Droit des brevets : 12 janvier 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 22/02008

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /23 DU 12 JANVIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/02008 – N° Portalis DBVR-V-B7G-FBEL

Décision déférée à la Cour :

Saisie sur renvoi après Cassation d’un arrêt rendu le 3 février 2021 par la cour d’appel de REIMS (n° 21/73) rendu suite à l’appel d’un jugement du tribunal d’instance de SEDAN (n° 19/6) en date du 19 février 2019 par arrêt de la Cour de Cassation (n° 555 F-D) du 6 juillet 2022

DEMANDEUR A LA SAISINE :

Monsieur [F] [D] [J] [X]

né le 27 Décembre 1956 à [Localité 14], de nationalité française, domicilié [Adresse 7] – [Localité 11]

Représenté par Me Serge DUPIED de la SELARL SERGE DUPIED, avocat au barreau de NANCY

INTERVENANTS VOLONTAIRES

Monsieur [L] [M] [X]

né le 19 janvier 1984 à [Localité 14] (08), de nationalité française, agriculteur, domicilié domicilié [Adresse 8] – [Localité 11]

Représenté par Me Serge DUPIED de la SELARL SERGE DUPIED, avocat au barreau de NANCY

Madame [H] [V] [K] [X] épouse [G]

née le 6 juin 1989 à [Localité 13] (08), de nationalité française, agricultrice, domiciliée [Adresse 2] – [Localité 11]

Représenté par Me Serge DUPIED de la SELARL SERGE DUPIED, avocat au barreau de NANCY

le GAEC [X] RJL, Groupement d’Exploitation en Commun au capital social d’un montant de 368 752,00 €, immatriculé au RCS de SEDAN sous le n° 327 460 986, dont le siège social est situé à [Localité 11] [Adresse 7]

Représenté par Me Serge DUPIED de la SELARL SERGE DUPIED, avocat au barreau de NANCY

DEFENDERESSE A LA SAISINE :

Madame [I] [C] épouse [S]

née le 09 Octobre 1985 à [Localité 9] (08), de nationalité française, domiciliée [Adresse 10] – [Localité 1]

Représentée par Me Quentin MAYOLET de la SCP LEDOUX FERRI RIOU-JACQUES TOUCHON MAYOLET, avocat au barreau des ARDENNES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 01 Décembre 2022, en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre, chargé du rapport,

Madame Nathalie ABEL, conseillère,

Madame Fabienne GIRARDOT, conseillère,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Christelle CLABAUX- DUWIQUET ;

A l’issue des débats, le président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 12 Janvier 2023, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 12 Janvier 2023, par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par M. Francis MARTIN, président de chambre et par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier ;

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte notarié du 23 octobre 1999, M. [Z] [X] a donné à bail à long terme à Monsieur [F] [X] une parcelle cadastrée section ZD n° [Cadastre 6] – devenue par la suite la parcelle cadastrées section ZD n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5] sise à [Localité 11] (08) et la parcelle section A n° [Cadastre 3] sise à [Localité 12] (08).

Par suite d’une donation effectuée par M. [Z] [X], Mme [I] [C] épouse [S] est devenue propriétaire de la parcelle ZD n° [Cadastre 5] d’une superficie de 22ha 35a 54ca et de la parcelle A n° [Cadastre 3] d’une superficie de 37a 99ca.

Par acte d’huissier de justice en date du 16 juin 2017, Mme [I] [C] a donné congé à M. [F] [X] pour le 31 décembre 2018 sur le fondement de l’article L.416-1 dernier alinéa du code rural et de la pêche maritime.

Le 11 septembre 2017, M. [F] [X] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan d’une contestation du congé et il a sollicité l’autorisation de céder son bail à son fils, M. [L] [X].

Par jugement en date du 19 février 2019, le tribunal des baux ruraux a :

– débouté M. [F] [X] de sa demande de prorogation du bail,

– débouté M. [F] [X] de sa demande de procéder à la cession du bail au profit de M. [L] [X],

– validé le congé délivré par Mme [I] [C] le 16 juin 2017,

– ordonné l’expulsion de M. [F] [X] de la parcelle sise sur la commune de [Localité 11], cadastrée section ZD n° [Cadastre 5], et de la parcelle sise sur la commune de [Localité 12], cadastrée section A n° [Cadastre 3],

– dit qu’à défaut de libération volontaire sous huit jours à compter du prononcé du jugement, il serait procédé à l’expulsion de M. [F] [X] et à celle de tous occupants de son chef, avec si nécessaire l’assistance de la force publique,

– rejeté la demande d’astreinte formée par Mme [I] [C],

– condamné M. [F] [X] à payer à Mme [I] [C] la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [F] [X] aux dépens.

M. [F] [X] a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 29 janvier 2020, la cour d’appel de Reims a :

– confirmé le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [F] [X] de sa demande de prorogation du bail ;

– déclaré la demande de cession de bail recevable ;

– ordonné, avant dire droit sur la cession de bail, une réouverture des débats afin que M. [F] [X] produise tous éléments permettant d’apprécier si une autorisation d’exploiter était ou non nécessaire au regard de l’article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime et notamment tous justificatifs des superficies exploitées par chacun de ses enfants et de leur situation professionnelle au regard d’une éventuelle pluri-activité au 31 décembre 2018.

Par arrêt rendu le 3 février 2021, la cour d’appel de Reims a infirmé le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [F] [X] de sa demande de procéder à la cession du bail au profit de M. [L] [X] et en ce qu’il a validé le congé délivré par Mme [I] [C] le 16 juin 2017, puis, statuant à nouveau dans cette limite, la cour d’appel a :

– autorisé la cession du bail au profit des deux enfants de M. [F] [X], M. [L] [X] et Mme [H] [X] épouse [G] ;

– condamné Mme [I] [C] à payer à M. [F] [X] la somme de 1500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

– débouté Mme [I] [C] de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances ;

– condamné Mme [I] [C] aux dépens de première instance et d’appel.

Mme [I] [C] a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement.

Par arrêt du 6 juillet 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt de la cour d’appel de Reims et elle renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Nancy.

La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel de Reims, en estimant que M. [L] [X] et Mme [H] [X] prouvaient disposer des moyens nécessaires pour exploiter les parcelles du seul fait qu’ils était membres du Gaec RJL auquel ces parcelles étaient mises à disposition, avait procédé par voie d’affirmation et sans s’expliquer sur le fait que M. [L] [X] et Mme [H] [X] ou le Gaec possédaient le cheptel et le matériel nécessaires à l’exploitation, ou à défaut les moyens de les acquérir.

M. [F] [X] et Mme [I] [C] ont été convoqués à la barre de la cour d’appel de Nancy en son audience du 1er décembre 2022.

M. [F] [X], reprenant oralement ses conclusions écrites du 29 novembre 2022, a demandé à la cour d’appel de céans de constater que M. [L] [X] et Mme [H] [X], mais aussi le Gaec RJL, possèdent le cheptel et le matériel nécessaires à l’exploitation des deux parcelles en litige (ZD n°[Cadastre 5] et A n°[Cadastre 3]) et, en conséquence, d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 19 février 2019 et, statuant à nouveau :

– d’autoriser la cession de bail au profit de M. [L] [X] et de Mme [H] [X], ou le cas échéant au profit du Gaec RJL,

– de condamner Mme [I] [C] à payer à M. [F] [X] la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel.

M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL sont intervenus volontairement à l’instance pour s’associer aux moyens et prétentions de M. [F] [X].

A l’appui de leur appel, les consorts [X] et le Gaec RJL exposent, notamment en réponse aux arguments de Mme [I] [C] :

– que la Cour de cassation n’a pas remis en question le principe de la cession du bail au profit de M. [L] [X] et Mme [H] [X] en leur qualité de membres associés du Gaec RJL et que le débat est circonscrit à la seule problématique des moyens matériels dont disposent ces deux cessionnaires,

– que les terres louées ont été mises à la disposition du Gaec RJL en toute transparence,

– que les parcelles sont toutes en culture et n’ont jamais été en état de pâtures,

– que les fermages ont toujours été réglés dans les délais, mais les chèques de paiement ont pu être débités par la bailleresse avec retard (comme pour le fermage 2016), ce qui n’est pas de la faute du preneur.

Mme [I] [C] a repris oralement, lors de l’audience du 1er décembre 2022, les moyens et demandes de ses conclusions datées du 29 novembre 2022. Elle demande à la cour de :

A titre principal :

– déclarer [L] [X], [H] [X] épouse [G] et le Gaec [X] RJL irrecevables en leur intervention volontaire,

– confirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan du 19 février 2019 en ce qu’il a :

* débouté M. [F] [X] de sa demande de procéder à la cession du bail au profit de M. [L] [X] ;

* validé le congé délivré par Mme [I] [C] le 16 juin 2017 ;

* ordonné l’expulsion de M. [F] [X] de la parcelle sise sur la commune

de [Localité 11], cadastrée section ZD n°[Cadastre 5], et de la parcelle sise sur la commune de [Localité 12], cadastrée section A n° [Cadastre 3] ;

* dit qu’à défaut de libération volontaire sous 8 jours à compter du prononcé du jugement, il sera procédé à l’expulsion de M. [F] [X], et à celle de tous occupants de son chef, avec si nécessaire l’assistance de la force publique ;

* rejeté la demande d’astreinte formée par Mme [I] [C] ;

* condamné M. [F] [X] à payer à Mme [C] la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

* condamné M. [F] [X] aux entiers dépens.

Y ajoutant :

– débouter M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] épouse [G] et le Gaec RJL de leur demande de procéder à la cession du bail au profit de Madame [H] [X] ;

– déclarer irrecevable et en tout état de cause débouter M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL de leur demande de procéder à la cession du bail au profit du Gaec RJL ;

– ordonner l’expulsion de M. [L] [X], de Mme [H] [X] et du Gaec [X] RJL de la parcelle sise sur la commune de [Localité 11], cadastrée section ZD n°[Cadastre 5] et de la parcelle sise sur la commune de [Localité 12], cadastrée section A n° [Cadastre 3] ;

– dire qu’à défaut de libération volontaire sous 8 jours à compter du prononcé du jugement, il sera procédé à leur expulsion et à celle de tous occupants de leurs chefs, avec si nécessaire l’assistance de la force publique ;

A titre subsidiaire,

– annuler la cession du bail rural portant sur la parcelle sise sur la commune de [Localité 11], cadastrée section ZD n°[Cadastre 5], et la parcelle sise sur la commune de [Localité 12], cadastrée section A n° [Cadastre 3], par M. [F] [X] à M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL,

– résilier le bail rural portant sur la parcelle sise sur la commune de [Localité 11], cadastrée section ZD n°[Cadastre 5], et sur la parcelle sise sur la commune de [Localité 12] cadastrée section A n° [Cadastre 3] au profit de Monsieur [F] [X],

– ordonner l’expulsion de M. [F] [X], de M. [L] [X], de Mme [H] [X] et du Gaec RJL de la parcelle sise sur la commune de [Localité 11], cadastrée section ZD n°[Cadastre 5] et de la parcelle sise sur la commune de [Localité 12], cadastrée section A n° [Cadastre 3] ;

– dire qu’à défaut de libération volontaire sous 8 jours à compter du prononcé du jugement, il sera procédé à leur expulsion et à celle de tous occupants de leur chef, avec si nécessaire l’assistance de la force publique ;

En tout état de cause,

– débouter M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL à payer à Mme [I] [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL aux entiers dépens de l’instance.

Mme [I] [C] fait valoir :

– que l’appelant ne peut solliciter l’infirmation de toutes les dispositions du jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan, puisque la disposition de ce jugement déboutant M. [F] [X] de sa demande de prorogation de bail a été confirmée par l’arrêt de la cour d’appel de Reims du 29 janvier 2020 qui n’a pas été cassé,

– que l’intervention de [L] et [H] [X] ainsi que du Gaec RJL est irrecevable, car seul le preneur en place peut solliciter l’autorisation de céder son bail,

– que la demande de céder le bail au profit du Gaec RJL est formée pour la première fois devant la cour d’appel, de sorte qu’elle est irrecevable ; qu’au surplus, l’article L411-35 du code rural et de la pêche maritime n’autorise pas la cession au profit d’une personne morale,

– que M. [F] [X] est un preneur de mauvaise et cela à plusieurs titres :

* il s’est retiré du Gaec [X] et a perdu la qualité d’exploitant agricole pendant le cours du délibéré de la cour d’appel de Reims (retrait le 20 janvier 2021 avec effet rétroactif au 31 décembre 2020 et dépôt de cet acte de retrait au tribunal de commerce postérieurement à l’arrêt du 3 février 2021), de sorte qu’il se prétend faussement agriculteur dans cette procédure alors qu’il est retraité depuis le 31 décembre 2020,

* il a cessé d’exploiter les parcelles en litige depuis près de deux ans (le 31 décembre 2020),

* les parcelles sont exploitées par un tiers, le Gaec RJL,

* cette situation s’analyse nécessairement en une cession de bail intervenue avant toute autorisation judiciaire,

* il n’a jamais informé la bailleresse ni de son retrait du Gaec, ni de sa cessation d’exploitation pour cause de retraite,

* le bail portait sur des terres et des près, alors que toutes les parcelles ont été labourées sans autorisation ni information de la bailleresse,

* les fermages des années 2019, 2020 et 2021 ont été réglés avec retard,

– que les cessionnaires ne justifient pas qu’ils disposent personnellement des moyens d’exploiter, ni de la régularité de leur situation au regard du contrôle des structures,

– à titre subsidiaire, que le bail doit être résilié pour cession illicite dudit bail à compter du 1er janvier 2021, sans autorisation préalable ni de la bailleresse ni de l’autorité judiciaire.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le périmètre de la saisine de la cour d’appel de céans

Dans son arrêt du 29 janvier 2020, la cour d’appel de Reims a confirmé le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan en ce qu’il a débouté M. [F] [X] de sa demande de prorogation de bail. Cet arrêt n’a fait l’objet d’aucun recours, de sorte que cette disposition de l’arrêt de Reims est définitive et qu’à défaut de prorogation le bail consenti à M. [F] [X] a pris fin le 31 décembre 2018.

L’arrêt rendu le 3 février 2021 par la cour d’appel de Reims ne portait plus que sur l’autorisation de cession du bail à M. [L] [X] et Mme [H] [X]. La cour d’appel de Reims a considéré que les conditions requises pour cette cession étaient remplies et elle a autorisé ladite cession. La Cour de cassation a cassé cet arrêt ‘en toutes ses dispositions’.

La cour d’appel de céans, en sa qualité de cour d’appel de renvoi, doit donc statuer à son tour sur l’autorisation de la cession du bail et doit, à cette fin, vérifier si toutes les conditions requises sont remplies (et pas uniquement les conditions afférentes au moyens matériels, financiers ou en cheptel des candidats à la cession).

Sur la recevabilité des interventions volontaires

Peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance.

L’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie et elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

En l’espèce, M. [F] [X] a saisi la juridiction paritaire afin qu’elle autorise la cession de son bail à ses deux enfants, M. [L] [X] et Mme [H] [X]. L’intervention de ces deux derniers, ainsi que celle du Gaec RJL est accessoire à la demande de M. [F] [X], puisqu’ils ne font qu’appuyer sa demande d’autorisation de cession.

Il est indéniable que M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL ont intérêt, pour la conservation de leurs droits, à soutenir la demande de M. [F] [X].

Par conséquent, l’intervention à hauteur d’appel de M. [L] [X], Mme [H] [X] et du Gaec RJL sera déclarée recevable.

Sur l’autorisation de la cession du bail

La possibilité de transmettre le bail dans le cercle familial étant une faveur dérogatoire au principe d’incessibilité du bail rural , la jurisprudence retient que le preneur ne peut y être autorisé judiciairement que s’il s’est constamment acquitté de ses obligations légales et contractuelles envers le bailleur.

La bonne ou la mauvaise foi du cédant s’apprécie au jour de la demande en justice.

En l’espèce, M. [F] [X] a demandé au tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan, lors de sa saisine du 11 septembre 2017, l’autorisation de céder son bail à son fils [L] (puis il a étendu cette demande à hauteur d’appel à sa fille [H], ‘voire au Gaec RJL’).

Il en résulte que seuls les agissements du preneur antérieurs à cette date du 11 septembre 2017 peuvent être pris en compte pour caractériser sa mauvaise foi. Or, l’ensemble des griefs que Mme [I] [C] forme à l’encontre de M. [F] [X] sont postérieurs à cette date :

– il lui est reproché d’avoir cessé d’exploiter les parcelles pour prendre sa retraite et de s’être retiré du Gaec RJL à compter du 31 décembre 2020, et au surplus de n’en avoir jamais

informé la bailleresse,

– il lui est reproché de faire exploiter les terres par un tiers, le Gaec RJL, depuis le 31 décembre 2020,

– il lui est reproché d’avoir cédé son bail sans autorisation ni du bailleur ni de l’autorité judiciaire le 20 janvier 2021 avec effet rétroactif le 31 décembre 2020,

– il lui est reproché d’avoir retourné les parcelles en herbe, mais outre qu’aucun état des lieux d’entrée ne permet de savoir quelle parcelle était le cas échéant en herbe, Mme [I] [C] se prévaut d’un PV de constat du 4 octobre 2022 qui ne préjuge pas de l’état des parcelles au 11 septembre 2017,

– il lui est reproché des retards de paiement pour les fermages de 2019, 2020 et 2021.

Par conséquent, aucun des griefs allégués ne permet de retenir la mauvaise foi de M. [F] [X].

Seuls M. [L] [X] et Mme [H] [X] peuvent aspirer à bénéficier de la cession du bail, puisque pour être cessionnaire il faut être conjoint du preneur, ou son partenaire PACS ou son descendant majeur ou émancipé, conditions que ne peut remplir le Gaec RJL.

Concernant les conditions de mises en valeur des parcelles par les cessionnaires, M. [L] [X] et Mme [H] [X] justifient remplir les conditions de diplôme pour bénéficier de la cession.

En effet, M. [L] [X] justifie des diplômes suivants :

– baccalauréat technologique, série sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement (spécialité technologies animales), obtenu le 8 octobre 2002,

– brevet de technicien supérieur agricole (option analyse et conduite des systèmes d’exploitation), obtenu le 10 octobre 2005,

tandis que Mme [H] [X] justifie des diplômes suivants :

– brevet d’études professionnelles agricoles (option conduite de productions agricoles, spécialité productions animales) obtenu en 2008,

– baccalauréat professionnel en conduite et gestion de l’exploitation agricole (spécialité systèmes à dominante élevage), obtenu le 6 octobre 2010.

Par ailleurs, les cessionnaires doivent justifier qu’ils possèdent le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir. En l’occurrence, M. [L] [X] et Mme [H] [X] justifient être tous deux membres du Gaec RJL et disposer, par le truchement de ce Gaec, du matériel et du cheptel nécessaire. En effet, est produit aux débats l’état des immobilisations de ce Gaec, dont il ressort qu’il dispose des bâtiments et matériels nécessaires. Est également produit l’état des stocks, dont il ressort que ce Gaec dispose d’un important cheptel (86 vaches laitières, 51 b’ufs laitiers, 96 génisses laitières, 58 vaches allaitantes, 44 “b’ufs viande”, 65 “génisses viande” et “1 taureau viande”).

Enfin, les cessionnaires doivent justifier du respect des dispositions des articles L. 331-1 et suivants du code rural relatives au contrôle des structures. Toutefois, en l’espèce, la cession de bail n’implique aucune autorisation administrative particulière, puisque les parcelles litigieuses sont déjà mises à la disposition du Gaec RJL dont M. [L] [X] et Mme [H] [X] sont déjà membres.

Par conséquent, toutes les conditions de validité de la cession du bail sont remplies et il convient d’autoriser cette cession. Aussi le jugement déféré sera-t-il infirmé sur ce point.

Sur la résiliation du bail

L’article L411-31 II du code rural et de la pêche maritime dispose que le bailleur peut demander la résiliation du bail s’il justifie de toute contravention aux dispositions de l’article L411-35. Cet article est celui qui interdit toute cession de bail, sauf agrément du bailleur ou autorisation judiciaire lorsqu’il s’agit d’une cession au profit du conjoint, du partenaire PACS ou d’un descendant majeur ou émancipé.

En l’espèce, Mme [I] [C] sollicite la résiliation du bail au vu de la survenance ou de la révélation de faits postérieurs au jugement.

En effet, il est constant que M. [F] [X] s’est retiré du Gaec RJL le 31 décembre 2020, date à compter de laquelle il n’avait plus la qualité ni de gérant, ni même de membre associé de ce groupement pour cause de retraite agricole. Pourtant, le Gaec RJL a continué d’exploiter les parcelles louées qui avaient été mises à sa disposition par M. [F] [X].

Or, M. [F] [X] ayant perdu la qualité de preneur depuis le 31 décembre 2018 (toute prorogation du bail ayant été refusée au-delà de cette date) et ayant perdu la qualité d’exploitant à compter du 31 décembre 2020, la poursuite de l’exploitation des parcelles par Gaec RJL au-delà du 31 décembre 2018 et a fortiori au-delà du 31 décembre 2020 ne peut s’analyser juridiquement que comme une cession illicite au bénéfice du Gaec RJL.

Par conséquent, il convient de prononcer la résiliation du bail et d’ordonner la libération des parcelles par le Gaec RJL, M. [F] [X] ou tout occupant de leur chef.

La résiliation du bail a pour conséquence de priver d’effet l’autorisation de la cession du bail à M. [L] [X] et à Mme [H] [X].

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

M. [F] [X] échouant sur la demande subsidiaire de Mme [I] [C], le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Sedan qui l’avait condamné aux dépens et à une indemnité de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmé sur ce point. A hauteur d’appel, M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL seront dondamnés in solidum aux dépens et à payer une somme

globale de 800 euros à Mme [I] [C] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Vu l’arrêt rendu le 29 janvier 2020 par la cour d’appel de Reims ;

Déclare recevable l’intervention volontaire à hauteur d’appel de M. [L] [X], de Mme [H] [X] et du Gaec RJL,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [F] [X] de sa demande de procéder à la cession du bail au profit de M. [L] [X] et, statuant à nouveau, dit que les conditions de la cession du bail à M. [L] [X] et à Mme [H] [X],

Mais prononce la résiliation du bail portant sur les parcelles précitées,

Dit qu’en conséquence l’autorisation de cession du bail est privée de tous ses effets,

Ordonne à M. [F] [X] et à tout occupant de son chef, notamment le Gaec RJL, M. [L] [X] ou Mme [H] [X], de libérer les deux parcelles précitées dès la signification de cet arrêt,

Dit qu’à défaut de libération volontaire sous huit jours à compter de la signification de cet arrêt, il sera procédé à l’expulsion de M. [F] [X], de M. [L] [X], de Mme [H] [X], du Gaec RJL et à celle de tous occupants de leur chef, avec si nécessaire l’assistance de la force publique,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné M. [F] [X] aux dépens de première instance et à payer à Mme [I] [C] la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant, condamne in solidum M. [F] [X], M. [L] [X], Mme [H] [X] et le Gaec RJL aux dépens d’appel et à payer à Mme [I] [C] la somme de 800 € (huit cents euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par M. Francis MARTIN, président de chambre à la cour d’Appel de NANCY, et par Mme Christelle CLABAUX- DUWIQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Minute en onze pages.