Droit des applications mobiles : 31 octobre 2019 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/02005

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Droit des applications mobiles : 31 octobre 2019 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/02005
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 31 OCTOBRE 2019

N° RG 19/02005 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TCLO

AFFAIRE :

[H] [D]

C/

SAS DUNASYS INGENIERIE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 08 Février 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° RG : 2018R01133

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Claire RICARD

Me Stéphane CHOUTEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRENTE ET UN OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [H] [D]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5] (ALGÉRIE)

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2190541

assisté de Me Amélie BLANC LAVAL de l’AARPI ALBA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R132 –

SAS SMARTO agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 800 571 937

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2190541

assistée de Me Amélie BLANC LAVAL de l’AARPI ALBA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R132 –

APPELANTS

****************

SAS DUNASYS INGENIERIE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 800 754 830

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane CHOUTEAU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – N° du dossier 004223 –

assistée de Me Grégory MOUY de la SELEURL MOUY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1112

SAS D-R GROUP (ANCIENNEMENT DÉNOMMÉE ‘DUNASYS’) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 500 675 707

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Stéphane CHOUTEAU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – N° du dossier 004223 –

assistée de Me Grégory MOUY de la SELEURL MOUY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1112

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 Septembre 2019, Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, président,

Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,

Madame Marie LE BRAS, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [D] et M. [K], anciens salariés du groupe LGM, ont créé ensemble, en novembre 2007, la SAS Dunasys (aujourd’hui D-R Group), dans le but de développer et commercialiser l’offre réseaux embarqués du groupe LGM. M. [D] a alors occupé les fonctions de directeur technique de la SAS Dunasys et M. [K] celle de président de la société.

En 2013, la société Dunasys Ingénierie a été créée en vue de l’apport complet à cette dernière de la branche d’activité d’ingénierie de la société Dunasys.

Un contrat d’apport du 4 août 2017 a ainsi transféré à la société Dunasys Ingénierie la majeure partie de l’activité de D-R Group dédiée à la réalisation de prestations informatiques et au développement de boîtiers connectés.

Le 11 octobre 2013, la société Dunasys a licencié M. [D] pour faute grave.

Par jugement du 20 avril 2017, le conseil de prud’hommes de Nanterre a jugé que le licenciement de M. [D] était fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’a condamné au paiement d’une indemnité au titre de la violation de la clause de non-concurrence contenue dans son contrat de travail.

M. [D] a relevé appel de ce jugement, l’appel est actuellement pendant devant la cour d’appel de Versailles.

En février 2014, suite à son licenciement, M. [D], toujours actionnaire de D-R Group, a créé la SAS Smarto, dont il est le président.

Cette société a pour objet le développement et la commercialisation de produits innovants dans le domaine des objets connectés et son objet social est similaire à celui de la société Dunasys Ingénierie.

La société Smarto a développé un ‘dongle’ (sorte de clé USB pour connecter un véhicule à un smartphone par le biais du bluetooth et remonter les informations au véhicule) appelé ‘Microlink’ pour le ‘Business to Business’ (B2B) et ‘CarAlgo’ auprès du grand public et commercialise ainsi depuis 2017 des boîtiers connectés pour véhicules.

La société D-R Group et la société Dunasys Ingénierie commercialisent également depuis 2016 un ‘dongle D-CAR bluetooth’ et un boîtier ‘D-CAR 3G’ destinés tant aux professionnels qu’aux particuliers.

Au mois d’avril 2017, M. [D] a notifié à la société D-R Group son souhait de céder 13 000 actions sur les 140 000 qu’il détenait dans le capital social à la société Smarto. Les actionnaires ont refusé d’agréer cette cession, la société D-R Group indiquant vouloir racheter elle-même ces actions, ce qui a été refusé par M. [D] au prix proposé.

En janvier 2018, M. [D] a de nouveau informé la société D-R Group de son souhait de céder 27 000 actions supplémentaires à la société Smarto. La demande d’agrément a été une nouvelle fois refusée par l’assemblée générale des actionnaires de la société D-R Group.

La société D-R Group a finalement racheté les 40 000 actions de M. [D] conformément à l’évaluation faite par l’expert [Y], désigné par ordonnance du 28 février 2018 par le président du tribunal de commerce de Versailles.

Enfin M. [D] a une nouvelle fois notifié à la société D-R Group, en 2019, son souhait de céder 30 000 actions au profit de sa société Smarto, et cette demande a été rejetée.

Dans ce contexte, la société Dunasys, considérant que les produits commercialisés par la société Smarto étaient similaires à ceux qu’elle a développés depuis de nombreuses années alors même que M. [D] était encore salarié dans son service de recherches et soupçonnant des actes de concurrence déloyale par l’utilisation de son savoir-faire et un abus du droit de céder ses actions au profit de sa société Smarto, a, avec la société Dunasys Ingénierie, déposé une requête devant le président du tribunal de commerce de Nanterre le 13 avril 2018 aux fins de mesure d’instruction in futurum, sollicitant la désignation d’un huissier de justice chargé de se rendre dans les locaux de la société Smarto afin de rechercher des éléments de preuve au soutien d’une action future en concurrence déloyale.

Par ordonnance sur requête rendue le 30 avril 2018, le président du tribunal de commerce de Nanterre a accueilli la demande et désigné la SCP Venezia et Associés, huissiers de justice, pour réaliser les opérations de constat.

Par ordonnance sur requête du 18 mai 2018, il a été procédé au changement de l’huissier instrumentaire.

Par ordonnance sur requête du 14 juin 2018, le président du tribunal de commerce a accordé un nouveau délai d’un mois pour procéder à l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée.

Les opérations de constat ont été réalisées le 28 juin 2018 et les éléments appréhendés par l’huissier de justice ont été placés sous séquestre.

Par acte en date du 31 octobre 2018, la société Smarto et M. [D] ont saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre aux fins de rétractation des ordonnances sur requête rendues les 30 avril, 18 mai 2018 et 14 juin 2018.

Par ordonnance contradictoire rendue le 27 mars 2019, le juge des référés a :

– rétracté partiellement l’ordonnance rendue le 30 avril 2018 et limité les documents saisis et séquestrés par Maître [U], huissier de justice :

– aux documents qui comprennent un ou plusieurs des mots figurant sur la pièce 18 déposée par la SAS Dunasys Ingénierie et la SAS D-R group à l’appui de leur requête,

– aux documents dans lesquels figure le nom de personnes salariées des sociétés Dunasys Ingénierie et D-R Group jusqu’en 2014,

– à la liste des clients actuels et anciens communs aux société Dunasys Ingénierie et Smarto,

– à l’exclusion des documents mentionnant le nom des produits MicroLink et CarAlgo,

– dit qu’il sera dressé par l’huissier un nouveau procès-verbal du tout, qui sera adressé aux parties,

– dit n’y avoir lieu à lever le séquestre et que l’ensemble des éléments ainsi recueillis par l’huissier seront conservés par lui, en séquestre, sans qu’il puisse en donner connaissance ou en remettre copie aux SAS D-R Group et Dunasys Ingénierie avant d’y être autorisé par un juge saisi au fond et sur justification de l’extinction des voies de recours,

– condamné la SAS Smarto et M. [H] [D] à payer aux SAS Dunasys Ingénierie et D-R group la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le19 mars 2019, la société Smarto et M. [D] ont relevé appel de cette décision:

– en ce qu’elle a rétracté seulement partiellement l’ordonnance rendue le 30 avril 2018,

– en ce qu’elle n’a pas rétracté les ordonnances rendues à leur préjudice le 18 mai 2018 et le 14 juin 2018,

– en ce qu’elle a omis de prononcer la nullité des mesures d’instruction effectuées en exécution des dites ordonnances,

– en ce qu’elle a seulement limité les documents saisis et séquestrés au lieu de les écarter intégralement en annulant les mesures de saisie et de séquestre,

– en ce qu’elle a condamné les appelants à payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 4 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Smarto et M. [D], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 145, 496 et 497 du code de procédure civile, de:

Sur l’appel principal, en application de l’article 542 du code de procédure civile,

– infirmer l’ordonnance de référé du 8 février 2019 :

– en ce qu’elle a rétracté seulement partiellement l’ordonnance rendue le 30 avril 2018,

– en ce qu’elle n’a pas rétracté les ordonnances rendues à leur préjudice le 18 mai 2018 et le 14 juin 2018,

– en ce qu’elle a omis de prononcer la nullité des mesures d’instruction effectuées en exécution des dites ordonnances,

– en ce qu’elle a seulement limité les documents saisis et séquestrés au lieu de les écarter intégralement en annulant les mesures de saisie et de séquestre,

– infirmer encore l’ordonnance en ce qu’elle les a condamnés à payer à la SAS Dunasys Ingénierie et à la SAS D-R Group la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande des sociétés Dunasys Ingénierie et D-R Group aux fins de se voir remettre l’ensemble des éléments recueillis par huissier,

– condamner in solidum les sociétés Dunasys Ingénierie et D-R Group à leur payer la somme de 30 000 euros au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– condamner in solidum les sociétés Dunasys Ingénierie et D-R Group à leur payer à chacun la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum les intimées aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Maître Claire Ricard, avocat postulant, pour la part lui revenant en vertu de l’article 699 du code de procédure civile,

Sur l’appel incident des SAS Dunasys Ingénierie et D-R Group,

– juger l’appel incident mal fondé,

En conséquence,

– débouter les SAS Dunasys Ingénierie et D-R Group de l’intégralité de leurs demandes.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 5 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la SAS Dunasys Ingénierie et la SAS D-R Group, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour, au visa des articles 145, 496, 497 et 564 du code de procédure civile, de :

Sur la demande de rétractation des ordonnances rendues les 30 avril, 18 mai et 14 juin 2018,

– ‘dire et juger’ que les éléments qu’elles ont présentés à l’appui de leurs requêtes constituaient bien des indices suffisamment précis et pertinents de ce qu’elles considéraient être des actes portant atteinte à leurs droits,

– ‘dire et juger’que les mesures d’instruction ordonnées par les trois ordonnances rendues les 30 avril, 18 mai et 14 juin 2018 par le président du tribunal de commerce de Nanterre procédaient d’un motif légitime de conserver ou d’établir une preuve avant tout procès, qu’elles étaient nécessaires et proportionnées à la protection des droits qu’elles ont invoqués, dans ces effets à l’objectif poursuivi,

-‘ dire et juger’ que la nécessité de solliciter les mesures d’instruction de façon non contradictoire est justifiée eu égard au risque de déperdition des éléments de preuve nécessaires à l’action projetée, en cas de débat contradictoire avec la SAS Smarto,

– ‘dire et juger’que l’ensemble des conditions posées par l’article 145 du code de procédure civile ont été respectées,

En conséquence,

A titre principal,

– ‘dire et juger’n’y avoir lieu à rétractation des ordonnances rendues les 30 avril, 18 mai et 14 juin 2018,

– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a partiellement rétracté l’ordonnance du 30 avril 2018 en limitant les documents saisis et séquestrés par Maître [U], huissier de justice, alors qu’il n’y avait nullement lieu à rétractation de ladite ordonnance,

– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a dit qu’il sera dressé par l’huissier un nouveau procès-verbal du tout qui sera adressé aux parties,

A titre subsidiaire,

– confirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a partiellement rétracté l’ordonnance du 30 avril 2018 en limitant les documents saisis et séquestrés par Maître [U], huissier de justice,

– confirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a dit qu’il sera dressé par l’huissier un nouveau procès-verbal du tout, qui sera adressé aux parties,

Sur la demande de levée de séquestre qu’elles ont formulée,

– ‘dire et juger’ que le juge des référés est compétent pour ordonner la levée du séquestre de l’ensemble des documents et fichiers sélectionnés et conservés en séquestre par Maître [B] [U], huissier de justice, en exécution de l’ordonnance rendue sur requête le 18 mai 2018 par le président du Tribunal de commerce de Nanterre,

– constater, au regard des mentions figurant au procès-verbal de constat sur ordonnance dressé le 28 juin 2018 par Maître [B] [U], huissier de justice, que leurs soupçons d’actes de concurrence déloyale commis par la SAS Smarto à leurs préjudices étaient bien fondés,

– constater que leur accès aux trente-six fichiers sélectionnés et conservés en séquestre par Maître [B] [U], huissier de justice, en exécution de l’ordonnance rendue sur requête le 18 mai 2018 par le président du tribunal de commerce de Nanterre, est nécessaire à l’engagement par elles d’une action au fond, à l’encontre de la SAS Smarto et de son dirigeant, sur le fondement de la concurrence déloyale,

En conséquence,

– infirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à lever le séquestre et que l’ensemble des éléments ainsi recueillis par l’huissier seront conservés par lui, en séquestre, sans qu’il puisse leur en donner connaissance ou leur en remettre copie, avant d’y être autorisé par un juge saisi au fond et sur justification de l’extinction des voies de recours,

– ordonner la levée du séquestre de l’ensemble des documents et fichiers sélectionnés et conservés en séquestre par Maître [B] [U], huissier de justice, en exécution de l’ordonnance rendue sur requête le 18 mai 2018 par le président du tribunal de commerce de Nanterre,

En tout état de cause,

– ‘dire et juger’ que la demande formulée par la SAS Smarto et M. [H] [D] de leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive est une prétention nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure et est donc irrecevable,

– ‘dire et juger’que la demande formulée par la SAS Smarto et M. [H] [D] de leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive est en outre infondée,

– débouter la SAS Smarto et M. [H] [D] de leur demande tendant à voir les intimées condamnées au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts,

– débouter la SAS Smarto et M. [H] [D] de l’ensemble des demandes, fins et conclusions dirigées à leur encontre,

– confirmer l’ordonnance de référé rendue le 8 février 2019 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu’elle a condamné la SAS Smarto et M. [H] [D] à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner, s’agissant de la procédure d’appel, in solidum la SAS Smarto et M. [H] [D] à leur payer à chacune la somme de 7 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner solidairement la SAS Smarto et M. [H] [D] aux dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 septembre 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à ce qu’il soit ‘dit et jugé’ en ce qu’elles constituent des moyens et non des prétentions.

I- Sur le bien fondé de la requête

Selon l’article 145 du code de procédure civile, ‘s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’.

Le juge, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et tenu d’apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

L’urgence n’est pas une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 ; l’existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre de la mesure sollicitée, l’application de cet article n’impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé.

A- l’absence d’instance au fond

Les appelants soutiennent que la mesure d’instruction n’a pas été sollicitée avant tout procès puisque les parties sont en litige depuis décembre 2013 et qu’un jugement a été rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre. Ils font valoir que la société Dunasys reproche à M. [D] d’avoir violé sa clause de non-concurrence en créant la société Smarto après son licenciement et d’avoir copié son produit ‘D-Car’ et qu’il existe entre les deux litiges une identité d’objet et de protagonistes, les sociétés Dunasys s’étant fondées dans leur requête sur le jugement du conseil de prud’hommes pour solliciter une mesure d’instruction qui couvre la même période que celle intéressant le procès prud’homal. Ils estiment que la recherche de preuves ne va servir qu’au procès en appel devant la chambre sociale.

Les sociétés Dunasys répliquent en indiquant que le procès prud’homal ne concerne que la société D-R Group et M. [D], qu’il n’y a donc pas identité de parties, que la requête déposée tend à la recherche d’éléments de preuve pouvant servir à un procès futur en concurrence déloyale à l’encontre de la société Smarto et de son dirigeant et que les litiges ne portent pas sur les mêmes faits, ne couvrent pas la même période et que les actions ont des fondements juridiques distincts.

L’absence d’instance au fond constitue une condition de recevabilité de la demande formée en application de l’article 145 du code de procédure civile et doit s’apprécier à la date de saisine du juge de la requête.

C’est de manière inopérante que les appelants invoquent une identité des litiges en cause, dès lors que le procès prud’homal engagé antérieurement au dépôt de la requête ne concerne que la société D-R Group et son ancien salarié, M. [D], que ce procès, fondé sur la responsabilité contractuelle, porte sur la régularité du licenciement et la violation de la clause de non-concurrence contenue au contrat de travail de M. [D], qui a expiré le 11 octobre 2014, tandis que la requête vise expressément la recherche d’éléments de preuve au soutien d’une action en concurrence déloyale à l’encontre de la société Smarto, dont M. [D] est le dirigeant, fondée sur la responsabilité délictuelle, portant sur une période postérieure à l’expiration de la clause de non-concurrence.

La requête vise également des faits distincts qui seraient constitutifs d’un abus du droit de céder ses actions par M. [D] au profit de la société concurrente Smarto, dans une volonté de nuire à la société Dunasys.

Il peut être ajouté que le juge de la requête a eu connaissance de l’existence de l’instance prud’homale en cours, dont il est fait mention expresse dans la requête, la copie du jugement rendu le 20 avril 2017 figurant dans les pièces annexées à la requête.

La mesure d’instruction sollicitée par voie de requête portant sur un litige futur distinct du litige prud’homal et n’opposant pas les mêmes parties, la condition tenant à l’absence d’instance au fond était donc remplie à la date du dépôt de la requête, laquelle était recevable.

Il n’y a donc pas lieu à rétracter l’ordonnance sur requête pour ce motif.

B- l’existence d’un motif légitime

Au soutien de leur requête visant à rechercher les éléments de preuve nécessaires à une action en responsabilité délictuelle et en indemnisation de leurs préjudices, les sociétés D-R Group et Dusnasys Ingénierie dénoncent des actes de concurrence déloyale par utilisation de leur savoir-faire et de la technologie innovante qu’elles ont développée en matière de boîtiers connectés pour véhicules depuis 2008, et en dernier lieu à travers leur produit ‘D-CAR’ offrant une multitude de services, qu’elles estiment avoir été copié par la société Smarto avec la commercialisation en 2017 de ses boîtiers ‘ CarAlgo’ et ‘MicroLink’.

Les requérantes, parallèlement aux actes de concurrence déloyale dénoncés, font état de soupçons d’abus du droit de céder ses actions commis par M. [D], en sa qualité d’actionnaire de la société D-R Group, ce dernier ayant à deux reprises notifié son souhait de céder ses actions à la société Smarto qu’il dirige, afin de faire entrer sa société concurrente dans le capital social de la société Dunasys.

Il résulte de l’article 145 que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu’il doit justifier d’éléments rendant crédibles les griefs allégués.

* sur les actes de concurrence déloyale

Il est constant que M. [D] a créé au mois de février 2014, peu de temps après son licenciement le 11 octobre 2013, une société d’ingénierie concurrente de son ancien employeur, la société Smarto, et que le conseil des prud’hommes de Nanterre l’a condamné, par jugement du 20 avril 2017, pour n’avoir pas respecté la clause de non-concurrence d’une durée de un an stipulée dans son contrat de travail et dont il n’avait pas été délié par la société Dunasys, un appel ayant été toutefois interjeté de ce jugement.

Il est tout aussi constant que la société Dunasys justifie avoir développé des boîtiers connectés pour véhicules à partir notamment de la solution technique Telediag pour laquelle elle a présenté le 24 juillet 2013 une offre commerciale de développement de prototypes à PSA Peugeot Citroën par l’intermédiaire de M. [D], son directeur technique, en commercialisant un produit ‘D-CAR’ à partir de 2014, décliné à compter de l’année 2016 sous deux formes ‘D-CAR Bluetooth’ et ‘D-CAR 3G’.

Il est par ailleurs établi que la société Smarto a développé dans un premier temps des objets connectés pour le grand public dans le domaine du sport et de la santé pour se tourner ensuite vers les ‘dongle’ à partir de 2015, étant souligné que M. [D] n’était alors plus lié par la clause de non-concurrence.

Si les ‘dongle’ commercialisés par la société Smarto à compter de juillet 2017 présentent des similitudes apparentes de forme avec ceux des sociétés Dunasys, la cour constate toutefois que tous les ‘dongle’ vendus sur le marché se présentent comme des boîtiers connectés plus ou moins similaires.

De même la plupart de ces produits proposent tous la même technologie OBD/CAN/Bluethooth et permettent l’affichage d’informations en temps réel sur smartphones via des applications mobiles, étant relevé que les sociétés Dunasys ne commercialisent que les boîtiers sans aucune application mobile, contrairement à la société Smarto.

Les fonctionnalités proposées par les sociétés Dunasys se retrouvent également chez bon nombre de sociétés concurrentes et pour certaines, n’existent pas dans les produits Smarto (GPS pour la géolocalisation, carte Wifi et 3G, SD-Card pour les enregistrements en local, protocole MQTT pour la sécurisation des données), ce qui n’est pas contredit par les sociétés intimées.

Il peut être ajouté que cette technologie a été explorée par un grand nombre de ‘Start-up’ ainsi que l’explique un article de presse sur les ‘nouveaux acteurs de la voiture connectée’ en date du 10 juillet 2017, sur le site internet de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (pièce appelants 22), qui ne mentionne d’ailleurs pas les produits D-CAR commercialisés par les sociétés Dunasys dont la renommée n’est nullement démontrée.

N’est pas plus pertinente l’allégation selon laquelle des années de recherche auraient été nécessaires pour développer un ‘dongle OBD’, s’agissant d’un domaine dans lequel les évolutions technologiques sont très rapides et où la recherche et le développement s’inscrivent nécessairement sur des périodes plus courtes, ce qui est expressément mentionné par plusieurs sociétés créées en 2014 ou 2015, telles que les sociétés Drust, Movibia (devenue Eliocity) et Awaken.

Il peut être ajouté que les développements des appelants relatifs à l’absence de débauchage de salariés ou de détournement de clients sont sans objet, ces éléments n’étant pas invoqués dans leur requête par les sociétés Duansys au soutien de leur demande de mesure probatoire.

La cour relève également qu’il n’existe aucun indice :

– d’un quelconque transfert de savoir-faire par les cinq anciens salariés ingénieurs de Dunasys (liste pièce 41) au profit de la société Smarto, lesquels ont rejoint pour quatre d’entre eux la société LGM Group Vélizy, seule l’ancienne responsable RH, Mme [S], qui a quitté la société Dunasys en novembre 2013, ayant été engagée par la société Smarto le 2 février 2015,

– sur un détournement de clientèle par la société Smarto, étant souligné que la liste produite aux débats et établie par les requérantes, d”anciens et actuels’ clients des sociétés Dunasys (pièce 40), ne repose que sur leurs affirmations sans aucun élément justificatif, et qu’il est établi par les appelants que les trois clients qu’ils reconnaissent avoir ‘en commun’, les sociétés Smile, Philog et Oocar, sont pour deux d’entre eux, Smile et Philog, des clients de la branche ‘assistance technique’ qui n’est pas concernée par le présent litige tandis que la société Oocar n’a jamais été cliente des sociétés Dunasys ainsi qu’en atteste son président.

Il convient de rappeler à cet égard que les sociétés requérantes ne peuvent se prévaloir des résultats de la mesure d’instruction, et en particulier du procès-verbal de constat dressé le 28 juin 2018, pour soutenir qu’il existe un plus grand nombre de clients communs aux sociétés en litige et il est en outre parfaitement inopérant pour les requérantes d’inverser la charge de la preuve qui leur incombe en énonçant que les appelants ne démontrent pas qu’il n’y aurait que trois clients en commun mais également qu’ils n’établissent pas l’absence d’utilisation par eux de son savoir-faire et de sa documentation technique.

Enfin il résulte des pièces produites aux débats, qui ne sont pas utilement contredites par les sociétés Dunasys, que celles-ci n’ont subi aucune baisse de leur chiffre d’affaires et que l’activité de vente des produits litigieux ne représente qu’une faible proportion du chiffre d’affaires respectif des sociétés concurrentes, soit moins de 2,5% de leur chiffre d’affaires.

Dès lors, en l’absence d’un faisceau d’indices suffisants sur le détournement allégué du savoir-faire des sociétés Dunasys par la société Smarto à travers les agissements de son dirigeant, M. [D], le motif légitime n’est pas caractérisé au soutien de la demande de mesure d’instruction in futurum.

* sur l’abus du droit de céder ses actions

La société D-R Group invoque la nécessité de rechercher des éléments de preuve de nature à établir un éventuel abus commis par M. [D] de son droit de céder ses 140 000 actions à la société Smarto, en faisant état des projets de cession d’actions successifs qui lui ont été notifiés par son actionnaire les 28 avril 2017 (13 000 actions), 5 janvier 2018 (27 000 actions) et 10 avril 2019 (30 000 actions), par ‘blocs d’actions’, à un prix manifestement excessif eu égard à l’évaluation faite par l’expert judiciaire le 18 janvier 2019, désigné par le président du tribunal de commerce de Versailles les 28 février et 24 octobre 2018, estimant que ces actes témoignent d’une volonté de nuire manifeste de M. [D].

M. [D] conteste ces allégations en indiquant que ces opérations ont un but fiscal, qu’il est parfaitement indifférent que lui même ou sa holding, la société Smarto, soit actionnaire, que la cession des actions concerne la seule holding D-R Group et non la société d’exploitation Dunasys Ingénierie, que depuis le prononcé de l’ordonnance entreprise, la société D-R Group a racheté 40 000 actions au prix fixé par l’expert judiciaire et qu’il a accepté de céder l’intégralité de ses actions à la société D-R Group, certes à un prix supérieur mais qui compenserait l’absence de dividendes depuis 12 ans.

S’il est exact qu’à trois reprises, M. [D] a sollicité l’agrément de la société D-R Group aux fins de cession à la société Smarto d’une partie des actions qu’il détient dans le capital social de la société D-R Group et que cet agrément a été refusé, que la société D-R Group a été contrainte de solliciter la désignation d’un expert judiciaire chargé de procéder à l’évaluation de ces actions, la requérante ne précise pas quels éléments de preuve complémentaires elle entend rechercher à travers la mesure d’instruction in futurum sollicitée, non contradictoire, aux fins d’une action éventuelle en indemnisation au titre de l’abus de droit de céder ses actions de son actionnaire, qui pourraient être utiles à la préservation de ses droits, alors qu’au surplus, elle est en mesure d’évaluer le préjudice financier qu’elle allègue résultant des demandes d’agrément de cession d’actions répétées de son actionnaire.

Une telle mesure ne saurait être ordonnée pour caractériser la seule intention de nuire de son actionnaire, qu’elle est à même de démontrer à travers les éléments de preuve dont elle dispose.

Dès lors elle ne justifie d’aucun motif légitime au soutien de sa demande de mesure d’instruction probatoire portant sur les faits dénoncés d’abus du droit de céder ses actions par M. [D].

C’est donc à bon droit que le premier juge a écarté de la recherche probatoire les éléments relatifs à un éventuel abus du droit de céder ses actions par M. [D].

Outre l’absence de motif légitime caractérisé, les mesures ordonnées excèdent manifestement les prévisions et limites de l’article 145 du code de procédure civile.

C- Sur l’étendue des mesures

Les appelants soutiennent que les mesures qui ont été ordonnées par le juge de la requête sont disproportionnées et s’apparentent à une véritable perquisition civile. En effet, l’huissier de justice a été autorisé à effectuer toutes recherches et à prendre copie de tous documents qu’il estimera utiles à sa mission, permettant la caractérisation d’actes de concurrence déloyale, et ses investigations ne sont pas suffisamment limitées par l’utilisation de mots-clés puisqu’il a été contraint d’en définir un certain nombre par lui-même sur proposition des requérantes.

Les sociétés intimées font valoir que la recherche est circonscrite dans le temps et dans son objet, qu’elle porte non pas sur l’ensemble des clients de la société Smarto mais seulement sur les clients communs aux sociétés concurrentes, que l’ordonnance vise des listes précises de mots-clés qui sont pertinents (pièces 18 et 40), et qu’elle autorise des recherches sur les anciens salariés susceptibles d’avoir transmis des éléments de leur savoir-faire.

Au sens de l’article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.

Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

Enfin, le juge de la rétractation peut modifier la mission en la complétant ou l’amendant afin qu’elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, conformément à l’article 149 du code de procédure civile.

La mission confiée à l’huissier de justice, autorisé à se faire assister de tout expert en informatique, à accéder aux boîtes de messagerie professionnelle de M. [D] au sein de la société Smarto et à l’ensemble des serveurs et postes informatiques locaux ou distants de la société Smarto et de son dirigeant, est libellée comme suit :

‘- Se faire remettre copie de tous documents techniques et commerciaux, fichiers clients ou prospects des requérantes et correspondances échangées entre M. [H] [D] et d’anciens et actuels clients des requérantes, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, de nature à établir d’éventuels actes de concurrence déloyale commis par la SAS Smarto à l’encontre des requérantes, à savoir une appropriation de leur savoir-faire ou une utilisation de leur documentation technique ou tout autre document relatif à leurs activités et un détournement de leur clientèle, pour la période courant de août 2013 au 30 avril 2018, (point 4)

– Rechercher au sein de la SAS Smarto la présence, sur quelque support qu’ils soient, informatique ou autre, des documents techniques sur les produits commercialisés par les requérantes et dont la liste est annexée à la présente (pièce n° 18), (point 5)

– Se faire remettre copie de tous documents, fichiers, et correspondances, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, situés tant sur l’ordinateur et la messagerie professionnelle de M. [H] [D], que sur le(s) centre(s) de traitement des données utilisé(s) par ce dernier, de nature à établir un éventuel abus, commis par M. [H] [D], de son droit de céder ses actions au profit de la SAS Smarto, pour la période courant de janvier 2017 au 30 avril 2018, (point 6)

– Dresser notamment une liste récapitulative précise de l’intégralité des clients et partenaires commerciaux de la SAS Smarto, communs aux anciens et actuels clients ou partenaires commerciaux des requérantes dont la liste est annexée à la présente (pièce n° 40) qui figurent dans les documents, sur quelque support qu’ils soient, saisis lors des opérations et émanant de la SAS Smarto (courriers ou fax, mails, contrats, contacts ), que ce soient des clients ou partenaires seulement démarchés ou en contact que des clients ou partenaires ayant déjà contractés avec la SAS Smarto, (point 7)

– Prendre copie au sein de la SAS Smarto de l’ensemble des documents papiers ou informatiques de nature à établir des actes de concurrence déloyale commis par la SAS Smarto et son dirigeant, M. [H] [D], au préjudice des requérantes, à savoir une appropriation de leur savoir-faire ou une utilisation de leur documentation technique ou tout autre document relatif à leurs activités et un détournement de leur clientèle, pour la période de courant de août 2013 au 30 avril 2018″. (point 8)

Si les mesures ordonnées sont circonscrites dans le temps, la recherche devant être réalisée à compter d’août 2013 ou janvier 2017, la cour relève en revanche :

– que l’huissier de justice, à travers le libellé de sa mission, se voit confier un pouvoir d’appréciation sur les documents à appréhender puisqu’il est mentionné, en des termes très généraux, sans détermination de mots-clés, qu’il doit :

* ‘Se faire remettre copie de tous documents techniques et commerciaux, fichiers clients ou prospects des requérantes et correspondances échangées entre M. [H] [D] et d’anciens et actuels clients des requérantes, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, de nature à établir d’éventuels actes de concurrence déloyale commis par la SAS Smarto’,

* Se faire remettre copie de tous documents, fichiers, et correspondances, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, situés tant sur l’ordinateur et la messagerie professionnelle de M. [H] [D], que sur le(s) centre(s) de traitement des données utilisé(s) par ce dernier, de nature à établir un éventuel abus, commis par M. [H] [D], de son droit de céder ses actions au profit de la SAS Smarto’

* ‘prendre copie au sein de la société Smarto de l’ensemble des documents papiers ou informatiques de nature à établir des actes de concurrence déloyale commis par la société Smarto et son dirigeant, M. [H] [D], au préjudice des requérantes, à savoir une appropriation de leur savoir-faire ou une utilisation de leur documentation technique ou tout autre document relatifs à leurs activités et un détournement de clientèle’

– que la recherche ordonnée concernant les clients et partenaires communs aux deux sociétés doit s’opérer à partir d’une liste de 42 noms établie par les requérantes (pièce 40), lesquelles ne démontrent nullement que les noms mentionnés sur cette liste sont effectivement ses clients ‘anciens ou actuels’, partenaires ou prospects,

– que l’huissier de justice instrumentaire, confronté au caractère trop général des mesures ordonnées, mentionne dans son procès-verbal de constat que les points 4, 6 et 8 de l’ordonnance prévoient des recherches sans mots-clés et qu’une liste de mots-clés lui a été communiquée par les requérantes,

– que cette liste de mots-clés, au nombre de 65, figurant en annexe 1 à 4 du procès-verbal, n’a pas été définie intégralement par le juge de la requête, et elle comprend, outre les noms de la liste ‘clients’ en pièce 40 (42 mots-clés) et celle des produits Dunasys en pièce 18 (9 mots-clés) , des mots-clés dont la pertinence n’est pas justifiée et permettant l’accès à une quantité disproportionnée de données étrangères au litige ou aux données stratégiques et commerciales de la société Smarto, tels que les mots-clés ‘action’, ‘Andr’, ‘dongle’ (mot générique), ‘CarAlgo’, ‘MicroLink’ (produits Smarto), ces mots clés n’étant pas combinés entre eux.

– que si les sociétés Dunasys ont sollicité dans leur requête que l’huissier se fasse remettre copie ‘de tous documents techniques et commerciaux, fichiers clients ou prospects des requérantes et correspondances échangées entre M. [H] [D] et d’anciens et actuels clients et salariés des requérantes, quel qu’en soit le support, informatique ou autre, de nature à établir d’éventuels actes de concurrence déloyale commis par la SAS Smarto’, l’ordonnance rendue le 30 avril 2018 a supprimé la mention relative aux salariés des sociétés requérantes, mais il résulte du procès-verbal de constat qu’une recherche a néanmoins été opérée par l’huissier instrumentaire à partir des noms des anciens salariés des sociétés Dunasys, fournis par celles-ci (pièce 41), peu important que le premier juge ait rétabli une recherche sur ce point ‘jusqu’en 2014″ dans la mission qu’il a redéfinie.

Enfin, la réduction du périmètre de la mission par le premier juge, qui n’est qu’une faculté, en ce qu’elle limite les opérations aux documents comprenant des mots de la liste 18 (produits des sociétés Dunasys), les noms des clients actuels et anciens communs aux sociétés concurrentes et des personnes salariées des sociétés Dunasys jusqu’en 2014, sans toutefois viser une liste de noms précis, et exclut les deux mots-clés ‘MicroLink’ et ‘CarAlgo’, n’est pas suffisante au regard des observations qui précèdent pour circonscrire la mesure dans son objet.

Il résulte de l’ensemble de ces constatations et énonciations que les mesures ordonnées ne sont pas circonscrites aux faits dont pourrait dépendre la solution du litige et sont de nature à porter atteinte de manière disproportionnée aux intérêts stratégiques et commerciaux de la société Smarto dès lors que le pouvoir d’investigation confié à l’huissier de justice n’est pas suffisamment limité, ce qui l’a d’ailleurs conduit à définir lui-même l’étendue de sa recherche sous le contrôle des sociétés requérantes en retenant des mots-clés sur la base de leurs propositions, et que ces 65 mots clés, qui ne sont jamais combinés entre eux, ne sont pour la plupart ni justifiés ni explicités.

L’ordonnance déférée sera donc infirmée en toutes ses dispositions et la cour, statuant à nouveau, dit y avoir lieu à rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 30 avril et les ordonnances ultérieures des 23 mai et 14 juin 2018.

Il convient de tirer les conséquences de la perte de fondement juridique, du fait de la rétractation, des opérations réalisées en vertu de l’ordonnance sur requête du 30 avril 2018 en annulant le procès-verbal de constat d’huissier du 28 juin 2018 et les opérations de visite du même jour au siège de la société Smarto, et en ordonnant à l’huissier instrumentaire de restituer à la société Smarto les pièces appréhendées lors des opérations de constat.

Du fait de la rétractation des ordonnances entreprises, les demandes incidentes des sociétés intimées relatives notamment à la levée du séquestre sont sans objet.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Les appelants sollicitent des dommages-intérêts à hauteur de la somme de 30 000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que les ordonnances sur requête ont été obtenues sur la base de déclarations mensongères et trompeuses, que M. [K], président de la société D-R Group, a utilisé des documents que M. [D] lui avait communiqués pour s’en servir ensuite contre lui, qu’il s’est livré à des actes de dénigrement chez les clients de la société Smarto, cherchant à déstabiliser celle-ci.

Les sociétés intimées font valoir que cette demande est irrecevable comme nouvelle en appel au sens des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, les éléments dont font état les appelants étant déjà connus en première instance, et qu’elle est en tout état de cause infondée.

L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages-intérêts que lorsqu’est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

En l’espèce, outre que la demande n’est pas irrecevable comme étant susceptible d’être présentée à tout moment de la procédure, l’évidente mauvaise foi et l’intention de nuire des sociétés intimées à leur concurrente ne sont pas caractérisées, étant rappelé que leur action a été reconnue partiellement légitime par le premier juge.

La demande est donc rejetée.

Sur les autres demandes

L’équité commande de faire droit à la demande des appelants présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; les sociétés intimées seront condamnées in solidum à leur verser à ce titre les sommes visées au dispositif de la présente décision.

Parties perdantes, les sociétés intimées ne sauraient prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doivent supporter les dépens de première instance et d’appel, le premier juge ayant omis de statuer sur la charge des dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME l’ordonnance rendue le 8 février 2019 en toutes ses dispositions,

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

RÉTRACTE les ordonnances sur requête rendues les 30 avril, 23 mai et 14 juin 2018,

ANNULE le procès-verbal de constat d’huissier de justice du 28 juin 2018 et les opérations de visite du même jour au siège de la société Smarto,

ORDONNE à la SCP [U]-[O], huissiers de justice, de restituer à M. [D] et à la société Smarto l’ensemble des pièces appréhendées lors des opérations de constat du 28 juin 2018,

DIT recevable la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. [D] et la société Smarto,

Les DÉBOUTE de cette demande,

CONDAMNE in solidum les sociétés D-R Group et Dunasys Ingénierie à payer à M. [D] et la société Smarto la somme de 3 000 euros à chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande,

DIT que les dépens de première instance et d’appel seront supportés in solidum par les sociétés D-R Group et Dunasys Ingénierie, et s’agissant des dépens d’appel, ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Maîté GRISON-PASCAIL, conseiller pour le président empêché et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le conseiller pour le président empêché,

 


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