Application mobile de marche : le risque de la gratuité 

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Application mobile de marche : le risque de la gratuité 
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Faire appel à des bénévoles ou des volontaires n’est pas sans risque. En présence d’un lien de subordination et d’une forme de rémunération le délit de travail dissimulé peut être constitué.


Affaire clicwalkers

La directrice d’une société de « clicwalkers » qui avait été condamnée pour travail dissimulé pourrait finalement être relaxée. La Cour de cassation a considéré qu’il n’existait pas réellement de lien de subordination entre la société et les utilisateurs de son application mobile.   

Le principe du clicwalking 

La société a pour activité de collecter puis de traiter, pour le compte de marques ou d’enseignes, des données commerciales dites de « terrain » recueillies par des particuliers appelés « clicwalkers » qui, à partir d’une application gratuite téléchargée sur leur téléphone, effectuent pour le compte de cette société des missions.

Celles-ci peuvent consister à fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, à émettre un avis ou prendre des photographies sur les supports de communication des clients ou enfin à vérifier dans les magasins la présence, le prix et la visibilité des produits, les supports commerciaux ou la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la société.

La participation des « clicwalkers » aux missions s’effectue sur la base du volontariat. Ces derniers perçoivent une gratification en points-cadeaux ou en numéraire versée après vérification par la société du respect des modalités de la mission.

Travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés

Au terme d’une enquête préliminaire ayant conclu que les « clicwalkers » devaient être assimilés à des salariés, la société et sa dirigeante ont été poursuivies du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, par défaut de déclaration nominative préalable à l’embauche, de déclarations sociales et fiscales et de remise de bulletins de paie, en raison des missions exécutées par vingt-huit salariés ayant perçu chacun plus de 600 euros en 2015 ou 2016.

Censure de la cour de cassation 

Il se déduit des articles L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié suppose que soit établie l’existence d’un lien de subordination.

La Cour de cassation juge que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187, Bull. 1996, V, n° 386).

L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Ass. plén., 4 mars 1983, pourvois n° 81-11.647 et 81-15.290, Bull. 1983, Ass. plén., n° 3 ; Soc., 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-40.572, Bull. 2000, V, n° 437 ; Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, publié au Bulletin).

En l’espèce, pour infirmer le jugement et caractériser notamment l’existence d’un lien de subordination entre la société prévenue et les « clicwalkers », l’arrêt énonce que les missions qui leur sont confiées ainsi que les consignes et directives pour les exécuter peuvent être très précises. Les juges ajoutent que la société contrôle la bonne exécution de la prestation, afin de vérifier qu’elle correspond à la commande de son client. Ils relèvent encore que ce contrôle s’accompagne d’un pouvoir de sanction puisque si la mission est rejetée, celui qui l’a exécutée ne sera pas rémunéré et ses frais ne seront pas remboursés. Ils en déduisent que les utilisateurs de la plate-forme exécutent une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et qu’ainsi la qualification de contrat de travail doit être retenue.

En prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu les articles L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail. 

L’absence de consignes et d’instructions 

En effet, n’exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination le particulier qui accepte, par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique gérée par une société, d’exécuter des missions telles que décrites précédemment dès lors qu’il est libre d’abandonner en cours d’exécution les missions proposées, qu’il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l’exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l’exécution de ses directives et d’en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l’objet d’une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d’exécution non conforme.


 

N° Z 20-81.775 FS-B

N° 00321

MAS2
5 AVRIL 2022

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 AVRIL 2022

Mme [I] [U] et la société [1], intervenant en qualité de mandataire liquidateur de la société [2], ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai, 6e chambre, en date du 10 février 2020, qui, pour travail dissimulé, a condamné, la première, à 5 000 euros d’amende, la seconde, à 50 000 euros d’amende.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un avis en date du 15 décembre 2021.

Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [I] [U] et de la société [1], intervenant en qualité de mandataire liquidateur de la société [2], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, M. Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société anonyme [2] a pour activité de collecter puis de traiter, pour le compte de marques ou d’enseignes, des données commerciales dites de « terrain » recueillies par des particuliers appelés « clicwalkers » qui, à partir d’une application gratuite téléchargée sur leur téléphone, effectuent pour le compte de cette société des missions.

3. Celles-ci peuvent consister à fournir des informations sur leurs habitudes de consommation, à émettre un avis ou prendre des photographies sur les supports de communication des clients ou enfin à vérifier dans les magasins la présence, le prix et la visibilité des produits, les supports commerciaux ou la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la société.

4. La participation des « clicwalkers » aux missions s’effectue sur la base du volontariat.

5. Ces derniers perçoivent une gratification en points-cadeaux ou en numéraire versée après vérification par la société [2] du respect des modalités de la mission.

6. Au terme d’une enquête préliminaire ayant conclu que les « clicwalkers » devaient être assimilés à des salariés, la société [2] et Mme [I] [U], présidente et directrice générale de celle-ci, ont été poursuivies du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, par défaut de déclaration nominative préalable à l’embauche, de déclarations sociales et fiscales et de remise de bulletins de paie, en raison des missions exécutées par vingt-huit salariés ayant perçu chacun plus de 600 euros en 2015 ou 2016.

7. Ni les « clicwalkers » visés à la prévention ni l’URSSAF ne se sont constitués parties civiles.

8. Par jugement en date du 24 mai 2018, le tribunal correctionnel a relaxé Mme [U] et la société [2] au motif que les « clicwalkers » ne pouvaient être considérés comme des salariés.

9. Le procureur de la République a formé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré Mme [U] et la société [2] coupables du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, alors :

« 1°/ que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en l’espèce, la société [2], dont Mme [U] est la dirigeante, a mis en place une application mobile sur laquelle sont répertoriées diverses missions de très courte durée, s’inscrivant dans la vie quotidienne des consommateurs, consistant, pour le particulier qui y souscrit, appelé « clicwalker », à collecter des données ou à donner son avis sur un produit, une vitrine, une expérience client ou une pratique commerciale via cette application en contrepartie de quelques euros ou de points-cadeaux ; qu’en retenant, pour déclarer la société [2] et Mme [U] coupables de travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, que les « clicwalkers » étaient liés par un contrat de travail à cette société, lorsqu’elle constatait que ceux-ci étaient libres d’accepter ou non les missions disponibles sur l’application et de les abandonner, qu’ils étaient également libres de gérer leur temps comme ils l’entendaient et qu’ils ne percevaient qu’une faible rémunération, ce dont il se déduisait qu’ils bénéficiaient d’une liberté totale exclusive d’un lien de subordination, dont l’exercice n’était pas même limité par un état de dépendance économique, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-5 du code du travail ;

2°/ que pour retenir l’existence d’un lien de subordination entre la société [2] et les « clicwalkers », la cour d’appel relève d’abord que les missions sont parfois très précises, ce dont elle déduit que la société dispose du pouvoir de donner des ordres et des directives aux « clicwalkers » puis ajoute que la société contrôle la bonne exécution de la prestation et dispose d’un pouvoir de sanction consistant à ne pas rémunérer le « clicwalker » et à ne pas rembourser les frais éventuellement exposés lorsque la mission n’a pas été exécutée conformément aux modalités prescrites ; qu’en prononçant ainsi, lorsque la société n’exerce aucun pouvoir de direction mais se borne à proposer des missions détaillées auxquelles les particuliers sont totalement libres de souscrire ou non après avoir pris connaissance du contenu de la mission, que le contrôle exercé, qui n’intervient qu’une fois la mission achevée, consiste uniquement à vérifier l’exécution de l’obligation contractuelle qui est la cause de la gratification, et que l’absence de rémunération sanctionne exclusivement le défaut d’exécution de cette obligation librement souscrite, la cour d’appel, qui s’est prononcée par des motifs impropres à caractériser un lien de subordination, n’a pas justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-5 du code du travail ;

3°/ que les juges correctionnels ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n’accepte expressément d’être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu’en l’espèce, les exposantes sont poursuivies pour des faits supposément commis « entre courant juillet 2015 et courant juin 2016 » ; que, dès lors, en se fondant, pour retenir que la société [2] disposait d’un pouvoir de sanction et en déduire l’existence d’un lien de subordination, que, jusqu’en 2014, les conditions générales prévoyaient qu’un contributeur pouvait être banni et son compte fermé en cas de manquement répété aux spécificités techniques demandées ou à défaut de transmission des éléments dans les délais annoncés, la cour d’appel a violé les articles 388 et 512 du code de procédure pénale et méconnu le principe ci-dessus énoncé ;

4°/ que pour retenir que la société [2] disposait d’un pouvoir de sanction et en déduire l’existence d’un lien de subordination, la cour d’appel énonce que si la clause des conditions générales selon laquelle « en cas de manquement répété par le « clicwalker » quant aux spécificités techniques demandées ou à défaut de transmission des éléments dans les délais annoncés celui-ci pourra se voir exclu du réseau » a été supprimée en 2015, il est apparu dans les faits que, postérieurement à cette date, la société avait pu « bannir » certains utilisateurs tel qu’en atteste un courriel daté du 22 juillet 2015 signifiant à un « clicwalker » la clôture de son compte utilisateur pour avoir utilisé une photo non conforme ; qu’en se déterminant ainsi, lorsqu’il ne pouvait être déduit de la clôture du compte utilisateur de ce membre que la société prévenue détenait un pouvoir hiérarchique sur les « clicwalkers » dès lors que cette clôture ne sanctionnait pas un manquement dans l’exécution d’une mission ou d’une prestation de travail mais l’utilisation d’une photo non conforme, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-5 du code du travail ;

5°/ que le contrat de travail ne peut exister qu’en présence d’une prestation de travail, laquelle consiste en une activité professionnelle, c’est-à-dire exercée de manière habituelle ou régulière afin d’en tirer des revenus ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que les « clicwalkers », dont les compétences professionnelles n’étaient pas contrôlées et qui étaient libres d’accepter les missions proposées, étaient rémunérés de quelques euros par mission et que seuls 27 d’entre eux avaient perçu plus de 600 euros en 2015 ; qu’en retenant qu’un contrat de travail les liait à la société [2], lorsqu’il ressortait de ces constatations que les missions proposées l’étaient non en considération des aptitudes professionnelles des « clicwalkers » mais au regard de leur seule qualité de consommateurs et qu’elles n’étaient par ailleurs qu’occasionnelles et peu rémunératrices, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé la fourniture d’une prestation de travail, a violé les articles au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail :

11. Il se déduit de ces textes que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié suppose que soit établie l’existence d’un lien de subordination.

12. La Cour de cassation juge que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187, Bull. 1996, V, n° 386).

13. L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Ass. plén., 4 mars 1983, pourvois n° 81-11.647 et 81-15.290, Bull. 1983, Ass. plén., n° 3 ; Soc., 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-40.572, Bull. 2000, V, n° 437 ; Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, publié au Bulletin).

14. En l’espèce, pour infirmer le jugement et caractériser notamment l’existence d’un lien de subordination entre la société prévenue et les « clicwalkers », l’arrêt énonce que les missions qui leur sont confiées ainsi que les consignes et directives pour les exécuter peuvent être très précises.

15. Les juges ajoutent que la société contrôle la bonne exécution de la prestation, afin de vérifier qu’elle correspond à la commande de son client.

16. Ils relèvent encore que ce contrôle s’accompagne d’un pouvoir de sanction puisque si la mission est rejetée, celui qui l’a exécutée ne sera pas rémunéré et ses frais ne seront pas remboursés.

17. Ils constatent enfin que même si les conditions générales de la plate-forme ne le prévoient plus depuis 2014, la mauvaise exécution répétée des missions a entraîné la clôture du compte de certains utilisateurs en 2015.

18. Ils en déduisent que les utilisateurs de la plate-forme exécutent une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et qu’ainsi la qualification de contrat de travail doit être retenue.

19. En prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

20. En effet, n’exécute pas une prestation de travail sous un lien de subordination le particulier qui accepte, par l’intermédiaire d’une plate-forme numérique gérée par une société, d’exécuter des missions telles que décrites précédemment dès lors qu’il est libre d’abandonner en cours d’exécution les missions proposées, qu’il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution, que la société ne dispose pas, pendant l’exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l’exécution de ses directives et d’en sanctionner les manquements, quand bien même la correcte exécution des missions est l’objet d’une vérification par la société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés, en cas d’exécution non conforme.

21. Il s’ensuit que la cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. N’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, les faits n’étant susceptibles d’aucune autre qualification pénale, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 10 février 2020 ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq avril deux mille vingt-deux.

 


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