Droit des brevets : 11 janvier 2023 Cour de cassation Pourvoi n° 19-19.567

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COMM.

DB

COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 janvier 2023

Cassation

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 29 F-D

Pourvoi n° M 19-19.567

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 JANVIER 2023

Le directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), domicilié[Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 19-19.567 contre l’arrêt rendu le 21 mai 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant à la société Thales, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Thales, et l’avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2019), le 17 décembre 2010, la société Thales a déposé la demande de brevet français n° 10 04947, intitulé « Procédé d’affichage temporel de la mission d’un aéronef », publiée le 22 juin 2012 sous le numéro 2 969 124, modifiée le 21 juillet 2014.

2. Par décision du 17 juillet 2018, le directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (l’INPI) a rejeté la demande de brevet au motif, notamment, que son objet ne concernait qu’une présentation d’informations associée à une méthode mathématique, dépourvue de caractéristiques techniques au sens de l’article L. 611-10, 2° du code de la propriété intellectuelle.

3. La société Thales a formé un recours contre cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le directeur général de l’INPI fait grief à l’arrêt d’annuler sa décision du 17 juillet 2018, alors « qu’aux termes de l’article L. 612-12 du code de la propriété intellectuelle, est rejetée, en tout ou partie, toute demande de brevet (…) 5° Dont l’objet ne peut manifestement être considéré comme une invention au sens de l’article L. 611-10 , deuxième paragraphe de ce code ; que, selon ce texte, ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa de cet article les présentations d’informations ; que la cour d’appel a considéré que la revendication 1, ainsi que les revendications dépendantes 2 à 7, de la demande de brevet déposée par la société Thales n’étaient pas exclues de la brevetabilité en ce qu’elles visent des moyens techniques, distincts du contenu des informations elles-mêmes, pour la raison que ces moyens, consistant à permettre un affichage partiel de la “timeline”, à recentrer automatiquement la “timeline” sur l’heure courante et à utiliser une fonction de loupe pour dilater l’échelle des temps et entraîner le déplacement du symbole de l’avion sur la représentation graphique, aident le pilote à sélectionner parmi les informations les plus pertinentes ; que contrairement à ce qu’a énoncé la cour d’appel des caractéristiques qui définissent la manière dont les informations sont visualisées selon un certain agencement (affichage partiel ou total) ne peuvent être regardées comme apportant une contribution technique, un tel agencement transmettant tout au plus des informations d’une manière qu’un utilisateur peut considérer intuitivement comme particulièrement cohérente ; qu’en se bornant ainsi à reproduire les termes du brevet demandé par la société Thales, sans justifier l’existence d’une contribution technique apportée par la demande de brevet ni expliquer en quoi les moyens revendiqués dans la demande de brevet, laquelle ne portait ni sur l’obtention des informations en cause ni sur la technologie de représentation de ces informations mais uniquement sur l’amélioration d’un système d’affichage d’informations préenregistrées relatives à un plan de vol indépendamment des circonstances spécifiques de ce vol, avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d’informations, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 611-10, 2° et L. 612-12, 5° du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 611-10, 2°, d) du code de la propriété intellectuelle et l’article L. 612-12, alinéa 1, 5° du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 :

5. Il résulte du premier de ces textes que ne sont pas considérées comme des inventions les présentations d’informations. Selon le second, doit être rejetée, en tout ou partie, toute demande de brevet dont l’objet ne peut manifestement être considéré comme une invention au sens de l’article L. 611-10, deuxième paragraphe.

6. Pour considérer que la demande de brevet en cause porte sur une invention et, par conséquent, annuler la décision de rejet du directeur général de l’INPI, après avoir écarté la brevetabilité de la première caractéristique de la revendication 1, en retenant qu’elle n’a pour objet que la transmission et la présentation d’informations, l’arrêt retient que la seconde caractéristique de cette revendication, qui prévoit que la longueur de la « timeline » est supérieure à celle de la première fenêtre graphique et que l’utilisateur (le pilote) peut n’en afficher qu’une partie, est un moyen technique distinct du contenu des informations elles-mêmes, qui aide le pilote à sélectionner, parmi celles-ci, les plus pertinentes et produit ainsi un effet technique. Il en déduit que la revendication 1, prise dans son ensemble, n’est pas exclue de la brevetabilité, de même que les revendications 2 à 7, placées dans sa dépendance.

7. En se déterminant ainsi, en se bornant à reproduire les termes de la revendication 1, sans établir l’existence d’une contribution technique apportée par la demande de brevet ni expliquer en quoi les moyens revendiqués dans cette demande avaient le caractère de moyens techniques distincts de la simple présentation d’informations, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Thales aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.