lors de ses opérations et l’attestation de M. [F], préposé de la société Laméco, n’étant pas de nature à démontrer la référence de cette cale, la photographie jointe étant ambiguë quant au lien entre la cale et l’étiquette figurant en contrebas. La circonstance que lors des opérations de saisie-contrefaçon la personne représentant la société [D] [T] a déclaré que sa société a acquis les droits sur une marque de cale pelable LAMINUM, ancienne dénomination des cales MtechL n’est pas pertinente, l’huissier instrumentaire ne constatant aucun rapport entre cette marque et le produit saisi.

En conséquence, la société Laméco ne peut utilement se fonder sur les constatations opérées dans le procès-verbal de constat du 3 décembre 2018 sur le site internet georgmartin.de et sur les caractéristiques techniques de cales MtechL qui y sont relevées, pour décrire la composition et les propriétés mécaniques et structurelles des cales saisies lors des opérations de saisie-contrefaçon aucun lien ne pouvant être fait par la cour entre les cales MtechL figurant sur le site internet de l’intimée et celles saisies lors des opérations de saisie-contrefaçon.

Il ressort des constatations effectuées lors des opérations de saisie-contrefaçon que la cale saisie est une cale d’épaisseur composée de couches métalliques fines collées les unes aux autres, ce produit étant essentiellement plan et comportant à une extrémité une patte en dehors du plan qui peut servir à accrocher.

L’huissier instrumentaire comme l’expert qui l’accompagne, déclarent que les feuilles métalliques se soulèvent lorsqu’il est procédé à une traction sur la feuille supérieure ou qu’il est possible d’enlever des couches métalliques fines pour ajuster l’épaisseur. Ces déclarations qui font foi seront prises en considération par la cour, la société [D] [T] qui les conteste n’en apportant pas la preuve contraire.

Toutefois, ainsi que le soutient la société [D] [T], la société Laméco échoue à démontrer que l’ensemble des caractéristiques de la revendication 1 est reproduit par la cale saisie, aucun élément autre que le constat internet qui vient d’être écarté, ne venant corroborer les affirmations de la société Laméco selon lesquelles la cale saisie serait composée de feuilles de métal séparées par un film de résine. De même, la reproduction de la caractéristique de la revendication 1 tenant au glissement des feuilles les unes sur les autres lorsqu’on applique à la cale une force de cisaillement supérieure à ladite deuxième valeur n’est pas caractérisée, l’expert assistant l’huissier n’étant pas affirmatif sur ce point et précédant par hypothèse, celui-ci déclarant à l’huissier, «La patte est délimitée par une ligne d’angle qui a pu être faite à l’aide d’un outil produisant un cisaillement des couches’».

Il apparaît des diverses constatations opérées sur la cale saisie que, une fois les feuilles pliées à l’extrémité, une séparation entre les différents blocs de feuilles existe (PV de constat des 26 juillet 2021 et 25 janvier 2022).

La société Laméco ne peut être suivie lorsqu’elle affirme que dès lors que deux feuilles sont liées par une résine, la contrefaçon est réalisée car la revendication 1 qui vise une cale «’comprenant’» plusieurs feuilles collées les unes aux autres, n’exige nullement que toutes les feuilles constituant la cale d’épaisseur pelable soient continuellement collées les unes aux autres.

En effet, comme le relève la société [D] [T], la description et les dessins à la lumière desquels doit être interprétée la revendication précisent que le film de résine doit être « suffisamment fin pour permettre un glissement de feuille à l’interface du film de résine avec la feuille métallique sans rupture du film de résine, y compris dans l’état totalement polymérisé qui est favorable » (lignes 14 à 18, colonne 7, para [36] du brevet EP’541) et qu’« en référence à la figure 7, on coince une extrémité 43 du produit stratifié 200 entre deux blocs 41, 42 d’un outil sans la serrer de façon à permettre un glissement des feuilles l’une sur l’autre sans rupture comme on l’obtiendrait par pliage en déformation plastique dans un milieu continu uniforme » (lignes 42 à 4, colonne 7, para [40] du brevet EP’541).

Il en résulte que, selon l’invention brevetée, le glissement des feuilles les unes sur les autres ne doit donc entraîner aucune rupture du film de résine de sorte que la cale doit présenter une uniformité du bloc de l’ensemble des feuilles ainsi que montré dans les figures 1 et 7 du brevet EP 541.

Or, il apparaît clairement du procès-verbal de constat du 26 juillet 2021 comme de celui du 25 janvier 2022 présentant des photographies en gros plan de la cale saisie, que cette cale montre une rupture puisque présentant différents blocs de feuilles séparées les unes des autres (ou délaminées) au niveau de la patte d’accroche en ce compris la pliure ainsi de la partie plane, ce qui conduit à considérer que les feuilles ont collé les unes aux autres sans glisser les une sur les autres, ce dernier point étant une caractéristique essentielle de la revendication 1.

En conséquence, il n’est pas démontré par la société Laméco que la cale saisie sur le stand de la société [D] [T] reproduit les caractéristiques revendiquées dans le brevet EP 541 et qu’elle en constitue donc la contrefaçon même imparfaite.

La société Laméco soutient alors que la cale saisie tomberait sous le coup de la contrefaçon par équivalence. Elle considère que le résultat technique recherché et obtenu par la cale objet du brevet EP 541 est de faciliter la tenue en place de la cale jusqu’au serrage en cas de montage ou après desserrage en cas de démontage et que, quel que soient les propriétés de la force de cohésion de la résine de la cale saisie, force est de constater que cette cale pelable présente une extrémité sortant du plan et que cette extrémité ne présente aucun effilochage de feuilles individuelles.

La contrefaçon par équivalence peut être retenue lorsque le moyen revendiqué par le brevet n’est pas reproduit intégralement par le dispositif en cause mais que la forme différente de celui-ci exerce la même fonction que ce moyen pour un résultat identique ou similaire à condition que la fonction visée dans le contexte de la revendication ne soit pas connue de l’état de la technique.

La société Laméco considère que la société [D] [T] ne peut invoquer le courriel qu’elle a adressé le 12 octobre 2009 à la société Airbus pour lui opposer le défaut de nouveauté de la fonction du blocage de la cale par la création d’une extrémité sortant du plan et pouvant jouer le rôle d’une patte d’accroche, ce courriel et les photographies qui y sont jointes n’expliquant pas la destination des pièces représentées.

Toutefois, il sera constaté que les pièces figurant sur les photographies jointes au courriel précité comme la pièce saisie lors des opérations de saisie-contrefaçon, présentent une extrémité sortant du plan. S’il est exact qu’il n’est pas précisé dans le courriel la fonction de cette extrémité tel est le cas également de la pièce objet de la saisie-contrefaçon, cette fonction ne résultant que des déclarations générales de l’expert selon lesquelles le produit ‘comporte une patte en dehors du plan, la patte peut servir à accrocher’ et non d’un autre élément tel un document technique émanant de la société [D] [T]. En conséquence, qu’il s’agisse de la cale présentée en annexe du courriel de la société [D] [T] à la société Airbus, ou de celle saisie sur le stand de cette société au salon du [Localité 4], les deux cales présentent une extrémité sortant du plan. Si cette extrémité est considérée comme une patte d’accroche ayant pour fonction de bloquer la cale pour la pièce saisie, ce qu’affirme la société Laméco, il doit nécessairement en être de même pour la cale objet du courriel dont il n’est pas discuté qu’il est antérieur à la date du dépôt du brevet opposé.

En conséquence la fonction visée dans le contexte de la revendication étant connue de l’état de la technique, la contrefaçon par équivalence de la revendication 1 ne sera pas non plus retenue.

La contrefaçon de la revendication 1 n’est pas établie.

Pour les raisons qui précèdent, la société Laméco affirmant sans le démontrer que la cale saisie appartient à la gamme M-Tech L de la société [D] [T] pour en déduire qu’elle présente les caractéristiques liées à la résine revendiquée dans les revendications dépendantes 2, 3 et 4, il sera considéré que la contrefaçon de ces revendications n’est pas plus caractérisée par l’appelante.

S’agissant de la contrefaçon de la revendication indépendante 6 du brevet EP 541, la société Laméco soutient que les cales saisies qui ont été offertes à la vente lors du plus important salon professionnel aéronautique, comportent les caractéristiques techniques qui les rendent aptes à la mise en ‘uvre du procédé de calage couvert par cette revendication et qu’il s’agit d’une contrefaçon par fourniture de moyens.

Néanmoins, il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas établi par l’appelante que les cales arguées de contrefaçon relèvent de la gamme Mtech L. Elle ne démontre pas plus, sauf par affirmation, que ces cales reproduiraient les caractéristiques de la cale visée à la revendication 6 pour procéder au calage de sorte qu’elles constitueraient un moyen essentiel à la mise en ‘uvre de l’invention sur le territoire français et surtout que la société Goerg [T] savait que les cales critiquées étaient aptes ou destinées à cette mise en ‘uvre ou fournit des informations à cette fin.

La contrefaçon de la revendication 6 du brevet EP 541 doit également être écartée.

En conséquence, l’ensemble des demandes de la société Laméco au titre de la contrefaçon des revendications 1, 2 , 3, 4 et 6 de la partie française du brevet européen EP 541 dont elle est titulaire seront rejetées, en ce compris sa demande de publication judiciaire.

Sur les autres demandes

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante, la société Laméco est condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société [D] [T], en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité complémentaire qui sera, en équité, fixée à la somme de 50.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande de nullité du jugement entrepris,

Infirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Laméco à verser à la société [D] [T] la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, condamné la société Laméco aux dépens et autorisé Maître Emmanuel Gougé à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette les demandes de la société [D] [T] en nullité des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 du brevet européen EP n°2 327 541 dont la société Laméco est titulaire,

Déboute la société Laméco de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon des revendications du brevet européen EP n°2 237 541 formées à l’encontre de la société [D] [T] ;

Condamne la société Laméco à payer à la société [D] [T] la somme complémentaire de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Laméco de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Laméco aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

 


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