Droit des applications mobiles : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/11775

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Droit des applications mobiles : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/11775
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 07 JUIN 2023

(n° 084/2023, 24 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/11775 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD5PK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – 1ère chambre – RG n° 2021001119

APPELANTE

S.A.S. YUCA

Société au capital de 17 952,02 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 817 769 466

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistée de Me François DE CAMBIAIRE, Me François RONGET et Me Louise DECARSIN de la SELARL SEATTLE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, toque : 206

INTIMEE

FEDERATION DES ENTREPRISES FRANÇAISES DE CHARCUTERIE-TRAITEUR (FICT),

Syndicat professionnel

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège,

Immatriculée au répertoire SIRENE sous le numéro 784 357 725

Syndicat professionnel

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Jean-Christophe GRALL et Me Nadège POLLAK de la SELARLGRALL et associés, avocats au barreau de PARIS, toque : P40

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHEE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La Fédération des entreprises françaises de charcuterie-traiteur (FICT) a pour objet la défense des intérêts individuels et collectifs de ses membres. Elle expose représenter 300 entreprises de charcuterie-traiteurs, dont 52% emploient moins de 50 salariés, réalisant 6,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 7,8% à l’export.

La société Yuca, créée en 2016 et comportant 8 collaborateurs, s’est donnée pour mission ‘d’aider les consommateurs à faire de meilleurs choix pour leur santé et représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits’. Elle gère notamment une application mobile de notation de produits alimentaire et cosmétique dénommée Yuka qui fonctionne sur la base d’un algorithme à partir d’une capture de leurs code-barres et de l’étiquetage de leur composition. Elle revendique à ce jour l’évaluation de 820 060 produits, et plus de 36 millions d’utilisateurs dont la moitié en France. Ses revenus proviennent de la version payante de l’application Yuka, souscrite par 0,5% des utilisateurs, ainsi que de la vente d’un guide de l’alimentation saine, d’un calendrier de fruits et légumes de saison et de la proposition d’un programme de nutrition. Elle n’affiche aucune publicité de produits, ne reçoit aucune rémunération des fabricants et n’exploitant aucune donnée des utilisateurs. En 2021, son résultat comptable a affiché une perte de 579 430 euros.

Exposant avoir constaté courant 2020 que le consommateur, qui scanne sur Yuka un produit de charcuterie contenant des additifs nitrés, découvre que le produit serait, selon cette application, ‘mauvais’, ‘médiocre’ ou même ‘à éviter’ comme contenant des additifs ‘à risque élevé’ et qu’il lui est alors proposé d’accéder à une pétition ‘interdiction des nitrites/nitrates’ lancée en novembre 2019 par l’association Foodwatch et la Ligue contre le cancer, ces faits constituant selon elle une dissimulation d’informations et des informations mensongères aux fins de détournement du consommateur causant un préjudice considérable aux industriels de la charcuterie, la FICT, après avoir mis en demeure la société Yuca par lettre du 7 octobre 2020, l’a fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris, selon une procédure à bref délai, par acte du 6 janvier 2021 sur le fondement des pratiques commerciales déloyales et trompeuses, et du dénigrement.

Dans un jugement prononcé le 25 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

– dit que la SAS Yuca a une pratique commerciale déloyale et trompeuse et commet des actes de dénigrement au préjudice de la FICT ;

– condamné la SAS Yuca à payer à la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts ;

– interdit à la SAS Yuca, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la date de signification du jugement :

– d’opérer un lien direct entre, d’une part la pétition « Interdiction des nitrites » ou tout appel à interdire l’ajout de nitrites ou de nitrates dans les produits de charcuterie, d’autre part les fiches de l’application Yuka relatives aux produits de charcuterie (contenant ou non des additifs nitrés) ;

– de faire figurer la mention « additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac » ;

– ordonné, aux frais de la SAS Yuca, sur son application ainsi que sur tout autre support, historique, lien ou document sous son contrôle et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du « 30eme jour suivant la date de signification du jugement et par infraction constatée, la suppression :

– dans les fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252, toutes mentions précisant que ces additifs seraient cancérogènes et favoriseraient l’apparition de maladies du sang,

– dans la section intitulée « Pourquoi interdire les nitrites ajoutés ‘ », de toute référence au fait que ces additifs favoriseraient l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac et de maladies du sang,

– de l’appréciation « risque élevé » attribuée aux additifs E249, E250, E251 et E252,

– ordonné à la SAS Yuca, dans la section intitulée « Pourquoi les industriels les utilisent ‘», d’écrire que « Selon la Fédération française des entreprises de charcuterie traiteur, la raison première de cette utilisation est la lutte contre le botulisme et la salmonellose ».

– ordonné à la SAS Yuca :

– dans la section relative aux « sources scientifiques », de même que dans les fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252 et dans la rubrique « En savoir plus », d’ajouter : « Recommandations de l’ANSES de décembre 2019 aux opérateurs (…) – Salaisons : le sel nitrité (150 mg maximum de nitrites /kg de produit) est l’inhibiteur de croissance de C. botulinum le plus efficace »,

– dans les fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252 et la rubrique « En savoir plus », d’ajouter dans les mêmes caractères que ceux les plus couramment employés dans cette rubrique : « L’EFSA indique que : Le groupe d’experts a conclu que la DJA fixée par le CSAH en 1997 constituait une protection adéquate pour la santé publique. (…) Les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans des produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine » :

– débouté la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) de sa demande d’enjoindre à Yuca de publier un « erratum » ;

– débouté la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) de ses autres demandes visant à apporter des modifications à l’application Yuka ;

– débouté la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) de sa demande de communication de documents et informations;

– débouté la SAS Yuca de sa demande de condamnation de la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) pour procédure abusive;

– débouté les parties de leurs demandes respectives de publication dans des journaux;

– rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

– écarté l’exécution provisoire pour la seule condamnation de la SAS Yuca au paiement de dommages et intérêts ;

– condamné la SAS Yuca à payer à la Fédération des Entreprises Françaises de Charcuterie-Traiteur (FICT) la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la SAS Yuca aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquides à la somme de 70,87 € dont 11,60 € de TVA.

Le 24 juin 2021, la société Yuca a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 7 et signifiées par RPVA le 3 avril 2023, la société Yuca demande à la cour de :

– recevoir la société Yuca en ses présentes conclusions et en son appel.

Y faisant droit :

– infirmer le jugement rendu le 25 mai 2021 par le tribunal de commerce de Paris sur les chefs de jugement entrepris ;

Et, statuant à nouveau :

A titre principal,

In limine litis,

1. juger que le Président ne justifie pas de l’autorisation préalable du Comité Directeur ou du Bureau, requise en application des dispositions de l’article 12 des Statuts et ainsi,

– annuler l’assignation de la FICT et, en tout état de cause, sa constitution d’intimée et son appel incident formé par voie de conclusions signifiées le 23 décembre 2021

2. juger que l’action poursuivie par la FICT vise à réparer une atteinte à son honneur et à sa considération, et qu’elle invoque simultanément dans le dispositif de ses écritures les deux fondements du dénigrement et de la diffamation ;

– requalifier l’action de la FICT en une action en diffamation ;

– annuler l’assignation de la FICT délivrée à la société Yuca

– déclarer irrecevable l’action de la FICT car prescrite, n’ayant pas été introduite dans le délai de 3 mois prescrit par la loi 29 juillet 1881 ;

En tout état de cause

– déclarer irrecevable l’action de la FICT à défaut d’établir sa qualité pour agir et un intérêt à intenter la présente action au titre de l’intérêt collectif de ses membres ;

– déclarer irrecevable l’action de la FICT en raison du défaut de qualité pour agir de son Président au nom de la FICT sans autorisation préalable ;

et ainsi, déclarer irrecevables les demandes de la FICT.

A titre subsidiaire,

– juger que l’opinion de la société Yuca sur les produits de charcuterie nitrées relève d’un débat d’intérêt général qui ne saurait être limité, pour un motif commercial, sans porter une atteinte excessive à la liberté d’expression ;

– juger que la société Yuca n’a pas excédé les limites admissibles de la liberté d’expression, l’exonérant ainsi de toute responsabilité civile ;

A titre infiniment subsidiaire,

– rejeter les demandes de la FICT sur le fondement du dénigrement commercial et d’un appel au boycott ;

– rejeter les demandes de la FICT au titre des pratiques commerciales déloyales ou trompeuses;

A titre très infiniment subsidiaire,

– juger que la FICT n’apporte pas la preuve d’un quelconque préjudice ;

– juger que la FICT ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité entre l’activité de la société Yuca et le préjudice allégué ;

A titre encore plus subsidiaire,

– fixer le préjudice moral subi par la FICT à la somme d’un (1) eur- symbolique ;

En tout état de cause,

– déclarer irrecevables les demandes de la FICT tendant à ce que la Cour ordonne des mesures nouvelles, formées pour la première fois en cause d’appel ;

– juger que les mesures sollicitées par la FICT sont manifestement disproportionnées, contraires à la liberté d’expression et à la liberté d’entreprendre de la société Yuca ;

– débouter la FICT de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner la FICT à payer à la société Yuca la somme de 75.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 6 et signifiées le 4 avril 2023, la Fédération des entreprises françaises de charcuterie-traiteur (FICT) demande à la cour de :

– recevoir la Fédération des entreprises françaises de charcuterie-traiteur (FICT) en ses demandes, fins, conclusions et appel incident et l’y déclarer bien fondée,

– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 25 mai 2021 en ce qu’il a :

– dit que la SAS Yuca a commis une pratique commerciale déloyale et trompeuse et commet des actes de dénigrement au préjudice de la FICT ;

– condamné la SAS Yuca à réparer le préjudice que ses agissements ont fait subir à la FICT ;

– interdit à la SAS Yuca, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la date de signification du jugement :

– d’opérer un lien direct entre, d’une part la pétition « Interdiction des nitrites » ou tout appel à interdire l’ajout de nitrites ou de nitrates dans les produits de charcuterie, d’autre part les fiches de l’application Yuka relatives aux produits de charcuterie (contenant ou non des additifs nitrés) ;

– de faire figurer la mention « additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac » ;

– ordonné, aux frais de la SAS Yuca, sur son application ainsi que sur tout autre support, historique, lien ou document sous son contrôle et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la date de signification du jugement et par infraction constatée, la suppression :

– dans les fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252, toutes mentions précisant que ces additifs seraient cancérogènes et favoriseraient l’apparition de maladies du sang ;

– dans la section intitulée « Pourquoi interdire les nitrites ajoutés ‘ », de toute référence au fait que ces additifs favoriseraient l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac et de maladies du sang ;

– de l’appréciation « risque élevé » attribuée aux additifs E249, E250, E251 et E252,

– ordonné à la SAS Yuca :

– dans la section relative aux « sources scientifiques », de même que, au début des fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252 et dans la rubrique « En savoir plus », d’ajouter : « Recommandations de l’ANSES de décembre 2019 aux opérateurs (‘) ‘ Salaisons : le sel nitrité (150 mg maximum de nitrites /kg de produit) est l’inhibiteur de croissance de C. botulinum le plus efficace »,

– dans les fiches techniques des additifs E249, E250, E251 et E252 et la rubrique « En savoir plus », d’ajouter dans les mêmes caractères que ceux les plus couramment employés dans cette rubrique : « L’EFSA indique que : Le groupe d’experts a conclu que la DJA fixée par le CSAH en 1997 constituait une protection adéquate pour la santé publique. (‘) Les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans des produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine » ;

– condamné la SAS Yuca à payer à la FICT la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

– l’infirmer en ce qu’il a :

– débouté la FICT de sa demande de condamnation de la SAS Yuca pour appel au boycott,

– condamné la SAS Yuca à payer à la FICT la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,

– ordonné à la SAS Yuca, dans la section de la page de la pétition intitulée « Pourquoi les industriels les utilisent ‘ », d’écrire que « Selon la Fédération française des entreprises de charcuterie-traiteur, la raison première de cette utilisation est la lutte contre le botulisme et salmonellose » ;

– débouté la FICT de sa demande d’enjoindre à Yuca de publier un « erratum » et de sa demande de publication ;

– débouté la FICT de ses autres demandes de modifications de l’application Yuka ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

– juger que la SAS Yuca a commis une faute consistant en un appel au boycott des produits de charcuterie,

– condamner la SAS Yuca à payer à la FICT la somme de 290.000 euros sauf à parfaire en réparation de son préjudice financier, moral et réputationnel,

– interdire la diffusion par la SAS Yuca, sur son application et sur son blog yuka.io/blog, ainsi que sur tout autre support, historique, lien ou document :

– de toute mention portant sur le caractère cancérigène, cancérogène, génotoxique, promoteur de cancer ou de maladies du sang et de tous leurs équivalents et synonymes, de même que tout contenu trompeur ou dénigrant, en lien direct ou indirect avec les additifs E249, E250, E251 et E252 ou les produits de charcuterie-salaison contenant ces additifs,

– de tout conseil ou recommandation sur l’application Yuka, directement ou indirectement, d’éviter de consommer tout produit de charcuterie contenant des additifs nitrés ou d’éviter ces additifs,

– de toute référence, directe ou indirecte, aux industriels de la charcuterie-salaison et de tout contenu les stigmatisant par rapport aux autres acteurs du secteur,

– de toute mention faisant croire que les additifs nitrés seraient utilisés pour accélérer le processus de fabrication ou pour colorer les charcuteries, pour remplacer ces mentions par une information sur la raison première de cette utilisation et de leur recommandation d’utilisation (à savoir la lutte contre le botulisme et la salmonellose) et indiquer que les autres effets sont accessoires,

– de toute mention visant à faire croire que le rapport de la mission d’information parlementaire serait une source scientifique, ou à lui conférer une quelconque valeur scientifique, ou encore à lui conférer une place prépondérante par rapport aux informations découlant des autorités scientifiques telles que l’EFSA ou l’ANSES ;

– interdire à la SAS Yuca :

– d’utiliser la couleur rouge en lien avec les additifs E249, E250, E251 et E252,

– de leur attribuer le niveau de risque maximal accordé par la société Yuca dans son classement des additifs,

– d’affecter aux additifs nitrés le classement correspondant actuellement au classement « à risque » (initialement « à risque élevé »), quel que soit le nom donné à ce classement, mais en tenant compte que ces additifs sont recommandés par les autorités sanitaires,

– d’affecter aux produits de charcuterie, en raison du fait qu’ils contiennent un additif nitré, un malus de points correspondant au classement actuel « à risque »,

– de mentionner que la présence de ces additifs engendrerait un risque pour le consommateur ou tout autre expression équivalente;

– assortir toutes ces mesures d’un délai d’exécution d’une semaine après la signification de l’arrêt à intervenir et sous astreinte, passé ce délai de 5.000 euros par jour de retard et par infraction constatée ;

– ordonner à la SAS Yuca de publier, à ses frais, le communiqué suivant, sans modification ni ajout ni phrase d’annonce, dans un délai de dix jours après le prononcé de l’arrêt à intervenir et sous astreinte, passé ce délai de 10.000 euros par jour de retard et par infraction constatée, sur les trois supports suivants : (i) en bandeau de la page d’accueil de son site Internet (https://yuka.io) pendant une durée de six mois, (ii) en pop-up à chaque ouverture de l’application Yuka sans possibilité de l’éviter pendant une durée de six mois, ainsi que (iii) dans une newsletter dédiée adressée par e-mail à l’ensemble de ses abonnés :

« Erratum : Yuka a été condamné pour des allégations négatives non justifiées concernant les nitrites et nitrates et les produits de charcuterie en contenant. Contrairement à ce que Yuka affirme, les nitrites et les nitrates ne sont pas dangereux pour la santé humaine aux faibles quantités actuellement autorisées par la réglementation, comme l’ont confirmé toutes les expertises scientifiques collectives officielles disponibles à ce jour. Les autorités françaises et européennes reconnaissent le rôle majeur que jouent les nitrites dans la prévention de toxiinfections graves telles que le botulisme, la listériose ou la salmonellose, l’utilisation des nitrites étant recommandée dans ce but par les agences sanitaires françaises et européennes dans les charcuteries. » ;

– interdire à la société Yuca d’utiliser une phrase d’annonce telle que « à la demande de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) et en application d’une décision judiciaire dont Yuka a fait appel » ou toute autre formulation précédant la mention des recommandations et conclusions de l’ANSES et de l’EFSA telle qu’ordonnée par le tribunal ;

Pour le cas où la cour ne ferait pas droit à cette demande de publication d’un communiqué,

– interdire à la SAS Yuca de communiquer sur l’arrêt à intervenir en remettant en cause l’impartialité de la justice ou la légitimité de l’action de la FICT, et lui enjoindre de préciser qu’elle est une société commerciale dont l’actionnariat est composé de plusieurs entreprises dont au moins une a des intérêts dans la commercialisation de substituts aux produits carnés, fabriqués à base de végétaux ;

– condamner la SAS Yuca à faire publier à ses frais mais à la diligence de la FICT à concurrence de la somme de 5.000 € HT par publication, dans cinq périodiques et/ou journaux laissés au choix de la FICT, le dispositif de l’arrêt à intervenir ou un résumé objectif rédigé par la FICT reprenant les principaux éléments de la décision,

– se réserver la liquidation des astreintes ainsi prononcées

En tout état de cause,

– débouter la société Yuca de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner la société Yuca à payer à la FICT la somme de 80.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Yuca aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP Grappotte-Bénétreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur le chef du jugement non contesté

La cour constate que le jugement dont appel n’est pas contesté en ce qu’il a débouté la société Yuca de sa demande au titre de la procédure abusive.

Sur la demande d’annulation de l’assignation et de l’appel incident

La société Yuca soutient que l’assignation de la FICT, ainsi que sa constitution d’intimée et son appel incident sont nuls faute de justification d’une autorisation préalable du président.

La FICT prétend que l’habilitation du président pour agir résulte de l’article 12 des statuts et de la décision du comité directeur du 24 novembre 2020.

Il résulte de l’article 12 des statuts de la FICT qu’il confère à son Président ‘pouvoir et qualité pour représenter la Fédération en justice, tant en demande qu’en défense’ et que ce dernier ‘peut, avec l’autorisation préalable du Comité Directeur ou du Bureau, intenter toutes actions en justice pour la défense des intérêts de la Fédération, consentir toutes transactions et former tous recours’. Il résulte en outre du compte rendu du comité directeur du 24 novembre 2020, qu’il a été décidé que ‘la FICT doit poursuivre l’action juridique envers Yuka et aller jusqu’à l’assignation en justice’ , de sorte qu’aucune irrégularité de fond susceptible d’entraîner l’annulation de l’assignation, de la constitution de l’intimée et de l’appel incident n’est encourue.

Le moyen opposé de ce chef par la société Yuca sera rejeté.

Sur les demandes d’irrecevabilité pour défaut de qualité et d’intérêt à agir

La société Yuca prétend que la FICT ne rapporte pas la démonstration d’un intérêt collectif à agir pour la défense de l’ensemble de la profession des charcutiers traiteurs qu’elle représente ; que son action est irrecevable dès lors que les faits incriminés auraient causé un préjudice personnel seulement à certains de ses membres ; que l’intérêt collectif soi-disant représenté par la FICT n’existe pas et relève d’un intérêt individuel insuffisamment établi pour agir sur ce fondement.

Elle ajoute que faute de justification d’une autorisation préalable de son président, son action est également irrecevable pour défaut de qualité.

La FICT soutient qu’en tant qu’unique fédération représentative dans la branche de l’industrie de la salaison, charcuterie, conserves de viandes et boyauderie, elle dispose d’un intérêt à agir pour défendre l’intérêt de la profession ; que le fait que certains membres de la FICT fabriquent des charcuteries sans nitrites ne vient pas remettre en cause l’intérêt à agir de la fédération. Elle prétend en outre que la qualité de son président à agir résulte de l’article 12 des statuts et de la décision du comité directeur du 24 novembre 2020.

Sur ce,

Ainsi qu’il a été dit en réponse au moyen de nullité, il résulte de l’article 12 des statuts de la FICT qu’il confère à son Président ‘pouvoir et qualité pour représenter la Fédération en justice, tant en demande qu’en défense’ et que ce dernier ‘peut, avec l’autorisation préalable du Comité Directeur ou du Bureau, intenter toutes actions en justice pour la défense des intérêts de la Fédération, consentir toutes transactions et former tous recours’. Il résulte en outre du compte rendu du comité directeur du 24 novembre 2020, qu’il a été décidé que ‘la FICT doit poursuivre l’action juridique envers YUKA et aller jusqu’à l’assignation en justice’ , de sorte qu’aucun défaut de qualité à agir, ni en première instance, ni en appel, n’est caractérisé.

S’agissant de l’intérêt à agir, il doit être rappelé que l’article L. 2132-3 du code du travail dispose que ‘Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent’.

En l’espèce, il résulte de l’arrêté de représentativité du 8 novembre 2021que la FICT est l’unique fédération représentative dans la branche de l’industrie de la salaison, charcuterie, conserves de viandes et boyauderie, de sorte qu’elle dispose d’un intérêt à agir pour défendre l’intérêt de la profession, l’article 2 des statuts de la FICT prévoyant en outre que ‘la Fédération a pour objet exclusif la représentation, l’étude et la défense des droits et intérêts matériels et moraux, tant individuels que collectifs, de ses membres, ainsi que la promotion des professions et métiers qu’elle représente au plan national et international dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur’, et l’article 3 desdits statuts précisant ‘Pour la réalisation de son objet, la Fédération pourra introduire auprès des juridictions de l’ordre judiciaire et administratif compétentes, aussi bien nationales qu’européennes, toutes instances, tous recours et toutes réclamations contre tous actes susceptibles de porter atteinte aux intérêts collectifs de ses membres’.

Il s’ensuit que la FICT, qui a pour objet la défense des intérêts individuels et collectifs des entreprises de charcuterie-salaison-traiteur, est recevable à agir afin de défendre l’intérêt de la profession qu’elle représente, quand bien même certains de ses adhérents commercialisent aussi des produits sans nitrites.

Les moyens tirés du défaut de qualité et d’intérêt à agir seront donc rejetés.

Sur la prescription du fait de la requalification de l’action de la FICT en une action en diffamation

La société Yuca soutient que sous couvert d’une atteinte à l’image de ses produits de charcuterie nitrés, l’action initiée reproche en réalité à la société Yuca une atteinte à l’honneur et à la considération de la FICT et de ses adhérents, c’est-à-dire une diffamation ; que les abus de la liberté d’expression qui se rapportent à une atteinte à la réputation ne peuvent être réparés que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ; qu’il ressort des termes de la mise en demeure qui lui a été adressée par la FICT, de l’assignation et des dernières conclusions d’intimée que les demandes visent à voir reconnaître une atteinte à l’honneur et à la considération des adhérents de la FICT du fait de leur utilisation d’additifs nitrés à des fins autres que sanitaires et dont l’effet cancérogène est aujourd’hui dénoncé ; qu’il convient donc de requalifier l’action en une action en diffamation ; que l’assignation a été introduite par exploit d’huissier du 6 janvier 2021, soit dans un temps prescrit excédant le délai court de trois mois fixé par la loi sur la presse ; qu’il convient donc de déclarer irrecevable l’action intentée par la FICT car prescrite.

La FICT soutient que cette demande de requalification de l’action en diffamation est une tentative de Yuca pour échapper à sa responsabilité ; que les propos et actes qui sont dirigés contre une personne, physique ou morale, relèvent de la diffamation, tandis que ceux dirigés contre un produit ou un service relèvent du dénigrement ; qu’en l’espèce seuls les produits sont visés et non leurs fabricants ou la FICT.

La cour rappelle que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil’, devenu l’article 1240 du même code (Ass. Plén., 12 juillet 2000, n°98-10.160 et 98-11.155, Civ. 1ère, 16 novembre 2016 n°15-22.155).

La cour rappelle en outre que les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle et commerciale, n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui les exploite (Civ. 1ère, 20 septembre 2012, n° 11-20.963) .

En l’espèce, les allégations reprochées à la société Yuca ne concernent ni la FICT, ni les entreprises adhérentes, qui n’ont à aucun moment été mises en cause, mais uniquement des informations et une évaluation relatives aux produits de charcuterie comportant des nitrites, obtenues après scan des codes à barres desdits produits, de sorte qu’aucune allégation n’étant portée à l’encontre d’une personne morale de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération, il convient de rejeter la demande de requalification en diffamation, et dès lors la prescription tirée de l’application de la loi du 29 juillet 1881.

Sur le dénigrement et l’appel au boycott

La FICT soutient que l’application Yuka est un service d’information et non le support d’une activité militante ; qu’elle a pour objet d’informer les consommateurs sur la composition des produits alimentaires et cosmétiques, c’est-à-dire de « décrypter » les étiquettes pour fournir une information objective, neutre et loyale de nature à éclairer le consommateur au moment de sa décision d’achat ; que Yuca est tout à fait en droit de militer en faveur de l’interdiction des nitrites dans les produits de charcuteries, comme elle peut s’associer aux associations Foodwatch et à La Ligue contre le cancer pour établir une pétition en ce sens, mais qu’il lui est interdit de faire passer son opinion personnelle pour une information neutre et objective qui sera relayée sur son application commerciale Yuka et qui sera de nature à influencer le consommateur au moment de son acte d’achat ; que les allégations de Yuca sur les produits de charcuterie contenant des additifs nitrés jettent le discrédit sur eux ; que constitue un dénigrement le simple fait d’instiller un doute sur les qualités d’un aliment dans l’esprit du consommateur, qui peut ainsi être conduit à ne plus s’intéresser au produit en question ; que les produits de charcuterie contenant des additifs nitrés sont présentés comme dangereux pour la santé, ce qui est l’allégation la plus grave s’agissant d’une denrée alimentaire ; que la communication choisie par Yuca repose donc sur le dénigrement des produits de charcuterie contenant des additifs nitrés, aux fins de dissuader les consommateurs d’en acheter ; que le dénigrement est constitué peu important que l’auteur et la victime soient concurrents ; que Yuca ne participe pas à un débat d’intérêt général mais l’appauvrit, le limitant à une note rédhibitoire égale ou proche de 0/100, une pastille rouge ou orange et des qualificatifs « mauvais » ou « médiocre » et « à éviter » ; que Yuca véhicule des informations fausses et infondées, sans base factuelle suffisante ; que Yuca, en sa qualité d’informateur sur la composition des produits de charcuterie contenant des additifs nitrés, a manqué à son devoir d’objectivité et échoue à rapporter la preuve de l’exactitude matérielle de ses allégations ou à tout le moins, de l’existence d’une base factuelle suffisante ; que la société Yuca est tenue d’informer le consommateur de l’état de la science au jour où elle écrit au sujet des additifs nitrés ; qu’une simple envie pour une société commerciale de créer un scandale pour faire parler d’elle et créer le buzz ne pourra jamais constituer une base factuelle suffisante pour échapper à la qualification du dénigrement ; que les allégations de Yuca manquent de mesure ; que si Yuca avait voulu passer un message proportionné, il aurait fallu qu’elle écrive que le danger probable identifié ne représente aujourd’hui pas un risque (ajoutant éventuellement que des études complémentaires étaient en cours et qu’elle préconisait d’appliquer le principe de précaution) et surtout, qu’il était établi aujourd’hui que les additifs nitrés n’étaient pas dangereux aux seuils autorisés par la règlementation et ce, même à des niveaux de consommation élevés.

La FICT soutient en outre que Yuca appelle au boycott des produits de charcuterie contenant des additifs nitrés ; qu’il est affiché sur l’application que « Yuka, l’association Foodwatch et La ligue contre le cancer demandent l’interdiction des nitrites ajoutés dans l’alimentation » ; que par cette pétition Yuca appelle les consommateurs au boycott ; que ce comportement de Yuca dépasse la liberté d’expression car il excède l’information prudente et avisée et recourt à une injuste agression à l’encontre des produits de charcuterie.

La société Yuca fait valoir que les restrictions à la liberté d’expression dans le cadre de débats d’intérêt général sont exceptionnelles ; que la jurisprudence conventionnelle sanctionne toute atteinte à la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général qui ne serait pas strictement justifiée par un « besoin social impérieux » ; que ce débat sur la dangerosité des additifs nitrés dans les produits de charcuterie participe d’un débat d’intérêt général majeur et ancien de santé publique; qu’il s’agit d’un débat scientifique pour lequel les études scientifiques apportent la démonstration corroborée et avérée des effets cancérogènes ; que la liberté d’expression de la société Yuca et le droit à l’information des consommateurs, en particulier relatif à leur santé, commande d’exclure toute condamnation, tant à l’égard des allégations de dénigrement que des actes de concurrence déloyale ou trompeuse, compte tenu de sa participation à un débat d’intérêt général de santé publique ; que l’expression de la société Yuca n’était pas moins prudente ni mesurée que les communications de l’OMS et du Ministère de la Santé, ainsi que du rapport d’information parlementaire déposé le 13 janvier 2021 à l’Assemblée Nationale, et que par conséquent elle ne saurait être restreinte sauf à causer une atteinte excessive à la liberté d’expression ; que le prononcé d’une condamnation, même seulement civile, porterait en l’occurrence une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.

La société Yuca ajoute qu’elle n’a pas commis d’actes de dénigrement ; que le débat sur les additifs nitrés dans les produits de charcuterie se rapporte à un sujet d’intérêt général ; qu’elle a été auditionnée par la mission parlementaire sur les additifs nitrés dans l’industrie agroalimentaire, confirmant sa participation à ce débat, y compris devant la représentation nationale ; que la pétition a été lancée à l’initiative de Foodwatch et de la Ligue contre le cancer; qu’elle a pour objet de participer à un débat d’intérêt général ; que les informations mises à disposition par la société Yuca sur les produits de charcuterie reposent sur une base factuelle suffisante ; qu’elle n’a pas à démontrer la réalité et la véracité de son appréciation, la base factuelle devant être simplement « suffisante » pour justifier son opinion; que le fait de ne pas mentionner toutes les références contraires à l’opinion exprimée n’a pas vocation à retirer à une telle base factuelle son caractère suffisant si celle-ci repose sur plusieurs sources crédibles et concordantes; que les études citées sont objectives et indépendantes ; que les informations qu’elle met à disposition sont exprimées avec mesure ; que l’emploi du conditionnel renforce le caractère mesuré de l’opinion ; que lorsqu’un consommateur scanne un produit de charcuterie avec l’application Yuka, il obtient un résumé détaillé de la composition de ce produit, mettant en valeur ses défauts comme ses qualités ; que l’opinion de la société Yuca ne constitue pas un acte de dénigrement fautif.

La société Yuca soutient enfin que l’appel au boycott s’inscrit dans le respect de la liberté d’expression telle que prévue par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme; qu’en tout état de cause, elle n’a jamais appelé au boycott des produits de charcuterie puisqu’elle a seulement proposé la signature d’une pétition visant à changer la réglementation applicable aux additifs nitrés, ce qui est rigoureusement différent.

Sur ce,

La divulgation par une personne d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par une autre personne, même en l’absence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, peut constituer un acte de dénigrement. Cependant, lorsque l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, cette divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. (Cass, 1ère Civ, 11 juillet 2018 n°17-21.457).

En outre, toute activité, fut-elle à but commercial, ayant pour finalité l’information de tiers et la diffusion d’opinion est protégée par la liberté d’expression telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen inscrite au préambule de la Constitution et l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, dans les limites prescrites par ces textes tels qu’interprétés par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

En l’espèce, il résulte des captures d’écran de l’application Yuka (pièce 140 de la FICT) relatives au ‘parcours de l’utilisateur’, que lorsque le consommateur scanne le code à barres d’un produit de charcuterie contenant des additifs nitrés, apparaît un score ‘0/100″ avec l’appréciation ‘Mauvais’ et la mention ‘présence d’additifs à éviter’. Lorsqu’il clique sur le menu déroulant des additifs, apparaît la mention ‘E 250 nitrite de sodium risque élevé’, un encart placé en dessous mentionnant une ‘pétition interdiction des nitrites additif favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac’. Après avoir cliqué sur ‘Nitrite de sodium’ il est mentionné ‘Lorsqu’ils se combinent dans l’estomac avec certains aliments, les nitrites peuvent contribuer à la formation des nitrosamines, des composés classés comme substances probablement cancérogènes pour l’homme par le CIRC. Les nitrites peuvent aussi augmenter le risque d’apparition de maladie du sang, en particulier chez les personnes à risques’.

Il n’est pas contestable que le fait d’indiquer qu’un produit de charcuterie mérite une note de 0/100, est évalué comme ‘mauvais’, comprend des additifs ‘à éviter’ et qu’un de ces additifs, le nitrite de sodium E250, comporte un ‘risque élevé’, tout comme le fait d’insérer sous le visuel dudit produit un encart mentionnant une ‘pétition interdiction des nitrites’ précisant ‘additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac’, ledit encart permettant d’accéder à la pétition co-signée par La Ligue contre le cancer et l’association Foodwatch, jettent le discrédit sur ledit produit, dont la consommation est perçue par le consommateur comme mauvaise pour la santé.

La FICT prétend qu’en donnant une note rédhibitoire de 0/100 illustrée par une pastille rouge et en utilisant des qualificatifs ‘mauvais’ et ‘à éviter’ la société Yuca ne participe pas à un débat d’intérêt général, outre qu’elle véhicule des informations fausses sans base factuelle suffisante.

La société Yuca a versé au débat les éléments suivants :

– une monographie réalisée en 2010 par le centre international de recherche contre le cancer (CIRC), agence de l’organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’évaluation des risques cancérogènes pour les humains dont il résulte notamment que ‘Le nitrate ou le nitrite ingéré dans des conditions qui entraînent une nitrosation endogène est probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A)’ ; qu’ ‘il existe une corrélation entre la présence de nitrites dans les aliments et une incidence accrue du cancer de l’estomac’ ; que ‘certains des composés du N-nitrosés qui pourraient se former chez l’homme dans ces conditions sont des cancérogènes connus’ ;

– une monographie réalisée en 2018 par le CIRC sur l’évaluation des risques cancérogènes pour les humains dont il ressort notamment que ‘La viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme (Groupe 1), sur la base d’indications suffisantes selon lesquelles la consommation de viande transformée provoque le cancer colorectal chez l’homme’ ; qu’ ‘Une corrélation avérée statistiquement significative entre les niveaux estimés d’un total de nitrites et le cancer proximal ( …) a été rapportée’ ;

– une étude de l’association WCRF (World Cancer Research Fund), association de référence dans la lutte contre le cancer, réalisée en 2018 sur ‘la viande, le poisson et les produits laitiers et le risque de cancer’ dont il ressort notamment que ‘Le nitrite peut réagir avec les produits de dégradation des acides aminés pour former des composés N-nitrosés (nitrosamines ou nitrosamides). Ceux-ci peuvent se former dans la viande pendant le processus de durcissement ou dans l’organisme (en particulier dans l’estomac) après l’ingestion de nitrite alimentaire (ou nitrate )’ ; que le ‘composé N-nitrosé est une substance qui peut être présente dans les aliments traités au nitrate de sodium, en particulier la viande et le poisson transformés. Il peut également être formé de manière endogène, par exemple, à partir de sources hématologiques et alimentaires de nitrate et de nitrite. Les composés N-nitrosés sont des substances cancérigènes connues’ ; que ‘Le nitrosamine est un composé créé à partir d’une réaction entre les nitrites et les composés aminés, qui peut survenir pendant le durcissement de la viande. De nombreuses nitrosamines sont des cancérogènes connus’ ; que ‘Les viandes transformées sont une source de nitrate et de nitrite, tous deux associés aux composés N-nitrosés , qui, dans les modèles animaux, ont prouver induire le développement du cancer’ ;

– une fiche toxicologique réalisée par INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) en 2001 sur le nitrite de sodium dont il résulte notamment que ‘Le nitrite de sodium provoque des tumeurs dont le site et la nature varient selon l’espèce et le sexe (pré-estomac, foie, glande mammaire)’;

– une étude réalisée par l’agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2017 relative à la réévaluation du nitrite de potassium (E 249) et du nitrite de sodium (E 250) en tant qu’additifs alimentaires, dont il résulte notamment : ‘En conclusion, il a été prouvé que l’ingestion de NDMA préformée est associée à un risque accru de cancer colorectal (CRC) ou de ses sous-types, et quelques preuves ont permis de lier la combinaison de nitrate et de nitrite provenant de la viande transformée au cancer du côlon et le nitrite au cancer gastrique . Ceci concorde avec la conclusion de la Réunion du IARC sur la monographie portant sur la viande rouge et transformée en 2015, où il a été conclu qu’il existe chez l’homme des preuves suffisantes de la cancérogénicité de la consommation de viande transformée’ ; que ‘Dans l’ensemble, le Groupe d’experts a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour établir un lien entre le nitrite alimentaire et le cancer du côlon, qu’il y avait quelques preuves établissant un lien entre le nitrate plus nitrite provenant de la viande transformée et le cancer du côlon et que l’apport estimé de la N-nitrosodiméthylamine préformée est associée à un risque accru de cancer colorectal (CRC) ou de ses sous- types’ ;

– le document de synthèse réalisé en 2017 par l’EFSA relativement aux « Nitrites et nitrates ajoutés aux aliments » dont il résulte notamment que ‘Le nitrite absorbé peut transformer par oxydation l’hémoglobine en méthémoglobine qui, en excès, réduit la capacité des globules rouges à se lier et à transporter l’oxygène dans le corps’; que ‘Le nitrite dans les aliments (et le nitrate converti en nitrite dans le corps) peut aussi contribuer à la formation d’un groupe de composés connus sous le nom de nitrosamines , dont certains sont cancérigènes’ ;

– un article de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), établissement public, sous la direction conjointe du ministère de la recherche et du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, publié en 2019 et intitulé ‘Pour limiter le risque de cancer colorectal, doit-on vraiment consommer moins de viande rouge et de charcuterie ” dont il résulte notamment que ‘Les composés N-nitrosés liés à l’emploi de sels nitrités pour conserver les viandes transformées entraînent la formation de composés génotoxiques (c’est-à-dire toxiques pour l’ADN)’ ; qu”En conclusion, limiter la consommation de viandes rouges et de charcuteries est une mesure essentielle pour réduire le risque de cancer colorectal, notamment chez les personnes ayant des niveaux de consommation supérieurs aux recommandations actuelles’;

– une synthèse de l’expertise scientifique collective réalisée en 2020 par l’INRAE sur ‘ La qualité des aliments d’origine animale selon les conditions de production et de transformation’, dont il résulte notamment que ‘La formulation des aliments peut inclure des additifs alimentaires qui, bien qu’autorisés, sont suspectés d’avoir des effets secondaires néfastes sur la santé humaine’; que ‘Les sels nitrités sont des conservateurs utilisés dans la saumure des charcuteries et de certains fromages. Ils sont suspectés d’être cancérigènes’ ;

– une étude intitulée ‘Viandes rouges, charcuteries et risque de cancer, les principales données

réalisée par le réseau national alimentation cancer recherche (NACRe) en 2020 dont il résulte notamment que ‘Les sels nitrités présents dans certaines charcuteries entraînent, au cours de la digestion, la formation de composés N-nitrosés qui sont génotoxiques’ ;

– une étude réalisée par Nutrinet Santé en 2022, coordonnée par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) et composée de chercheurs affiliés à des instituts de recherche réputés tels que l’INSERM, l’INRA ou Santé publique France, relative aux ‘Nitrites et nitrates provenant d’additifs alimentaires et de sources naturelles et risque de cancer’ dont il résulte notamment que ‘les additifs nitratés étaient positivement associés au risque de cancer du sein et les additifs nitrités étaient positivement associés au risque de cancer de la prostate’; qu’ “Aucune association significative n’a été observée pour les nitrates et les nitrites provenant de sources naturelles’ ;

– un étude Nutrinet Santé réalisée en 2023 sur ‘L’exposition alimentaire aux nitrites associée à

un risque accru de diabète de type 2’ dont il résulte ‘Nos résultats suggèrent une association directe entre les nitrites d’origine additive et le risque de DT2 (diabète de type 2)’;

– un rapport d’expertise collective réalisé en 2011 par l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) intitulé « Nutrition et cancer» dont il résulte notamment que ‘L’augmentation de risque de cancer colorectal est de 29 % par portion de 100 g de viandes rouges consommée par jour et de 21 % par portion de 50 g de charcuteries consommée par jour. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer cette augmentation : apports de sels nitrités par certaines charcuteries ; production de composés N-nitrosés cancérogènes dans l’estomac et par les bactéries du microbiote colique ; production de radicaux libres et de cytokines pro-inflammatoires liée à un excès de fer héminique ; production d’amines hétérocycliques liées à la cuisson à forte température’ ;

– un avis et rapport de l’ANSES en 2022 relatifs à l’évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et de nitrites dont il résulte notamment que ‘Le groupe de travail conclut à (‘) l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal’ ; ‘Recommandations : Les associations positives constatées ci-dessus, par l’examen approfondi des études épidémiologiques, soulignent la nécessité de limiter l’exposition alimentaire aux nitrates et aux nitrites via les viandes transformées’ ; ‘A la lumière de ces résultats d’exposition et des effets connus de l’exposition aux nitrates et nitrites, l’Agence considère que la limitation de l’ajout intentionnel de ces composés dans l’alimentation dans une approche ALARA constitue un objectif de sécurité sanitaire afin de diminuer autant que possible l’exposition globale de la population, et souligne que des leviers existent pour la mettre en ‘uvre’ ;

– des extraits d’interventions dans le cadre de la mission d’information parlementaire en 2020 ‘Le rôle des nitrites est totalement évident : on ne peut pas faire des études en double aveugle, on ne peut faire que des méta-analyses, ces méta-analyses sont cruelles pour les nitrites’ [R] [N], Président de l’Institut du Cancer ; ‘le niveau de preuve maximale quasiment, il est démontré’ [G] [I], Chercheuse à l’INSERM ; ‘Il serait bien que les charcutiers arrivent à se débarrasser de ce poison .’ [L] [O], Chercheur honoraires de l’INRA ;

– un rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’utilisation des sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire dont il résulte notamment que ‘L’équation peut être ainsi résumée : il est certain que les charcuteries sont cancérogènes et que les nitrites et nitrates ajoutées causent, ou à tout le moins, renforcent cette cancérogénicité. Or, il est parfaitement possible de produire une charcuterie de qualité sans nitrite, ni nitrates ajoutés et parfaitement sûre d’un point de vue bactériologique’;

– une proposition de loi en 2019 relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, ainsi formulée : ‘Considérant ainsi que les additifs nitrés font peser sur la santé humaine des risques d’une importance capitale, alors même qu’ils ne sont pas indispensables pour garantir la non-résurgence du botulisme en France et qu’il est aujourd’hui possible, pour l’ensemble des acteurs de la filière, de produire une charcuterie exempte de ces additifs dangereux , les auteurs de cette proposition de loi souhaitent interdire progressivement le recours au nitrite et nitrate ajoutés dans les viandes transformées’ ;

– un projet de loi adopté le 3 février 2022 à l’Assemblée Nationale indiquant ‘Dans un délai de 12 mois après l’avis de l’ANSES, un décret fixera une trajectoire de baisse de la dose maximale d’additifs nitrés au regard des risques avérés pour la santé humaine. Ce décret peut aussi fixer une liste et un calendrier de produits soumis à une interdiction de commercialisation de produits

incorporant des additifs nitrés’ ;

– une proposition de résolution européenne relative à l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, ainsi formulée ‘Demande à la Commission européenne de placer d’urgence la question de la cancérogénicité des nitrites et additifs nitrés dans la charcuterie parmi ses priorités, en vue de la mise en place d’un plan d’action tenant à la suppression de ces additifs cancérogènes à l’échelle des vingt-sept États membres’ ;

– une proposition de loi présentée en 2023 visant à protéger la population du risque de cancer lié à la consommation de charcuteries nitrées, dont l’article premier prévoit donc d’instaurer un étiquetage spécifique ‘Contient des additifs nitrés, provoque des cancers’.

Ainsi, nonobstant le fait incontestable que les nitrites et nitrates sont des additifs alimentaires, actuellement utilisés comme conservateurs et autorisés par la réglementation européenne dans les produits de charcuterie après avis notamment de l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), il résulte d’évidence des pièces susvisées la réalité d’un sujet et d’un débat public d’intérêt général sur les conséquences en matière de santé pour les consommateurs de l’utilisation des additifs nitrés dans les charcuteries, et notamment des additifs E 250 et E 251, de sorte que les allégations incriminées sur l’application Yuka relatives à la notation de 0/100 de produits de charcuterie contenant des additifs nitrés, à leur appréciation comme ‘mauvais’, à la mention ‘présence d’additifs à éviter’ ainsi qu’à la mention ‘E 250 nitrite de sodium risque élevé’ et à l’encart placé en dessous mentionnant ‘pétition interdiction des nitrites additif favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac’ s’inscrivent dans le cadre d’un sujet d’intérêt général, étant observé qu’il n’appartient pas à la cour, dans le cadre de son appréciation de l’existence d’un sujet d’intérêt général, de déterminer si les bénéfices de l’emploi de ces additifs, notamment du fait de leur pouvoir conservateur, l’emportent sur les risques qu’ils pourraient engendrer, ni même de se prononcer sur l’importance de ces risques au vu de la littérature scientifique.

Il résulte également des études et articles scientifiques susvisés, qui sont nombreux et sont le fruit de travaux de recherche incontestables depuis plus de quinze années émanant d’associations et d’instituts de recherche publics sérieux et réputés, même s’ils peuvent être contestés, qu’ils constituent une base factuelle suffisante pour diffuser les allégations incriminées relatives au danger que pourrait représenter pour la santé humaine, l’utilisation des additifs nitrés et notamment l’additif E 250 dans les charcuteries, ces allégations, au vu de la base factuelle produite, ne constituant pas une distorsion de la réalité opérée de mauvaise foi, et n’excédant pas le droit à la libre expression sur un sujet de santé publique.

Enfin, si les allégations incriminées peuvent être contestées, notamment en prenant en compte les doses d’additifs utilisées, la quantité de produits de charcuterie consommés ou tout autre donnée scientifique, elles ne peuvent être considérées comme dépassant la mesure requise dans le cadre d’informations de santé publique reposant sur des documents scientifiques sérieux, et ce d’autant que l’application Yuka gérée par la société Yuca ne se prévaut pas d’une autorité scientifique officielle et reconnue, mais précise au contraire à l’utilisateur dans la rubrique ‘comment sont notés les produits alimentaires ” que ‘la notation établie par l’application est une opinion de Yuka sur la base de plusieurs critères déterminés’ et que ‘les adjectifs excellent, bon, médiocre, mauvais se réfèrent à ce score et non au produit directement’, les trois critères de la méthode de notation étant explicités à savoir la qualité nutritionnelle basée sur le Nutri-Score conçu sur la base du programme national nutrition santé, les additifs affectés d’un niveau de risque en fonction des études scientifiques, et le caractère biologique (label bio français et européen) des produits.

Il résulte des développements qui précèdent que les actes de dénigrement imputés à la société Yuca ne sont pas caractérisés. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

S’agissant des allégations de boycott, la cour rappelle que le boycott est une action délibérée en vue d’évincer un opérateur de marché (Com. 22 octobre 2002, 00-18.048), et que l’appel au boycott qui vise à communiquer ses opinions, tout en appelant à des actions spécifiques qui lui sont liées, relève de la protection au titre de la liberté d’expression, cette protection ne recevant exception que s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. (CEDH, 11 juin 2020, Baldassi).

En l’espèce, il ne résulte des allégations incriminées aucun appel au boycott, l’application Yuka, gérée par la société Yuca, qui n’est pas un opérateur du marché de la charcuterie ni même de l’agro-alimentaire, fournissant des informations aux consommateurs et des recommandations de type ‘à éviter’ et invitant à signer une pétition qui ne vise à boycotter aucun produit mais tend à demander l’interdiction des nitrites ajoutés dans l’alimentation, de sorte que ce moyen manque en fait, étant au surplus observé que la pétition incriminée, qui s’inscrit dans un débat public d’intérêt général, doit être protégée au titre du droit à la liberté d’expression dont il n’est caractérisé aucun abus.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes de la FICT fondées sur l’appel au boycott.

Sur les pratiques commerciales déloyales

La FICT soutient que Yuca, société commerciale exerçant une activité commerciale, communiquant des informations sur des produits aux consommateurs dans le cadre d’une application qu’elle a développée et qu’elle offre à titre gratuit ou à titre payant en permettant ainsi d’avoir accès à d’autres fonctionnalités, est responsable des pratiques qu’elle met en ‘uvre.

La FICT ajoute que les conseils et renseignements donnés par Yuca sont contraires à la diligence professionnelle ; que les utilisateurs s’attendent à obtenir une information brute, fiable et compréhensible ; que son information doit être irréprochable ; que Yuka attribue aux produits de charcuterie une mauvaise note seulement parce qu’ils contiennent des additifs nitrés alors même que ces substances sont autorisées par les autorités européennes et françaises ; que la commission des affaires économiques du Sénat préconise aux applications de notation de privilégier, en cas de substance sujette à débat, une explication des tenants et aboutissants du débat scientifique plutôt qu’une évaluation directement négative du produit ; que la société Yuca a été condamnée au sujet d’un article de son blog dénonçant faussement les dangers des boîtes de conserves ; qu’en dissimulant son militantisme derrière une volonté affichée d’information, la tromperie de Yuka a été décuplée ; que le fait de ne pas avoir de scientifiques dans son équipe est déjà en soi un manque de diligences du fait de la technicité des sujets scientifiques qu’elle entend relayer ; que le fait que la pétition soit lancée en partenariat avec la Ligue contre le cancer ne peut servir de caution scientifique ; que le fait que d’autres applications aient attribué des mauvaises notes aux produits de charcuterie n’exonère pas la responsabilité de la société Yuca dont les allégations sont contraires à la diligence professionnelle ; que les informations diffusées par Yuca altèrent le comportement économique des consommateurs, cette influence étant revendiquée par l’application Yuka elle-même.

La société Yuca soutient que son activité n’est pas contraire aux exigences de la diligence professionnelle ; qu’au nom des principes de précaution et de prévention, elle est parfaitement légitime à alerter les consommateurs sur les risques présentés par les additifs nitrés et à les inviter à signer une pétition ayant pour vocation de les faire interdire ; que l’ANSES dans son avis et ses rapports publiés le 12 juillet 2022 confirme la cancérogénicité des additifs nitrés ; que ses opinions sur les produits de charcuterie sont identiques à celles de l’ensemble des autres applications de notation de produits alimentaires et à celles d’associations de protection des consommateurs et notamment mangerbouger.fr mis en place par le ministère de la santé ; que le fonctionnement de la notation Yuka est élaboré de manière objective et détaillé en toute transparence sur son application et sur son site internet ; que la démonstration d’une altération substantielle du comportement économique du consommateur n’est pas rapportée ; que les utilisateurs de Yuka conservent leur libre arbitre, et peuvent être influencés par de nombreux facteurs.

Sur ce,

L’article L. 121-1 du code de la consommation interdit les pratiques commerciales déloyales, définies comme toute pratique contraire aux exigences de la diligence professionnelle altérant ou étant susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.

Cet article doit être interprété à la lumière de la directive 2005/29 CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, directive qu’il transpose en droit national.

Ainsi qu’il résulte du titre même de la directive 2005/29 CE et du choix du législateur de la transposer dans un article du code de la consommation, l’interdiction des pratiques commerciales déloyales vise la protection des consommateurs, et non la protection des professionnels ; il peut cependant être admis que ce texte, comme tout texte issu du droit européen, a pour finalité de favoriser la libre concurrence et la circulation des marchandises ainsi que l’évoque le paragraphe 3 des considérants de la directive, et qu’en conséquence il peut être invoqué par une société commerciale pour la défense de ses propres intérêts.

La pratique commerciale est définie par l’article 2 d) de la directive 2005/29 CE comme toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs.

Une pratique commerciale au sens du texte susvisé s’entend donc d’un comportement émanant d’un professionnel dont la finalité est de promouvoir un produit ou un service effectivement proposé sur le marché, aux fins d’amener ce consommateur à contracter pour acquérir ce produit ou service.

En l’espèce, la société Yuka, société commerciale, exploite une application mobile de notation alimentaire et cosmétique, délivrant un service d’information, et édite un blog en ligne dans lequel elle publie des conseils pour une alimentation saine. S’il est constant qu’elle n’affiche aucune publicité, qu’elle ne reçoit aucune rémunération des fabricants et producteurs de produits notés dans son application, ni n’exploite aucune donnée de ses utilisateurs, elle propose une version payante de son application, souscrite par une petite partie de ses utilisateurs, et vend un guide de l’alimentation saine, un calendrier des fruits et légumes de saison, ainsi qu’un programme nutrition, de sorte que les allégations incriminées diffusées sur l’application mobile Yuca rentrent dans le champ des pratiques commerciales au sens de la disposition susvisée.

L’article L 121-1 susvisé du code de la consommation pose deux conditions cumulatives permettant de considérer comme déloyale une pratique commerciale, d’une part lorsque cette pratique est contraire aux exigences de la diligence professionnelle, et d’autre part lorsqu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.

La diligence professionnelle se définit comme le niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis à vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité.

En l’espèce, l’applicationYuka exploitée par la société Yuca a pour objet, ainsi qu’il résulte de sa présentation, ‘d’aider les consommateurs a faire de meilleurs choix pour leur santé et représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits’, et l’activité de la société Yuca, dont la responsabilité est recherchée sur le fondement de la concurrence déloyale, consiste dans la conception et l’exploitation de sites internet, d’applications mobiles et d’objet connectés à internet ayant pour objectif de contribuer à réduire les exclusions et les inégalités en matière de santé et d’éducation, ainsi qu’il résulte de son extrait Kbis.

La FICT prétend que la société Yuca n’a pas délivré une information loyale et précise au consommateur du fait de sa position partisane sur les sels nitrités qui n’est pas fondée sur des sources scientifiques, qu’elle ne dispose d’aucune équipe scientifique susceptible de valider son application, et que le fait que la pétition qu’elle diffuse a été lancée en partenariat avec la Ligue contre le cancer, association de financement de la recherche, ne peut lui servir de caution scientifique de sorte que sa pratique et ses allégations sont contraires aux exigences de diligence professionnelle.

Il a déjà été expliqué que l’application Yuka informe l’utilisateur dans la rubrique ‘comment sont notés les produits alimentaires ” sur les trois critères pris en compte dans la méthode de notation des produits à savoir, la qualité nutritionnelle basée sur le Nutri-Score conçu à partir des travaux du programme national nutrition santé (PNNS), les additifs affectés d’un niveau de risque en fonction des études scientifiques, et le caractère biologique (label bio français et européen) des produits, outre que l’application Yuka mentionne que ‘la notation établie par l’application est une opinion de Yuka sur la base de plusieurs critères déterminés’ et que ‘les adjectifs excellent, bon, médiocre, mauvais se réfèrent à ce score et non au produit directement’.

Il doit être également rappelé que l’application Yuka, qui délivre un service d’information aux consommateurs, ne se prévaut pas de sa propre autorité scientifique de sorte qu’elle n’a pas à justifier, au titre de ses diligences professionnelles, de disposer de scientifiques au sein de ses équipes, outre qu’ainsi qu’il a été dit, les études et articles scientifiques expressément cités dans l’application, dans la rubrique ‘voir les sources scientifiques’ sont nombreux et sont le fruit de travaux de recherche incontestables depuis plus de quinze années émanant d’associations et d’instituts de recherche publics sérieux et réputés, de sorte que, même s’ils peuvent être contestés, ils constituent une base factuelle suffisante pour diffuser les allégations incriminées relatives au danger que pourrait représenter l’utilisation des additifs nitrés dans les charcuteries pour la santé humaine. Il doit être enfin rappelé que l’application Yuka n’a jamais allégué que les additifs nitrés ‘à éviter’ ne seraient pas autorisés par la réglementation européenne aux doses auxquelles ils sont utilisés, ni n’a dissimulé qu’ils ont un rôle de conservateur des produits de charcuterie, ce rôle étant expressément mentionné dans la fiche de présentation de l’additif lorsque l’utilisateur clique sur le menu déroulant.

Il ne résulte de ces éléments aucun manquement à une diligence professionnelle relative au service proposé par la société Yuca de développement et d’exploitation d’une application mobile ayant pour objectif d’aider les consommateurs à faire les meilleurs choix pour leur santé et à représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits, et ce aux fins de réduire les inégalités en matière de santé.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’en présentant les additifs nitrés comme devant être évités, en les qualifiant de ‘risque élevé’ sur la base d’une documentation scientifique sérieuse fournie à l’appréciation de l’utilisateur, en invitant le consommateur à signer une ‘pétition interdiction des nitrites additif favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac’, la société Yuca n’a pas commis d’acte contraire aux exigences de diligence professionnelle. Le jugement entrepris ayant retenu sa responsabilité au titre d’une pratique commerciale déloyale sera en conséquence infirmé.

Sur les pratiques commerciales trompeuses

La FICT prétend que la société Yuca se livre à des pratiques commerciales trompeuses par action résultant des présentations fausses de nature en induire en erreur le consommateur sur les caractéristiques essentielles des produits de charcuterie ; que la qualité essentielle consiste en son aptitude à la consommation sans risque de santé ; que le fait d’indiquer que les nitrites et nitrates ajoutés sont des additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et du cancer de l’estomac, à de multiples reprises, qu’ils augmentent l’apparition de maladies du sang, qu’ils présenteraient un risque élevé et qu’ils seraient à éviter, en leur attribuant une pastille rouge est constitutif de pratiques commerciales trompeuses ; que l’état actuel de la science ne permet pas de relayer ces informations erronées d’autant que les avis de l’EFSA rendus en juin 2017 précisent au contraire que les nitrites ajoutés à l’alimentation constituent une protection adéquate pour la santé publique, et que les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans des produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine ; que le fait d’associer les additifs nitrés à la pétition d’interdiction de ces additifs, ainsi que l’ajout de nitrite à un risque mortel pour le consommateur et d’affirmer faussement que ces additifs seraient utilisés dans la fabrication de charcuterie uniquement pour donner davantage de saveur, permettre une conservation plus longue ou pour que la couleur du jambon soit bien rose, et de faire croire qu’il existerait une controverse scientifique laissant place à l’opinion critique sur l’évaluation du risque réalisé par les autorités sanitaires en déformant l’état de la science, constitue des pratiques commerciales trompeuses ; que le fait d’indiquer que les produits de charcuterie seraient mauvais ou médiocres amène à croire qu’ils sont impropres à la consommation; que ce n’est qu’en cherchant dans les systèmes de notation de Yuka que l’on apprend en fin de page et dans une police de caractères réduite que les adjectifs utilisés pour qualifier les produits ne sont qu’une opinion exprimée par Yuka ; que si Yuka persiste à soutenir qu’elle fournit une opinion aux consommateurs et non une information elle trompe les consommateurs sur la nature du service qu’elle rend et occulte son activité militante en les privant de la liberté de décider ; que le fait d’avoir opté pour un système de notation arbitraire qui discrédite tout produit contenant un additif marqué comme dangereux est une pratique commerciale trompeuse ; que les additifs nitrés sont affectés d’une note rédhibitoire ; que Yuka ne donne pas d’informations sur la façon dont elle répartit les trois critères ; que la commission des affaires économiques du Sénat a relevé que la méthode de notation des additifs n’est pas transparente ; qu’il n’existe aucune possibilité de réponse par le fabricant ; que Yuca délivre donc des informations dépourvues d’objectivité, de sérieux et insuffisamment sourcées.

La FICT ajoute que Yuka se livre également à des pratiques commerciales trompeuses par omission; qu’ainsi elle a omis de citer les conclusions tirées par l’EFSA dans ses avis de juin 2017 et d’indiquer que l’utilisation des nitrites est recommandée par l’ANSES ; qu’elle a omis d’indiquer qu’un additif pour pouvoir être autorisé et utilisé doit faire la preuve de son innocuité ainsi que le rôle essentiel des nitrites dans la lutte contre le développements des bactéries ; qu’elle a dissimulé qu’une interdiction généralisée des nitrites aurait des conséquences négatives pour la santé du fait de l’augmentation accrue du risque de botulisme, de la listériose ou de la salmonellose ; que c’est comme si Yuka, compte tenu de ce que le soleil est classé cancérigène par le CIR, conseillait à tous les consommateurs de rester à l’ombre ; qu’ainsi Yuka a omis, dissimulé et fourni de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps plusieurs informations substantielles, tout en n’indiquant pas sa véritable intention commerciale.

La société Yuca soutient qu’elle délivre une information indépendante et précise au consommateur sur la composition des produits de charcuterie, dont les risques sanitaires donnent lieu à des publications scientifiquement corroborées ; qu’elle a bien indiqué aux consommateurs les caractéristiques essentielles des produits de charcuterie, tout en les alertant sur la présence d’un additif qui, bien que cancérogène selon les études scientifiques les plus récentes, était considéré comme sans danger par l’EFSA aux niveaux autorisés ; que le fait que le nitrite de sodium soit utilisé pour des raisons sanitaires n’est pas une caractéristique substantielle d’un produit de charcuterie tout comme le caractère légal ou le respect des dosages autorisés, qui est une condition sine qua non de mise en rayon de ces produits ; que les sources officielles et autorisées retenues dans l’établissement de son avis sur les nitrites figurent de manière transparente dans l’application, de la manière la plus claire possible compte tenu des contraintes d’espace inhérentes à une application mobile ; que l’application renseigne ses utilisateurs sur l’ensemble de ses sources scientifiques lui permettant de considérer que l’ajout de nitrite de sodium dans les produits de charcuterie présente un risque pour la santé ; que son activité ne peut ainsi être qualifiée de trompeuse, sauf à considérer que toutes les alertes tenant à la consommation de produits de charcuterie nitrés, publiques comme privées, seraient également trompeuses.

Sur ce,

L’article L. 121-2 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, dispose que ‘Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes :

2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :

(…)

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;

(…).

L’article L. 121-3 du code de la consommation dispose ‘Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens.’

La cour constate que Yuka, ainsi qu’il a été dit, est une application de notation de produits alimentaires analysant la composition desdits produits, renseignée à partir des données affichées sur l’étiquette du produit, leur donnant une note sur cent, une couleur et un qualificatif sur la base de trois critères explicités sur l’application à savoir la qualité nutritionnelle résultant du Nutri-Score conçu sur la base du programme national nutrition santé, les additifs affectés d’un niveau de risque en fonction des études scientifiques, et le caractère biologique (label bio français et européen) des produits, et qu’elle fournit ces informations et exprime cette opinion sans se prévaloir d’aucune autorité scientifique officielle reconnue, précisant au contraire à l’utilisateur dans la rubrique ‘comment sont notés les produits alimentaires ” que ‘la notation établie par l’application est une opinion de Yuka sur la base de plusieurs critères déterminés’ et que ‘les adjectifs excellent, bon, médiocre, mauvais se réfèrent à ce score et non au produit directement’. Il ne ressort de ces éléments, caractérisant notamment une base scientifique sur laquelle sont fondés les critères de notation et une transparence vis-à-vis de l’utilisateur de l’application, le consommateur pouvant dès lors apprécier par lui-même la pertinence et la fiabilité de la méthode proposée, aucune allégation ou présentation de nature à induire le consommateur en erreur.

De même les mauvaises notations et appréciations obtenues par les produits de charcuterie contenant des nitrites, au vu des critères susmentionnés et explicités à l’utilisateur, tiennent à la présence d’additifs mais aussi à leur équilibre nutritionnel basé sur les notations du Nutri Score publié par Santé Publique France, dont l’algorithme est public et dont les modalités de calcul et d’intégration dans la notation de l’application Yuka sont détaillées sur le site internet Yuka, l’application énonçant les ‘défauts’ du produit, tels que la présence de graisses saturées, d’une grande quantité de sel, ou un apport calorique trop important, et leurs ‘qualités’ telles qu’un apport en protéines important ou une faible quantité de sucre, et enfin à leur qualité biologique ou non au regard des labels français et européen, aucune allégation trompeuse n’étant caractérisée de ces chefs, et la FICT échouant à démontrer que ce système de notation serait arbitraire, manquerait de transparence et serait donc trompeur pour le consommateur.

En outre, ainsi qu’il a été dit, si ces informations et appréciations peuvent être débattues, elles ne peuvent être qualifiées de mensongères au regard de la documentation scientifique sur laquelle elles sont fondées et qui est citée dans l’application, étant rappelé, qu’un avis récent de l’ANSES datant de 2022 relatif à l’évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et de nitrites mentionne ‘l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal’, souligne ‘la nécessité de limiter l’exposition alimentaire aux nitrates et aux nitrites via les viandes transformées’ et ‘considère que la limitation de l’ajout intentionnel de ces composés dans l’alimentation dans une approche ALARA’ (signifiant ‘As low as reasonably achievable’ soit aussi bas que possible) ‘constitue un objectif de sécurité sanitaire afin de diminuer autant que possible l’exposition globale de la population, et souligne que des leviers existent pour la mettre en ‘uvre’ .

Il ne résulte pas davantage de pratiques commerciales trompeuses par omission du fait de n’avoir pas mentionné qu’un additif doit faire preuve de son innocuité pour pouvoir être autorisé, le consommateur comprenant que les produits dans les rayons des magasins dont il scanne le code à barres sont des produits autorisés, ou de n’avoir pas cité de manière exhaustive toute la documentation scientifique, les sources citées étant crédibles et concordantes, pas plus que du fait de l’absence de droit de réponse des fabricants, étant observé que la sanction de pratiques commerciales déloyales ou trompeuses a vocation à protéger le consommateur, et non le fabricant ou producteur, et rappelé que toute activité, fut-elle à but commercial, ayant pour finalité l’information de tiers et la diffusion d’opinions est protégée par la liberté d’expression dont il n’est démontré en l’espèce, sur un sujet de santé publique, aucun abus dans l’exercice de ce droit.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la Fédération des entreprises françaises de charcutier-traiteur (FICT) de ses demandes fondées sur l’appel au boycott, de ses demandes de publication d’un erratum, de modifications de l’application et de communications de documents, ainsi que débouté la société Yuca de sa demande au titre de la procédure abusive et débouté les parties de leurs demandes de publication,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la demande de la société Yuca d’annulation de l’assignation, de la constitution et de l’appel incident de la FICT, ainsi que les fins de non-recevoir pour défaut de qualité et d’intérêt à agir de la FICT,

Rejette les demandes de la société Yuca de requalification en une action en diffamation et d’irrecevabilité pour prescription,

Déboute la Fédération des entreprises françaises de charcutier-traiteur (FICT) de l’ensemble de ses demandes sur le fondement du dénigrement, de l’appel au boycott et des pratiques commerciales déloyales et trompeuses,

Condamne la Fédération des entreprises françaises de charcutier-traiteur (FICT) aux dépens de première instance et d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile la condamne à verser à ce titre à la société Yuca pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel une somme de 60 000 euros.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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