Droit des brevets : 12 janvier 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 20/01934

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

RG 20/01934 – N° Portalis DBVS-V-B7E-FLTI

Minute n° 23/00017

[P]

C/

[S], [R]

Arrêt Cour de Cassation de PARIS, du 10 Septembre 2020, enregistrée sous le n° 520F-D

Arrêtdu 3 décembre 2018 , Cour d’Appel de NANCY, enregistrée sous le n°17/03045

Jugement du 15 décembre 2017 du Tribunal Paritaire Baux Ruraux d’EPINAL, enregistrée sous le n°16/00019

COUR D’APPEL DE METZ

3ème CHAMBRE – Baux Ruraux

RENVOI APRES CASSATION DU 12 JANVIER 2023

DEMANDEUR A LA REPRISE

Monsieur [B] [P]

[Adresse 5]

[Localité 4]

non comparant, représenté par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ

DEFENDEURS A LA REPRISE

Monsieur [N] [S]

[Adresse 3]

[Localité 6]

non comparant, représenté par Me Armelle BETTENFELD, avocat postulant au barreau de METZ, Me AUGUET avocat plaidant au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE

Madame [J] [R] épouse [S]

[Adresse 1]

[Localité 6]

non comparant, représenté par Me Armelle BETTENFELD, avocat postulant au barreau de METZ, Me AUGUET avocat plaidant au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE

Monsieur [C] [S]

[Adresse 1]

[Localité 6]

non comparant, représenté par Me Armelle BETTENFELD, avocat postulant au barreau de METZ, Me AUGUET avocat plaidant au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE

DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 08 Septembre 2022 tenue par M. MICHEL, Magistrat Rapporteur qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré pour l’arrêt être rendu le 24 novembre 2022 à cette date le délibéré a été prorogé au 12 Janvier 2023.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Madame Sophie GUIMARAES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

PRÉSIDENT : Madame GUIOT-MLYNARCZYK, Président de Chambre

ASSESSEURS : Madame BASTIDE, Conseiller

Monsieur MICHEL, Conseiller

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Mme GUIOT-MLYNARCZYK, Présidente de Chambre, et par Mme GUIMARAES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [B] [P] a consenti un bail à ferme à M. [T] [S] sur une parcelle située à [Localité 6]) au lieu dit ‘Norière’ cadastrée section ZC n°[Cadastre 2], d’une superficie de 4 hectare, 9 ares et 80 centiares.

Par lettre datée du 30 avril 2016, Maître [L], notaire, a informé M. [T] [S] de l’intention du propriétaire de procéder à la vente de la parcelle pour le prix de 16.000 euros. Par courrier du 16 juin 2016, le preneur a accepté l’offre de vente sous réserve de la révision judiciaire du prix et précisé qu’il entendait exploiter lui-même le terrain.

Par requête enregistrée au greffe le 24 juin 2016, M. [T] [S] a fait convoquer M. [P] devant le tribunal paritaire des baux ruraux d’Epinal et au dernier état de la procédure, il a demandé au tribunal de débouter le bailleur de ses prétentions, fixer la valeur vénale de la parcelle à la somme de 11.474,40 euros, subsidiairement désigner un expert pour donner un avis sur la valeur vénale de la parcelle, en tout état de cause condamner M. [P] à lui payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [P] s’est opposé à ces prétentions et a demandé au tribunal d’ordonner la résiliation du bail, subsidiairement condamner M. [S] sous astreinte à produire des pièces relatives à sa situation et à défaut déclarer ses demandes irrecevables, le condamner avec son fils, M. [C] [S], à payer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au profit des co-indivisaires figurant à l’instance, le débouter de toutes ses prétentions, subsidiairement ordonner une expertise judiciaire des terrains concernés et condamner MM. [S] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 15 novembre 2017, le tribunal paritaire des baux ruraux d’Epinal a :

– vu la déchéance du droit de préemption, rejeté la demande de fixation du prix de la parcelle

– condamné M. [T] [S] à payer à M. [P] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– débouté les parties de leurs autres demandes

– condamné M. [T] [S] aux entiers dépens.

Par acte du 15 décembre 2017, M. [T] [S] a formé appel de ce jugement.

Un autre litige a opposé M. [C] [S] à M. [B] [P], Mme [I] [G], M. [O] [G], M. [U] [V], M. [A] [W], Mmes [K] et [Z] [H] donnant lieu à un second jugement du tribunal paritaire des baux ruraux d’Epinal le 15 novembre 2017, également frappé d’appel.

Par arrêt du 3 décembre 2018, la cour d’appel de Nancy a :

– ordonné la jonction de la procédure opposant M. [C] [S] aux consorts [G], [V], [W], [H] et [P], à la procédure parallèle opposant M. [T] [S] à M. [B] [P]

– confirmé les jugements rendus par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Epinal le 15 novembre 2017 en toutes leurs dispositions

– débouté MM. [S] de leur demande formée au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel

– condamné M. [C] [S] à payer aux consorts [G], [V], [W], [H] et [P] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel

– condamné M. [T] [S] à payer à M. [B] [P] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel

– condamné MM. [S] aux entiers frais et dépens d’appel.

[T] [S] est décédé le 25 janvier 2020.

Par arrêt du 10 septembre 2020, la Cour de cassation a cassé et annulé mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de résiliation des baux consentis à MM. [S], l’arrêt rendu le 3 décembre 2018 par la cour d’appel de Nancy, remis sur ce point l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Metz.

Le 27 octobre 2020, M. [P] a déposé au greffe de la cour de renvoi une déclaration de saisine dirigée contre M. [N] [S] et Mme [J] [R] épouse [S], ès qualités d’héritiers de [T] [S] et tendant à l’infirmation du jugement du 15 novembre 2017 en ce qu’il l’a débouté de sa demande aux fins de résiliation du bail des terres louées à [T] [S] pour défaut d’exploitation et sous-location prohibée et de sa demande en paiement de la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par acte d’huissier signifié le 1er décembre 2021, M. [P] a appelé en la cause M. [C] [S] en sa qualité d’héritier de [T] [S].

Il demande à la cour de :

– ordonner la jonction des procédures et statuer par un même arrêt dans les deux procédures enregistrées sous les RG 20/1933 et 20/1934

– faire droit à la fin de non-recevoir formalisée

– déclarer les consorts [S] irrecevables en toutes leurs contestations applicables aux fautes qu’ils ont commises constituant un abandon des terres

– ordonner la résiliation du bail rural consenti à M. [C] [S] et à [T] [S] au jour de la demande faite par conclusions du 13 janvier 2017 et du 10 novembre 2016

– ordonner la prise d’effet de la résiliation à cette date

– déclarer irrecevables les prétentions des consorts [S] à mobiliser l’article L.411-34 du code rural

– débouter toutes autres parties de toutes demandes plus amples ou contraires et les débouter de tout appel incident irrecevable en présence d’une cassation partielle

– condamner M. [C] [S], M. [N] [S] et Mme [J] [S] à verser à M. [B] [P] une somme de 8.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile du même code au profit de Me Millot-Logier.

Sur la jonction, l’intimé expose que la présente instance concerne les mêmes faits et soulève les mêmes questions de droit que l’instance opposant parallèlement M. [C] [S] aux consorts [G], [V], [W], [H] et [P], de sorte que les procédures doivent être jointes.

Sur la résiliation des baux et la fin de non recevoir issue de la chose jugée, il fait valoir que la demande de préemption étant définitivement rejetée pour défaut d’exploitation des fonds en raison de la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, le preneur ne peut être déclaré comme un locataire régulier bénéficiant du statut du fermage ou transmette le bail dans le cadre d’une cession quelconque. Il précise que la situation d’abandon des fonds entraîne l’anéantissement des contrats au jour où l’abandon a été commis et que celui qui ne peut préempter faute d’exploitation personnelle des terres, ne peut pas plus les louer ou céder son bail. Il en déduit que les consorts [S] sont irrecevables à soutenir que le motif de résiliation doit être à nouveau apprécié par la cour de renvoi et qu’en application de l’article 1355 du code civil, l’abandon des fonds et les agissements de nature à justifier la résiliation du bail sont définitivement consacrés par la cour d’appel de Nancy de sorte que par application de l’article 122 du code de procédure civile, la discussion instaurée sur la nature et l’existence des fautes est entachée d’irrecevabilité.

Il soutient qu’il n’avait pas à solliciter dans les six mois du décès de [T] [S] la résiliation du bail, laquelle faisait déjà l’objet d’une demande introduite par conclusions des 10 novembre 2016 et 17 janvier 2017 antérieurement au décès, que M. [N] [S] n’est pas dans la cause en qualité de nouveau preneur mais en tant qu’héritier du preneur, que [T] [S] n’a pu transmettre ses droits à ses fils puisque le bail a été anéanti avant son décès et que les demandes de M. [N] [S] au visa de l’article L.411-34 du code rural sont irrecevables.

Sur le fond, le bailleur expose que les motifs de la résiliation s’apprécient au jour de la demande, les événements postérieurs étant sans incidence sur la faute du preneur dont la matérialité résulte de l’arrêt définitif du 3 décembre 2018. Il soutient que les explications relatives au rôle actuel de M. [N] [S] et son statut de cessionnaire sont sans emport, que la cour d’appel de Nancy a définitivement retenu qu’il n’était pas démontré qu’il exploitait valablement les terres litigieuses, qu’au jour de la demande de résiliation formalisée devant le tribunal paritaire des baux ruraux, M. [N] [S] étranger à l’instance, ne remplissait aucune des conditions prévues par les articles L.311-1, L.311-2, L. 331-1, L.331-1, L.331-1-1 et L.331-2 du code rural pour être exploitant agricole et qu’il n’est justifié ni que [T] [S] était lui-même en règle vis à vis du contrôle des structures, ni qu’il bénéficiait d’une autorisation d’exploiter.

M. [P] fait également valoir qu’il appartient au preneur de justifier d’une exploitation effective et permanente des terres mises à disposition par le bail, que cette notion ne se limite pas à la direction et à la surveillance de l’exploitation et que l’absence d’exploitation peut justifier la résiliation judiciaire du bail. Il prétend qu’au jour où il a préempté, [T] [S] ne pouvait revendiquer mener une exploitation personnelle sur la parcelle en litige qu’il n’exploitait plus lui-même.

Il soutient par ailleurs que le bail a fait l’objet d’une cession prohibée au profit de M. [N] [S], que celui-ci s’est substitué sans le moindre titre à son père âgé et impotent pour la totalité des travaux de la ferme, qu’il ne s’agit pas d’une simple entraide familiale mais d’une substitution au mépris des droits du bailleur qualifiée d’abandon par la Cour de cassation et que la cession, sans l’agrément préalable du propriétaire, constitue un manquement qui justifie la résiliation. Il précise que la résiliation doit être prononcée avec effet rétroactif au jour de la demande, que ce motif de résiliation n’est pas nouveau pour avoir été visé dans les conclusions déposées devant le tribunal au visa de l’article L.411-35 du code rural et qu’il est recevable devant la cour de renvoi puisqu’il tend aux mêmes fins que les moyens précédents. Il soutient qu’en revanche, le moyen nouveau invoqué par les consorts [S] au visa de l’article L.411-34 est irrecevable en raison d’un défaut de qualité des héritiers.

Aux termes de leurs dernières conclusions dont le dispositif doit être expurgé des mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs, les consorts [S] demandent à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle en résiliation de bail

– statuant à nouveau, déclarer irrecevable la demande de résiliation sur le fondement d’une cession prohibée et sur le fondement de l’article L.411-34 du code rural

– débouter M. [P] de sa demande reconventionnelle en résiliation de bail

– subsidiairement débouter M. [P] de sa demande reconventionnelle en résiliation de bail pour défaut d’exploitation effective et permanente

– en tout état de cause condamner M. [P] au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Sur la demande en résiliation du bail pour défaut d’exploitation effective et permanente, au visa de l’article L.411-34 du code rural, les consorts [S] exposent que suite au décès de [T] [S], son fils [N] qui participait à l’exploitation depuis plus de cinq ans est devenu titulaire du bail, que cette transmission intervient automatiquement indépendamment du contrôle des structures, que M. [P] avait un délai de six mois pour demander la résiliation, qu’il est désormais hors délai pour solliciter une résiliation sur le fondement des dispositions de l’article L.411-34 du code rural et qu’en l’absence de décision définitive sur le sort du bail, celui-ci s’est poursuivi dans les mêmes conditions. Ils soutiennent que la demande fondée sur le défaut d’exploitation de [T] [S] est à présent sans objet en soulignant que M. [N] [S] n’est pas dans la cause en qualité d’héritier de son père mais en tant que nouveau preneur et que le changement de preneur purge tous les manquements antérieurs du fermier.

Les consorts [S] font valoir que les manquements du preneur à ses obligations n’entraînent pas nécessairement la résiliation du bail, celle-ci n’étant prononcée que si les agissements incriminés sont de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Ils soutiennent que la Cour de cassation a interprété de façon excessive la décision de la cour d’appel qui a constaté non pas un abandon du fonds par les preneurs mais l’insuffisance d’exploitation effective et permanente du preneur au sens de l’article L.412-5 du code rural relatif au droit de préemption, que l’arrêt du 10 septembre 2020 ne remet pas en cause le fait que le manquement doit compromettre la bonne exploitation du fonds, que cette preuve doit être rapportée par le bailleur qui n’établit ni le préjudice, ni le lien de causalité, M. [P] se contentant de reprendre la motivation de la cour d’appel sur le droit de préemption sans apporter de pièces nouvelles sur le défaut d’exploitation des terres au visa de l’article L.411-31 du code rural. Ils ajoutent rapporter la preuve que la parcelle n’est pas abandonnée, qu’elle est bien entretenue et systématiquement récoltée.

Ils font valoir que [T] [S] était agriculteur et considéré comme tel par tous les organismes de la profession, que les pièces produites (relevé MSA, inventaire de cheptel, attestation d’une laiterie) démontrent son activité comme chef d’exploitation, qu’il était aidé dans les tâches agricoles par sa famille et secondé par son fils [N], titulaire d’un brevet de technicien agricole, ce qui est conforme aux dispositions du code rural.

Sur la demande en résiliation du bail pour cession prohibée, ils soutiennent au visa de l’article 564 du code de procédure civile que cette demande nouvelle est irrecevable puisqu’il ne ressort ni des conclusions des parties, ni de la décision du tribunal ou de la cour que les bailleurs se sont prévalus de ce motif de résiliation. Ils indiquent que l’irrecevabilité de sa demande a déjà été soulevée devant la Cour de cassation qui n’a pas tranché ce point lequel ne peut être valablement débattu devant la cour de renvoi. Ils ajoutent que l’aide à l’action familiale ne constitue pas une cession de bail, que M. [N] [S] a uniquement joint ses efforts à ceux de son père, qu’il exploite désormais en qualité de preneur à bail et que la demande en résiliation au motif d’une cession prohibée est donc mal fondée.

A l’audience du 8 septembre 2022, les parties, représentées par leurs avocats, ont repris et développé oralement leurs conclusions déposées à l’audience auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de jonction

Selon l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

En l’espèce, il est relevé que les deux procédures n’opposent pas exactement les mêmes parties, ne portent pas sur les mêmes parcelles et ont donné lieu à deux jugements différents avec des demandes et des moyens différents. En conséquence, la demande de jonction est rejetée et par voie de conséquence, il n’y pas lieu de statuer dans le présent arrêt sur les prétentions relatives à la procédure n° RG 20/1933 et à la résiliation du bail rural consenti à M. [C] [S].

Sur la recevavilité de l’appel incident

En l’absence d’appel incident formé par les consorts [S], il n’y a pas lieu à statuer sur l’irrecevabilité invoquée par M. [P].

Sur la demande de résiliation pour défaut d’exploitation effective et permanente du preneur

L’article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime, ce texte indique qu’en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participant à l’exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès. Le bailleur peut demander la résiliation du bail dans les six mois à compter du jour où le décès est porté à sa connaissance lorsque le preneur décédé ne laisse pas de conjoint, de partenaire d’un pacte civil de solidarité ou d’ayant droit réunissant les conditions énoncées au premier alinéa.

Les consorts [S], pour lesquels il n’est démontré aucun défaut de qualité, sont recevables à invoquer les dispositions de cet article, dès lors que M. [P] ne peut valablement se prévaloir de l’extinction du droit au bail qui ne résulte ni du décès de [T] [S], ni des constatations de la cour d’appel de Nancy dans son arrêt du 3 décembre 2018 et il est en conséquence débouté de sa demande d’irrecevabilité des consorts [S] à mobiliser l’article L.411-34 du code rural et de la pêche maritime.

Sur l’application de ce texte, il est constaté que la demande en résiliation du bail à ferme consenti à [T] [S] a été formée par les conclusions déposées par M. [P] devant le tribunal le 18 janvier 2017 (celles du 10 novembre 2016 ne figurant pas au dossier) et que le preneur est décédé le 20 janvier 2020, au cours de la procédure devant la Cour de cassation. Il s’ensuit que ce décès intervenu postérieurement à la demande de résiliation du bail ne peut entraîner la rupture du bail, ni rendre sans objet la demande en résiliation fondée sur l’article L.411-31 du code rural, puisque les motifs de la résiliation judiciaire doivent s’apprécier au moment de la demande en justice. En outre, l’article L. 411-34 n’impose pas au bailleur ayant préalablement initié une instance aux fins de résiliation, d’introduire une nouvelle demande ayant le même objet dans les six mois du décès du preneur survenu postérieurement à la demande de résiliation. En conséquence, les consorts [S] sont déboutés de leur demande d’irrecevabilité de la demande de résiliation pour défaut d’exploitation effective et permanente du preneur.

Sur la recevabilité des contestations émises, l’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription le délai préfix, la chose jugée.

Selon l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose jugée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.

L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif et les motifs, même s’ils sont le soutien nécessaire du dispositif, n’ont pas autorité de la chose jugée.

En l’espèce, c’est en vain que le bailleur soutient que les contestations des consorts [S] quant à l’abandon du fonds sont irrecevables au motif qu’elles se heurtent à la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée. En effet, il est rappelé que sur la demande de résiliation du bail à ferme, la Cour de cassation a remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nancy le 3 décembre 2018, étant observé que les constatations relatives au défaut d’exploitation du fonds s’évincent non du dispositif de la décision mais de ses motifs et n’ont donc pas autorité de la chose jugée. En conséquence la demande d’irrecevabilité est rejetée.

Sur le fond, l’article 1766 du code civil dispose que si le preneur d’un héritage ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s’il abandonne la culture, s’il ne cultive pas raisonnablement, s’il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou en général, s’il n’exécute pas les clauses du bail et qu’il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

Il résulte de l’article L.411-31 2° du code rural et de la pêche maritime que le bailleur peut demander la résiliation du bail s’il justifie des agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu’il ne dispose pas de la main d’oeuvre nécessaire aux besoins de l’exploitation.

En application de ces dispositions, la résiliation du bail est encourue lorsque le défaut d’exploitation effective et permanente du preneur est de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Les motifs de résiliation doivent s’apprécier au jour de la demande et la preuve des manquements du preneur qui peut être rapportée par tous moyens, incombe à celui qui les allègue.

En l’espèce, indépendamment des ‘certificats’ délivrés respectivement par MM. [D] [M] et [E] [Y] dont la valeur probante est contestée, il résulte des attestations versées aux débats que [T] [S], âgé de 82 ans lors de l’introduction de la demande en résiliation, ne sortait plus de sa maison, qu’il avait besoin d’aide pour marcher, qu’il n’effectuait plus son métier d’agriculteur (conduire les vaches laitières au pré, faire les foins) et ne conduisait plus le tracteur ni le matériel agricole depuis plusieurs années. Ces constatations, dont la valeur probante ne peut être contestée puisqu’elles n’émanent pas des propriétaires proposant d’acquérir les terres, sont incompatibles avec l’exploitation effective et permanente de la parcelle faisant l’objet du bail à ferme, à laquelle était tenu [T] [S].

L’affiliation du preneur en qualité de chef d’exploitation auprès de la MSA qui n’est pas conditionnée par la participation et l’implication personnelles de l’intéressé dans les travaux de l’exploitation, n’est pas de nature à contredire cette incompatibilité. La propriété d’un cheptel de 179 bovins, le fait que [T] [S] a livré plusieurs dizaines de milliers de litres de lait à une coopérative en 2017 ou encore qu’il a procédé à l’achat de matériel agricole attestent de l’importance de l’exploitation dont il était le chef mais ne sont pas des éléments suffisants à caractériser une participation effective et permanente du preneur aux travaux, alors que les témoignages produits établissent que ses trois fils effectuaient des travaux de la ‘ferme’ et aidaient leurs parents.

Les consorts [S], qui ont été attraits devant la cour de renvoi ès qualités d’héritiers de [T] [S], sont mal fondés à soutenir, notamment pour M. [N] [S], intervenir dans la procédure comme nouveau preneur en transmission du bail consenti à son père et à affirmer que la demande de résiliation doit s’analyser à son égard, sans tenir compte des manquements antérieurs de son père. Ce moyen est inopérant.

Il s’ensuit que le défaut d’exploitation effective et permanente de la parcelle litigieuse par [T] [S] est établi. Toutefois, ce manquement n’est susceptible de fonder la résiliation du bail que s’il compromet la bonne exploitation du fonds et le bailleur, sur lequel repose la charge de la preuve, ne verse aux débats aucune pièce faisant apparaître la mise en péril du fonds, notamment un défaut d’entretien.

C’est donc à juste titre que le tribunal a débouté M. [P] de sa demande en résiliation du bail consenti à [T] [S] fondée sur les dispositions de l’article L.434-11 2° du code rural et de la pêche maritime.

Sur la demande de résiliation pour cession du bail

Sur la recevabilité de la demande, selon l’article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. Aux termes de l’article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En l’espèce, il ne ressort pas des pièces que le bailleur a demandé au tribunal de prononcer la résiliation du bail à ferme au motif d’une sous location ou d’une cession prohibées, alors que ses conclusions du 13 janvier 2017 n’invoquent la résiliation du bail de [T] [S] qu’en raison ‘d’une situation d’incapacité physique l’empêchant de continuer à exploiter’. Cependant ce moyen invoqué pour la première fois en appel n’est pas irrecevable puisqu’il tend aux mêmes fins que la demande en résiliation du bail formée devant le tribunal, sur un fondement juridique différent.

Sur le fond, il résulte de l’article L.411-35 du code rural que toute cession de bail est interdite, sauf si elle est consentie avec l’agrément du bailleur au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipés.

Le tribunal a exactement estimé que la preuve d’une cession ou d’une sous-location du bail au profit d’un tiers n’est pas rapportée. En effet, si les pièces produites démontrent un défaut d’exploitation effective et permanente, il n’est pas démontré que M. [N] [S] s’est totalement substitué à son père. Si plusieurs attestations font état de la réalisation par celui-ci des ‘travaux de la ferme’, la consistance de ces travaux et la désignation des parcelles concernées ne sont pas précisées alors qu’il existe plusieurs exploitations familiales et qu’il ressort des mêmes témoignages qu’outre M. [N] [S], ses deux frères [X] et [C] participent également aux travaux de la ferme et aident leurs parents. L’existence d’une cession de bail au profit de M. [N] [S] n’est pas caractérisée, étant rappelé que l’entraide familiale n’est pas prohibée.

Enfin, si le bailleur fait valoir que [T] [S] ne justifie pas être en règle vis à vis du contrôle des structures, ce moyen est sans emport puisque la méconnaissance en cours de bail du dispositif de contrôle des structures ne constitue pas un motif de résiliation prévu par la loi.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande de résiliation du bail rural consenti à [T] [S].

Sur la demande de dommage et intérêts

Il est constaté que dans les conclusions déposées à l’audience, l’intimé ne critique pas la disposition du jugement l’ayant débouté de sa demande de dommages et intérêts et ne reprend pas cette demande devant la cour de renvoi, aucune demande complémentaire n’ayant été faite oralement. En conséquence le jugement est confirmé.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les dispositions du jugement sur les dépens et les frais irrépétibles sont confirmées.

Chaque partie succombant partiellement en ses demandes en cause d’appel, il convient de partager les dépens par moitié et de rejeter les demandes au titre des frais irrépétibles. L’article 699 du code de procédure civile n’étant pas applicable aux procédures sans représentation obligatoire, il n’y a pas lieu à distraction des dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de jonction des procédures RG 20/1933 et RG 20/1934 ;

DIT n’y avoir lieu à statuer dans le présent arrêt sur la prétention relative à la procédure RG 20/1933 et à la résiliation du bail rural consenti à M. [C] [S] ;

DÉBOUTE M. [B] [P] de ses demandes d’irrecevabilité des prétentions de MM. [C] et [N] [S] et Mme [J] [R] épouse [S] ;

DÉBOUTE MM. [C] et [N] [S] et Mme [J] [R] épouse [S] de leur demande d’irrecevabilité des prétentions de M. [B] [P] ;

CONFIRME le jugement rendu le 15 novembre 2017 par le tribunal paritaire des baux ruraux d’Epinal en ce qu’il a :

– débouté M. [B] [P] de sa demande en résiliation du bail à ferme consenti à [T] [S] et de sa demande de dommages et intérêts

– condamné [T] [S] à payer à M. [B] [P] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné [T] [S] aux entiers dépens ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

CONDAMNE MM. [C] et [N] [S] et Mme [J] [R] épouse [S] d’une part, et M. [B] [P] d’autre part, à supporter la moitié des frais et dépens d’appel, sans distraction des dépens.

Le Greffier Le Président de chambre