Droit des applications mobiles : 27 avril 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/01302

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Droit des applications mobiles : 27 avril 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/01302
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PC/DL

ARRET N° 214

N° RG 21/01302 –

N° Portalis DBV5-V-B7F-GICI

[N] [S]

C/

S.A.S. AFFILY ONE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 27 AVRIL 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 mars 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de NIORT

APPELANT :

Monsieur [N] [S]

né le 22 mai 1982 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Ayant pour avocat Me François-Xavier MORISSET de la SCP MORISSET & MONTOIS-CLERGEAU, avocat au barreau des DEUX-SEVRES

INTIMEE :

S.A.S. AFFILY ONE

Société immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MONTPELLIER sous le n°793 711 268

dont le siège social est sis :

[Adresse 5]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat Me Pascale DELL’OVA de la SCP ROZE-SALLELES-PUECH-GERIGNY-DELL’OVA-BERTRAND-AUSSEDAT-SMALLWOOD avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Me Pascale LEAL, de la SCP Pascale LEAL et Emmanuelle RODDE, avocat au barreau de CHATEAUROUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 07 février 2023, en audience publique, devant :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, qui a présenté son rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseillère

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Damien LEYMONIS

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Damien LEYMONIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [N] [S] a été engagé le 6 novembre 2017 en qualité de directeur technique, responsable de l’établissement de [Localité 7], par la S.A.S. Affily One, exploitant une application de paiement mobile permettant à son utilisateur de payer des commerçants affiliés et de recevoir automatiquement 10 % de sa dépense en bons d’achat mobile cumulables et échangeables sans minimum de paiement.

Le contrat de travail, soumis aux dispositions de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques/cabinets d’ingénieurs-conseils du 15 décembre 1987, prévoyait notamment :

– qu’il exercerait les tâches, non limitatives, suivantes : définir la faisabilité et la rentabilité d’un projet, élaborer des propositions techniques, définir les méthodes, les moyens d’étude et de conception et leur mise en oeuvre, identifier les contraintes d’un projet, déterminer les axes d’évolution technologique, élaborer des solutions techniques et financières, réaliser des tests et essais, analyser les résultats et déterminer les mises au point du produit, du procédé, concevoir et mettre à jour un dossier technique de définition du projet, concevoir et développer des applications mobiles et des sites web, répondre aux demandes des clients et utilisateurs et, le cas échéant, apporter une assistance technique, superviser et coordonner le service informatique,

– une convention de forfait mensuelle de 173,33 heures (soit 40 heures par semaine) pour une rémunération mensuelle brute de 4 267 € incluant la rémunération majorée des heures supplémentaires comprises dans le forfait,

– une clause d’exclusivité aux termes de laquelle M. [S], en raison de la nature de ses fonctions et de l’indispensable protection des intérêts de la société, s’engage à n’avoir aucune autre activité professionnelle soit pour son propre compte soit pour le compte d’une entreprise tierce, sauf autorisation écrite et préalable de la société,

– une clause de confidentialité stipulant que M. [S] est tenu à une obligation absolue de discrétion et qu’il s’engage à ne communiquer à qui que ce soit pendant la durée de son contrat de travail et après sa rupture des informations sur les méthodes, l’organisation , le fonctionnement de l’entreprise et à faire preuve de discrétion absolue sur l’ensemble des données ou informations dont il pourra avoir connaissance directement ou indirectement que celles-ci soient ou non en rapport avec ses fonctions ; qu’il doit conserver un secret absolu sur les éléments relatifs aux études, conceptions, projets, réalisations, logiciels, étudiés et conçus dans l’entreprise ; qu’il est lié au secret professionnel s’agissant des renseignements, résultats, découlant des travaux réalisés dans l’entreprise.

A compter du 5 juillet 2018, M. [S] a été placé en arrêt de travail, régulièrement prolongé jusqu’à la date de rupture du contrat de travail matérialisé par un courrier de prise d’acte du 12 octobre 2018 ainsi rédigé :

‘Les faits suivants d’irrégularités dans les paiements de mon salaire, harcèlement moral ainsi que de travail dissimulé dont la responsabilité incombe entièrement à Affily One me contraignent à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail.

Cette rupture est entièrement imputable à Affily One puisque les faits précités constituent un grave manquement aux obligations contractuelles et conventionnelles d’Affily One considérant le contenu de mon contrat de travail’.

Par requête reçue le 30 avril 2019, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Niort d’une action tendant à voir juger que sa prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en paiement des indemnités subséquentes, de rappels de rémunération et d’indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement du 23 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Niort a :

– dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [N] [S] produit les effets d’une démission,

– débouté M. [S] de l’ensemble de ses demandes,

– rejeté les demandes de restitution de codes sources et de matériel de la S.A.S. Affily One sous forme d’astreinte,

– condamné M. [S] à payer à la S.A.S. Affily One la somme de 200 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chaque partie la charge des dépens.

M. [S] a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 21 avril 2021.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 10 janvier 2023.

Au terme de ses dernières conclusions dites ‘d’appelant 2″, transmises et notifiées le 2 janvier 2023, auxquelles il convient à ce stade de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, M. [S] demande à la cour :

– d’annuler la clause d’exclusivité contenue dans le contrat du travail du 3 novembre 2017,

– d’infirmer le jugement déféré ayant retenu que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’une démission et statuant à nouveau, de juger que cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner en conséquence la SAS Affily One à lui payer les sommes de :

– 4 267,00 € brut à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 066,75€ brut à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 12 801,00 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 280, 00 € brut au titre de congés payés inhérents au préavis,

– 1 564,77 € brut à titre de rappel pour baisse de rémunération,

– 156,48 € brut au titre des congés payés y afférents,

– d’infirmer le jugement en ses dispositions l’ayant débouté de l’ensemble de ses demandes et, statuant à nouveau, de condamner la SAS Affily One à lui payer les sommes de :

– 26 703,88€ brut pour rappel au titre des heures supplémentaires et 2 670,39€ brut au titre des congés payés y afférents,

– 5 000€ à titre de dommages-intérêts au titre des astreintes irrégulières et de l’absence de repos hebdomadaires,

– 25 602 € à titre d’indemnité de travail dissimulé,

– d’infirmer le jugement sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens et, statuant à nouveau et y ajoutant, de condamner la SAS à lui payer la somme de 3000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de 3 000 € au titre de frais exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions dites ‘récapitulatives d’intimée’ remises et notifiées le 20 octobre 2021, auxquelles il convient également à ce stade de se référer pour l’exposé détaillé des éléments de droit et de fait, la S.A.S. Affily One, formant appel incident, demande à la cour :

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes de restitution de code source et de matériel sous forme d’astreinte et statuant à nouveau de condamner M. [S] à restituer les codes sources en sa possession ainsi que l’ordinateur Apple Macbook pro 13 pouces gris avec TouchBar, boîte et chargeur, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de la décision à intervenir et ce pour une période de trois mois à l’issue de laquelle il sera à nouveau statué, la juridiction se réservant le droit, en application des articles L.131-2 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution de liquider l’astreinte,

– de condamner Monsieur [S] à payer la somme de 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

– de confirmer le jugement déféré pour le surplus.

MOTIFS

I – Sur la demande d’annulation de la clause d’exclusivité :

Exposant avoir, en qualité d’auto-entrepreneur, présenté le 25 juillet 2017 à la société Cogivea un devis de développement d’une application mobile qui a été accepté le 2 août 2017 et au titre duquel il a travaillé pour le compte de cette société d’août 2017 à juin 2018, M. [S] soutient que la clause d’exclusivité stipulée dans son contrat de travail encourt l’annulation dès lors :

– d’une part, qu’à la date de son embauche, le dirigeant de la société Affily était parfaitement informé de la relation l’unissant à Cogivea,

– que la nature de son activité au profit d’Affily One ne justifiait pas une telle clause, s’agissant d’une activité de développement d’une application,

– qu’étant par ailleurs tenu à une obligation de confidentialité des plus générales, l’exercice d’une autre activité professionnelle ne portait nullement atteinte aux intérêts de la société Affily One de sorte que la clause d’exclusivité n’était nullement indispensable à la protection des intérêts de l’entreprise, ne satisfaisant donc ni à la condition de légitimité ni à la condition de proportionnalité en ce qu’elle interdit toute autre activité professionnelle, sans nuance ni exception.

La S.A.S. Affily One n’a pas conclu sur cette demande présentée dans les conclusions notifiées le 2 janvier 2023.

Sur ce,

Cette demande, certes présentée pour la première fois en cause d’appel, doit être considérée comme recevable au regard des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile en ce qu’elle ne constitue qu’une réplique à l’argumentation de la société Affily One qui excipe d’un non-respect par le salarié de la clause d’exclusivité.

M. [S] soutient que cette clause présente un caractère illicite, compte tenu de son caractère général, du fait qu’elle ne serait pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur et qu’elle ne serait pas nécessaire en raison de la nature de la tâche à accomplir et de la proportionnalité au but recherché, en raison de l’emploi occupé d’e directeur technique.

Une clause d’exclusivité a pour objet d’interdire la possibilité pour le salarié, pendant l’exécution du contrat de travail, d’exercer une autre activité professionnelle. Elle n’est valable, nonobstant la force obligatoire résultant de sa conclusion, que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

La clause litigieuse, interdisant à M. [S] l’exercice, soit pour son propre compte soit pour le compte d’une entreprise tierce, de toute autre activité que celle de directeur technique, présente un caractère suffisamment restrictif pour constituer une clause d’exclusivité, en sorte que les conditions posées par la jurisprudence doivent s’appliquer.

A cet égard, la cour constate que cette clause interdit à M. [S] toute autre activité professionnelle, même non-concurrente de celle de l’employeur. Elle présente donc un caractère très restrictif. Elle présente également un caractère général, puisqu’elle ne précise pas les contours exacts de l’interdiction qu’elle pose. Seule l’autorisation d’exercer une activité en rapport direct avec son emploi salarié étant précisée, le champ de l’interdiction est infini. Enfin, la clause prohibe toute activité dans des secteurs sans rapport avec celle exercée par la société Affily One. Ainsi, cette clause n’apparaît pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur. Enfin, elle n’est pas justifiée par la nature des fonctions de M. [S], qui ne s’opposent pas nécessairement par principe avec toute autre activité professionnelle quelle qu’elle soit.

Cette clause est donc nulle et ne peut trouver application.

III – Sur les demandes formées au titre de l’exécution du contrat de travail :

1 – sur la demande de rappel de rémunération au titre de la baisse de rémunération :

M. [S] sera débouté de sa demande en paiement de rappel de rémunération et congés payés afférents au titre de la baisse unilatérale de son salaire de base dès lors qu’il résulte du bulletin de salaire de septembre 2018 (pièce 13 de l’intimée, lignes 2 et 3) que l’employeur a procédé à la régularisation de la situation sur la base du montant de salaire brut stipulé au contrat de travail.

2 – sur la demande de rappel de rémunération sur heures supplémentaires :

Aucune des parties et notamment M. [S] ne soutient l’irrégularité de la convention de forfait mensuel en heures (1733,33) correspondant à 40 heures hebdomadaires, de sorte que seules peuvent être rémunérées les heures éventuellement effectuées au-delà de ce forfait.

En application de l’article L. 3171-4 du code du travail, “en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable”.

Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-2 al. 1 (imposant à l’employeur l’établissement des documents nécessaires au décompte de la durée de travail, hors horaire collectif), de l’article L. 3171-3 (imposant à l’employeur de tenir à disposition de l’inspection du travail lesdits documents et faisant référence à des dispositions réglementaires concernant leur nature et le temps de leur mise à disposition) et de l’article L. 3171-4 précité, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant, étant précisé que les éléments apportés par le salarié peuvent être établis unilatéralement par ses soins, la seule exigence posée étant qu’ils soient suffisamment précis pour que l’employeur puisse y répondre.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] verse aux débats :

– un tableau synoptique récapitulatif (pièce 9) détaillant, par journées et semaines, sur la durée d’exécution du contrat de travail, le nombre d’heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées et le montant de la rémunération due à ce titre, l’appelant précisant qu’il s’agit d’une extraction des horaires notés sur son ordinateur au moment de leur réalisation,

– les SMS échangés en dehors des horaires habituels de travail (soirée et weekends) avec ses responsables hiérarchiques montpelliérains (pièces 10-1 à 10-8, 10-09, 10-17) en faisant valoir :

– que ces SMS ont un objet professionnel et induisent l’accomplissement de tâches pendant les weekends et jours fériés et même des périodes d’arrêt maladie,

– que la situation est parfaitement résumée dans un échange de messages du 15 juin 2018 (date à laquelle il était en arrêt-maladie) avec [Z] [P] (directeur administratif et financier) : ‘Je t’appelais pour savoir si samedi tu pourras mettre les commerces à 25% et dimanche à 20% / C’est payé combien’ / 100 balles et un Mars’ / Je veux bien les 100 balles par intervention / ça marche on fait comme ça’ / Mais sérieusement du coup /C’était sérieux / Donc tu ne le fais pas ‘ / Si je ne le fais pas qui le fera ‘ Et vu que vous avez déjà communiqué sur le sujet est-ce que j’ai le choix’ Mais je suis quand même sérieux dans le sens où un jour il faudrait payer l’énergie que je mets dans la boîte / Mais du coup si tu acceptes de le faire, mets tout dans ton calendrier pour ne pas oublier et merci d’avance’.

– un courrier du gérant de l’entreprise Cogeva (pièce 14) : ‘Si tu travailles 70 heures par semaine pour [V], j’ai peur qu’il ne reste pas beaucoup de temps pour Cogivea’.

Si ce dernier courrier dont l’auteur retranscrit simplement les propos de M. [S] est dépourvu de toute force probante, les autres éléments produits par l’appelant sont quant à eux suffisamment précis quant aux heures supplémentaires non rémunérées que M. [S] prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.

La S.A.S. Affily One :

– souligne l’absence de réclamation de la part de M. [S] tant pendant l’exécution du contrat de travail que dans la lettre de notification de prise d’acte de sa rupture,

– invoque le caractère imprécis du tableau produit par M. [S], ne mentionnant aucune heure d’embauche/débauche,

– dénonce les erreurs flagrantes affectant le tableau litigieux au regard même des autres pièces produites par l’appelant :

– prise en compte de semaines (43 et 44/2017) antérieures à la date d’effet du contrat,

– travail pendant des jours fériés et chômés (11 novembre 2017, lundi de Pâques 2018, 1er, 8, 10 et 20 mai 2018),

– comptabilisation d’ heures supplémentaires les 13, 14 et 15 juin 2018 et la semaine du 2 au 8 juillet 2018 alors qu’il était en arrêt de travail,

– conteste l’authenticité et la force probante des retranscriptions de SMS produites par M. [S] qui en toute hypothèse n’établissent pas l’effectivité d’une prestation de travail aux heures correspondantes,

– fait valoir que M. [S] qui disposait de la plus grande autonomie dans la gestion de son temps de travail ne fournit aucun élément objectif et vérifiable sur ses heures d’embauche/débauche,

– précise que M. [S] était, pendant la période d’exécution du contrat de travail, dans une relation professionnelle avec une entreprise tierce, de sorte qu’il ne peut prétendre avoir travaillé 70 heures pour Affily One tout en exerçant une même activité professionnelle en parallèle, sur la base d’un devis conclu pour une durée de 400 heures jusqu’en juin 2018, ce qui revient, en termes de temps de travail cumulés, à une amplitude de travail quotidienne de 12,5 heures effectif par jour, 7 jours sur 7,

– expose qu’en outre, les échanges de mail entre les parties établissent que M. [S] était incapable de rendre ses travaux dans les délais et que son travail était en grande partie inutilisable.

Sur ce,

Il doit être considéré :

– que la circonstance que le salarié ne s’est pas prévalu dans la lettre de prise d’acte du non paiement d’heures supplémentaires ne constitue pas une fin de non-recevoir à sa demande, non prescrite,

– que si le décompte établi par M. [S] doit être apprécié et relativisé au regard des contestations soulevées par la S.A.S. Affily One relativement, d’une part, à la prise en compte de semaines antérieures au commencement même d’exécution du contrat de travail et, d’autre part, à l’exercice, parallèle et concomitant, d’une activité pour le compte d’une tierce société (Cogivea), à hauteur de 400 heures (devis du 25 juillet 2017, pièce 25 de l’appelant),

– il n’en demeure pas moins que la société Affily One n’a pas mis en oeuvre les mesures contractuellement prévues pour assurer le contrôle effectif du temps de travail, spécialement le reporting hebdomadaire par le salarié des heures de travail réalisées chaque semaine, stipulé à l’article 4 dernier alinéa du contrat et qu’elle doit assumer les conséquences de sa défaillance.

Dans ces conditions, après déduction des heures supplémentaires correspondant aux semaines 43 et 44/2017 (40 heures) et au temps de travail consacré au projet Cogivea (400 heures), le volume d’heures supplémentaires rémunérables sera fixé à 508 heures, soit sur la base du taux majoré non contesté par l’employeur, la somme de 10 063,48 € brut outre 1006,34 € brut au titre des congés payés y afférents.

3 – sur la demande indemnitaire pour astreintes irrégulières et absence de repos :

Au visa des articles L3131-1, L3132-1, L3132-3 et L3132-5 du code du travail, M. [S] sollicite l’octroi d’une indemnité de 5 000 € en soutenant en substance que l’analyse combinée du tableau des heures supplémentaires effectuées et des SMS échangés avec l’employeur tant pendant les weekends que les jours fériés établit l’existence d’astreintes irrégulières et le non-respect des règles relatives au repos des salariés.

La S.A.S. Affily One conclut au débouté de M. [S] en arguant de l’absence de preuve de l’exécution effective d’heures supplémentaires.

Sur ce,

L’analyse du tableau récapitulatif et des échanges de SMS (pièces 9 et 10 de l’appelant) établit qu’outre la mobilisation du salarié à l’initiative de l’employeur durant certains weekends (2/3 décembre 2017, 3 février 2018, 17/18 février 2018, 25 février 2018, 25 mars 2018, 30juin/1er juillet 2018) les règles relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire n’ont pas été respectées.

Il sera en conséquence fait droit à la demande indemnitaire de M. [S] auquel il sera alloué, compte-tenu de l’ampleur des dépassements constatés, une indemnité de 1 000 €.

4 – sur la demande indemnitaire pour travail dissimulé :

Au visa de l’article L8223-1 du code du travail, M. [S] sollicite le bénéfice d’une indemnité représentative de six mois de salaire en exposant qu’il a accompli des heures supplémentaires qui n’ont été ni payées ni portées sur ses bulletins de salaire alors que la société Affily One ne pouvait l’ignorer puisque c’est elle-même qui donnait des instructions le soir tard et les weekends, de sorte que c’est volontairement qu’elle n’a pas mentionné les heures effectivement réalisées, alors en outre que la société lui a imposé de travailler pour son compte avant même la conclusion du contrat de travail à partir du 12 octobre 2017 ainsi que l’établissent les courriels qui lui ont été adressés par ses responsables (pièce 15 à 23) avant la date de commencement d’exécution du contrat :

– mail du 12 octobre 2017 (pièce 15) par lequel M. [P] demande la transmission à M. [S] de deux URL professionnelles,

– mail du 13 octobre 2017 de M. [P] (pièce 6) adressant à M. [S] les codes d’accès à l’API et les informations pour se connecter aux versions démos user et commerçants, se terminant ainsi : ‘je pense que tu as de quoi t’amuser en attendant ton arrivée lundi’,

– mails du 13 octobre 2017 de M. [P] (pièces 17, 18) emportant transfert de fichiers et d’un récapitulatif de l’hébergement de l’application BAM,

– mail du 18 octobre 2017 (pièce 20) par lequel M. [S] communique à M. [P] les informations pour se connecter sur le kanboard pour la transformation,

– mail du 20 octobre 2017 (pièce 21) de transmission à M. [S] de la dernière version stable des sources de l’API,

– mail du 31 octobre 2017 (pièce 22) par lequel M. [S] indique à M. [P] : ‘voici le lien vers les mac. J’ai choisi celui avec un processeur un peu mieux cadencé. Pour les écrans je les récupérerai lors de mon prochain voyage et pour les claviers souris, j’irai voir à l’espace culturel… Pour le serveur, la RAM, le stockage, 4X et onduleur (5 liens),et téléphone ‘ Pour le local, j’ai rencontré un gars à la Pépinière.. Sinon si vous voulez prendre autre chose, vérifiez bien s’il y a la fibre pour du 1GB/s’,

– mail du 31 octobre 2017 à M. [P] (pièce 23) : ‘voici des accès vers ce que j’ai déjà créé, là où il y a le code et ce qui sert pour s’authentifier pour le moment et l’adresse pour le chat’,

– mail du 31 octobre 2017 (pièce 19) par lequel M. [P] indique à M. [O] que ‘notre équipe technique démarre à plein temps chez nous à partir de lundi prochain, merci de donner toutes les informations demandées par [N] en urgence afin que la passation se passe le plus rapidement possible’.

La S.A.S. Affily One conclut au débouté de M. [S] en exposant que celui-ci a été rémunéré de toutes ses heures de travail et qu’il n’a effectué aucune heure supplémentaire non réglée et qu’il n’apporte pas la preuve du caractère intentionnel du travail dissimulé invoqué.

Sur ce,

En application des articles L8221-1 al.3, L8221-5 al.2 et L8223-1 du code du travail, la dissimulation d’emploi salarié prévue n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

Les pièces produites par M. [S] et notamment les messages électroniques dont le contenu a ci-dessus été retranscrit établissent que si le contrat de travail stipule que M. [S] est engagé à compter du 6 novembre 2017, celui-ci a en réalité commencé à travailler pour le compte de la S.A.S. Affily One à compter du 12 octobre 2017, ce que l’employeur ne pouvait ignorer puisqu’il lui transmettait des directives diverses afin d’assurer la mise en place opérationnelle du site de [Localité 7].

Le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi sur cette période est donc établi, de sorte que l’employeur sera condamné à payer à M. [S] la somme de 25 602 € à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire en application de l’article 8223-1 du code du travail.

III – Sur l’imputabilité de la rupture du contrat de travail :

Il sera rappelé :

– que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est caractérisée par la décision du salarié de mettre fin au contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, rendant impossible la poursuite des relations contractuelles,

– qu’elle produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission,

– que lorsque les faits invoqués justifient la prise d’acte, le juge doit accorder au salarié qui la demande l’indemnité de préavis et les congés payés afférents, l’indemnité de licenciement et les dommages-intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– que la prise d’acte de la rupture est la manifestation de la volonté du salarié de mettre fin au contrat, en raison des faits qu’il reproche à l’employeur, elle entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, peu important le comportement ultérieur du salarié et/ou de l’employeur de sorte qu’elle ne peut être rétractée, même d’un commun accord des parties.

Au soutien de sa demande tendant à voir juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [S] invoque, d’une part, une situation de harcèlement moral dont il aurait été victime et, d’autre part, des manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles (modification unilatérale du contrat de travail et non-paiement des heures supplémentaires et d’astreinte).

Il y a lieu d’apprécier la matérialité même des griefs articulés par M. [S] et, dans l’hypothèse où elle serait établie, d’en apprécier la gravité en termes d’imputabilité de la rupture du contrat de travail et, dans l’hypothèse d’une validation de la prise d’acte, d’en tirer les conséquences indemnitaires.

1 – sur la situation de harcèlement moral invoquée par M. [S] :

Il doit être rappelé :

– qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (article L1152-1 du code du travail),

– que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel,

– que le harcèlement moral est caractérisé par la constatation de ses conséquences telles que légalement définies, peu important l’intention (malveillante ou non) de son auteur,

– que le régime probatoire du harcèlement moral est posé par l’article L. 1154-1 du code du travail qui prévoit que dès lors que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,

– que le salarié n’est tenu que d’apporter au juge des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral et qu’il ne supporte pas la charge de la preuve de celui-ci.

– qu’ainsi, le juge doit, en premier lieu, examiner la matérialité des faits allégués par le salarié en prenant en compte tous les éléments invoqués, y compris les certificats médicaux, puis qualifier juridiquement ces éléments en faits susceptibles, dans leur ensemble, de faire présumer un harcèlement moral et, enfin, examiner les éléments de preuve produits par l’employeur pour déterminer si ses agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,

– que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de management par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

M. [S] soutient avoir été victime de la part du dirigeant de la société, son unique supérieur hiérarchique, d’un comportement oppressif, tyrannique et injurieux (pressions et intimidations, exigence d’une implication complète et sans limites, y compris le soir et les weekends) à l’origine d’une dégradation de son état de santé.

A l’appui de ses allégations, il verse aux débats :

– une attestation de M. [G] [U], collègue de travail (pièce 2) : ‘Durant ma mission au sein de BAM, j’ai pu constater les multiples humiliations et agressions verbales qu’a eu à subir M. [S]. En effet, M. [C] avait pour habitude de lui hurler dessus pendant des heures, empêchant toute possibilité de travailler et provoquant une ambiance de travail délétère. Il monopolisait également M. [S] au téléphone l’empêchant de faire son travail et lui reprochant par la suite son manque de productivité. Il imposait également des délais irréalisables, ne tenant compte d’aucune analyse de charge et se fermant systématiquement à tout argument présenté. En outre une disponibilité 24/7 était imposée à M. [S] prioritaire à toute possibilité de vie personnelle. Enfin quand les salaires n’étaient pas versés en temps il a une fois rétorqué qu’il ne pouvait pas partir en vacances et ne s’en plaignait pas pour autant. Autre exemple quand M. [S] faisait part de son état de fatigue, M. [C] lui répondait qu’il était hors de question d’envisager du repos.’

– une attestation de M. [B] [L], subordonné de M. [S] (pièce 3) : ‘M. [C] exigeait de lui implication complète et sans limite. Cela passait par une disponibilité téléphonique. M. [S] avait l’obligation de décrocher immédiatement, peu importe l’activité sur laquelle il était. Des sollicitations le weekend : un dimanche M. [S] m’a téléphoné pour me demander ma clé d’accès à l’entreprise. Il m’avait expliqué qu’il devait travailler afin d’assurer la continuité de service en production. M. [S] gérait l’info-gérance de la société 7j/7 et avait lancé des actions marketing le weekend. Ces dernières étaient exigées et planifiées de façon unilatérale par mon collègue montpelliérain sous la supervision de M. [C]. Il était courant (minimum 2 fois par semaine) que M. [S] mange sur le lieu de travail pour réduire sa pause du midi. Etant à moins de 2 mètres de M. [S], il n’était pas rare que j’entende quelques phrases lors de ses échanges avec M. [C]. Un jour j’ai pu entendre l’expression ‘je vais te baisser ton salaire’. M. [S] avait des appels quotidiens avec M. [C] de plusieurs dizaines de minutes voire plus d’une heure où M. [S] ne parlait presque pas. Etant face à lui je pouvais par moments clairement entendre ce que M. [C] disait, son ton était régulièrement fort, rapide et énervé.’

– une liste d’échanges de SMS envoyés par M. [C] hors horaire de travail sur son téléphone professionnel (pièces 10, 10-1, 10-2, 10-3) et son téléphone personnel (pièce 11) selon tableaux détaillant les appels le soir, le weekend et les soirs de weekend, 4 weekends étant concernés en novembre 2017, février, mars et juillet 2018 dont une quinzaine de messages le 1er juillet 2018 entre 20h48 et 23h05 (dont à 22h48 le message suivant : ‘faut accélérer [N]. Il y a encore plein de petits bugs et j’ai une grosse pression financière. Pas envie de planter mon entreprise dans les prochains jours’) ou encore l’échange suivant le 30 juin 2018 (Bonsoir [N] juste pour info, Il n’y a pas 25% lors de matches de l’équipe de France ‘ Si oui peux-tu rapidement le mettre en place stp …. Ah mince, j’ai zappé. Je ferai un rattrapage en rentrant. Désolé…. Ça c’est pas bon pour le business …),

– un listing de SMS adressés, hors horaires de travail, par M. [Z] [P], directeur administratif et financier (pièce 10-11 à 10-17) et par M. [J] [W], directeur de la communication (pièce 10-9),

– un certificat médical daté du 7 septembre 2018 (pièce 6) ainsi rédigé: Patient présentant depuis 3 mois un discret syndrome dépressif, une poussée aigüe hypertensive, des insomnies, un déséquilibre alimentaire et une reprise de son tabagisme. Tout cela peut être attribué à un cadre professionnel délétère qu’il subit depuis nov 2017″.

M. [S] produit ainsi des éléments précis, objectifs et vérifiables, s’agissant de la pression managériale exercée par les responsables du site montpelliérain en termes d’exigences de disponibilité et de contrôle, excédant les amplitudes normales de travail et laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient donc à l’employeur de prouver que ces éléments ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que les décisions prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A ce titre, la société Affily One :

– souligne les contraintes imposées par l’éloignement géographique du site de [Localité 7] par rapport au siège montpelliérain, impliquant un nombre important d’échanges dématérialisés, l’absence de tout propos déplacés dans les messages versés aux débats,

– indique que MM. [U] et [L] n’ont pu recueillir personnellement la teneur des échanges téléphoniques entre MM. [C] et [S], que l’attestation de M. [L] est vague et ne fait état d’aucun fait précis,

– soutient que les échanges de SMS intervenus en soirée étaient souvent d’ordre non professionnel, que M. [S] était salarié au forfait en heures, qu’il jouissait d’une totale autonomie dans l’organisation de son travail et qu’il n’a invoqué à aucun moment de la relation contractuelle ni dans sa lettre de prise d’acte l’existence d’une surcharge de travail,

– verse aux débats une attestation de M. [P] (pièce 16) ‘Etant donné le très faible nombre de déplacements de M..[C] dans les locaux de [Localité 7], j’ai été étonné de la demande de M. [S] de harcèlement moral. Je n’ai à titre personnel jamais eu aucun problème dans ma relation de travail avec M. [C]. A ma connaissance, cela se passait également très bien avec les autres salariés de la société’,

– fait valoir que la CPAM a refusé la prise en charge de la maladie déclarée par M. [S] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Il doit ici être considéré :

– que ni l’existence d’une convention de forfait en heures ni l’éloignement géographique entre les sites de [Localité 7] et [Localité 6] ne peuvent justifier envers le salarié une disponibilité opérationnelle soutenue en dehors des plages régulières de travail, telle que le révèle la lecture des SMS produits par M. [S], pour leur quasi-totalité à connotation professionnelle, adressés par les responsables du site de [Localité 6] en soirée, les weekends et même pendant ses périodes d’arrêt de travail,

– que les attestations de MM. [U] et [L] sont précises et circonstanciées, ne retranscrivent pas simplement les déclarations de l’appelant mais expliquent pour quelles raisons, s’agissant notamment de l’agencement des locaux, ces témoins ont pu entendre des conversations téléphoniques entre MM. [S] et [C],

– que le salarié justifie ainsi de faits répétés, en lien avec une pression managériale intense, constitutifs d’une situation de harcèlement moral, peu important l’intention, malveillante ou non, de l’employeur,

– que l’attestation de M. [P], décrivant sa situation personnelle, n’apporte aucun élément utile à la solution du litige,

– que le refus de prise en charge par les organismes sociaux du syndrome dépressif déclaré par M. [S] est sans incidence sur la caractérisation d’une situation de harcèlement qui n’implique pas nécessairement la reconnaissance d’une maladie professionnelle,

– qu’en l’espèce, la concomitance entre les symptômes objectivement constatés et décrits par le médecin traitant et le déroulement de la relation de travail permet d’établir un lien entre eux et de considérer que la situation dénoncée par M. [S] a entraîné une dégradation de sa santé physique et mentale.

La matérialité même de ce premier grief est établie.

2 – sur les prétendus manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles :

M. [S] invoque à ce titre :

– le retard systématique dans le paiement du salaire,

– une modification unilatérale du contrat de travail en exposant qu’alors que son contrat de travail prévoyait une rémunération mensuelle brute de 4267 €, il ne l’a perçue que pendant les deux premiers mois de la relation de travail, son salaire passant à 4 083,35 € brut entre janvier et août 2018 puis 4 171,43 € brut en septembre 2018.

En réponse, la S.A.S. Affily One expose :

– s’agissant de la prétendue modification unilatérale du contrat de travail :

– que lors des négociations contractuelles, il avait été convenu avec M. [S] d’un salaire de 3 200 € net,

– qu’en début de relation contractuelle, en raison d’une erreur de calcul, le brut indiqué sur les premiers bulletins et sur le contrat de travail était de 4 267 €, bien que 3 200 € net correspondent à 4 083,35 € brut,

– que les parties ont alors convenu, en décembre 2017, de revenir sur le paiement convenu de 3 200 € net, soit 4 083,35 € brut,

– que cependant, afin de mettre un terme à tout débat, elle a procédé à la régularisation demandée par M. [S], retranscrite sur le bulletin de salaire de septembre 2018,

– s’agissant des retards dans le paiement du salaire :

– que les extraits de compte bancaire produits par M. [S] démontrent que son salaire a été payé le 5 de chaque mois, sauf au mois de mai 2018 où il a été réglé le 7 et au mois de juin 2018 où il a été payé le 1er,

– que si les mois d’août et septembre 2018 ont été payés les 13 et 11, c’est uniquement parce que M. [S] se trouvait en arrêt de travail et qu’il a dû être procédé au calcul de son maintien de salaire d’après les relevés d’indemnités journalières qu’il devait transmettre à l’employeur.

Sur ce,

Le grief tiré d’une modification unilatérale substantielle du contrat de travail consistant en une réduction de la rémunération convenue doit être considéré comme matériellement établi :

– par la comparaison du contrat de travail et des deux premiers bulletins de salaire faisant état d’une rémunération mensuelle brute de 4 267 € et des bulletins de salaire postérieurs mentionnant une rémunération mensuelle brute de 4 083,35 €,

– par l’absence de preuve d’une acceptation expresse ou, à tout le moins, univoque par le salarié de cette modification.

S’agissant du grief tiré d’un retard systématique dans le paiement du salaire, apparaissent à la lecture des extraits de compte bancaire versés aux débats, quatre retards de paiement par rapport à la date habituelle du 5 de chaque mois, pour les mois de février 2018 (15), mai 2018 (7), août 2018 (13) et septembre 2018 (11), soit 4 fois sur 10.

La matérialité de ce second grief est également établie.

3 – Sur l’imputabilité de la rupture de la relation de travail :

Les manquements avérés de l’employeur à une exécution loyale du contrat de travail, s’agissant spécialement de la situation de harcèlement moral et de la modification unilatérale d’un élément substantiel des conditions de travail, constituent autant de motifs empêchant la poursuite du contrat de travail et justifiant la prise d’acte de la rupture de la relation de travail par le salarié.

Il convient dès lors, réformant le jugement entrepris, de juger que la prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié est fondée sur des motifs légitimes et emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4 – Sur les demandes subséquentes à la validation de la prise d’acte de la rupture :

Sur la base d’un salaire mensuel brut de 4 267 €, d’une ancienneté dans l’entreprise de moins d’un an à la date de notification de la prise d’acte (prise d’effet du contrat de travail le 6 novembre 2017, notification de la prise d’acte de la rupture le 12 octobre 2018) et d’une classification, non contestée par l’employeur, de cadre-ingénieur, coefficient 170, au sens de l’annexe II de la convention collective, M. [S] est fondé à prétendre :

– en application de l’article 15 de la convention collective à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit 12 801 € brut, outre la somme de 1280 € brut au titre des congés payés y afférents,

– en application de l’article L123-3 du code du travail en sa rédaction applicable en l’espèce, à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant maximal équivalent à un mois de salaire brut qui, compte-tenu de l’âge du salarié à la date de la rupture (35 ans révolus), de ses compétences, de sa formation et de son expérience, de ses capacités à retrouver un emploi dans un secteur professionnel porteur), sera en l’espèce fixée à la somme de 4 000 €.

M. [S] sera débouté de sa demande en paiement d’indemnité légale de licenciement, la condition d’ancienneté minimale d’un an requise par l’article R1234-2 du code du travail n’étant pas remplie à la date de notification de la prise d’acte.

IV – Sur la demande reconventionnelle en restitution de matériel :

Le contrat de travail stipule (article 17) :

– que l’ensemble des moyens et matériels de travail mis à disposition de M. [S] (registres, fichiers, notes, projets, copies, reproductions, téléphone, ordinateur, matériels, équipements…) demeure la propriété de la société pendant toute la durée du contrat,

– qu’au moment de la rupture de son contrat, quelle qu’en soit le motif et la nature, M. [S] s’engage à restituer l’intégralité des éléments et moyens de travail qui lui auront été confiés.

La S.A.S. Affily One sollicite la condamnation de M. [S], à lui restituer les codes sources en sa possession ainsi que l’ordinateur Apple Macbook Pro 13 gris avec touchbar, boîte et chargeur, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de la décision à intervenir et ce, pour une période de trois mois à l’issue de laquelle il sera à nouveau statué, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte.

Au soutien de sa demande, la société Affily One expose :

– s’agissant du matériel informatique, que la société à laquelle M. [S] prétend l’avoir remis, n’a aucun lien juridique avec elle,

– s’agissant des codes sources :

– que leur absence de restitution est confirmée par un message de M. [I] du 19 février 2019 (pièce 20), visant l’API, les applications IOS et Android côté utilisateur, les dernières évolutions de l’application partenaire et le code du back-office.

– que M. [S] se prévaut d’un mail de transmission de codes d’accès (identifiant et mot de passe) et non de codes sources (lignes de code informatique).

M. [S] conclut au débouté de la société Affily One en exposant :

– s’agissant des codes sources que si un audit a été réalisé sur l’application BAM cela signifie que l’employeur a eu nécessairement accès à l’application et au travail par lui réalisé ;

– s’agissant du matériel informatique, qu’il l’a remis le 18 décembre 2018 à [Localité 7] à l’entreprise occupant des bureaux voisins dans le même bâtiment (société Wekey) laquelle a établi un reçu (pièce 12-1) des matériels remis (Iphone, Ipad, MacBook, claviers, souris, écrans).

Sur ce,

M. [S] est, en application des dispositions contractuelles précitées, tenu d’une obligation de restitution, en fin de contrat, des matériels et codes informatiques divers lui ayant été remis dans le cadre de son activité professionnelle.

La remise de matériels informatiques à une entreprise tierce, sans aucun lien de droit avec l’employeur qui ne l’a pas mandatée pour ce faire, ne peut être considérée comme libératoire.

Par ailleurs, il n’est pas justifié de la restitution à la société Affily One des codes sources par elle réclamés.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé et M. [S] sera condamné à restituer à la société Affily One le matériel et les codes litigieux, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification du présent arrêt pendant une période de trois mois à l’issue de laquelle il sera à nouveau statué, la cour estimant par ailleurs n’y avoir lieu à se réserver la liquidation de l’astreinte.

V – Sur les demandes accessoires :

L’équité commande, infirmant le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [S] à payer à la S.A.S. Affily One la somme de 200 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, de débouter la S.A.S. Affily One de ses demandes de ce chef et de la condamner à payer à ce titre à M. [S] la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en première instance et celle de 1 500 € au titre des frais exposés en cause d’appel.

La S.A.S. Affily One sera condamnée aux dépens d’appel et de première instance, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu’il a laissé à chaque partie la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Niort en date du 23 mars 2021,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [N] [S] de sa demande en rappel de rémunération (salaire et congés payés afférents) au titre de la baisse unilatérale de sa rémunération et de sa demande en paiement d’indemnité légale de licenciement,

Infirmant le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau :

– Condamne la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S] la somme de 10 063,48 € brut à titre de rappel de rémunération sur heures supplémentaires et celle de 1006,34 € brut au titre des congés payés y afférents,

– Juge que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail liant M. [N] [S] à la S.A.S. Affily One doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamne en conséquence la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S] les sommes de :

– 12 801 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 1 280 € brut au titre des congés payés y afférents,

– 4 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamne la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S] la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour non-respect des règles relatives aux astreintes et au repos quotidien et hebdomadaire,

– Condamne la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S] la somme de 25 602 €, en application de l’article L8223-1 du code du travail,

– Condamne M. [N] [S] à restituer à la société Affily One les codes sources en sa possession ainsi que l’ordinateur Apple Macbook Pro 13 gris avec touchbar, boîte et chargeur, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de la décision à intervenir et ce, pour une période de trois mois à l’issue de laquelle il sera à nouveau statué, sans qu’il y ait lieu pour la cour à se réserver le droit de liquider l’astreinte,

– Condamne la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S], en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en première instance,

– Condamne la S.A.S. Affily One aux dépens de première instance,

Ajoutant au jugement entrepris :

– Prononce l’annulation de la clause d’exclusivité stipulée au contrat de travail,

– Condamne la S.A.S. Affily One à payer à M. [N] [S], en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en cause d’appel,

– Condamne la S.A.S. Affily One aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

D.LEYMONIS P.CASTAGNÉ

 


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