Géolocalisation du salarié : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 21/02946

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M. [I] a été licencié pour les raisons suivantes: plaintes de clients à raison de sa ‘non activité’, absence de réponse aux relances de services de l’entreprise (SAS et assistantes commerciales), absence d’activité sur le terrain entre le 29 avril et le 28 juin, performance commerciale en baisse, rapports d’activité ‘contrefaits, inexacts et mensongers’ et non utilisation de son matériel de présentation depuis le 23 mai 2019.

* * * AFFAIRE : N° RG 21/02946 N° Portalis DBVC-V-B7F-G3PW  Code Aff. : ARRET N° C.P ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 30 Septembre 2021 RG n° 20/00290 COUR D’APPEL DE CAEN 1ère chambre sociale ARRÊT DU 19 JANVIER 2023 APPELANTE : S.A. OREST GROUP [Adresse 2] [Localité 4] Représentée par Me Philippe WITTNER, substitué par Me Marine PHILIPPE, avocats au barreau de STRASBOURG INTIME : Monsieur [V] [I] [Adresse 3] [Localité 1] Représenté par Me Christine CORBEL, substitué par Me Camille MIGLIERINA, avocats au barreau de CAEN COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, Mme PONCET, Conseiller, rédacteur Mme VINOT, Conseiller, DÉBATS : A l’audience publique du 10 novembre 2022 GREFFIER : Mme ALAIN ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 19 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier FAITS ET PROCÉDURE La SA Orest Group a embauché M. [V] [I] à compter du 2 février 2009 en qualité d’attaché commercial, l’a promu cadre commercial à compter du 1er avril 2014 avec décompte du temps de travail en jours, l’a mis à pied à titre conservatoire à compter du 29 juin 2019 et l’a licencié le 16 juillet 2019 pour faute grave. M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Caen le 15 juillet 2020 pour voir dire la convention de forfait jour inapplicable, le licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour obtenir un rappel de salaire, des dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait, une indemnité pour travail dissimulé, un rappel de salaire pour la période de mise à pied, des indemnités de rupture, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour absence de remise des documents de fin de contrat et une indemnité au titre de la clause de non concurrence. Par jugement du 30 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la SA Orest Group à verser à M. [I] : 17 616,36€ (outre les congés payés afférents) d’indemnité de préavis, 14 124€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 620,46€ (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire pour la période de mise à pied, a ordonné la remise, sous astreinte, d’un bulletin de paie complémentaire récapitulatif, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi et a débouté M. [I] du surplus de ses demandes. La SA Orest Group a interjeté appel du jugement. Vu le jugement rendu le 30 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen Vu les dernières conclusions de la SA Orest Group, appelante, communiquées et déposées le 20 janvier 2022, tendant à voir le jugement infirmé quant aux condamnations prononcées, à le voir confirmer pour le surplus, à voir, par conséquent, M. [I] débouté de toutes ses demandes et condamné à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile Vu l’ordonnance du magistrat de la mise en état rendue le 25 mai 2022 déclarant M. [I] irrecevable à conclure Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 octobre 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. [I] a été licencié pour les raisons suivantes: plaintes de clients à raison de sa ‘non activité’, absence de réponse aux relances de services de l’entreprise (SAS et assistantes commerciales), absence d’activité sur le terrain entre le 29 avril et le 28 juin, performance commerciale en baisse, rapports d’activité ‘contrefaits, inexacts et mensongers’ et non utilisation de son matériel de présentation depuis le 23 mai 2019.

Il appartient à la SA Orest Group d’établir que les faits reprochés sont exacts, fautifs et justifiaient la rupture immédiate du contrat de travail.

‘ Plaintes de clients et relances des services internes

La SA Orest Group justifie que :

‘ Mme [Z], assistante au service SAV a envoyé à M. [I] : 11 courriels entre le 1er mars et le 20 juin 2019 concernant la SARL Luc Raynale, 2 courriels concernant un client [T] les 11 et 20 juin 2019, 9 courriels entre le 19 mars et le 26 juin concernant un client [G].

A la lecture de ces messages, il apparaît que M. [I] n’a pas répondu puisque Mme [Z] parle de relance et se plaint de l’absence de réponse.

‘ Le 4 juin 2019, Mme [Y] a demandé les commentaires de M. [I] concernant le suivi d’un salon du mariage. Le 13 juin, une autre interlocutrice a indiqué qu’après ‘5 relances (…) nous ne pouvons plus attendre ton retour’.

La SA Orest Group ne produit pas toutefois les 5 relances évoquées.

‘ Le 21 juin 2019, une cliente a adressé un courriel à M. [I] en lui indiquant n’avoir pas réussi à le joindre au téléphone malgré plusieurs appels.

‘ Le 11 juin 2019, Mme [B] du service client a adressé un courriel à M. [I] en lui indiquant qu’une cliente lui avait dit avoir laissé vainement plusieurs messages sur son portable.

‘ Le 28 mai, une cliente a demandé par courriel à M. [I] de la rappeler concernant deux produits à restituer. Le 4 juin, M. [I] lui a répondu par mail. Ce même jour, cette cliente s’est plainte de devoir refaire un deuxième paquet alors qu’elle venait de faire en envoi ‘alors que ça fait des semaines que je vous demande’.

Toutefois, il n’est pas établi l’existence de demandes précédant celle du 28 mai, une semaine auparavant.

‘ Le 9 mai 2019, Mme [B] écrit qu’un client est furieux contre Orest et envisage de changer de fournisseur et ce pour plusieurs raisons : d’une part, parce qu’il n’a ‘pas de nouvelles de [V] : ne peut plus laisser de messages sur son répondeur (messagerie saturée)’, d’autre part parce qu’il trouve l’entreprise de moins en moins flexible. Elle suggère à M. [I] de le rappeler. Le 31 mai Mme [B] envoie un exposé de la situation concernant ce client et indique que celui-ci serait en discussion avec M. [I] et attendrait une réponse de celui-ci, ce qui induit que M. [I] a bien rappelé ce client entre le 9 et le 31 mai. Le 3 juin, M. [I] écrit qu’il va appeler le client le lendemain et indique que la proposition de reprise de produits a été faite il y a deux ans et que le client tarde à se décider ‘depuis de nombreux rv et passages de ma part’. Le 11 juin, Mme [B] écrit avoir eu au téléphone ce client, qui indique ne pas avoir reçu d’appel de M. [I].

Ce litige, au vu des écrits du salarié, est ancien. M. [I] en a antérieurement discuté avec le client, a pris contact avec lui à tout le moins entre le 9 et le 31 mai et celui-ci a menacé de changer de fournisseur pour plusieurs raisons, l’absence alléguée de réponse de M. [I] n’étant que l’une d’elles.

Il ressort de ces éléments que M. [I] a tardé à répondre aux services de la société, que sa messagerie de portable était saturée ce qui n’a pas permis à certains clients de lui laisser des messages, que plusieurs clients n’ont pas réussi à le joindre téléphoniquement et que plusieurs se sont plaints de son absence de réponse, spécialement au mois de juin.

Le conseil de prud’hommes indique que l’insatisfaction des clients relevait pour partie de la responsabilité de l’entreprise (réclamations pour malfaçons, retard de livraison) et de son changement de stratégie commerciale. Il ne vise pas de pièces produites par M. [I] en ce sens. la SA Orest Group indique, quant à elle, que les malfaçons ne représentent que 0,8% de pièce fabriquées et produit un document en ce sens. Elle ajoute que ces problèmes concernent le service SAV et non les commerciaux. Elle conteste l’existence de retard de livraison et le changement de politique commerciale.

Dès lors, en l’absence de tout élément justificatif, il ressort des pièces produites par la SA Orest Group que ces retards tels que listés ci-dessus sont imputables à M. [I] et caractérisent une exécution défectueuse de la prestation de travail. Toutefois, pour constituer une faute disciplinaire, la SA Orest Group doit établir, ce qu’elle ne fait pas, que cette exécution défectueuse est due à son abstention volontaire ou à sa mauvaise volonté délibérée.

‘ Absence d’activité sur le terrain entre le 29 avril et le 28 juin

Il ressort des rapports d’activité hebdomadaires établis par M. [I] que celui-ci est resté à son domicile 36 jours sur 45 jours ouvrés et est notamment resté à domicile pendant toute la semaine les 4 dernières semaines de la période visée.

Le conseil de prud’hommes a indiqué que M. [I] avait apporté de nombreuses pièces attestant de son activité pendant la période considérée. Sans les produire, la SA Orest Group fait valoir que ces pièces ne démontrent pas une activité réelle et émet diverses remarques à ce propos.Ne pouvant analyser elle-même ces pièces, non produites, la cour n’est pas en mesure de remettre en cause l’appréciation contraire faite à ce propos par le conseil de prud’homme.

De surcroît, la société n’établit pas en quoi les tâches de son salarié, cadre commercial, imposaient sa présence constante sur le terrain.

Enfin, la SA Orest Group qui a eu connaissance de ces rapports chaque semaine, n’a pas réagi en constatant que M. [I] restait à son domicile ce qui induit qu’elle n’a pas considéré comme anormal que son salarié, cadre commercial s’abstienne de visiter des clients, pendant plusieurs semaines, contrairement à ce qu’elle indique maintenant.

En conséquence, si le fait rapporté est réel, il ne démontre pas un manquement de M. [I].

‘ Performance commerciale en baisse

La SA Orest Group indique dans ses conclusions que ‘ce qui est important c’est la MAFM (marge après frais matière)’.

Le tableau 2019 qu’elle fournit fait apparaître que M. [I] a rempli, à ce titre, 103% de ses objectifs en janvier, 81% en février, 84% en mars, 69% en avril, 94% en mai et 77% en juin.

Elle ne produit toutefois aucun élément de comparaison avec le pourcentage d’atteinte des objectifs réalisé, d’une part, par M. [I] les années précédentes, d’autre part, par ses collègues pendant ce même premier semestre 2019.

Dès lors, ces chiffres, non contextualisés, ne permettent pas d’établir une performance commerciale en baisse ni, a fortiori, d’établir que cette baisse, à la supposer établie, ne concernerait que M. [I] et serait imputable, de surcroît, à son abstention volontaire ou à sa mauvaise volonté délibérée.

‘ Rapports contrefaits inexacts et mensongers

Dans la lettre de licenciement, la SA Orest Group pointe l’inexactitude des rapports d’activité les 30 janvier, 8,11, 13 et 21 février et le 29 mars 2019, M. [I] ayant, selon elle, indiqué, à ces dates, des visites qui n’ont pas eu lieu.

Toutefois, la seule pièce produite concerne le journée du 13 février 2019. À cette date, M. [I] a noté dans son rapport d’activité avoir visité deux clients dans l’Eure à [Localité 6] et [Localité 7]. La SA Orest Group produit la facture d’un restaurant à [Localité 5]. Elle indique que cette facture a été établie à cette même date et a été produite par M. [I] pour justifier de frais.

Outre le fait que la mauvaise photocopie produite ne permet pas de lire le mois de cette facture (2′ 3′), la SA Orest Group ne produit aucun élément justifiant que ce document aurait été fourni par M. [I] à l’appui d’une demande de remboursement de frais.

Dès lors, l’inexactitude des rapports d’activité n’est pas établie même pour la journée du 13 février 2019.

‘ Absence d’utilisation du support de présentation des produits depuis le 23 mai 2019

Le conseil de prud’hommes a retenu que les données GPS fournies par la SA Orest Group pour en attester étaient irrecevables car illicites, le système de géolocalisation utilisé ayant été déclaré à la CNIL pour d’autres finalités.

La déclaration à la CNIL faite par l’entreprise le 20 mars 2018 vise un système de géolocalisation constitué par des balises placées dans les collections transportées, destiné à lutter contre le vol et dont les données sont conservées pendant un mois.

Le 14 décembre 2018, M. [I] a été informé de l’installation de cette balise dans ses collections transportées destinée à localiser les contenants notamment en cas de vol et dont les données enregistrées sont conservées un mois au maximum.

L’employeur produit un unique ‘rapport d’activité’ portant sur la journée du 4 avril 2019 (pièce 23). Ce rapport d’activité concerne un véhicule, avec mention notamment du temps de conduite, du temps d’arrêt, de la distance parcourue, de la vitesse moyenne et maximale. Ces mentions ne sont pas cohérentes avec les données d’une balise censée être contenue dans une mallette. Ces données ont été conservées plus d’un mois et elle sont utilisées pour contrôler l’activité du salarié alors que tel n’était pas le but déclaré à la CNIL (sachant toutefois que cette déclaration n’était plus nécessaire à compter du 25 mai 2018 et donc au moment du licenciement) ni, surtout, le but annoncé au salarié. Cette preuve, obtenue grâce à un dispositif dont ni les caractéristiques ni le but ne sont conformes à ce qui avait été annoncé au salarié, est illicite.

La production de ce moyen de preuve illicite n’était pas indispensable à l’employeur pour pouvoir prouver ses allégations. En effet, le fait que, selon l’employeur, M. [I] n’ait pas utilisé le support de présentation des collections après le 23 mai 2019 n’a d’intérêt que pour démontrer son absence de démarchage. Or, il ressort déjà des propres rapports d’activité du salarié que celui-ci ne s’est pas déplacé hors de son domicile à partir du 27 mai 2019 et n’a donc pas, par hypothèse, utilisé la mallette de présentation des collections. Cette preuve illicite est donc inutile au soutien de la thèse de l’employeur pour cette raison et, en outre, parce que l’unique rapport d’activité produit (à supposer d’ailleurs qu’il puisse être rattaché à M. [I] alors qu’il se contente de se référer à un ‘véhicule SK 06-0647-9″) porte sur une date antérieure à la période visée par l’employeur dans la lettre de licenciement.

En conséquence, la réalité de ce fait n’est pas établie.

En conséquence, les manquement allégués, soit ne sont pas démontrés, soit ne s’analysent pas en une faute disciplinaire. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.

Les indemnités de rupture et le rappel de salaire alloués pour la période de mise à pied conservatoire ne sont pas contestés dans leur montant par la SA Orest Group. Quant aux dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ils correspondent à 3 mois de salaire calculés sur la base de la moyenne salariale retenue par le conseil de prud’hommes soit au minimum susceptible d’être alloué en application de l’article L1235-3 du code du travail. Il y a donc lieu de confirmer ce montant, du reste non critiqué par la SA Orest Group.

La SA Orest Group devra remettre, comme prévu par le conseil de prud’hommes, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi rectifiée conformes à la présente décision. En revanche, en l’absence d’éléments permettent de craindre l’inexécution de cette mesure, il n’y a pas lieu de l’assortir d’une astreinte. Le jugement sera réformé sur ce point.

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par la SA Orest Group de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation à l’exception de la somme accordée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter du 4 octobre 2021, date de notification du jugement confirmé sur ce point. Le jugement sera complété sur ce point.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR, – Réforme le jugement en ce qu’il a ordonné, sous astreinte, la remise au salarié d’un bulletin de paie complémentaire d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle emploi – Statuant à nouveau – Dit que la SA Orest Group devra remettre à M. [I], dans le délai d’un mois à compter du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation pôle Emploi conforme au présent arrêt – Dit n’y avoir lieu à astreinte – Confirme le jugement pour le surplus – Y ajoutant – Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par la SA Orest Group de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation à l’exception de la somme accordée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter du 4 octobre 2021 – Condamne la SA Orest Group aux dépens de l’instance d’appel LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE M. ALAIN L. DELAHAYE