Droit des brevets : 11 janvier 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 22/04626

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délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 11 JANVIER 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/04626 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PRJV

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 25 MAI 2022 du CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER

N° RG F20/01122

APPELANT :

Monsieur [P] [I]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Gladys GOUTORBE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S. HAIRSTYLE ART Prise en la personne de Président en exercice, domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Guilhem DEPLAIX, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 NOVEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre chargé du rapport, et Mme Magali VENET, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre

Mme Magali VENET, Conseillère

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Philippe de GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[P] [I] a été embauché par la SASU HAIRSTYLE ART selon contrat d’apprentissage à compter du 9 septembre 2019, avec un terme fixé au 31 août 2021. Il suivait une formation en vue de l’obtention du brevet professionnel de coiffure moyennant un salaire mensuel brut en dernier lieu de 1 539,45€.

Il a été en arrêt de travail pour maladie selon certificat médical du 19 décembre 2019, ensuite remplacé par un certificat médical d’accident du travail, pris en charge par la sécurité sociale, jusqu’au 12 mai 2020.

Il a fait l’objet d’un avertissement le 21 décembre 2019 pour son ‘comportement du 19 décembre 2019… ‘.

Après avoir été mis à pied à titre conservatoire, il a été licencié par lettre du 2 juin 2020 pour les faits suivants qualifiés de faute grave : ‘J’ai eu le regret de constater de graves dysfonctionnements dans l’exercice de vos fonctions d’apprenti au sein de mon salon de coiffure et votre volonté de me porter préjudice tant à titre personne qu’à titre professionnel… ‘

Estimant la rupture injustifiée, l’apprenti a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier qui, par jugement en date du 25 mai 2022, a ordonné le sursis à statuer dans ‘l’attente de la juridiction pénale saisie’.

Par ordonnance du 31 août 2022, [P] [I] a été autorisé à interjeter appel à jour fixe.

Devant la cour, il demande d’infirmer le jugement, d’évoquer l’affaire et de condamner la SASU HAIRSTYLE ART au paiement de :

– la somme de 9 200€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

– la somme de 3 066,76€ à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

– la somme de 209,38€ à titre de rappel de salaire relative à la retenue pour frais de déplacement ;

– la somme de 20,93€ à titre de congés payés sur rappel de salaire relative à la retenue pour frais de déplacement ;

– la somme de 34 500€ à titre de dommages et intérêts pour nullité de la rupture anticipée du contrat d’apprentissage et, subsidiairement, la somme de 25 300€ à titre de dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive du contrat d’apprentissage ;

– la somme de 3 680,11€ à titre d’indemnité de précarité ;

– la somme de 1 349,95€ à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied ;

– la somme de 134,99€ à titre de congés payés sur rappel de salaire correspondant à la mise à pied ;

– la somme de 6 133,52€ à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de passer son diplôme ;

– la somme de 4 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il demande que les condamnation à intervenir emportent intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts ainsi que la remise sous astreinte des documents de fin de contrat rectifiés.

La SAS HAIRSTYLE ART demande de confirmer le jugement et de lui allouer les sommes de 1€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le sursis à statuer :

Attendu qu’en ordonnant le sursis à statuer ‘dans l’attente de la juridiction pénale saisie’, sans autre précision, le conseil de prud’hommes a fait dépendre la suite de l’instance de la réalisation d’une condition hypothétique puisqu'[P] [I] s’étant limité à déposer une plainte simple à l’encontre de son employeur, il n’est pas certain que le juge pénal soit jamais saisi ;

Qu’au demeurant, la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile ;

Attendu qu’a fortiori en est-il ainsi de la procédure en cours devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins, relative à l’éventuelle délivrance d’un certificat médical de complaisance, qui ne concerne pas le salarié ;

Attendu, de même, que les différentes décisions rendues en matière de sécurité sociale ne lient pas le juge prud’homal qui reste compétent pour statuer sur le caractère professionnel ou non de de l’accident ;

Attendu que le jugement sera donc infirmé ;

Attendu que, dès lors que l’appel du jugement de sursis à statuer a été autorisé à raison de motifs graves et légitimes sur le fondement de l’article 380 du code de procédure civile, il est de bonne justice, au regard de l’exigence d’une durée raisonnable de la procédure et dès lors que les parties ont conclu au fond, de donner à l’affaire une solution définitive en évoquant les points non jugés ;

Sur le harcèlement moral :

Attendu qu’un harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel, ce qui signifie que le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur ;

Qu’il résulte des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Qu’ainsi, il appartient aux juges du fond :

1) d’examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits,

2) d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail,

3) dans l’affirmative, d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu’en l’espèce, [P] [I] invoque un avertissement selon lui injustifié, des persécutions, des insultes ainsi que des remarques humiliantes à son encontre ;

Que pour preuve des faits qu’il invoque, il produit :

– un avertissement en date du 21 décembre 2019,

– diverses attestations faisant état de propos négatifs et humiliants, parfois prononcés en sa présence,

– les messages en réponse qu’il a immédiatement écrits à son employeur, décrivant précisément les comportements qu’il dit subir,

– des certificats médicaux d’arrêts de travail évoquant un état anxieux réactionnel,

– le dossier d’enquête de la caisse primaire d’assurance maladie relatif à sa déclaration d’accident du travail ;

Qu’il fait ainsi ressortir à la fois que sa demande est fondée sur des faits matériellement établis et que, pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ;

Attendu, sur l’avertissement du 21 décembre 2019, qu’il n’est pas contesté que, le 19 décembre 2019, [P] [I] a indiqué à une cliente qui venait d’entrer dans le salon de coiffure et n’avait pas rendez-vous qu’il serait impossible de la coiffer dans le court laps de temps qu’elle impartissait ;

Qu’elle est donc repartie ;

Attendu, cependant, qu’à tout le moins, en tant que simple apprenti, justifiant d’une ancienneté de moins de quatre mois, [P] [I] devait-il, avant de prendre la responsabilité de renvoyer une cliente, en référer à son employeur afin qu’il décide lui-même de la possibilité ou non de la coiffer ;

Qu’à plus forte raison, il ne pouvait décider lui-même de priver celui-ci du gain attendu de cette prestation ;

Qu’ainsi, la décision de l’employeur était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Attendu qu’en revanche, s’agissant des autres faits, l’employeur se borne à fournir des attestations dont il résulte seulement qu’il ne parlait jamais de son apprenti en public, que celui-ci ‘allait parfaitement bien’ ou qu’il était ‘parfaitement ravi’ ;

Qu’il ne prouve donc pas que les agissements tels qu’établis par le salarié n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement ;

Attendu que l’existence d’agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel est dès lors caractérisée ;

Attendu qu’au vu des éléments portés à son appréciation, il y a lieu d’allouer à [P] [I] la somme de 2 500€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

Attendu qu’il n’est pas établi d’autre faute ou préjudice, né d’une exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat d’apprentissage, distincts de ceux déjà réparés par les dispositions qui précèdent ;

Qu’il est également démontré par les attestations et le carnet d’apprentissage produits que la formation due a bien été mise en place;

Attendu que la demande à ce titre sera donc rejetée ;

Sur le rappel de salaire du mois d’octobre 2019 :

Attendu qu’il n’est pas contesté qu’alors que le bulletin de paie du mois d’octobre 2019 fait mention d’un ‘net payé’ de 1 490,13€, [P] [I] n’a perçu que la somme de 1 280,75€ ;

Attendu qu’il est donc créancier de la différence, soit la somme nette de 209,38€, sans qu’il y ait lieu à congés payés, étant observé :

– qu’il ne peut être compensée la dette des salariés envers leur employeur qui n’a ni la même cause, ni le même objet que les créances de salaire alléguées

par eux ;

– qu’il ne saurait donc y avoir de compensation entre le salaire dû au salarié et le remboursement de frais de transport éventuellement dus par lui ;

Sur la rupture du contrat d’apprentissage :

Attendu qu’il résulte de l’article L. 1152-2 du code du travail, qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Qu’en vertu de l’article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code précité, toute disposition contraire ou tout acte contraire est nul ;

Qu’il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ;

Qu’en l’espèce, dans la lettre de licenciement, il est notamment reproché au salarié d’avoir accusé son employeur de harcèlement à son égard ;

Attendu, cependant, qu’il a été jugé que les faits de harcèlement moral dénoncés étaient établis, ce dont il résultait que la rupture était nulle, en sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur ;

Attendu que seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire, en sorte qu’il y a lieu de condamner la SASU HAIRSTYLE ART au paiement de la somme de 976,93€, augmentée des congés payés afférents ;

Attendu que le paiement d’une indemnité de fin de contrat n’est pas dû en matière de contrat d’apprentissage ;

Attendu que l’apprenti ayant été mis à pied, l’employeur ne saurait être tenu de payer les salaires jusqu’au jour où le juge statue sur la résiliation ou, s’il est parvenu à expiration, jusqu’au terme du contrat ;

Attendu que le licenciement ayant été déclaré nul, il y a lieu de condamner l’employeur à payer une indemnité réparant le préjudice subi par l’apprenti du fait de la rupture anticipée du contrat, que la cour d’appel, en fonction du préjudice subi, y compris celui résultant de la perte d’une chance de passer son diplôme, a les moyens de réparer par l’octroi de la somme de 10 000€ ;

* * *

Attendu qu’à l’exception des dommages et intérêts et de la somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dont les intérêts légaux courront à compter de la notification du présent arrêt, les sommes allouées emportent intérêts au taux légal dès la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation ;

Attendu que la capitalisation des intérêts échus doit être ordonnée dans

les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Attendu qu’il convient d’ordonner la rectification des documents de fin du contrat sans qu’il soit besoin d’assortir cette condamnation d’une astreinte ;

Attendu qu’enfin, l’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour d’appel ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant le jugement et statuant à nouveau,

Dit n’y avoir lieu à sursis à statuer ;

Évoquant l’affaire,

Condamne la SASU HAIRSTYLE ART à payer à [P] [I] :

– la somme de 2 500€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

– la somme nette de 209,38€ à titre de rappel de salaire du mois d’octobre 2019 ;

– la somme de 976,93€ à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire ;

– la somme de 97,69€ à titre de congés payés sur rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire ;

– la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de la nullité de la rupture anticipée du contrat ;

– la somme de 1 500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit qu’à l’exception des dommages et intérêts et de la somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dont les intérêts légaux courront à compter de la notification du présent arrêt, ces sommes emportent intérêts au taux légal dès la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Ordonne la rectification des documents de fin du contrat ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la SASU HAIRSTYLE ART aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La Greffière Le Président