Droit des inventions : 10 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02450

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Droit des inventions : 10 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/02450

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 10 FEVRIER 2023

(n°24, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/02450 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CDCII

Décision déférée à la Cour : jugement du 07 janvier 2021 -Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre 1ère section – RG n°19/00659

APPELANTE

S.A.S. TRACTEL, agissant en la personne de son président en exercice, M. [H] [W], domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 3]

[Localité 1]

Immatriculée au rcs de Troyes sous le numéro 422 197 962

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque L 0018

Assistée de Me Jean-Frédéric GAULTIER plaidant pour la SELARL TALIENS, avocat au barreau de PARIS, toque D 320

INTIMEE

S.A.S. PETZL DISTRIBUTION, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Localité 2]

Immatriculée au rcs de Grenoble sous le numéro 388 381 642

Représentée par Me Yves BIZOLLON de l’AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de PARIS, toque R 255

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Mmes Véronique RENARD et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente, désignée en remplacement de Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, empêchée

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 7 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a :

– déclaré nulles pour défaut d’activité inventive les revendications 1 à 4 et 6 de la partie française du brevet EP 2 552 551 dont est titulaire la société Tractel,

– rejeté toutes les demandes de la société Tractel,

– rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Petzl Distribution,

– ordonné la transmission de la décision, une fois passée en force de chose jugée, à l’INPI, à l’initiative de la partie la plus diligente, aux fins de transcription sur le registre des brevets,

– condamné la société Tractel aux dépens et autorisé maître [U] à recouvrer directement ceux dont il aurait fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné la société Tractel à payer à la société Petzl Distribution la somme de 60 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision sauf en ce qui concerne sa transcription,

Vu l’appel interjeté le 4 février 2021 par la société Tractel,

Vu les conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 août 2022 par la société Tractel qui demande à la cour de :

– réformer le jugement du 7 janvier 2021 sauf en ce qu’il a rejeté la demande de dommages intérêts de la société Petzl Distribution,

Et, statuant à nouveau :

– dire que Petzl Distribution a commis des actes de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4 et 6 du Brevet EP 2 552 551 en ayant offert, mis dans le commerce, utilisé, importé, exporté, transbordé et détenu aux fins précitées les harnais Volt et Volt Wind,

– interdire à Petzl Distribution la poursuite des actes de contrefaçon, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, chaque exemplaire d’un harnais Volt ou Volt Wind et chaque acte interdit étant une infraction distincte, l’astreinte commençant à courir le jour de la signification de l’arrêt à intervenir,

– ordonner, aux frais de Petzl Distribution le rappel de tous les exemplaires des harnais Volt et Volt Wind des circuits commerciaux aux fins de destruction devant huissier, Petzl Distribution devant, dans les 15 jours de l’arrêt à intervenir et sous astreinte

de 500 euros par jour de retard, écrire à toutes les personnes auxquelles au moins un exemplaire harnais Volt et Volt Wind a été adressé afin de demander le retour dudit harnais,

– ordonner la publication du texte ci-après dans deux journaux ou périodiques du choix de la demanderesse et aux frais de Petzl Distribution (le cas échéant avancés par Tractel), dans la limite de 15.000 euros HT au total : « Par arrêt de la cour d’appel de Paris du [date à compléter], la société Petzl Distribution a été condamnée pour contrefaçon du brevet EP 2 552 551 à la demande de la société Tractel SAS »,

– ordonner la publication du même texte pour une durée de trois mois sur le site internet www.Petzl.com, immédiatement lisible sur la page d’accueil, en caractères Arial 12, aux frais Petzl Distribution et sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir quinze jours après la signification de l’arrêt à intervenir,

– ordonner à Petzl Distribution de communiquer à Tractel les informations suivantes pour le monde entier :

– le nom et l’adresse du fabricant des harnais Volt et Volt Wind,

– les quantités produites, commandées, importées, exportées, en stock et commercialisées (sous quelque forme que ce soit, y compris à titre gratuit) des harnais Volt et Volt Wind,

– les quantités produites, commandées, importées, exportées, en stock et commercialisées (sous quelque forme que ce soit, y compris à titre gratuit) de produits commercialisés avec lesdits harnais et formant ainsi un tout commercial (accessoires tels que porte-outils pour harnais, pochette porte-outils, écarteur pour harnais, sellette pour harnais et produits complémentaires tels que les longes),

– le chiffre d’affaires réalisé grâce à la commercialisation (vente ou autre) des harnais Volt et Volt Wind et de leurs accessoires et produits complémentaires, les données chiffrées ci-dessus devant être produites depuis mars 2010, date de priorité du brevet EP 2 552 551, détaillées par produit, par année et par pays, et être certifiées conformes aux livres comptables de Petzl Distribution par un commissaire aux comptes,

tous ces éléments devant être communiqués dans le mois de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jours de retard et par information manquante.

– se réserver la liquidation des astreintes,

– condamner Petzl Distribution à payer à Tractel 100 000 euros à titre de provision sur dommages intérêts,

– condamner Petzl Distribution à payer à Tractel 120 000 euros à parfaire (sic) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Petzl Distribution aux entiers dépens dont le recouvrement sera assuré par la SELARL Pellerin – de Maria – Guerre conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– débouter Petzl Distribution de l’ensemble de ses demandes,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mai 2022 par la société Petzl Distribution qui demande à la cour de :

– dire et juger irrecevable et non fondé l’appel de la société Tractel SAS,

En conséquence,

– confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages-intérêts et statuant de nouveau :

– condamner la société Tractel SAS à payer à la société Petzl Distribution SAS la somme de 200 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour procédure abusive,

En tout état de cause,

– dire et juger que la société Tractel SAS n’apporte pas la preuve que les harnais Volt et Volt Wind de Petzl Distribution SAS reproduiraient les caractéristiques du brevet EP 2 552 551,

– dire et juger que la contrefaçon alléguée du brevet EP 2 552 551 n’est pas établie,

– débouter de plus fort la société Tractel SAS de ses demandes,

– condamner la société Tractel SAS à payer à la société Petzl Distribution SAS la somme de 100 000 euros au titre des frais et honoraires exposés devant la cour sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Tractel SAS à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de maître Yves Bizollon conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance de clôture du 15 septembre 2022 ;

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Tractel conçoit, fabrique et commercialise notamment du matériel de levage et manutention, des appareils de mesure de charge et des équipements de sécurité antichute.

Elle est la titulaire du brevet n°EP 2 552 551 (EP 551) ayant pour titre ‘Harnais de sécurité, procédé de fonctionnement’, dont la délivrance a été publiée le 27 mai 2015, et revendiquant la priorité d’un brevet français dont la demande de délivrance a été publiée le 31 mars 2010.

La société Petzl Distribution (ci-après la société Petzl) est quant à elle spécialisée dans le domaine des équipements de loisirs, notamment de montagne et d’escalade mais expose avoir développé un secteur de produits et solutions d’assurage et de progression sur cordes pour professionnels, en particulier pour les techniciens devant intervenir en hauteur, et notamment des harnais.

La société Tractel indique avoir découvert courant 2017 que la société Petzl fabriquait et commercialisait des harnais de sécurité antichute et de maintien au travail, sous les références Volt et Volt Wind reproduisant selon elle les caractéristiques des revendications 1 à 4 et 6 du brevet

EP 551.

Par courrier du 21 juillet 2017, la société Tractel a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Petzl de cesser toute fabrication et/ou commercialisation des harnais litigieux et de lui fournir toutes informations permettant de chiffrer son préjudice.

Par ordonnance du 12 décembre 2018, la société Tractel a été autorisée à faire procéder à une saisie-contrefaçon et les opérations se sont déroulées le 20 décembre 2018. Quatre exemplaires de harnais ont été saisis, ainsi que des résultats de tests et des documents comptables, lesquels ont été placés sous scellés à la demande de la société Petzl au motif qu’ils contenaient des informations confidentielles.

Par acte d’huissier de justice du 15 janvier 2019, la société Tractel a fait assigner la société Petzl devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon du brevet EP 2 552 551.

C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement dont appel.

La société Tractel demande à la cour de réformer le jugement en faisant valoir que le brevet EP 551 fait preuve d’activité inventive et que le harnais Volt commercialisé par la société Petzl reprend les caractéristiques revendiquées.

La société Petzl conclut quant à elle tant à l’irrecevabilité qu’au mal fondé de l’appel et sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré nulles pour défaut d’activité inventive les revendications 1 à 4 et 6 de la partie française du brevet EP 551 et rejeté toutes les demandes de la société Tractel.

Sur la recevabilité de l’appel

A titre liminaire, la cour relève que si la société Petzl conclut, aux termes du dispositif de ses dernières écritures, à l’irrecevabilité de l’appel de la société Tractel, aucun moyen d’irrecevabilité de l’appel n’est développé dans ces mêmes écritures, étant précisé que l’appréciation d’une telle demande serait en tout état de cause de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état.

En conséquence, l’appel de la société Tractel doit être considéré comme étant recevable.

Sur la portée du brevet EP 551

L’invention concerne un harnais de sécurité antichute et un procédé de fonctionnement. Ce harnais de sécurité comporte un dissipateur d’énergie en cas d’arrêt de chute. Elle a des applications dans le domaine de la sécurité et protection antichute.

Selon la partie descriptive du brevet, des normes ont été édictées concernant ce type d’équipements et notamment en ce qui concerne le comportement du harnais en cas de chute. En particulier, la norme EN361 indique que l’utilisateur, après une chute, doit rester accroché avec un angle de la partie haute du corps inférieure à 50° par rapport à la verticale afin de ne pas pouvoir basculer trop fortement et risquer de terminer tête en bas lorsqu’il est retenu après une chute. Or il est intéressant pour des raisons d’ergonomie de disposer d’un moyen d’accrochage du harnais à un système antichute qui soit relativement bas, en particulier en position ombilicale afin que notamment ce dernier ne soit pas gêné dans ses mouvements au niveau du thorax.

Il est indiqué que l’on connaît des systèmes d’accrochage pour harnais pouvant se déplacer comme ceux des demandes WO 2007/0689899, WO 2005/105217, GB 1 485 651 ou EP 1 803 487 mais que ces systèmes présentent un certain nombre d’inconvénients comme le fait d’avoir un accrochage qui, de dorsal, passe vers l’avant de l’utilisateur avec le risque de choc sur la nuque, le fait de ne pas bloquer une chute mais de la freiner pour permettre à l’utilisateur de descendre d’une hauteur, ou le fait d’avoir un niveau de résistance réduit et difficilement contrôlable.

Le but de l’invention est donc de remédier à ces inconvénients en proposant un dispositif et un procédé qui évitent ce type de problème. Il est donc mis en ‘uvre un moyen d’accrochage ombilical sur un harnais de sécurité, mais le moyen d’accrochage se déplace en remontant vers le haut de l’utilisateur en cas de chute jusqu’à une hauteur finale où le moyen d’accrochage s’immobilise (‘), ce qui limite les possibilités de basculement de l’utilisateur. Le moyen de fixation mis en ‘uvre pour fixer le moyen d’accrochage sur le harnais comporte un moyen à dissipation d’énergie lors de la chute sous la forme de coutures qui cèdent progressivement lors de l’arrêt de la chute.

Selon l’invention, la liaison comporte un premier moyen de fixation à faible résistance R1 pouvant céder en cas de chute et un second moyen de fixation R2 ne cédant pas en cas de chute, les moyens de fixation étant des coutures de sangles afin que le moyen d’accrochage initialement bas, en position ombilicale, se déplace vers le haut de l’utilisateur lorsqu’il est soumis à un effort de traction.

La partie descriptive développe en outre divers modes de réalisation de l’invention.

A cette fin, le brevet se compose de 10 revendications dont seules sont opposées les revendications 1 à 4 et 6 dont la teneur suit :

1. Harnais de sécurité pour retenue de chute d’un utilisateur comportant : un assemblage de sangles destiné à être passé autour du corps de l’utilisateur et apte à assurer son maintien, et un moyen d’accrochage à un système antichute, le moyen d’accrochage étant relié par une liaison audit assemblage de sangles, la liaison comportant : un premier moyen de fixation à faible résistance (R1) pouvant céder en cas de chute, la faible résistance étant inférieure à la force que subit ledit moyen lors d’une chute de l’utilisateur équipé du harnais, et un second moyen de fixation à résistance élevée (R2) ne cédant pas en cas de chute, la résistance élevée étant supérieure à la force que subit ledit moyen lors d’une chute de l’utilisateur équipé du harnais, l’assemblage de sangles comportant au moins deux sangles de bretelles passant sur respectivement l’épaule droite et l’épaule gauche de l’utilisateur et descendant chacune sensiblement verticalement latéralement sur l’avant droit et gauche respectivement de l’utilisateur dans des portions avant de bretelles, le moyen d’accrochage étant disposé sur une sangle de retenue, avant la chute, ladite sangle étant disposée sensiblement horizontale et étendue entre les deux portions avant de bretelles et ladite sangle de retenue étant fixée de chaque côté sur lesdites deux portions avant de bretelles par le premier moyen de fixation et par le second moyen de fixation, ledit second moyen de fixation étant placé à une hauteur supérieure à celle du premier moyen de fixation afin qu’en cas de chute provoquant un effort de traction faisant céder le premier moyen de fixation, la sangle de retenue se détache des deux portions avant de bretelles jusqu’au second moyen de fixation qui résiste afin que le moyen d’accrochage qui était ombilical avant la chute passe à une hauteur supérieure vers le haut du corps de l’utilisateur, caractérisé en ce que les premier et second moyens de fixation sont des coutures entre sangles.

2.Harnais selon la revendication 1, caractérisé en ce que le seuil d’effort de traction sur le moyen d’accrochage faisant céder le premier moyen de fixation est compris entre 150 daN et 600 daN.

3.Harnais selon la revendication 1 ou 2 caractérisé en ce que le second moyen de fixation est disposé au niveau thoracique sur chacune des portions de bretelles.

4.Harnais selon l’une quelconque des revendications précédentes caractérisé en ce que la position finale du moyen d’accrochage après une chute est au moins sternal.

6. Procédé de fonctionnement d’un harnais selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce qu’il est irréversible, les coutures de sangles réalisées dans une première partie correspondant au premier moyen de fixation cédant lorsque le moyen d’accrochage est soumis à un effort de traction supérieur au seuil de déclenchement déterminé, et en ce qu’on réalise lesdites coutures du premier moyen de fixation sur les deux portions avant des deux bretelles dudit harnais.

Sur la validité du brevet EP 551

La société appelante fait grief au tribunal d’avoir considéré que le document Cedas constitue le document de l’art antérieur le plus proche faisant valoir qu’il présente des différences structurelles et fonctionnelles majeures avec le brevet ; elle conteste que la combinaison de ce document avec un document Fukui puisse rendre évidente la solution apportée par le brevet dès lors que ces documents sont incompatibles, précisant qu’en tout état de cause l’homme du métier n’arriverait pas à l’invention telle que décrite dans le brevet EP 551 ; elle ajoute que la combinaison des documents Cedas et Okamoto également opposée par la société Petzl n’est pas plus envisageable par l’homme du métier dans sa recherche de solution pour concevoir un harnais dont le moyen d’accrochage se déplace. Enfin la société Tractel indique que le tribunal n’a pas motivé sa décision en ce qui concerne l’absence de validité des revendications 2 à 4 et 6 alors que la nullité de la revendication principale indépendante pour défaut d’activité inventive n’emporte pas celle des revendications dépendantes, sans plus de développement sur ce point.

La société Petzel conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré la revendication 1 du brevet EP 551 nulle pour défaut d’activité inventive en soutenant pour sa part que l’homme du métier, partant du document Cedas aurait été mis sur la voie du brevet EP 551 par l’enseignement des brevets antérieurs Fukui ou Okamoto ; elle conclut par ailleurs à la nullité pour défaut d’activité inventive des revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6.

Aux termes de l’article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications ».

Selon l’article 138 § 1 a) de la Convention sur le Brevet Européen, « Sous réserve de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un état contractant, que si l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ».

Selon l’article 56 de la CBE, « une invention est considérée comme impliquant une activité

inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique (…) ».

Pour apprécier l’activité inventive d’un brevet, il convient de déterminer d’une part, l’état de la technique le plus proche, d’autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d’examiner si l’invention revendiquée aurait été évidente pour l’homme du métier.

Ce dernier étant celui du domaine technique où se pose le problème que l’invention objet du brevet se propose de résoudre, et l’invention couverte par le brevet EP 551 étant un harnais antichute, l’homme du métier est en l’espèce un spécialiste des équipements de sécurité individuels pour le travail en hauteur et en particulier des harnais, ce qui n’est pas contesté.

a) Sur la validité de la revendication 1

Le brevet EP 551 cite dans sa description le document antérieur EP 1 803 487 (ci-après le

brevet Cedas) intitulé « Safety harness » ou « Harnais de sécurité » déposé le 28 décembre 2005, publié le 4 juillet 2007 et délivré le 1er juillet 2009.

L’ invention Cedas concerne un dispositif de sécurité, tel qu’un harnais de sécurité, conçu pour être porté par une personne qui travaille en hauteur, comprenant un dispositif de connexion destiné à être connecté à un moyen de fixation en un point de fixation dans le dispositif de connexion.

Il est indiqué que :

– le point de fixation doit être placé verticalement sur la poitrine de l’utilisateur pour que le harnais antichute fonctionne de manière souhaitable. En cas de chute avec un tel harnais antichute, l’utilisateur sera redressé et pendra ainsi verticalement. Si le point de fixation entre la corde et le harnais antichute est plutôt placé plus bas, par exemple à la taille de l’utilisateur, celui-ci ne sera pas redressé. Dans le pire des cas, l’utilisateur pourrait se casser le dos [§ 0003],

– un inconvénient résultant des dispositifs de sécurité actuellement disponibles est que, du fait que le point de fixation est positionné sur la poitrine de l’utilisateur, la corde connectée au dispositif de sécurité peut se trouver dans une position inappropriée pour l’utilisateur, par exemple devant son visage où la corde gêne son travail. D’une part, la corde peut être inconfortable et ainsi obstruer la vue et, d’autre part, interférer avec certaines tâches [§ 0004],

– ledit point de fixation est agencé pour pouvoir être déplacé d’une position basse par rapport au corps de l’utilisateur à une position haute afin d’être amené à se déplacer de ladite position basse à ladite position haute sous l’action de la charge résultant de la chute dudit utilisateur [§ 0008],

– ledit dispositif de connexion comprend au moins une boucle de ceinture qui peut être déplacée à travers un ‘il coulissant et qui, d’un côté est reliée à une partie épaule du dispositif de sécurité et, de l’autre côté de l”illet coulissant, est relié auxdits moyens de fixation, l”il coulissant étant en même temps relié à une partie inférieure du dispositif de sécurité [§ 0010].

Ce document Cedas relève donc du même domaine technique que le brevet EP 551, pose un problème identique et divulgue aussi une solution de déplacement entre une position de travail basse et une position de sécurité haute. Les premiers juges ont donc pu retenir à bon droit qu’il devait être considéré comme étant l’état de la technique le plus proche.

Si la société Tractel fait valoir que ce document n’est pas pertinent dès lors qu’il présente avec le brevet EP 551 des différences structurelles et fonctionnelles résultant notamment du coulissement des sangles et de l’absence de resserrement du harnais, elle n’indique nullement quel serait l’art antérieur le plus proche, étant ajouté en tout état de cause que l’appréciation de l’activité inventive d’un brevet implique précisément de rechercher si les éléments de l’art antérieur, pris isolément ou en combinaison, permettaient à l’évidence à l’homme du métier d’apporter au problème résolu par l’invention la même solution que celle-ci.

Les figures 1 a et 1b du brevet Cedas divulguent :

– « une partie épaule » (revendication 3),

– « un moyen de fixation (13,18) au niveau du point de fixation (8) ( revendication1),

– « un dispositif de connexion (3)» (revendication 1) qui est « relié à une partie épaule » et

« destiné à être relié à un moyen de fixation » ; cette sangle de retenue comprend notamment une portion horizontale à laquelle est accroché le moyen d’accrochage.

Ainsi que l’a relevé le tribunal, l’invention Cedas concerne donc un harnais de retenue pour le cas de chute d’un utilisateur, comprenant un assemblage de sangles destinées à être passées autour du corps, l’assemblage étant doté d’un moyen d’accrochage comprenant un premier niveau de fixation en partie basse des portions avant de bretelles – de fait, en position ombilicale – et qui, en cas de perte d’appui et de chute de l’utilisateur, coulisse à un second niveau de fixation situé dans la partie haute du corps.

Ce document divulgue donc les caractéristiques du brevet EP 551 à l’exception toutefois des deux moyens de fixation, de faible résistance (coutures fusibles) et à résistance élevée (coutures de résistance).

Le problème technique à résoudre consistait donc, ainsi que le soutient la société Petzl, à maintenir dans une position fixe temporaire ombilicale, lorsque l’utilisateur travaille, la liaison et le moyen d’accrochage et à arrêter le déplacement du moyen d’accrochage par un moyen autre que le serrage des sangles du harnais sur l’utilisateur, ou en d’autres termes, à trouver un moyen alternatif à celui divulgué par le brevet Cedas pour contrôler le passage du moyen de fixation du harnais de sa position basse à sa position haute.

Le brevet JP 08-182770 (ci-après le document Fukui ) déposé le 29 décembre 1994 et publié le 16 juillet 1996 est intitulé « harnais antichute pour travaux aériens ».

L’invention propose un harnais antichute pour travaux aériens facile d’utilisation. Le harnais est constitué de sangles d’épaules raccordées ou croisées au milieu du dos et de sangles de cuisse qui soutiennent à la fois les cuisses et l’entrejambe, d’un seul tenant ou assemblées, avec un ou plusieurs éléments de connexion qui permettent un ajustement vertical. Des passants sont formés à hauteur de la taille pour permettre le passage d’une ceinture et son intégration au harnais. Le harnais comporte une sangle de guidage de l’anneau de raccordement qui s’étend de l’intersection des sangles d’épaule, au milieu du dos, avec une connexion. La sangle de guidage est cousue sur la sangle de l’épaule et traverse l’anneau de raccordement avant d’être fixée à la ceinture. En cas de chute, l’anneau de raccordement coupe les coutures entre la sangle de guidage et la sangle d’épaule, en absorbant l’énergie cinétique et s’arrête au croisement des sangles au milieu du dos, ce qui permet la suspension et la protection des utilisateurs dans une posture normale.

Les coutures qui fixent la sangle de retenue à la bretelle dorsale sont donc faites pour se rompre sous la force de la chute de l’utilisateur et « absorber l’énergie ». La Figure 17 du brevet montre quant à elle que lors d’une chute, la sangle de retenue se détache de la sangle de bretelle jusqu’à une couture qui résiste au niveau du croisement des deux bretelles, de sorte que la société Tractel ne peut utilement soutenir que l’enseignement de ce document ne porte que sur l’utilisation de coutures fusibles.

Ainsi le document Fukui divulgue deux moyens de fixation de la sangle de retenue, en l’occurrence sur la bretelle arrière mais néanmoins dans la région ombilicale, et un moyen d’accrochage qui se déplace d’une position initiale basse à une position haute au moment de la chute de l’utilisateur grâce à un système de coutures qui se rompent et absorbent l’énergie de cette chute.

Dès lors, en partant du document Cedas qui décrit un harnais muni de sangles reliées à l’avant du corps à un système de fixation permettant en position basse à son utilisateur de travailler et coulissant vers le haut en cas de perte d’appui, l’homme du métier cherchant à résoudre le problème du contrôle du passage du moyen de fixation du harnais, de la position basse à la position haute pour absorber l’énergie d’une chute, aurait été mis sur la voie du brevet EP 551 par le brevet Fukui qui enseigne un système alliant des coutures fusibles qui permettent de fixer temporairement la sangle de retenue rapportée et le moyen d’accrochage sur le harnais et une couture de résistance qui permet d’arrêter le déplacement du moyen d’accrochage et absorbe l’énergie de la chute de l’utilisateur pour parvenir, sans faire preuve d’activité inventive, à l’invention Tractel, ces deux documents n’étant nullement incompatibles comme le soutient la société Tractel dès lors que les systèmes de coulisse et de coutures fusibles et résistantes ont bien les mêmes fonctions, que la possibilité pour l’utilisateur de porter le harnais Cedas desserré lorsqu’il travaille n’est qu’un avantage du brevet Cedas, au demeurant non essentiel à la sécurité de l’utilisateur, et enfin que dans ce document Cedas, la sangle de retenue est déjà fixée de chaque côté sur les portions avant de bretelle de sorte qu’il est bien symétrique.

Il en résulte que la revendication 1 du brevet Tractel doit être annulée pour défaut d’activité inventive et le jugement confirmé de ce chef.

b) Sur la validité des revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6

L’échelle de valeurs couverte par la revendication 2 du brevet EP 551 (entre 150 daN et 600 daN) est nettement inférieure à celle fixée par la norme EN 361 auxquelles les harnais doivent résister qui est de 10 kN et de 15 kN. Ces valeurs telles que revendiquées étaient donc évidentes pour un professionnel du domaine des harnais de sécurité qui cherche à faire des coutures qui ne résistent pas à la force exercée par la chute de l’utilisateur.

La revendication 2 du brevet EP 551 est donc nulle pour défaut d’activité inventive.

La caractéristique couverte par la revendication 3 selon laquelle le second moyen de fixation est disposé au niveau thoracique sur chacune des portions avant de bretelles découle également des exigences de la norme EN 361 qui impose que l’angle formé entre l’axe longitudinal de l’utilisateur du harnais et la verticale ne doit pas excéder 50°, ceci n’étant possible que si le point de fixation est placé à une hauteur supérieure au centre de gravité de l’utilisateur.

Cette caractéristique ne présente donc pas de caractère inventif et doit en conséquence être annulée.

La caractéristique de la revendication 4 du brevet EP 551 selon laquelle la position finale du moyen d’accrochage après une chute est au moins sternal résulte de la même manière de l’application de la norme EN 361 (figure 2), le moyen d’accrochage qui relie le harnais à la ligne de vie se trouvant nécessairement à une hauteur supérieure à celle du point de fixation après chute.

La revendication 4 du brevet EP 551 est donc dépourvue d’activité inventive.

Enfin selon la revendication 6 du brevet EP 551, « le procédé de fonctionnement d’un harnais est caractérisé en ce qu’il est irréversible, les coutures de sangles réalisées dans une première partie correspondant au premier moyen de fixation cédant lorsque le moyen d’accrochage est soumis à un effort de traction supérieur au seuil de déclenchement déterminé, et en ce qu’on réalise lesdites coutures du premier moyen de fixation sur les deux portions avant des deux bretelles dudit harnais ».

Or le système de coutures qui se rompent sous l’effet de la force de la chute de l’utilisateur tel qu’enseigné notamment par le brevet Fukui est par nature irréversible. Enfin le fait de placer les coutures fusibles sur les deux portions avant des bretelles du harnais ne présente pas plus de caractère inventif.

En conséquence, il y a lieu de déclarer nulles les revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6 du brevet EP 551 pour défaut d’activité inventive et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la contrefaçon

Les demandes en contrefaçon du brevet annulé et les demandes subséquentes ne peuvent qu’être rejetées.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

– ordonner, aux frais de Petzl Distribution le rappel de tous les exemplaires des harnais Volt et Volt Wind des circuits commerciaux aux fins de destruction devant huissier, Petzl Distribution devant, dans les 15 jours de l’arrêt à intervenir et sous astreinte

de 500 euros par jour de retard, écrire à toutes les personnes auxquelles au moins un exemplaire harnais Volt et Volt Wind a été adressé afin de demander le retour dudit harnais,

– ordonner la publication du texte ci-après dans deux journaux ou périodiques du choix de la demanderesse et aux frais de Petzl Distribution (le cas échéant avancés par Tractel), dans la limite de 15.000 euros HT au total : « Par arrêt de la cour d’appel de Paris du [date à compléter], la société Petzl Distribution a été condamnée pour contrefaçon du brevet EP 2 552 551 à la demande de la société Tractel SAS »,

– ordonner la publication du même texte pour une durée de trois mois sur le site internet www.Petzl.com, immédiatement lisible sur la page d’accueil, en caractères Arial 12, aux frais Petzl Distribution et sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir quinze jours après la signification de l’arrêt à intervenir,

– ordonner à Petzl Distribution de communiquer à Tractel les informations suivantes pour le monde entier :

– le nom et l’adresse du fabricant des harnais Volt et Volt Wind,

– les quantités produites, commandées, importées, exportées, en stock et commercialisées (sous quelque forme que ce soit, y compris à titre gratuit) des harnais Volt et Volt Wind,

– les quantités produites, commandées, importées, exportées, en stock et commercialisées (sous quelque forme que ce soit, y compris à titre gratuit) de produits commercialisés avec lesdits harnais et formant ainsi un tout commercial (accessoires tels que porte-outils pour harnais, pochette porte-outils, écarteur pour harnais, sellette pour harnais et produits complémentaires tels que les longes),

– le chiffre d’affaires réalisé grâce à la commercialisation (vente ou autre) des harnais Volt et Volt Wind et de leurs accessoires et produits complémentaires, les données chiffrées ci-dessus devant être produites depuis mars 2010, date de priorité du brevet EP 2 552 551, détaillées par produit, par année et par pays, et être certifiées conformes aux livres comptables de Petzl Distribution par un commissaire aux comptes,

tous ces éléments devant être communiqués dans le mois de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jours de retard et par information manquante.

– se réserver la liquidation des astreintes,

– condamner Petzl Distribution à payer à Tractel 100 000 euros à titre de provision sur dommages intérêts,

– condamner Petzl Distribution à payer à Tractel 120 000 euros à parfaire (sic) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Petzl Distribution aux entiers dépens dont le recouvrement sera assuré par la SELARL Pellerin – de Maria – Guerre conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– débouter Petzl Distribution de l’ensemble de ses demandes,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 17 mai 2022 par la société Petzl Distribution qui demande à la cour de :

– dire et juger irrecevable et non fondé l’appel de la société Tractel SAS,

En conséquence,

– confirmer le jugement dont appel sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages-intérêts et statuant de nouveau :

– condamner la société Tractel SAS à payer à la société Petzl Distribution SAS la somme de 200 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour procédure abusive,

En tout état de cause,

– dire et juger que la société Tractel SAS n’apporte pas la preuve que les harnais Volt et Volt Wind de Petzl Distribution SAS reproduiraient les caractéristiques du brevet EP 2 552 551,

– dire et juger que la contrefaçon alléguée du brevet EP 2 552 551 n’est pas établie,

– débouter de plus fort la société Tractel SAS de ses demandes,

– condamner la société Tractel SAS à payer à la société Petzl Distribution SAS la somme de 100 000 euros au titre des frais et honoraires exposés devant la cour sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Tractel SAS à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de maître Yves Bizollon conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu l’ordonnance de clôture du 15 septembre 2022 ;

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Tractel conçoit, fabrique et commercialise notamment du matériel de levage et manutention, des appareils de mesure de charge et des équipements de sécurité antichute.

Elle est la titulaire du brevet n°EP 2 552 551 (EP 551) ayant pour titre ‘Harnais de sécurité, procédé de fonctionnement’, dont la délivrance a été publiée le 27 mai 2015, et revendiquant la priorité d’un brevet français dont la demande de délivrance a été publiée le 31 mars 2010.

La société Petzl Distribution (ci-après la société Petzl) est quant à elle spécialisée dans le domaine des équipements de loisirs, notamment de montagne et d’escalade mais expose avoir développé un secteur de produits et solutions d’assurage et de progression sur cordes pour professionnels, en particulier pour les techniciens devant intervenir en hauteur, et notamment des harnais.

La société Tractel indique avoir découvert courant 2017 que la société Petzl fabriquait et commercialisait des harnais de sécurité antichute et de maintien au travail, sous les références Volt et Volt Wind reproduisant selon elle les caractéristiques des revendications 1 à 4 et 6 du brevet

EP 551.

Par courrier du 21 juillet 2017, la société Tractel a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Petzl de cesser toute fabrication et/ou commercialisation des harnais litigieux et de lui fournir toutes informations permettant de chiffrer son préjudice.

Par ordonnance du 12 décembre 2018, la société Tractel a été autorisée à faire procéder à une saisie-contrefaçon et les opérations se sont déroulées le 20 décembre 2018. Quatre exemplaires de harnais ont été saisis, ainsi que des résultats de tests et des documents comptables, lesquels ont été placés sous scellés à la demande de la société Petzl au motif qu’ils contenaient des informations confidentielles.

Par acte d’huissier de justice du 15 janvier 2019, la société Tractel a fait assigner la société Petzl devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris en contrefaçon du brevet EP 2 552 551.

C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement dont appel.

La société Tractel demande à la cour de réformer le jugement en faisant valoir que le brevet EP 551 fait preuve d’activité inventive et que le harnais Volt commercialisé par la société Petzl reprend les caractéristiques revendiquées.

La société Petzl conclut quant à elle tant à l’irrecevabilité qu’au mal fondé de l’appel et sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré nulles pour défaut d’activité inventive les revendications 1 à 4 et 6 de la partie française du brevet EP 551 et rejeté toutes les demandes de la société Tractel.

Sur la recevabilité de l’appel

A titre liminaire, la cour relève que si la société Petzl conclut, aux termes du dispositif de ses dernières écritures, à l’irrecevabilité de l’appel de la société Tractel, aucun moyen d’irrecevabilité de l’appel n’est développé dans ces mêmes écritures, étant précisé que l’appréciation d’une telle demande serait en tout état de cause de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état.

En conséquence, l’appel de la société Tractel doit être considéré comme étant recevable.

Sur la portée du brevet EP 551

L’invention concerne un harnais de sécurité antichute et un procédé de fonctionnement. Ce harnais de sécurité comporte un dissipateur d’énergie en cas d’arrêt de chute. Elle a des applications dans le domaine de la sécurité et protection antichute.

Selon la partie descriptive du brevet, des normes ont été édictées concernant ce type d’équipements et notamment en ce qui concerne le comportement du harnais en cas de chute. En particulier, la norme EN361 indique que l’utilisateur, après une chute, doit rester accroché avec un angle de la partie haute du corps inférieure à 50° par rapport à la verticale afin de ne pas pouvoir basculer trop fortement et risquer de terminer tête en bas lorsqu’il est retenu après une chute. Or il est intéressant pour des raisons d’ergonomie de disposer d’un moyen d’accrochage du harnais à un système antichute qui soit relativement bas, en particulier en position ombilicale afin que notamment ce dernier ne soit pas gêné dans ses mouvements au niveau du thorax.

Il est indiqué que l’on connaît des systèmes d’accrochage pour harnais pouvant se déplacer comme ceux des demandes WO 2007/0689899, WO 2005/105217, GB 1 485 651 ou EP 1 803 487 mais que ces systèmes présentent un certain nombre d’inconvénients comme le fait d’avoir un accrochage qui, de dorsal, passe vers l’avant de l’utilisateur avec le risque de choc sur la nuque, le fait de ne pas bloquer une chute mais de la freiner pour permettre à l’utilisateur de descendre d’une hauteur, ou le fait d’avoir un niveau de résistance réduit et difficilement contrôlable.

Le but de l’invention est donc de remédier à ces inconvénients en proposant un dispositif et un procédé qui évitent ce type de problème. Il est donc mis en ‘uvre un moyen d’accrochage ombilical sur un harnais de sécurité, mais le moyen d’accrochage se déplace en remontant vers le haut de l’utilisateur en cas de chute jusqu’à une hauteur finale où le moyen d’accrochage s’immobilise (‘), ce qui limite les possibilités de basculement de l’utilisateur. Le moyen de fixation mis en ‘uvre pour fixer le moyen d’accrochage sur le harnais comporte un moyen à dissipation d’énergie lors de la chute sous la forme de coutures qui cèdent progressivement lors de l’arrêt de la chute.

Selon l’invention, la liaison comporte un premier moyen de fixation à faible résistance R1 pouvant céder en cas de chute et un second moyen de fixation R2 ne cédant pas en cas de chute, les moyens de fixation étant des coutures de sangles afin que le moyen d’accrochage initialement bas, en position ombilicale, se déplace vers le haut de l’utilisateur lorsqu’il est soumis à un effort de traction.

La partie descriptive développe en outre divers modes de réalisation de l’invention.

A cette fin, le brevet se compose de 10 revendications dont seules sont opposées les revendications 1 à 4 et 6 dont la teneur suit :

1. Harnais de sécurité pour retenue de chute d’un utilisateur comportant : un assemblage de sangles destiné à être passé autour du corps de l’utilisateur et apte à assurer son maintien, et un moyen d’accrochage à un système antichute, le moyen d’accrochage étant relié par une liaison audit assemblage de sangles, la liaison comportant : un premier moyen de fixation à faible résistance (R1) pouvant céder en cas de chute, la faible résistance étant inférieure à la force que subit ledit moyen lors d’une chute de l’utilisateur équipé du harnais, et un second moyen de fixation à résistance élevée (R2) ne cédant pas en cas de chute, la résistance élevée étant supérieure à la force que subit ledit moyen lors d’une chute de l’utilisateur équipé du harnais, l’assemblage de sangles comportant au moins deux sangles de bretelles passant sur respectivement l’épaule droite et l’épaule gauche de l’utilisateur et descendant chacune sensiblement verticalement latéralement sur l’avant droit et gauche respectivement de l’utilisateur dans des portions avant de bretelles, le moyen d’accrochage étant disposé sur une sangle de retenue, avant la chute, ladite sangle étant disposée sensiblement horizontale et étendue entre les deux portions avant de bretelles et ladite sangle de retenue étant fixée de chaque côté sur lesdites deux portions avant de bretelles par le premier moyen de fixation et par le second moyen de fixation, ledit second moyen de fixation étant placé à une hauteur supérieure à celle du premier moyen de fixation afin qu’en cas de chute provoquant un effort de traction faisant céder le premier moyen de fixation, la sangle de retenue se détache des deux portions avant de bretelles jusqu’au second moyen de fixation qui résiste afin que le moyen d’accrochage qui était ombilical avant la chute passe à une hauteur supérieure vers le haut du corps de l’utilisateur, caractérisé en ce que les premier et second moyens de fixation sont des coutures entre sangles.

2.Harnais selon la revendication 1, caractérisé en ce que le seuil d’effort de traction sur le moyen d’accrochage faisant céder le premier moyen de fixation est compris entre 150 daN et 600 daN.

3.Harnais selon la revendication 1 ou 2 caractérisé en ce que le second moyen de fixation est disposé au niveau thoracique sur chacune des portions de bretelles.

4.Harnais selon l’une quelconque des revendications précédentes caractérisé en ce que la position finale du moyen d’accrochage après une chute est au moins sternal.

6. Procédé de fonctionnement d’un harnais selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce qu’il est irréversible, les coutures de sangles réalisées dans une première partie correspondant au premier moyen de fixation cédant lorsque le moyen d’accrochage est soumis à un effort de traction supérieur au seuil de déclenchement déterminé, et en ce qu’on réalise lesdites coutures du premier moyen de fixation sur les deux portions avant des deux bretelles dudit harnais.

Sur la validité du brevet EP 551

La société appelante fait grief au tribunal d’avoir considéré que le document Cedas constitue le document de l’art antérieur le plus proche faisant valoir qu’il présente des différences structurelles et fonctionnelles majeures avec le brevet ; elle conteste que la combinaison de ce document avec un document Fukui puisse rendre évidente la solution apportée par le brevet dès lors que ces documents sont incompatibles, précisant qu’en tout état de cause l’homme du métier n’arriverait pas à l’invention telle que décrite dans le brevet EP 551 ; elle ajoute que la combinaison des documents Cedas et Okamoto également opposée par la société Petzl n’est pas plus envisageable par l’homme du métier dans sa recherche de solution pour concevoir un harnais dont le moyen d’accrochage se déplace. Enfin la société Tractel indique que le tribunal n’a pas motivé sa décision en ce qui concerne l’absence de validité des revendications 2 à 4 et 6 alors que la nullité de la revendication principale indépendante pour défaut d’activité inventive n’emporte pas celle des revendications dépendantes, sans plus de développement sur ce point.

La société Petzel conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré la revendication 1 du brevet EP 551 nulle pour défaut d’activité inventive en soutenant pour sa part que l’homme du métier, partant du document Cedas aurait été mis sur la voie du brevet EP 551 par l’enseignement des brevets antérieurs Fukui ou Okamoto ; elle conclut par ailleurs à la nullité pour défaut d’activité inventive des revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6.

Aux termes de l’article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. Si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications ».

Selon l’article 138 § 1 a) de la Convention sur le Brevet Européen, « Sous réserve de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un état contractant, que si l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ».

Selon l’article 56 de la CBE, « une invention est considérée comme impliquant une activité

inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique (…) ».

Pour apprécier l’activité inventive d’un brevet, il convient de déterminer d’une part, l’état de la technique le plus proche, d’autre part le problème technique objectif à résoudre et enfin d’examiner si l’invention revendiquée aurait été évidente pour l’homme du métier.

Ce dernier étant celui du domaine technique où se pose le problème que l’invention objet du brevet se propose de résoudre, et l’invention couverte par le brevet EP 551 étant un harnais antichute, l’homme du métier est en l’espèce un spécialiste des équipements de sécurité individuels pour le travail en hauteur et en particulier des harnais, ce qui n’est pas contesté.

a) Sur la validité de la revendication 1

Le brevet EP 551 cite dans sa description le document antérieur EP 1 803 487 (ci-après le

brevet Cedas) intitulé « Safety harness » ou « Harnais de sécurité » déposé le 28 décembre 2005, publié le 4 juillet 2007 et délivré le 1er juillet 2009.

L’ invention Cedas concerne un dispositif de sécurité, tel qu’un harnais de sécurité, conçu pour être porté par une personne qui travaille en hauteur, comprenant un dispositif de connexion destiné à être connecté à un moyen de fixation en un point de fixation dans le dispositif de connexion.

Il est indiqué que :

– le point de fixation doit être placé verticalement sur la poitrine de l’utilisateur pour que le harnais antichute fonctionne de manière souhaitable. En cas de chute avec un tel harnais antichute, l’utilisateur sera redressé et pendra ainsi verticalement. Si le point de fixation entre la corde et le harnais antichute est plutôt placé plus bas, par exemple à la taille de l’utilisateur, celui-ci ne sera pas redressé. Dans le pire des cas, l’utilisateur pourrait se casser le dos [§ 0003],

– un inconvénient résultant des dispositifs de sécurité actuellement disponibles est que, du fait que le point de fixation est positionné sur la poitrine de l’utilisateur, la corde connectée au dispositif de sécurité peut se trouver dans une position inappropriée pour l’utilisateur, par exemple devant son visage où la corde gêne son travail. D’une part, la corde peut être inconfortable et ainsi obstruer la vue et, d’autre part, interférer avec certaines tâches [§ 0004],

– ledit point de fixation est agencé pour pouvoir être déplacé d’une position basse par rapport au corps de l’utilisateur à une position haute afin d’être amené à se déplacer de ladite position basse à ladite position haute sous l’action de la charge résultant de la chute dudit utilisateur [§ 0008],

– ledit dispositif de connexion comprend au moins une boucle de ceinture qui peut être déplacée à travers un ‘il coulissant et qui, d’un côté est reliée à une partie épaule du dispositif de sécurité et, de l’autre côté de l”illet coulissant, est relié auxdits moyens de fixation, l”il coulissant étant en même temps relié à une partie inférieure du dispositif de sécurité [§ 0010].

Ce document Cedas relève donc du même domaine technique que le brevet EP 551, pose un problème identique et divulgue aussi une solution de déplacement entre une position de travail basse et une position de sécurité haute. Les premiers juges ont donc pu retenir à bon droit qu’il devait être considéré comme étant l’état de la technique le plus proche.

Si la société Tractel fait valoir que ce document n’est pas pertinent dès lors qu’il présente avec le brevet EP 551 des différences structurelles et fonctionnelles résultant notamment du coulissement des sangles et de l’absence de resserrement du harnais, elle n’indique nullement quel serait l’art antérieur le plus proche, étant ajouté en tout état de cause que l’appréciation de l’activité inventive d’un brevet implique précisément de rechercher si les éléments de l’art antérieur, pris isolément ou en combinaison, permettaient à l’évidence à l’homme du métier d’apporter au problème résolu par l’invention la même solution que celle-ci.

Les figures 1 a et 1b du brevet Cedas divulguent :

– « une partie épaule » (revendication 3),

– « un moyen de fixation (13,18) au niveau du point de fixation (8) ( revendication1),

– « un dispositif de connexion (3)» (revendication 1) qui est « relié à une partie épaule » et

« destiné à être relié à un moyen de fixation » ; cette sangle de retenue comprend notamment une portion horizontale à laquelle est accroché le moyen d’accrochage.

Ainsi que l’a relevé le tribunal, l’invention Cedas concerne donc un harnais de retenue pour le cas de chute d’un utilisateur, comprenant un assemblage de sangles destinées à être passées autour du corps, l’assemblage étant doté d’un moyen d’accrochage comprenant un premier niveau de fixation en partie basse des portions avant de bretelles – de fait, en position ombilicale – et qui, en cas de perte d’appui et de chute de l’utilisateur, coulisse à un second niveau de fixation situé dans la partie haute du corps.

Ce document divulgue donc les caractéristiques du brevet EP 551 à l’exception toutefois des deux moyens de fixation, de faible résistance (coutures fusibles) et à résistance élevée (coutures de résistance).

Le problème technique à résoudre consistait donc, ainsi que le soutient la société Petzl, à maintenir dans une position fixe temporaire ombilicale, lorsque l’utilisateur travaille, la liaison et le moyen d’accrochage et à arrêter le déplacement du moyen d’accrochage par un moyen autre que le serrage des sangles du harnais sur l’utilisateur, ou en d’autres termes, à trouver un moyen alternatif à celui divulgué par le brevet Cedas pour contrôler le passage du moyen de fixation du harnais de sa position basse à sa position haute.

Le brevet JP 08-182770 (ci-après le document Fukui ) déposé le 29 décembre 1994 et publié le 16 juillet 1996 est intitulé « harnais antichute pour travaux aériens ».

L’invention propose un harnais antichute pour travaux aériens facile d’utilisation. Le harnais est constitué de sangles d’épaules raccordées ou croisées au milieu du dos et de sangles de cuisse qui soutiennent à la fois les cuisses et l’entrejambe, d’un seul tenant ou assemblées, avec un ou plusieurs éléments de connexion qui permettent un ajustement vertical. Des passants sont formés à hauteur de la taille pour permettre le passage d’une ceinture et son intégration au harnais. Le harnais comporte une sangle de guidage de l’anneau de raccordement qui s’étend de l’intersection des sangles d’épaule, au milieu du dos, avec une connexion. La sangle de guidage est cousue sur la sangle de l’épaule et traverse l’anneau de raccordement avant d’être fixée à la ceinture. En cas de chute, l’anneau de raccordement coupe les coutures entre la sangle de guidage et la sangle d’épaule, en absorbant l’énergie cinétique et s’arrête au croisement des sangles au milieu du dos, ce qui permet la suspension et la protection des utilisateurs dans une posture normale.

Les coutures qui fixent la sangle de retenue à la bretelle dorsale sont donc faites pour se rompre sous la force de la chute de l’utilisateur et « absorber l’énergie ». La Figure 17 du brevet montre quant à elle que lors d’une chute, la sangle de retenue se détache de la sangle de bretelle jusqu’à une couture qui résiste au niveau du croisement des deux bretelles, de sorte que la société Tractel ne peut utilement soutenir que l’enseignement de ce document ne porte que sur l’utilisation de coutures fusibles.

Ainsi le document Fukui divulgue deux moyens de fixation de la sangle de retenue, en l’occurrence sur la bretelle arrière mais néanmoins dans la région ombilicale, et un moyen d’accrochage qui se déplace d’une position initiale basse à une position haute au moment de la chute de l’utilisateur grâce à un système de coutures qui se rompent et absorbent l’énergie de cette chute.

Dès lors, en partant du document Cedas qui décrit un harnais muni de sangles reliées à l’avant du corps à un système de fixation permettant en position basse à son utilisateur de travailler et coulissant vers le haut en cas de perte d’appui, l’homme du métier cherchant à résoudre le problème du contrôle du passage du moyen de fixation du harnais, de la position basse à la position haute pour absorber l’énergie d’une chute, aurait été mis sur la voie du brevet EP 551 par le brevet Fukui qui enseigne un système alliant des coutures fusibles qui permettent de fixer temporairement la sangle de retenue rapportée et le moyen d’accrochage sur le harnais et une couture de résistance qui permet d’arrêter le déplacement du moyen d’accrochage et absorbe l’énergie de la chute de l’utilisateur pour parvenir, sans faire preuve d’activité inventive, à l’invention Tractel, ces deux documents n’étant nullement incompatibles comme le soutient la société Tractel dès lors que les systèmes de coulisse et de coutures fusibles et résistantes ont bien les mêmes fonctions, que la possibilité pour l’utilisateur de porter le harnais Cedas desserré lorsqu’il travaille n’est qu’un avantage du brevet Cedas, au demeurant non essentiel à la sécurité de l’utilisateur, et enfin que dans ce document Cedas, la sangle de retenue est déjà fixée de chaque côté sur les portions avant de bretelle de sorte qu’il est bien symétrique.

Il en résulte que la revendication 1 du brevet Tractel doit être annulée pour défaut d’activité inventive et le jugement confirmé de ce chef.

b) Sur la validité des revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6

L’échelle de valeurs couverte par la revendication 2 du brevet EP 551 (entre 150 daN et 600 daN) est nettement inférieure à celle fixée par la norme EN 361 auxquelles les harnais doivent résister qui est de 10 kN et de 15 kN. Ces valeurs telles que revendiquées étaient donc évidentes pour un professionnel du domaine des harnais de sécurité qui cherche à faire des coutures qui ne résistent pas à la force exercée par la chute de l’utilisateur.

La revendication 2 du brevet EP 551 est donc nulle pour défaut d’activité inventive.

La caractéristique couverte par la revendication 3 selon laquelle le second moyen de fixation est disposé au niveau thoracique sur chacune des portions avant de bretelles découle également des exigences de la norme EN 361 qui impose que l’angle formé entre l’axe longitudinal de l’utilisateur du harnais et la verticale ne doit pas excéder 50°, ceci n’étant possible que si le point de fixation est placé à une hauteur supérieure au centre de gravité de l’utilisateur.

Cette caractéristique ne présente donc pas de caractère inventif et doit en conséquence être annulée.

La caractéristique de la revendication 4 du brevet EP 551 selon laquelle la position finale du moyen d’accrochage après une chute est au moins sternal résulte de la même manière de l’application de la norme EN 361 (figure 2), le moyen d’accrochage qui relie le harnais à la ligne de vie se trouvant nécessairement à une hauteur supérieure à celle du point de fixation après chute.

La revendication 4 du brevet EP 551 est donc dépourvue d’activité inventive.

Enfin selon la revendication 6 du brevet EP 551, « le procédé de fonctionnement d’un harnais est caractérisé en ce qu’il est irréversible, les coutures de sangles réalisées dans une première partie correspondant au premier moyen de fixation cédant lorsque le moyen d’accrochage est soumis à un effort de traction supérieur au seuil de déclenchement déterminé, et en ce qu’on réalise lesdites coutures du premier moyen de fixation sur les deux portions avant des deux bretelles dudit harnais ».

Or le système de coutures qui se rompent sous l’effet de la force de la chute de l’utilisateur tel qu’enseigné notamment par le brevet Fukui est par nature irréversible. Enfin le fait de placer les coutures fusibles sur les deux portions avant des bretelles du harnais ne présente pas plus de caractère inventif.

En conséquence, il y a lieu de déclarer nulles les revendications dépendantes 2, 3, 4 et 6 du brevet EP 551 pour défaut d’activité inventive et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la contrefaçon

Les demandes en contrefaçon du brevet annulé et les demandes subséquentes ne peuvent qu’être rejetées.

Le jugement sera également confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Le fait d’exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s’il dégénère en abus. En l’espèce, aucun des moyens développés par la société Petzl ne caractérise une telle faute, la société Tractel ayant pu légitimement se méprendre sur la portée de ses droits. Le jugement sera également confirmé de ce chef.

De même le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt sauf abus. La société Petzl ne caractérisant pas en l’espèce de tels abus, sera déboutée de sa demande de dommages intérêts pour appel abusif de la société Tractel.

 

Sur les autres demandes

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante, la société Tractel sera condamnée aux dépens d’appel dont distraction conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

 

Enfin la société Petzl a dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

Dit recevable l’appel de la société Tractel.

Confirme le jugement rendu le 7 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages-intérêts pour appel abusif de la société Petzl Distribution.

Condamne la société Tractel à payer à la société Petzl Distribution la somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Tractel aux dépens d’appel avec distraction au profit de maître Yves Bizollon conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente

 


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