Droit des applications mobiles : 8 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/14555

·

·

Droit des applications mobiles : 8 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/14555
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 08 DECEMBRE 2022

N° 2022/ 354

N° RG 21/14555 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BIHIX

S.A.S. YUCA

C/

S.A.S. A.B.C. INDUSTRIE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Gilles MATHIEU

Me Elie MUSACCHIA

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 13 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2021004507.

APPELANTE

S.A.S. YUCA, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Gilles MATHIEU de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me François RONGET, avocat au barreau de PARIS, de Me François DE CAMBIAIRE, avocat au barreau de PARIS et de Me DECARSIN Louise, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEE

S.A.S. A.B.C. INDUSTRIE, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE assisté de Me Jean-christophe GRALL de la SELARL GRALL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, de Me Nadège POLLACK, avocat au barreau de PARIS, et de Me RIBAYNE, avocat au barreau de PARIS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 27 Octobre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Pierre CALLOCH, Président de chambre, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président de chambre

Madame Valérie GERARD, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Marie PARANQUE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et Madame Marie PARANQUE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

La société A.B.C INDUSTRIE SAS, ci-après A.B.C, est spécialisée dans les activités de fabrication de charcuterie, et principalement de jambons cuits. Une partie de sa production, commercialisée sous la marque NOIXFINE est écoulée par la grande distribution, en pré tranché sous blister ou à la coupe.

ABC incorpore dans ses produits un additif, le nitrite de sodium, nomenclaturé conservateur

E250 par le règlement européen des additifs.

La société YUCA SAS, ci-après YUCA a crée une application mobile YUKA dont le but est de renseigner le consommateur sur les produits proposés sur le marché, notamment alimentaires.

Elle a à cette fin développé un algorithme qui, après avoir scanné le code barre d’un produit,

en extrait sa composition puis, en fonction de cette dernière, attribue une note de 0 a 100 et un commentaire ‘ excellent, bon , médiocre ou mauvais’.

L’algorithme attribue la note selon trois critères principaux :

– La qualité nutritionnelle, se basant sur le Nutri-Score et prenant en compte divers éléments dont les calories, le sucre, le sel, les graisses saturées, les protéines, les ‘bres, les fruits et légumes. Ce critère représente 60% de la note.

– La dimension biologique, qui attribue 10 % de la note pour les produits labellisés ‘bio’.

– La présence d’additifs et leur nature, pour lesquels l’application attribue 30 % de la note.

Chaque additif évalué est affecté d’un niveau de risque et d’une pastille de couleur :

– sans risque avec pastille verte,

– risque limite avec pastille jaune,

– risque modéré avec pastille orange,

– risque élevé avec une pastille rouge.

En présence de nitrites, le consommateur est invité par ailleurs sur l’application à signer une pétition ‘agir pour l’interdiction des nitrites ajoutés ». Ce même consommateur peut en outre suivre un lien ‘ plus d ‘infos sur les additifs’ qui lui présente une page détaillant les additifs présents. I1 peut ensuite, pour chaque additif, accéder à une page détaillant le nom de l’additif sur laquelle ‘gurent deux liens renvoyant l’un à ‘en savoir plus’ et l’autre à ‘sources scientifiques’.

Une mention additionnelle concernant le système de notation des additifs précise ‘ En présence d’un additif évalué risque élevé, le score maximal du produit est ‘xé à 49/100. Dans ce cas de ‘gure, ce critère peut alors représenter plus de 30% de la note’.

L’application YUKA se décline en deux versions :

– Une gratuite accessible sans frais par téléchargement, puis par lecture du code barre du

produit.

– Une payante, dite ‘premium’a prix variable de 10 à 20 euros par an, offrant à l’utilisateur des fonctions complémentaires.

Les jambons NOIXFINE de la société A.B.C sont classés ‘mauvais’par l’application YUKA, compte tenu notamment de la présence de nitrites. Lorsque le code barre de ces jambons est scanné, apparaît la note de 9/100 ainsi qu’un bandeau renvoyant à signer une pétition pour l’interdiction des nitrites ‘additif favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac’.

Estimant que la société YUCA s’était rendue coupable à son encontre de pratiques commerciales trompeuses et déloyales, des fautes par dénigrement et d’appel au boycott, la société A.B.C l’a fait assigner selon la procédure de l’assignation à jour fixe devant le tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE afin de la faire condamner au paiement de dommages-intérêts et obtenir diverses mesures d’interdiction et de publication.

Suivant jugement en date du 13 septembre 2021, le tribunal a :

-DIT que la SAS YUCA a exercé, et exerce, une pratique commerciale déloyale et trompeuse au préjudice de la SAS A.B.C INDUSTRIE,

DIT que la SAS YUCA a commis, et commet, des actes de dénigrement au préjudice de la SAS A.B.C INDUSTRIE,

Et en conséquence a :

– Condamné la SAS YUCA à payer à la SAS A.B.C INDUSTRIE la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– Ordonné à la SAS YUCA de ne pas établir de lien ou supprimer tous liens existants entre la pétition ‘agir pour l’interdiction des nitrites ajoutés’ et les produits de charcuterie cuite fabriqués par la SAS A.B.C INDUSTRIE, sous quelque forme que ce soit, de quelque manière que ce soit, sur quelque support (physique ou électronique) et à quelque titre que ce soit, et en particulier sur son application YUKA, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard a compter du 30ème jour suivant la date de la signi’cation.

– Ordonné à YUCA de ne pas diffuser ni publier, sous quelque forme que soit, sur quelque support (physique ou électronique) que ce soit et a quelque titre que ce soit, et en particulier sur son application YUKA, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, de tout contenu trompeur ou dénigrant les jambons cuits fabriques par A.B.C

– Ordonné à la SAS YUCA de procéder a ses frais à certaines modi’cations sur son application YUKA, notamment ajour d’une mention relative à une recommandation de l’ANSES, suppression de la mention ‘risque élevé’ et des termes ‘cancérogènes’ et génotoxiques’ sous astreinte.

Le jugement a débouté la société A.B.C INDUSTRIE du surplus de ses demandes, notamment de modifications de certaines mentions, de publication du jugement et de condamnation à des dommages-intérêts pour préjudice financier et a condamné la société YUCA à lui verser une somme de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société YUCA a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 14 octobre 2021.

Un avis de fixation à bref délai a été adressé à la société appelante par le greffe le 3 novembre 2021, fixant la clôture de l’instruction au 9 mai 2022 et l’audience de plaidoirie au 9 juin 2022.

Suivant ordonnance en date du 21 juin 2022, le président de la chambre a rejeté un incident en irrecevabilité de conclusions soulevé par la société A.B.C et a fixé une nouvelle date d’audience au 27 octobre 2022. L’ordonnance clôturant l’instruction a été rendue le 27 octobre 2022, avant l’ouverture des débats.

Suivant conclusions déposées par voie électronique le 13 octobre 2022, la société YUKA, après avoir présenté l’activité des deux parties et décrit le contexte sanitaire relatif à l’emploi des additifs nitrés, soulève au principal les moyens suivants :

– à titre liminaire, les faits invoqués par la société A.B.C seraient constitutifs de la diffamation, et la cour devrait en conséquence requalifier l’action. En application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, l’assignation devrait être annulée et subsidairement l’action déclarée prescrite et en outre irrecevable pour défaut d’intérêt à agir.

– la société A.B.C serait irrecevable à agir pour défaut de qualité, ne justifiant pas d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt du syndicat professionnel chargé de défendre les intérêts des charcutiers traiteurs professionnels, syndicat ayant introduit au demeurant sur les mêmes motifs une action en justice.

– au fond, la société YUKA invoque les textes constitutionnels et conventionnels relatifs à la liberté d’expression et rappelle l’application devant en être faite dans le cadre d’un débat d’intérêt général. Elle excipe en outre des règles régissant le droit d’alerte en matière de risques graves sanitaires et celles relatives au discours militant.

– à titre subsidiaire, elle conteste l’existence de pratiques commerciales déloyales ou trompeuses, affirmant que son activité ne peut être assimilée à une pratique commerciale et que ses revenus ne proviennent au demeurant pas d’une telle pratique. En outre, son activité ne serait pas contraire aux exigences de la diligence professionnelle eu égard aux informations diffusées et aux opinions émises et il ne serait nullement établi que la dite activité ait altéré de manière substantielle le comportement des consommateurs. Elle affirme qu’au vu de la littérature scientifique produite et des rapports ou décisions administratives versées, le débat sur la dangerosité des nitrites demeure ouvert.

– le dénigrement ne serait pas non plus caractérisé, l’information diffusée sur l’application se rapportant à un sujet d’intérêt général, reposant sur une base factuelle suffisante, notamment au vu du rapport de l’ANSES déposé le 12 juillet 2022, et exprimée en termes mesurés eu égard au sujet de santé publique abordé.

– à titre encore plus subsidiaire, la société YUKA soutient que la société A.B.C ne démontre pas le lien de causalité entre les préjudices invoqués et les agissements allégués et en toute hypothèse ne démontre pas même l’existence de ces préjudices, tant moraux (atteinte à l’image) que financiers.

Au terme de ses écritures, la société YUKA demande à la cour de :

INFIRMER le jugement rendu le 13 septembre 2021 par le Tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE sur les chefs de jugement entrepris ;

Et, statuant à nouveau :

A titre principal,

JUGER que l’action poursuivie par la société A.B.C Industrie vise à réparer une atteinte à son honneur et à sa considération ;

En conséquence,

REQUALIFIER l’action de la société A.B.C Industrie en une action en diffamation ;

ANNULER l’assignation de la société A.B.C Industrie délivrée à la société YUCA

En tout état de cause

DECLARER irrecevable l’action de la société A.B.C Industrie en raison de la prescription et du défaut d’un intérêt personnel à agir ;

DEBOUTER la société A.B.C Industrie de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

JUGER que l’opinion de la société YUCA sur les produits de charcuterie relève d’un débat d’intérêt général qui ne saurait être limité, pour un motif commercial, sans porter une atteinte excessive à la liberté d’expression ;

JUGER que la société YUCA a exercé son droit d’alerte en matière de risque sanitaire au titre de la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 ;

JUGER que la société YUCA n’a pas excédé les limites admissibles de la liberté d’expression, l’exonérant ainsi de toute responsabilité civile ;

A titre infiniment subsidiaire,

REJETER les demandes de la société A.B.C INDUSTRIE au titre des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses ;

REJETER les demandes de la société A.B.C INDUSTRIE sur le fondement du dénigrement commercial et d’un appel au boycott ;

A titre très infiniment subsidiaire,

JUGER que la société A.B.C INDUSTRIE n’apporte pas la preuve d’un quelconque préjudice

JUGER que la société A.B.C INDUSTRIE ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité entre l’activité de la société YUCA et le préjudice allégué ;

A titre encore plus subsidiaire,

FIXER le préjudice moral subi par la société A.B.C Industrie à la somme d’un (1) EURO symbolique ;

En tout état de cause,

JUGER que les mesures sollicitées par la société A.B.C INDUSTRIE sont manifestement disproportionnées, contraires à la liberté d’expression et à la liberté d’entreprendre de la société YUCA ;

DÉBOUTER la société A.B.C INDUSTRIE de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER la société A.B.C INDUSTRIE à payer à la société YUCA la somme de 75.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.

La société A.B.C, suivant conclusions déposées par voie électronique le 25 octobre 2022, réplique notamment en préambule que les nitrites et nitrates sont recommandés par les autorités sanitaires pour leur rôle de protection contre le botulisme et met en doute la sincérité de la société YUKA à l’égard des consommateurs. Elle demande à la cour de confirmer le jugement sur le principe de la responsabilité de la société YUKA, indiquant notamment que :

– les actes de dénigrement et l’appel au boycott sont parfaitement établis, les informations diffusées par la société YUKA jetant le discrédit sur les produits sur des bases factuelles fausses et tronquées et constituant des allégations manquant de mesure.

– la requalification en diffamation demandée serait non pertinente, les allégations concernant non pas la personne morale A.B.C, mais ses produits.

– la société YUCA aurait dépassé les limites reconnues par la jurisprudence à la liberté d’expression, et ce y compris sur un sujet d’intérêt général.

– les allégations accessibles sur l’application YUCA seraient constitutives comme l’ont retenu les premiers juges d’une pratique commerciale trompeuse et déloyale au vu des critères dégagés par la jurisprudence en ces domaines, rappel étant fait que la société YUCA est bien une société commerciale et qu’une partie de ses revenus est tirée de l’abonnement à son application. La délivrance des informations trompeuses se ferait par voie d’action, mais aussi d’omissions de certains éléments essentiels.

– ces mêmes allégations seraient constitutives d’une pratique commerciale déloyale, n’étant pas étayées et altérant le comportement des consommateurs.

– les préjudices invoqués et le lien de causalité avec les allégations contenues sur l’application seraient établis par les pièces versées aux débats.

Au terme de ses écritures, la société A.B.C demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE du 13 septembre 2021 en ce qu’il a :

– Dit que la société Yuca a exercé, et exerce, une pratique commerciale déloyale et trompeuse au préjudice de la société A.B.C Industrie,

– Dit que la société Yuca a commis, et commet, des actes de dénigrement au préjudice de la société A.B.C Industrie,

En conséquence,

– Condamné la société Yuca à réparer le préjudice moral et d’atteinte à la réputation que ses agissements ont fait subir à la société A.B.C Industrie,

– Ordonné à la société Yuca de ne pas établir de lien ou de supprimer tous liens existants entre la pétition « agir pour l’interdiction des nitrites ajoutés » et les produits de charcuterie cuite fabriqués par la société A.B.C Industrie, sous quelque forme que ce soit, de quelque manière que ce soit, sur quelque support (physique ou électronique) et à quelque titre que ce soit, et en particulier sur son application YUKA, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter du 30 ème jour suivant la date de la signification du jugement,

– Ordonné à la société Yuca de ne pas diffuser ni publier, sous quelque forme que ce soit, sur quelque support (physique ou électronique) que ce soit et à quelque titre que ce soit, et en particulier sur son application YUKA, directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, tout contenu trompeur ou dénigrant les jambons cuits fabriqués par la société A.B.C Industrie au regard de la base scientifique factuelle telle que le tribunal l’a retenue et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter du 30 ème jour suivant la date de la signification du jugement,

– Ordonné à la société Yuca de procéder à ses frais aux modifications suivantes sur son application YUKA :

‘ Ajout sur la page de l’additif E250, dans les mêmes caractères que ceux le plus couramment employés dans cette rubrique, de la mention « Recommandations de l’ANSES de décembre 2019 aux opérateurs (‘) ‘ Salaisons : le sel nitré (150 mg maximum de nitrites/kg de produit) est l’inhibiteur de croissance de C.Botulinum le plus efficace. D’autre part les experts de l’EFSA ont conclu que les niveaux de sécurité existants pour les nitrites et les nitrates ajoutés à la viande et à d’autres aliments constituaient une protection adéquate pour les consommateurs »,

‘ Suppression de l’appréciation « risque élevé » attribuée à l’additif E250,

‘ Suppression de toutes mentions précisant que les nitrites seraient « cancérogènes », « génotoxiques », ou tout terme équivalent et favoriseraient les maladies de sang, en faisant figurer sur les mêmes pages où ces mentions ont été supprimées, dans les mêmes caractères que ceux le plus couramment employés dans les rubriques concernées, la position de l’EFSA « Les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans les produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine »,

le tout sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par infraction constatée à compter du 30 ème jour suivant la date de la signification de l’arrêt,

– Condamné la société Yuca à payer à la société A.B.C Industrie la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE du 13 septembre 2021 en ce qu’il a :

– Débouté la société A.B.C Industrie de sa demande de condamnation de la société Yuca pour appel au boycott,

– Condamné la société Yuca à payer à la société A.B.C Industrie la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– Débouté la société A.B.C Industrie de sa demande de réparation de son préjudice financier,

– Débouté la société A.B.C Industrie de ses demandes de :

o Suppression des couleurs rouge et orange et des qualificatifs « mauvais » et « médiocre » attribués aux jambons cuits supérieurs Noixfine,

o Suppression du classement de l’additif E250 – nitrite de la liste des « Défauts » sur les pages de l’application YUKA présentant les jambons cuits supérieurs Noixfine,

o Révision du système de notation de la société Yuca pour éviter que les jambons cuits supérieurs Noixfine perdent automatiquement 30% de leur note parce qu’ils contiennent du nitrite de sodium,

o Modifications sur la page relative à la pétition sur le site Internet de Yuca,

o Publication d’un « erratum » par la société Yuca sur la page d’accueil de son site Internet en bandeau et en pop-up à chaque ouverture de l’application YUKA,

o Publication aux frais de la société Yuca du dispositif du jugement dans cinq périodiques et / ou journaux,

– Débouté la société A.B.C Industrie de sa demande tendant à voir la société Yuca interdite de diffuser ou de publier la pétition « Agir pour l’interdiction des nitrites ajoutés»,

– Omis de se réserver la liquidation des astreintes prononcées,

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

JUGER que la société Yuca a commis une faute consistant en un appel au boycott au préjudice des produits de charcuterie de la société A.B.C Industrie ;

CONDAMNER la société Yuca à payer à la société A.B.C Industrie la somme de 1.104.000 euros en réparation de son préjudice financier ;

CONDAMNER la société Yuca à payer à la société A.B.C Industrie la somme de 150.000 euros en réparation de son préjudice moral et réputationnel ;

INTERDIRE la diffusion par la société Yuca, sur son application et sur son blog yuka.io, ainsi que sur tout autre support, historique, lien ou document :

o De tout conseil ou recommandation sur l’application Yuka, directement ou indirectement, d’éviter de consommer les produits de charcuterie Noixfine ou d’éviter les additifs nitrés,

o De toute référence, directe ou indirecte, aux industriels de la charcuterie-salaison et de tout contenu les stigmatisant par rapport aux autres acteurs du secteur,

o De toute mention faisant croire que les additifs nitrés seraient utilisés pour accélérer le processus de fabrication ou pour colorer les charcuteries, pour remplacer ces mentions par une information sur la raison première de cette utilisation et de leur recommandation d’utilisation (à savoir la lutte contre le botulisme et la salmonellose) et indiquer que les autres effets sont accessoires,

o De toute mention visant à faire croire que le rapport de la mission d’information parlementaire serait une source scientifique, ou à lui conférer une quelconque valeur scientifique, ou encore à lui conférer une place prépondérante par rapport aux informations découlant des autorités scientifiques telles que l’EFSA ou l’ANSES ;

INTERDIRE à la société Yuca :

o D’utiliser la couleur rouge en lien avec l’additif E250 ‘ nitrite de sodium,

o De lui attribuer le niveau de risque maximal accordé par la société Yuca dans son classement des additifs,

o D’affecter à l’additif E250 le niveau de risque maximal, correspondant actuellement au classement « à risque » (initialement « à risque élevé »), quel que soit le nom donné à ce classement, mais en tenant compte que cet additif est recommandé par les autorités sanitaires,

o D’affecter aux produits Noixfine, en raison du fait qu’ils contiennent du nitrite de sodium E250, un malus de points correspondant au classement actuel « à risque »,

o De mentionner que la présence de cet additif engendrerait un risque pour le consommateur ;

o D’utiliser de façon générale sur son application YUKA toute mention portant sur le caractère dangereux, risqué, cancérigène, cancérogène, génotoxique, promoteur de cancer ou de maladies du sang et de tous leurs équivalents et synonymes pour un consommateur moyen, de même que tout contenu trompeur ou dénigrant, en lien direct ou indirect avec l’additif E250 ou les jambons cuits Noixfine ;

ORDONNER à la société Yuca, sur la page de l’additif E250, de faire figurer sous la forme suivante les mentions des recommandations de l’ANSES et de l’EFSA (« Recommandations de l’ANSES de décembre 2019 aux opérateurs d’utiliser des sels nitrités pour lutter contre les bactéries responsables de toxiinfections alimentaires. Les experts de l’EFSA ont conclu que les niveaux de sécurité existants pour les nitrites et les nitrates ajoutés à la viande et à d’autres aliments constituaient une protection adéquate pour les consommateurs » et « Les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans les produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine »), en première position, préalablement à toute autre appréciation de la société Yuca ;

INTERDIRE à la société Yuca d’utiliser une phrase d’annonce telle que « à la demande de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) et en application d’une décision judiciaire dont Yuka a fait appel » ou toute autre formulation précédant la mention des recommandations et conclusions de l’ANSES et de l’EFSA telle qu’ordonnée par le Tribunal ;

ASSORTIR toutes ces mesures d’un délai d’exécution d’une semaine après la signification de l’arrêt à intervenir et sous astreinte, passé ce délai de 5.000 euros par jour de retard et par infraction constatée ;

ORDONNER à la société Yuca de publier, à ses frais, le communiqué suivant, sans

modification ni ajout ni phrase d’annonce, dans un délai de dix jours après le prononcé de l’arrêt à intervenir et sous astreinte, passé ce délai de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, sur les trois supports suivants : (i) en bandeau de la page d’accueil de son site Internet (https://[03].io) pendant une durée de six mois, (ii) en pop-up à chaque ouverture de l’application Yuka sans possibilité de l’éviter pendant une durée de six mois, ainsi que (iii) dans une newsletter dédiée adressée par e-mail à l’ensemble de ses abonnés :

« Erratum : YUKA a été condamné pour des allégations non justifiées concernant les nitrites. Contrairement à ce que YUKA affirme, les nitrites ne sont pas dangereux pour la santé humaine aux doses actuellement autorisées par la réglementation, comme l’ont confirmé toutes les expertises scientifiques collectives officielles disponibles à ce jour. Les autorités françaises et européennes insistent sur le rôle majeur que jouent les nitrites dans la prévention de toxiinfections graves tels que le botulisme, l’utilisation des nitrites étant recommandée par les agences sanitaires françaises et européennes dans les charcuteries. » ;

Pour le cas où la Cour ne ferait pas droit à cette demande de publication d’un communiqué,

INTERDIRE à la société Yuca de communiquer sur l’arrêt à intervenir en remettant en cause l’impartialité de la justice ou la légitimité de l’action de la société A.B.C Industrie, et lui

ENJOINDRE de préciser qu’elle est une société commerciale dont l’actionnariat est composé de plusieurs entreprises dont au moins une a des intérêts dans la commercialisation de substituts aux produits carnés, fabriqués à base de végétaux ;

CONDAMNER la société Yuca à faire publier à ses frais, mais à la diligence de la société A.B.C Industrie, à concurrence de la somme de 5.000 € HT par publication, dans cinq périodiques et/ou journaux laissés au choix de la société A.B.C Industrie, le dispositif de l’arrêt à intervenir ou un résumé objectif rédigé par la société A.B.C Industrie reprenant les principaux éléments de la décision ;

SE RÉSERVER la liquidation des astreintes ainsi prononcées et JUGER que la question de liquidation des astreintes prononcées par le Tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE relèvera de sa propre compétence ;

En tout état de cause,

DÉBOUTER la société Yuca de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER la société Yuca à payer à la société A.B.C Industrie la somme de 60.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la société Yuca aux entiers dépens, dont distraction en application de l’article 699 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature des services et produits proposés par la société YUCA sur l’application YUKA et les conséquences devant en être tirées

Il résulte de la présentation que la société YUCA fait de son application aux consommateurs (pièce YUCA 37) que celle ci a pour objet ‘d’aider les consommateurs a faire de meilleurs choix pour leur santé et représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits ‘ ; L’extrait Kbis versé aux débats mentionne au titre de l’activité principale de la société : ‘conception, développement, fabrication, exploitation et commercialisation de sites internet, d’applications mobiles et d’objet connectés à internet, ayant pour objectif de contribuer à réduire les exclusions et les inégalités en matière de santé et d’éducation’ ; il est donc ni contesté, ni contestable, que le service offert par le consommateur est un service d’information mais aussi un outil pour permettre à ce consommateur d’agir auprès des industriels dans le but d’obtenir une amélioration des produits offerts ; le fait que la société YUCA ait un statut commercial, et qu’elle puisse tirer un profit économique de cette activité, est sans incidence sur ce constat.

Toute activité, fut-elle à but commercial, ayant pour finalité l’information de tiers et la diffusion d’opinion est protégée par la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen inscrite au préambule de la Constitution et l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, dans les limites prescrites par ces textes tels qu’interprétés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Il convient en conséquence d’examiner la responsabilité de la société YUCA dans le cadre de son activité commerciale en tenant compte de ces règles relatives à la liberté d’expression, principe général du droit.

Sur la requalification des faits en faits constitutifs de diffamation

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ; il résulte de cette définition qu’une allégation concernant un produit ne peut constituer un acte diffamatoire, sauf lorsque cette allégation est destinée de manière exprès à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de son fabricant ou de son distributeur clairement identifié.

En l’espèce, les faits reprochés à la société YUCA consistent à donner des informations et une évaluation, après scan de son code barre, sur le produit jambon cuit supérieur 6 tranches de la marque ou du nom commercial NOIXFINE ; les informations ainsi diffusées ne comportent aucune allégation concernant la société A.B.C, société qui au demeurant n’apparaît dans aucune des mentions et informations contestées ; il apparaît en conséquence que les faits visés par la société NOIXFINE visent seulement un produit, et qu’aucune allégation n’est portée à l’encontre de la personne morale A.B.C ; il convient dès lors de rejeter la demande de requalification formée par la société YUCA en diffamation et ses moyens en nullité ou fins de non recevoir tirés de l’application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

Sur l’exercice d’une pratique commerciale déloyale

L’article L 121-1 du Code de la consommation interdit les pratiques commerciales déloyales, définies comme toute pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle altérant ou étant susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ; cet article doit être interprété à la lumière de la directive 2005/29 CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, directive qu’il transpose en droit national.

Ainsi qu’il résulte du titre même de la directive 2005/29 CE et du choix du législateur de la transposer dans un article du code de la consommation, l’interdiction des pratiques commerciales déloyales vise la protection des consommateurs, et non la protection des professionnels ; il peut cependant être admis que ce texte, comme tout texte issu du droit européen, a pour finalité de favoriser la libre concurrence et la circulation des marchandises ainsi que l’évoque le paragraphe 3 des considérants de la directive, et qu’en conséquence il peut être invoqué par une société commerciale pour la défense de ses propres intérêts ; il convient en conséquence d’écarter la fin de non recevoir soulevée par la société YUCA au titre du défaut de qualité à agir à l’encontre de l’ensemble des prétentions adverses formées en application du Code de la consommation.

La pratique commerciale est définie par l’article 2 d) de la directive 2005/29 CE comme toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ; le fait d’informer le consommateur, par le biais d’une application, sur les qualités d’un produit proposé dans un magasin doit être considéré comme une action en relation directe avec la vente de ce produit ; elle constitue au vu de cette définition une pratique commerciale au sens de la directive et du Code de la consommation.

L’article L 121-1 pose deux conditions cumulatives permettant de considérer comme déloyale une pratique commerciale, d’une part lorsque cette pratique est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et d’autre part lorsqu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.

Il ne peut être contesté que le fait d’indiquer au consommateur soumettant un produit alimentaire à une application que ce produit est ‘mauvais’, qu’il a été noté 9/100 et qu’il présente des additifs à éviter est de nature à dissuader ce consommateur de l’acte d’achat ; il existe donc un risque de modification du comportement économique de l’intéressé, fortement dissuadé de consommer le produit, ou tout autre produit équivalent.

La diligence professionnelle, ainsi que l’ont rappelé à bon droit les premiers juges, est définie comme le niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis à vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité.

En l’espèce, comme il a été rappelé au premier paragraphe des présents motifs, l’application YUKA a pour objet ‘d’aider les consommateurs a faire de meilleurs choix pour leur santé et représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits’ ; la société YUCA est donc tenue au titre de ses diligences professionnelles de fournir une information permettant au consommateur de choisir les produits les meilleurs pour sa santé.

Dans le cadre de la présentation du produit NOIXFINE, la société YUCA a attribué à celui ci une note de 9/100 et une évaluation ‘mauvais’ ; cette notation et évaluation ont été effectuées selon les critères parfaitement explicités au consommateur sur l’application, sans qu’il soit démontré qu’il y eut de la part de la société YUKA une dérogation à ces règles méthodologiques pour défavoriser le produit NOIXFINE ou que le consommateur n’ait pas été en mesure d’apprécier par lui-même la pertinence et la fiabilité de la méthode proposée.

La fiche concernant le produit NOIXFINE porte la mention ‘présence d’additifs à éviter’ ; cette mention est explicitée dans le menu déroulant aisément accessible pour le consommateur par l’indication ‘risque élevé’ et une pastille rouge ; cette explication est ensuite développée dans la rubrique ‘en savoir plus’ qui évoque le caractère ‘probablement cancerogène pour l’homme’ des composés des nitrites selon le Centre International de recherche sur le cancer et l’augmentation du risque d’apparition de maladie du sang ; ces allégations sont enfin complétées par différents éléments d’explication et les références des sources scientifiques utilisées ; il apparaît de l’ensemble de ces éléments que la société YUCA a fourni aux consommateurs l’ensemble des informations l’ayant conduit à noter et à évaluer le produit testé ; contrairement à ce que soutient la société A.B.C, les informations ainsi fournies ne peuvent être considérées comme dénuées de tout fondement scientifique ; les sources citées, et notamment l’étude du Centre International de recherche sur le cancer existent et sont au demeurant versées aux débats (article Crowe, Elliot, Grenne, article de l’EFSA, avis de l’ANSES, articles de l’ANSES, publication du JEFCA, article sur le site de l’INRS) ; le risque lié à l’utilisation de l’additif E250, au vu de ces pièces, était bien évoqué au moment des faits par la littérature scientifique visée et faisait l’objet d’articles de presse ; il convient de retenir que ce risque est expressément reconnu depuis dans l’avis de l’ANSES de juillet 2022, qui rappelle le ‘caractère génotoxique et cancérogène’ des composés nitrosés après ingestion d’une partie des nitrates transformée en nitrites (page 24 du rapport) et rappelle dans ses recommandations que la limitation de l’ajout intentionnel des nitrates et nitrites dans l’alimentation constitue un objectif de sécurité sanitaire.

Il est exact que comme le rappelle la société A.B.C, l’additif est autorisé par la réglementation européenne et qu’il a un rôle actif en matière de conservation des aliments ; l’application YUCA ne remet pas en cause cette conformité réglementaire, ni le rôle conservateur expressément rappelé dans la fiche de présentation de l’additif ; dans le cadre de son activité consistant à aider le consommateur à faire le meilleur choix pour sa santé, elle n’est pas tenue contrairement à ce que soutient la société A.B.C et à ce qu’ont retenu les premiers juges, de rappeler le rôle de conservateur des additifs nitrés, ni même les recommandations émises par l’ANSES en ce sens ni de mentionner la conformité des doses utilisées au regard des normes réglementaires ou des avis scientifiques, ces points n’étant pas par elle niés dans sa présentation du produit ; il apparaît dès lors qu’en présentant l’additif comme devant être évité, et en le qualifiant de ‘risque élevé’ sur la base d’une documentation fournie à l’appréciation de l’utilisateur, la société YUCA n’a pas commis d’acte contraire aux exigences de diligence professionnelle ; le jugement ayant retenu sa responsabilité sur la base de l’article L 121-1 du Code de la consommation sera en conséquence infirmé.

Sur l’exercice d’une pratique commerciale trompeuse

L’article L 121-2 2° du Code de la consommation qualifie de trompeuse une pratique commerciale lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les caractéristiques du bien ou du service.

Le bien ou le service visé par cet article est celui proposé par l’auteur des allégations, indications ou présentations de nature à induire en erreur le consommateur, rappel étant fait que l’article L 121-2 2° interprété à la lumière de la directive 2005/29/CE est une disposition de protection des consommateurs, et non des concurrents.

En l’espèce, le service proposé par la société YUCA est un service d’information et d’aide au consommateur ; le caractère faux ou de nature à induire en erreur doit s’apprécier dès lors en fonction de ce service proposé ; la société A.B.C invoque en substance le caractère faux des allégations contenues dans l’application YUCA concernant les qualités de son propre produit, le jambon NOIXFINE ; ce caractère faux concerne la qualité d’un bien proposé par la société A.B.C, son jambon commercialisé sous l’appellation NOIXFINE, et non les allégations émises par la société YUCA concernant la qualité ou la nature du service d’information qu’elle diffuse ; c’est dès lors à bon droit que la société YUCA conteste dans ses écritures, par le biais de la définition de la pratique commerciale, l’application de ce droit des pratiques commerciales trompeuses au présent litige, le caractère mensonger des allégations et indications lui étant reproché ne concernant pas des services par elle proposés, mais des produits fabriqués par un tiers.

Surabondamment, il sera relevé que comme analysé plus haut, les informations relatives au caractère ‘ à éviter’ des additifs employés et au risque élevé qu’ils pourraient représenter ne peuvent être considérées comme mensongères ou de nature à induire en erreur le consommateur ; le caractère anxiogène de ces informations relevé par les premiers juges, et le caractère non exhaustif de la documentation scientifique présente sur l’application, sont sans incidence sur ce constat.

Le jugement ayant imputé à la société YUCA des faits de pratique commerciale trompeuse sera en conséquence infirmé.

Sur le dénigrement et la responsabilité extra contractuelle de la société YUCA

Le dénigrement consiste à divulguer, par tout moyen, une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général, repose sur une base factuelle suffisante, et qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.

Bien qu’analysé comme un acte de concurrence déloyale, ce dénigrement est constitué même en l’absence d’une situation directe et effective de concurrence entre les personnes concernées, s’agissant en toute hypothèse d’un acte relevant des règles générales de la responsabilité extracontractuelle prévue par les articles 1240 et suivant du Code civil ; au cas d’espèce, le fait que la société YUCA n’est pas concurrente, ni même en lien d’affaire avec la société A.B.C, est en conséquence sans effet sur l’appréciation de sa responsabilité.

Il ne peut être contesté que le fait d’indiquer que le jambon commercialisé par la société YUCA mérite une note de 9/100 et soit évalué comme mauvais jette le discrédit sur ce produit ; ainsi qu’il a été rappelé cependant plus haut, cette notation et cette évaluation sont l’objet même de l’application YUKA dans le cadre de son activité d’information ; le site YUCA explicite les modalités de sa notation et de son appréciation et il ne résulte d’aucun document qu’elle ait en l’espèce violé ces modalités afin de créer un préjudice particulier à l’encontre de la société A.B.C ; la mention ‘ présence d’additifs à éviter’, et du risque élevé présenté par les additifs, s’inscrit dans le cadre général du débat sur la nocivité des additifs nitrés dans l’alimentation ; la réalité de ce débat public ne peut être contestée au vu des pièces produites, notamment les articles de presse et même la proposition de loi datée du 3 février 2022 relative à l’interdiction de ces additifs (pièce YUCA 94) ; il n’appartient pas à la cour de déterminer si les bénéfices de l’emploi de ces additifs, notamment du fait de leur pouvoir conservateur, l’emportent sur les risques qu’ils pourraient engendrer, ni même sur l’importance de ces risques au vu de la littérature scientifique ; il lui appartient par contre de constater que l’utilisation des additifs nitrés, et notamment de l’additif E 250, est débattue par une partie de la communauté scientifique et fait l’objet d’un débat public.

Les articles scientifiques reproduits par la société YUCA sur son site (article Crowe, Elliot, Grenne, article de l’EFSA, avis de l’ANSES, articles de l’ANSES, publication du JEFCA, article sur le site de l’INRS, pièces YUKA 11, 61 à 63) sont issus d’un travail de recherche non contestable, et constituent une base factuelle suffisante pour diffuser une allégation concernant le danger que pourrait représenter l’utilisation de l’additif E 250 pour la santé humaine ; le fait qu’une partie de cette documentation soit en langue anglaise est sans effet sur la validité de cette base documentaire ; si ces études peuvent être scientifiquement contestées, et le sont au demeurant comme l’établissent les articles versés par la société A.B.C, elles apparaissent suffisamment nombreuses et détaillées pour permettre de diffuser les informations qu’elles contiennent ; il sera observé au demeurant que l’avis de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de juillet 2022, versé aux débats et déjà cité, indique en sa page 24 : ‘ Pour les produits carnés transformés, la présence de nitrates et de nitrites résulte surtout de leur usage en tant qu’additifs pour leurs propriétés antioxydantes et antimicrobiennes, ainsi que pour leur effet sur la couleur des produits. Après ingestion, une partie des nitrates est transformée en nitrites. Composés instables, les nitrites, lorsqu’ils sont en excès, génèrent la formation de composés nitrosés dans le tube digestif, en particulier lors de la consommation de produits carnés. Ces composés nitrosés sont connus pour leur caractère génotoxique et cancérogène.’ ; il apparaît en conséquence que les travaux les plus récents en la matière confirment pour le moins qu’il est possible, sans excéder le droit à la libre expression, de divulguer sur une base documentaire réelle l’information selon laquelle l’ajout d’additifs nitrés dans l’alimentation peut être considéré comme dangereuse pour la santé.

Pour les mêmes motifs factuels, l’utilisation du terme ‘risque élevé’ et la mention de présence d’agents génotoxiques et cancérogènes, termes repris notamment par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, ne peuvent être considérés comme dépassant la mesure requise dans le cadre de la diffusion d’informations ; si ces termes peuvent être contestés scientifiquement, notamment en prenant en compte les doses d’additifs utilisées, la consommation réelle des aliments ou tout autre donnée scientifique, ils ne peuvent être considérés comme excessifs et encore moins mensongers au vu des documents produits aux débats ; ils ne pourraient l’être que si la société YUKA se prévalait disposer d’une autorité scientifique officielle et reconnue, et ce alors qu’elle se présente elle-même comme une société diffusant des informations à destination des consommateurs et ayant une vocation militante.

Au vu de ces éléments, il convient de constater qu’en diffusant les informations telles que portées sur son application, la société YUCA n’a pas outrepassé la liberté d’expression qui lui est reconnue par les textes à valeur constitutionnelle et conventionnelle.

Le fait de proposer aux utilisateurs de l’application de signer une pétition entre de toute évidence dans le cadre de la liberté d’expression, rappel étant fait que l’interdiction des nitrites est un sujet de débat public et qu’il a fait au demeurant l’objet d’un rapport d’information déposé par la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale le 13 janvier 2021 et d’une proposition de loi datée du 3 février 2022, documents versés aux débats ; cet appel entre en outre dans le cadre de l’activité de la société YUCA qui indique vouloir ‘représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits ‘; la société A.B.C ne démontre nullement que cette pétition est dirigée contre elle, et elle seule, et que cet appel n’aurait été diffusé que dans le cadre de l’appréciation du produit NOIXFINE.

Aucune mention du site YUCA visée dans ses écritures par la société NOIXFINE n’appelle le consommateur à ne pas acheter le produit NOIXFINE ; si la très mauvaise note, et l’indication selon lequel le produit contient des additifs à éviter, constituent manifestement des informations de nature à dissuader le consommateur de l’acte d’achat, elles ne peuvent s’analyser comme un appel à boycott.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient d’infirmer le jugement ayant retenu la responsabilité de la société YUCA au titre du dénigrement ou de tout autre faute extracontractuelle ; la société A.B.C sera déboutée de l’intégralité de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

La société A.B.C succombant à la procédure, elle devra verser une somme de 20 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

– INFIRME le jugement du tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 13 septembre 2021 dans l’intégralité de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– DIT n’y avoir lieu à requalification des faits en acte de diffamation.

– DÉBOUTE la société A.B.C de l’intégralité de ses demandes.

– CONDAMNE la société A.B.C à verser à la société YUCA la somme de 20 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

– MET l’intégralité des dépens à la charge de la société YUCA, dont distraction au profit des avocats à la cause en ayant fait la demande.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x