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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 5
ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2022
(n° 2022/ , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/08806 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAPHJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Avril 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 17/02603
APPELANTE
Madame [D] [L] épouse [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Lucie MESLÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0699
INTIMÉE
Association VIVRE ET DEVENIR
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Guillaume BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1532
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,
Madame Nelly CAYOT, Conseillère
Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Après un contrat de travail à durée déterminée prenant effet le 7 janvier 2013, Mme [D] [L] épouse [P] a été engagée par l’association de [Localité 6] devenue l’association Vivre et devenir en qualité d’aide soignante par contrat de travail à durée indéterminée du 20 mars 2013. Sa rémunération mensuelle s’élevait, dans le dernier état de la relation contractuelle à la somme de 2 418,53 euros pour une durée de travail à temps complet.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 4 mars 2017, envoyée le 6 mars 2017, lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, Mme [P] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 mars 2017 et s’est vu notifier son licenciement pour faute grave par courrier adressé sous la même forme le 29 mars 2017.
L’association Vivre et devenir emploie au moins onze salariés et la relation de travail est régie par la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation de soins, de cure et de garde.
Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 8 août 2017 afin d’obtenir la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. Par jugement du 11 avril 2019 auquel il convient de se reporter pour l’exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Bobigny, section activités diverses, a :
– débouté Mme [P] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [P] à verser à l’association Vivre et devenir la somme de 50 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
Mme [P] a régulièrement relevé appel du jugement le 1er août 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions d’appelante transmises par voie électronique le 17 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [P] soutenant que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, prie la cour d’infirmer le jugement et de :
– condamner l’association Vivre et devenir à lui régler les sommes de :
* 29 000 euros en réparation du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 418 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
* 241,80 euros au titre des congés payés afférents,
* 3 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,
* 4 836 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 483 euros au titre de l’indemnité de congés payés sur préavis,
* 2 137,51 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’association Vivre et devenir à lui remettre des documents sociaux conformes,
– condamner l’association Vivre et devenir en tous les dépens qui comprendront, le cas échéant, le coût des mesures d’exécution forcée.
Aux termes de ses dernières conclusions d’intimée transmises par voie électronique le 22 septembre 2021 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, l’association Vivre et devenir prie la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [P] de l’intégralité de ses demandes, et la débouter de l’intégralité de ses demandes,
– condamner Mme [P] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux entiers dépens,
– dans l’hypothèse où la cour ferait droit aux demandes à caractère salarial, juger que ces sommes s’entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales,
– dans l’hypothèse où la cour considèrerait que les demandes de dommages et intérêts sont fondées, juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s’entendent comme des sommes brutes avant CSG CRDS.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 16 mars 2022.
MOTIVATION :
Sur le bien fondé du licenciement :
La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :
« [‘] le 28 février 2017, Madame [S], surveillante de soins et Madame [J], cadre supérieure de santé était interpellé par les propos de patients au sujet d’un événement s’étant déroulé le dimanche 19 février 2017 dans la chambre d’un patient hospitalisé au premier étage au sein du service de cancérologie et soins palliatifs. Madame [J] et Madame [S] était alertée de l’existence et de la diffusion d’une vidéo réalisée par vos soins avec Madame [G], infirmière, montrant un patient âgé en fin de vie quasiment nue sur son lit alors que vous étiez toutes les deux en train de chanter et danser autour de lui tout en filmant la scène. La direction a immédiatement diligenté une enquête qui a mis en évidence les éléments suivants :
Le dimanche 19 février 2017 aux alentours de 11 heures, vous étiez dans la chambre d’un patient âgé de 84 ans (installé en chambre 111 en service de cancérologie et soins palliatifs) avec votre binôme aide-soignante pour réaliser la toilette du patient. Madame [G], infirmière était également présente pour faire un soin. La télévision était allumée et diffusait une chanson. Vous avez soudain augmenté le son très fort, au point que plusieurs personnes se sont interrogées sur ce qui se passait. Puis, vous et Madame [G] avait commencé à danser et chanter dans la chambre du patient. Vous avez ensuite dégrafé subitement les boutons de votre blouse et vous vous êtes mis à vous trémousser de manière suggestive devant le patient toujours pratiquement nu. Durant toute la scène, la porte de la chambre du patient était restée ouverte pendant le soin, ce qui constitue une atteinte à l’intimité et à l’intégrité de la personne. C’est dans ces conditions qu’un agent hospitalier travaillant dans la chambre voisine, entendant la musique très fort et voyant la porte ouverte, entrait dans la chambre pour constater ce qui se passait . Après avoir refermé votre blouse, vous avez sorti votre téléphone portable et avait commencé par vous filmer avec l’infirmière Madame [G] en mode Selfie, puis vous avez fait avec votre téléphone le tour de la chambre en filmant le patient installé sur son lit toujours quasiment nu ainsi que deux collègues présents dans la chambre, et ce sans leur autorisation. Vous avez ensuite envoyé la vidéo, via le réseau social Snapchat détenu sur votre application mobile, à plusieurs soignants de l’établissement [5] et à des personnes extérieures à l’association.
Cette vidéo montrait :
– vous-même ainsi que Madame [G] munies de gants pour la toilette et les soins infirmiers, dansant dans la chambre d’un patient, la musique à tue-tête ;
– le patient vulnérable en fin de vie en position demie assise sur son lit, nue uniquement d’une serviette de toilette sur ses parties intimes.
En filmant cette scène dans de telles conditions, vous avez manifestement porté atteint à l’intégrité corporelle et à la dignité du patient vulnérable et désorienté qu’était cet homme en fin de vie âgée de 84 ans. Un tel comportement est en totale contradiction avec les valeurs de l’association présentes notamment dans notre charte. Or, je vous rappelle que la maltraitance consiste en : « tout acte ou omission qui a pour effet de porter atteinte, que ce soit de manière volontaire ou involontaire, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l’intégrité corporelle, à la dignité ou au bien-être d’une personne vulnérable ». En tant que soignant vous avait l’obligation d’exercer votre mission dans le respect de la vie humaine, le respect de la dignité et de l’intimité du patient, de sa famille et de ses proches.
La réalisation et la diffusion de cette vidéo mètre en danger la réputation de l’établissement [5] et plus généralement celle de l’association.
Parfaitement consciente de la gravité des faits, vous avez depuis votre mise à pied à titre conservatoire notifiée par courrier du 4 mars 2017, exercé des pressions psychologiques et menacé les soignants qui étaient entendus par la direction. D’ailleurs, étrange coïncidence, les voitures de deux salariés de [5], qui plus est ayant témoigné de vos agissements, ont été vandalisées.
Nous vous avons proposé de vous exprimer sur les faits. Vous n’avez pas souhaité vous exprimer. Pire encore, vous n’avez exprimé aucun remord ni aucune excuse. Cette conduite inacceptable est incompatible avec vos fonctions et trouble la sérénité indispensable au bon fonctionnement de notre activité. Elle ne saurait être tolérée au sein de l’association. Nous sommes donc contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. [‘] »
La faute grave est celle qui rend impossible la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve repose sur l’employeur qui l’invoque.
Madame [P] sollicite l’infirmation du jugement qui l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes découlant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement en contestant la valeur probatoire des attestations et pièces communiquées par l’employeur, en invoquant l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur qui a tout entrepris pour la licencier à moindre coût et a abusé de son pouvoir hiérarchique et de son pouvoir de direction, communiquant des décisions antérieures faisant état de procédure de licenciement « étonnement similaires ».
Il est constant que le 19 février 2017, Madame [P] était présente dans la chambre d’un patient en fin de vie avec une autre aide soignante comme elle, Mme [A] [Z] et une infirmière Mme [G], laquelle a également été licenciée à la suite des faits. La télévision était allumée et Madame [G] et Mme [P] entraînées par la musique se sont mises à danser devant le patient, Mme [P] sortant son portable et prenant une vidéo en selfie qu’elle a diffusée à certains de ses contacts par le biais de l’application Snapchat.
Il ressort des attestations communiquées par l’employeur qu’au-delà de ces faits :
– le son du téléviseur avait été augmenté fortement à tel point que plusieurs salariés s’en sont émus, ainsi Mme [U], agent service hospitalier qui faisait le ménage dans la chambre voisine a « entendu la musique très forte à la chambre 111 » et est « partie faire baisser le son » la musique étant tellement forte que lorsqu’elle a voulu parler « personne ne m’a entendue ». Mme [Z], présente dans la chambre, atteste elle aussi en parlant de Mmes [G] et [P] qu’« elles ont monté le son » et Mme [I] [T], infirmière en intégration dont c’était le troisième jour d’intégration explique également que pendant que l’infirmière [Mme [G]] s’est proposée pour aider les aides-soignantes afin d’aider dans les toilettes elle a été dérangée pendant cinq minutes en fin de matinée vers 11h30.« en effet le volume provenant de sa télé avait soudainement augmenté »
– non seulement Mme [P] a dansé devant le patient mais elle a dégrafé brièvement sa tenue professionnelle ainsi qu’en atteste Mme [Z] dans son attestation selon laquelle « d’un seul coup Madame [D] [P] a déboutonné sa blouse, continuait à danser puis un reboutonné sa blouse », attestation confirmée par celle de Madame [U], déjà citée et venue sur place attirée par le bruit qui indique : « [D] a même ouvert sa blouse devant le patient. ».
– Pendant cette scène, les soins ont été interrompus et M. [N], le patient, était installé sur son lit en position demie assise, nu, protégé par une serviette sur ses parties intimes ainsi qu’en attestent Mmes [U] et [Z] et Madame [O] [R], aide-soignante, cette dernière ayant vu la vidéo diffusée par Mme [P] confirmant que le patient était « en position demie assise sur son lit, juste avec sa serviette de toilette »,
– Madame [P] a diffusé auprès de tiers via l’application Snapchat une brève vidéo la montrant elle et Madame [G] en train de danser et de chanter mais laissant également apercevoir le patient ainsi que cela ressort de l’attestation de Madame [R], qui a vu la vidéo par le biais de Monsieur [K] qui l’avait reçue et confirme avoir vu le patient sur son lit comme il a été dit plus haut, par l’attestation de Monsieur [K] lui-même qui indique avoir pu voir « les jambes du patient » sur cette vidéo, par Madame [Z] qui indique avoir reçu la vidéo elle-même sur Snapchat et avoir réalisé qu’elle y figurait de même que le patient.
Il ressort en premier lieu du certificat médical établi par le Docteur [W] [C] que le patient M. [N] était hospitalisé dans l’établissement depuis le 11 janvier 2017 et qu’au bout d’un mois, il présentait une altération de son état général et en second lieu de l’analyse de son dossier faite par le médecin chef de l’établissement qu’il s’agissait d’un patient extrêmement dépendant en mauvaise évolution tant physique qu’intellectuelle avec des périodes de confusion rendant impossible l’expression claire de sa volonté, celui-ci précisant qu’il ne pouvait « exprimer sa volonté de participer à une vidéo et en comprendre l’intérêt’. Et ‘qu’à [son] sens, il est clair qu’il a subi cette « expérience » sans possibilité de l’arrêter si cela avait été son souhait’.
En tant qu’aide-soigante, Madame [P] qui dans son contrat affirme avoir pris connaissance de sa fiche de poste et du règlement intérieur de l’association savait qu’elle devait accomplir ses missions dans le parfait respect de la charte de la personne hospitalisée (confidentialité, respect de l’intimité et de la dignité du patient) ainsi que cela ressort de sa fiche de poste.
Dès lors, peu important par ailleurs Madame [P] ait pu faire preuve de professionnalisme, et que la vidéo snapchat n’ait pu être retrouvée, les attestations communiquées par l’employeur, précises, circonstanciés et concordantes sur le déroulé des faits jointes aux éléments médicaux ci-dessus rapportés suffisent à établir la matérialité des faits et leur gravité rendant impossible la poursuite du contrat de travail, aucun élément du dossier ne venant confirmer l’abus du pouvoir disciplinaire allégué ni l’exécution déloyale du contrat de travail.
La cour considère en conséquence que le licenciement est fondé sur une faute grave et déboute Madame [P] de l’ensemble des demandes qu’elle présente découlant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, de l’absence de faute grave ou d’un quelconque préjudice moral causé par le licenciement. Le jugement est confirmé de ces chefs.
Sur les autres demandes :
Madame [P], partie perdante est condamnée aux dépens et doit indemniser l’association Vivre et devenir des frais exposés par elle et non compris dans les dépens tant en première instance qu’en cause d’appel à hauteur de la somme de 150 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement étant infirmé de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a statué sur l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
DÉBOUTE Madame [D] [L] épouse [P] de l’ensemble de ses demandes,
CONDAMNE Madame [D] [L] épouse [P] aux dépens et à verser à l’association Vivre et devenir la somme de 150 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE