Droit des applications mobiles : 22 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/03807

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Droit des applications mobiles : 22 juin 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/03807
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 22/06/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/03807 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TXQK

Jugement (N° 19/01583)

rendu le 17 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Douai

APPELANT

Monsieur [E] [O] exerçant sous l’enseigne Idnew

[Adresse 4]

[Localité 3]

représenté par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué assisté de Me Pauline Barreau, avocat au barreau de Nancy, avocat plaidant

INTIMÉE

La SAS Digitapp

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Thomas Deschryver, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant, substitué par Me Constance Beyeler, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l’audience publique du 20 mars 2023 tenue par Céline Miller magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 15 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 mars 2023

****

Le 17 juillet 2018, la SAS Digitapp a conclu avec M. [E] [O], développeur informatique exerçant à titre libéral sous l’enseigne ‘ID New’, un contrat de fourniture d’une plateforme web et de l’application smartphone end users correspondante sur Android et iOS, dénommée ‘Blooms’ puis ‘Wivee’, moyennant un forfait de 13 750 euros HT, soit 16 500 euros TTC.

La durée de la mission était fixée à quatre mois, du 18 juillet au 14 novembre 2018, avec possibilité d’ajout d’un mois supplémentaire.

Le cahier des charges prévoyait que l’application mobile serait livrée au fur et à mesure de son développement, à la suite de huit échéances intermédiaires appelées ‘sprints’ de plus ou moins dix jours travaillés chacun. Il précisait également que chaque règlement valait réception et acceptation des travaux réalisés.

Par courrier en date du 26 avril 2019, la société Digitapp a résilié de plein droit et sans préavis le contrat de prestation conclu avec M. [O] aux motifs que ce dernier n’avait pas livré le projet terminé, ni respecté les délais prévus au contrat. Elle a, en outre, sollicité, le paiement d’une somme de 13 330 euros HT au titre de la pénalité de retard, ainsi que le remboursement de la somme payée pour la prestation, soit 14 850 euros et le versement d’une somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi.

Puis, par acte d’huissier en date du 24 septembre 2019, la société Digitapp a fait assigner M.'[O] devant le tribunal de grande instance de Douai en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.

Par jugement date du 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Douai a :

– condamné M. [O] à payer la société Digitapp les sommes de :

* 14 850 euros en réparation de son préjudice correspondant au prix de la prestation non accomplie et déjà versée ;

* 5 000 euros en réparation de son préjudice de privation de gain ;

* 11 300 euros à titre de pénalité de retard ;

– débouté M. [O] de ses demandes de paiement du solde du contrat, des jours travaillés supplémentaires hors contrat et au titre de son manque à gagner,

– condamné celui-ci, outre aux dépens, à payer à la société Digitapp la somme de 6 455,60 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et a dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

M. [O] a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 mars 2023, demande à la cour d’infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de débouter la société Digitapp de l’intégralité de ses demandes et la condamner, outre les dépens de première d’instance et d’appel, au paiement des sommes suivantes :

– 1 375 euros HT au titre du solde de la prestation réalisée ;

– 7 912 euros HT au titre des jours de travail réalisés hors contrat sur la période de juillet 2018 au 23 mars 2019, soit 56 jours de travail supplémentaires ;

– 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner’;

– 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et 6 000 euros pour ceux d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il soutient principalement que la société Digitapp a manqué à son obligation de bonne foi et de collaboration loyale au projet développé entre les parties et notamment à son engagement contractuel de lui transmettre toute information nécessaire et de lui fournir tout travail préalable de design comme cela avait été précisé dans les documents contractuels ; que le calendrier convenu entre les parties n’était pas impératif mais indicatif, pouvant être revu à tout moment par celles-ci ; que chaque règlement des travaux réalisés équivalait à une acceptation sans réserve desdits travaux, la société intimée ayant accepté de le régler à chaque étape de l’élaboration de l’application – hormis pour le sprint 8 – si bien qu’il faut en déduire qu’elle a estimé que le travail avait été correctement réalisé et répondait à ses attentes.

Il ajoute que la mission, qui devait normalement commencer le 18 juillet 2018, a débuté avec du retard en raison des nombreuses modifications apportées par la société Digitapp aux missions préalablement convenues, et non à cause d’un manquement de diligence de sa part ; que de plus, l’économie générale du contrat a été modifiée lorsque la société intimée a souhaité modifier le design de l’application alors que celui-ci avait été négocié par les parties lors des discussions préalables à la signature du contrat ; que c’est donc la société Digitapp qui est responsable du retard pris dans l’exécution du contrat.

Il soutient que sept des huit phases prévues au contrat ont été validées ; que seule la huitième n’a pas été contractuellement respectée par la société Digitapp, laquelle a alors totalement modifié ses demandes, rendant impossible l’exécution de sa mission sans une importante surcharge de travail non comprises dans le cahier des charges ; qu’elle reste lui devoir une facture de 1 375 euros HT (soit 1 650 euros TTC) dès lors qu’une version finalisée et exploitable de l’application lui a bien été livrée le 23 mars 2019 ; que sur la période s’étendant de décembre 2018 à fin mars 2019, aucun de ses travaux n’ont été rémunérés ; que le conflit entre les parties est né uniquement de l’attitude harcelante de sa cliente et plus particulièrement du père de sa gérante.

A titre subsidiaire, il soutient qu’il ne saurait être tenu pour responsable du préjudice subi par la société intimée, dont l’activité a périclité, car les prestations réalisées par la société Tymate, qui lui a succédé à la suite de la rupture des relations contractuelles entre les parties, n’étaient manifestement pas les mêmes que celles prévues au contrat conclu avec lui, ni être tenu au paiement des pénalités de retard car il a toujours respecté ses obligations et livré le travail dans les délais convenus entre les parties.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 mars 2022, la société Digitapp demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants du code civil, de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné M.'[O] à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice de privation de gain et celle de 11 300 euros à titre de pénalité de retard et, statuant à nouveau, de :

– condamner l’appelant à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice de privation de gain et celle de 13 300 euros à titre de pénalité de retard comme cela est prévu dans le contrat de prestation,

Elle sollicite, en tout état de cause, le rejet de toutes les demandes formulées par l’appelant, sa condamnation, outre les dépens de l’instance, à lui verser la somme de 9 703,68 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

Elle soutient essentiellement que M. [O], tenu à une obligation de résultat consistant dans la livraison d’une application fonctionnelle et utilisable dans les délais contractuellement prévus, n’a pas accompli, en dépit de la validation de recettes provisoires, son obligation principale, engageant sa responsabilité contractuelle. Elle souligne que les modifications qu’elle a pu demander en cours d’exécution du contrat ont respecté le cadre des prestations prévues dans celui-ci et dans le cahier des charges’; que si tel n’avait pas été le cas, M. [O], en sa qualité de professionnel tenu d’une obligation d’information et de conseil, aurait dû l’alerter et demander à ajouter un avenant au contrat. Elle ajoute que l’inexécution contractuelle de M. [O] lui a causé un préjudice financier important puisqu’elle a dû reprendre avec un autre prestataire le développement de l’application dont le lancement a été retardé, ce qui lui a fait perdre un avantage concurrentiel non négligeable, raison pour laquelle elle sollicite la réévaluation de son préjudice et l’application des pénalités de retard prévues au contrat.

En réponse aux demandes de l’appelant, elle soutient que M. [O], n’apportant pas la preuve de ce qu’il a corrigé et livré une version finalisée de l’application commandée, ne peut prétendre être dégagé de son obligation et en réclamer le paiement ; que le contrat a été conclu au forfait et que M. [O], en tant que professionnel, aurait dû faire une meilleure évaluation du temps nécessaire à la confection et à la réalisation de ce projet ; que, par conséquent, elle ne saurait être tenue de la mauvaise gestion de son temps par M. [O] qui ne peut donc pas réclamer une indemnisation pour son manque à gagner.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’exécution des obligations contractuelles

Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d’ordre public.

L’article 1353 dudit code dispose que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

L’article 1217 du même code précise que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– obtenir une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.

L’article 1780 de ce code dispose enfin qu’on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée. Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes. Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts. Pour la fixation de l’indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d’une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé. Les parties ne peuvent renoncer à l’avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions ci-dessus.

Le prestataire de service informatique chargé de la création et de l’élaboration de logiciels, sites web ou application mobile, prestations intellectuelles complexes par nature soumises à des aléas résultant de l’obligation de collaboration du client et de l’évolution rapide du secteur informatique, est tenu d’une obligation de moyen renforcée quand à la délivrance de l’ouvrage commandé. Il lui appartient ainsi de rapporter la preuve qu’il a accompli toutes diligences en vue de l’obtention du résultat escompté, mais également qu’il n’a pas commis de faute dans l’exécution de ses obligations. Il est tenu d’une obligation générale d’information et de conseil à l’égard de son client, laquelle implique le devoir de se renseigner au préalable sur les besoins de celui-ci.

Le client du prestataire informatique est quand à lui tenu d’une obligation générale de collaboration l’obligeant à fournir avec diligence à son prestataire tous les éléments nécessaires à l’exécution de sa prestation (informations, documents, fichiers, etc…).

En l’espèce, le contrat de prestation de services conclu entre la société Digitapp et M. [E] [O] exerçant en ‘free-lance’ sous l’enseigne Idnew a été précédé d’une phase de négociations pré-contractuelles pendant laquelle Mme [J] [Z], gérante de la société Digitapp, a pu exposer à M. [O] son projet de création d’un site web assorti de deux applications Android et IOS associés, référençant les sites de blog sur le modèle de réseaux sociaux déjà connus, et M.'[O] la conseiller sur les modalités à mettre en oeuvre pour la réalisation de ce projet qui lui apparaissait ambitieux, l’envergure de celui-ci pouvant selon lui justifier de faire appel à d’autres professionnels pour certains de ses aspects.

Les parties s’étant finalement accordées sur la prestation à fournir par M. [O], qui a accepté d’intervenir seul, et le prix au forfait qui serait facturé, les obligations respectives des parties ont été fixées dans le cadre d’un contrat de prestation de services portant sur le développement d’une plateforme ‘Blooms’, comportant des conditions générales et particulières, ainsi qu’un cahier des charges faisant également référence aux échanges intervenus entre les parties avant le contrat. Par ailleurs, pour chacune des étapes de développement du projet ou ‘sprints’, un document technique devait être rédigé par le free lance pour spécifier les objectifs et tâches à accomplir, tandis que le client devait se charger de transmettre la charte graphique (ou design) du projet.

S’agissant des obligations respectives des parties, l’article III des conditions générales du contrat, intitulé ‘collaboration entre les parties’, stipule que ‘les deux parties s’engagent à collaborer au mieux de leurs possibilités afin de permettre la bonne exécution de leurs obligations respectives’, ‘le client s’engage, pour les besoins du présent contrat, à fournir au free lance les espaces de travail, les données et toute aide matérielle nécessaire à la bonne exécution du présent contrat, (…) à mettre à la disposition du free lance toutes les informations et documents en sa possession dont le free lance pourrait avoir besoin’.

Il est également précisé que ‘si, en cours d’exécution des prestations une difficulté apparaissait, les parties s’engagent à se concerter afin de déterminer et mettre en place une solution adaptée pour répondre à la difficulté, le tout dans les meilleurs délais’.

Les conditions générales stipulent également que ‘le free lance consacrera le temps et les ressources suffisantes à la réalisation des prestations. Le free lance doit exécuter les prestations de manière professionnelle et conforme aux règles de l’art ‘ (article IV) et, plus loin, dans l’article relatif à la responsabilité (XIII), que ‘les besoins que le client n’a pas exprimé sont exclus du champ de la responsabilité du free lance. Le free lance s’engage, au titre d’une obligation de moyens, à effectuer l’ensemble des prestations qui lui sont confiées conformément aux règles de l’art et aux usages de la profession sous réserve du bon accomplissement par le client de ses propres obligations.’

Pour sa part, le client ‘s’engage à vérifier en temps utile tous les documents soumis à son approbation et à formuler clairement ses remarques, observations ou désaccords’ et à ‘exécuter ses obligations, notamment de fourniture et de validation, dans les délais impartis'(article V).

Les conditions particulières prévoient une durée de mission de 4 mois, du 18 juillet au 14 novembre 2018, avec une marge d’un mois supplémentaire, des réunions d’avancement tous les quinze jours pendant la phase de développement, précision faite que tout délai supplémentaire doit faire obligatoirement l’objet d’un accord express du client, faute de quoi ce dernier peut mettre fin au contrat dans les conditions prévues aux articles IX et X, lesquelles stipulent néanmoins que les non-respect de calendrier et délais d’exécution sont pondérés par tout retard générés par les délais de navette (échanges client/free lance), absences et congés justifiés des parties, celles-ci s’engageant à prévenir l’autre à l’avance, ainsi que de tout retard ou risque de retard susceptible d’affecter la réalisation de l’oeuvre.

Il résulte de ces dispositions contractuelles et des nombreux échanges de mails et compte-rendus de réunions tenues entre les parties que l’élaboration de l’ouvrage envisagé devait être le fruit d’une collaboration étroite entre le client, Digitapp, qui fournissait les éléments conceptuels et notamment de design du site et des applications envisagés, et le prestataire, M. [O], qui gérait l’aspect technique du développement informatique, suivant des étapes (ou ‘sprints’) prédéfinies dans le cahier des charges, la première étant relative à l’architecture des applications, la seconde aux modalités d’inscription des utilisateurs, la troisième aux conteneurs du système de navigation, la quatrième aux règlages d’utilisateurs, la cinquième au fil d’actualité, la sixième aux interactions entre utilisateurs, la septième à la construction de blog, et la huitième aux transactions et à la préparation de la soumission des applications aux stores Android et Apple, cette dernière étape devant s’achever par la mise en production des applications sur le serveur du client.

Il ressort également des courriels versés au dossier par M. [O] que les deux parties ont fait preuve de bonne foi, de diligence et de collaboration dans l’exécution de leurs obligations : les deux parties se sont rendues disponibles, ont fourni les efforts nécessaires pour permettre à l’un et à l’autre d’avancer et que M. [O] a toujours été prévenant et a toujours répondu aux questions de la société Digitapp et l’a réellement accompagnée dans la réalisation du projet en lui donnant des conseils. Il a également pris en compte les remarques de sa cliente en les intégrant au fur et à mesure dans la construction de l’application.

Malgré des tensions naissantes, les parties ont toujours réussi à faire fonctionner leur partenariat en bonne intelligence et les différentes étapes de développement du projet ont toutes été validées par Digitapp jusqu’au septième sprint inclu, la facturation de chacune de ces étapes étant acquittée par le client.

Par ailleurs, si des retards sont intervenus par rapport au calendrier prévisionnel initialement prévu par les parties, il résulte des échanges entre les parties que ces retards étaient liés soit à des absences ou congés de l’une ou l’autre des parties, soit aux contraintes techniques entraînées par leurs échanges. Ils ont en tout état de cause à chaque fois été validés par le client, les parties étant parvenues à s’entendre, jusqu’à la dernière échéance, sur le report des échéances initialement prévues.

Il apparaît que les relations entre les parties ont commencé à se dégrader au moment de la livraison du septième sprint, Digitapp ayant sollicité par courriel du 11 décembre 2018 de nombreuses modifications du design de l’application. Ce sprint a cependant été validé et payé par le client le 13 décembre 2018.

La huitième et dernière étape de développement du projet a alors pris plus de temps, M. [O] reconnaissant lui-même dans l’un de ses courriels (du 21 janvier 2019) avoir été engagé dans d’autres projets.

Dans un courrier daté du 19 février 2019, la société Digitapp a fait état à M. [O] de défaillances dans la mise en oeuvre du contrat unissant les parties, lui reprochant d’avoir déserté le projet entre le 26 décembre 2018 et le 29 janvier 2019, de n’avoir pas livré de version IOS du projet avant le 12 décembre 2018, après relance de sa part, alors que le cahier des charges faisait état de la livraison en parallèle des fonctionnalités Android et IOS, l’absence de développement d’une fonctionnalité prévue au cahier des charges (le portefeuille), et indiquant qu’elle veillerait particulièrement à la qualité et l’exhaustivité du développement.

Le 23 février 2019, à la suite d’un premier envoi du 18 février 2019 et un retour de sa cliente avec des observations, M. [O] a envoyé à la société Digitapp la version définitive android de l’application, lui suggérant de revenir vers lui pour ses observations. Un nouvel envoi avec corrections a été effectué le 26 février et un dernier le 23 mars 2019, avec toutes les précisions concernant la mise en production sur le serveur du client, le courriel d’accompagnement précisant que la version IOS, en attente de livraison, attendait le retour de la gérante sur la version android, et indiquant que cette livraison clôturait la phase de développement prévue contractuellement.

Cependant, par courriel du 23 mars 2019, la gérante de Digitapp a relevé différents dysfonctionnements de l’application, puis, par courriels des 24 et 25 mars, les parties ont échangé diverses récriminations.

Les échanges entre les parties semblent s’être interrompues à ce stade jusqu’à ce que, par courrier recommandé du 26 avril 2018, la société Digitapp notifie par l’intermédiaire de son conseil à M.'[O] la résiliation de plein droit et sans préavis du contrat pour absence de livraison du projet terminé et non respect des délais prévus par le contrat.

Il résulte de ces éléments que si M. [O] a manifestement livré une version finale de son travail le 23 mars 2023, celle-ci comportait encore des dysfonctionnements nécessitant des ajustements, ce qui est somme toute relativement habituel en matière informatique, mais que la relation de collaboration des parties s’est interrompue à ce stade, la société Digitapp n’ayant pas donné suite à la proposition de M. [O] de conclure un avenant contractuel afin de finaliser le projet et celui-ci ne démontrant pas avoir corrigé les derniers dysfonctionnements relevés.

Ce dernier sprint n’a donc pas été ‘recetté’ à titre provisoire et aucune recette définitive des travaux n’a en conséquence pu intervenir, de même qu’aucun procès-verbal d’installation sur le serveur du client n’a été formalisé avec Digitapp.

Or, il convient de relever que s’il n’a pas été mis en évidence de manquement de celui-ci à son obligation de diligence dans le cadre des sept premiers sprints, il résulte des éléments produits qu’à l’occasion du dernier sprint, après que lui eussent été présentées de nouvelles demandes, notamment un changement de design, nécessitant des ajustements chronophages, M. [O] s’est montré moins disponible, pour finir par présenter un produit présentant encore des dysfonctionnements à régler.

Dès lors, la rupture des relations contractuelles entre les parties semble à la fois liée à un manquement du client, qui a présenté de nouvelles demandes en dernière phase du projet, à son obligation générale de collaboration, et à un désinvestissement de M. [O] qui semble avoir considéré qu’il avait déjà passé trop d’heures sur un projet facturé au forfait.

Au vu de ces éléments, et compte tenu du travail antérieur effectué qui avait obtenu la validation de sa cliente et en l’absence d’obligation de résultat du prestataire qui n’était tenu qu’à une obligation de moyens renforcés, il n’apparaît cependant pas justifié de condamner M. [O] à rembourser la société Digitapp l’ensemble des sommes versées au titre du contrat.

La société Digitapp doit donc être déboutée de cette demande.

Pour autant, il n’apparaît pas non plus justifié de condamner cette société à payer à M. [O] la somme de 1 375 euros HT correspondant au solde de la prestation réalisée, celui-ci n’ayant pas satisfait à son obligation de diligences dans le cadre du dernier sprint, pas plus qu’il n’est justifié de la condamner à payer à M. [O] la somme de 7 912 euros HT au titre des jours de travail réalisés hors contrat alors d’une part que le contrat souscrit était au forfait et ne quantifiait pas les heures de travail nécessaires à sa réalisation et, d’autre part, que M. [O] n’a pas exigé la signature d’un avenant contractuel lorsque les exigences de sa contractante lui ont apparu dépasser les spécifications contractuelles. Il sera débouté de sa demande au titre de son manque à gagner pour les mêmes raisons.

Sur l’indemnisation du préjudice de la société Digitapp

* Sur le préjudice de privation de gain

Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

L’article 1231-2 du même code ajoute que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, et l’article 1231-3 que le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.

L’article XIII des conditions générales contractuelles dispose par ailleurs qu”en aucun cas, le free lance n’est responsable des dommages indirects ou imprévisibles subis par le client. De convention expresse entre les parties, est considéré comme préjudice indirect, tout préjudice financier ou commercial, perte de chiffre d’affaire, de bénéfice, de données, de commande ou de clientèle’.

En l’espèce, la société Digitapp sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros au titre de son préjudice de privation de gain, exposant qu’en raison de la rupture des relations contractuelles et ne disposant pas des codes sources de l’application, elle a dû engager un autre prestataire, ce qui lui a fait perdre de nombreux mois avant la diffusion finale de son application qui n’a pas rencontré le succès escompté, compte tenu de la perte de son avantage concurrentiel lié au retard pris.

Si M. [O] ne démontre pas qu’il a procédé à la correction des dysfonctionnements relevés dans la version finale de l’application livrée le 23 mars 2019, la société Digitapp ne rapporte cependant pas la preuve du manque à gagner qu’elle invoque, aucun élément comptable ou étude de marché n’étant versé quand aux profits qu’elle escomptait, ni quand aux profits qu’elle a effectivement réalisés avec la nouvelle application qu’elle a développée avec un autre prestataire, et au coût du développement de celle-ci.

Elle doit dès lors être déboutée de sa demande de dommages et intérêts, la décision entreprise étant infirmée en ce qu’elle lui avait accordé la somme de 5 000 euros à ce titre.

* Sur le retard dans l’exécution de la prestation

Il résulte de l’article 1231-1 qui précède que le débiteur est tenu, alternativement, de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation soit raison du retard dans l’exécution de celle-ci.

Le contrat conclu entre les parties prévoit à cet égard que ‘le non-respect du calendrier et délai d’exécution prévu à l’article X et en annexe 1, pondérés par tout retard généré par les délais de navettes (échanges freelance/client et client/freelance), absences et congés justifiés pour lesquels chaque partie s’engage à en informer l’autre au moins 15 jours à l’avance, engendrera l’obligation pour le prestataire de payer au client la somme de 100 euros HT par jour de retard sauf cas de force majeure, responsabilité du client ou accord express de celui-ci pour le dépassement des délais prévus.’

En l’espèce, il résulte des éléments versés aux débats que les dépassements de délais dans les sept premiers sprints sont liés soit à des congés ou absences des parties, soit à des contraintes techniques liées à leurs échanges et qu’ils ont en tout état de cause à chaque fois fait l’objet d’un accord entre les parties.

Aucune pénalité de retard ne saurait donc être due au titre des sept premiers sprints.

Par ailleurs, à la suite des réserves exprimées lors du sprint 8 et d’échanges de courriels fin mars 2019, M. [E] [O] a interrompu l’exécution de sa prestation, aucun procès-verbal de livraison finale n’est intervenu entre les parties, et la société Digitapp lui a notifié la résiliation du contrat le 26 avril 2019.

Il ne peut donc être dû de dommages et intérêts à raison du retard dans l’exécution de la prestation du sprint 8, celle-ci n’ayant pas été exécutée jusqu’à son terme.

La décision entreprise sera donc infirmée en ce qu’elle l’a condamné à des dommages et intérêts à ce titre.

Sur les demandes accessoires

Les parties ayant toutes deux concouru à la survenance du litige, il est juste que chacune d’elles supporte ses propres dépens et frais irrépétibles de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a débouté M. [E] [O] de ses demandes de paiement du solde du contrat, des jours travaillés supplémentaires hors contrat et au titre de son manque à gagner,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déboute la SAS Digitapp de ses demandes en remboursement, en réparation de son préjudice de privation de gain et au titre des pénalités de retard,

Dit que les parties conserveront la charge de leurs propres dépens et frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet

 


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