Droit de rétractation : décision du 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02390
Droit de rétractation : décision du 9 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02390
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 09/03/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/02390 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TSYP

Jugement (N° 19/02090)

rendu le 18 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Valenciennes

APPELANTE

La SAS Locam

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

assistée de Me Eric Bohbot, avocat au barreau de Versailles, avocat plaidant

INTIMÉE

Madame [Z] [U]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Anthony Bertrand, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l’audience publique du 03 novembre 2022 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 mars 2023 après prorogation du délibéré en date du 26 janvier 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 octobre 2022

****

Par acte sous-seing privé en date 13 mars 2018, Mme [Z] [U], exerçant la profession de pédicure-podologue, a souscrit auprès de la société Locam un contrat de location de site Web pour une durée de 48 mois et moyennant des mensualités d’un montant de 360 euros TTC, ledit site Web étant créé par la société Axecibles, en qualité de fournisseur.

Le 24 avril 2018, Mme [U] et la société Axecibles ont signé un procès-verbal de livraison et de conformité du site Web.

Le 2 mai 2018, la société Locam a adressé à Mme [U] une facture prévoyant le prélèvement des loyers mensuels à compter du 30 mai 2018.

La société Locam déplorant un défaut de paiement des loyers depuis le 30 septembre 2010 a fait assigner Mme [U] devant le tribunal de grande instance de Valenciennes.

Par jugement en date du 18 mars 2021, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

– prononcé la nullité du contrat de location de site web conclu entre la société Locam et Mme [U] en date du 13 mars 2018,

– condamné la société Locam à payer à Mme [U] la somme de 1 440 euros au titre du remboursement des loyers indus,

– ordonné la restitution par Mme [U] du site web, consistant en la désinstallation des fichiers sources du site internet de tous les matériels sur lesquels ils étaient fixés et dans la destruction de l’ensemble des copies de sauvegarde et documentations reproduites, et au besoin l’y condamne,

– débouté la société Locam de l’intégralité de ses demandes,

– condamné la société Locam à payer à Mme [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de toutes autres demandes,

– condamné la société Locam aux dépens.

Par déclaration du 26 avril 2021, enregistrée par le greffe le 3 mai 2021, la société Locam a relevé appel de ce jugement sauf en ce qu’il a ordonné la restitution du site web par Mme [U] et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2022, demande à la cour de :

– débouter Mme [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions.

– à titre principal, condamner Mme [U] à lui payer la somme de 17 410,31 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 31 décembre 2018, et jusqu’au parfait paiement.,

– à titre subsidiaire et pour le cas où la cour viendrait à prononcer la nullité du contrat, la condamner à lui payer la somme de 12 937,50 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir,

– en tout état de cause, condamner Mme [U] aux entiers dépens de l’instance et au paiement d’une somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que les dispositions relatives à un droit de rétractation du consommateur ne sont pas applicables et qu’elle n’a pas d’obligation relative à un droit de rétractation de son cocontractant puisque, d’une part, le contrat souscrit porte sur un service financier qu’elle fournit en tant qu’établissement habilité à effectuer des opérations de location financière, de sorte qu’en application des dispositions de l’article L.221-2-4 du code de la consommation, le bénéfice pour Mme [U] des dispositions protectrices du code de la consommation est exclu, et que d’autre part, les conditions posées par l’article L.221-3 du code de la consommation ne sont pas remplies, le contrat conclu étant en rapport direct avec la profession de Mme [U], qu’en conséquence, Mme [U] étant défaillante quant à son obligation de paiement envers elle à compter du loyer du 30 septembre 2018, les sanctions contractuelles trouvent à s’appliquer. Elle fait valoir subsidiairement, si le contrat était annulé, sur le fondement des articles 1217 et 1231-1 du code civil, que malgré ses dénégations, Mme [U] a conclu avec la société Axecibles un contrat visant à la création de son site Internet ce qu’atteste le procès-verbal de livraison et de conformité signé directement entre Mme [U] et la société Axecibles en sa qualité de fournisseur, que Mme [U] n’a pourtant pas appelé la société Axecibles en la cause pour demander l’annulation du contrat les liant, l’exposant à payer à perte les prestations exécutées par la société Axecibles pour son compte, ce qui lui cause un préjudice dont elle doit être indemnisée par Mme [U].

Mme [U], aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2022, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, débouter la société Locam de l’ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Elle fait valoir que si l’article L.221-2 du code de la consommation exclut les ‘services financiers’ du champ d’application des dispositions protectrices du code de la consommation, la société Locam se fonde à tort, pour donner une définition de ces ‘services financiers’, sur l’article L.311-2 du code monétaire et financier alors que celui-ci est relatif aux opérations de banque, que le contrat qu’elle a signé avec l’appelante n’est donc pas un contrat portant sur des ‘services financiers’ mais un contrat de location de site web ne relevant pas de cette exclusion, le juge de première instance ayant repris à bon droit la définition du service financier de la directive 2011/83/UE. Elle soutient par ailleurs que la rédaction applicable de l’article L.221-3 du code la consommation lui permet de bénéficier des dispositions applicables entre consommateurs et professionnels car l’activité informatique n’entre pas dans son champ de compétence professionnelle puisqu’elle exerce la profession de pédicure podologue. Elle fait valoir qu’en conséquence, la société Locam ne démontrant pas avoir respecté les dispositions protectrices du consommateur relatives au droit de rétractation, la nullité du contrat doit être prononcée, et le contrat de location de site web en cause étant un contrat tripartite entre la société Locam, la société Axecibles et elle-même, les sommes qu’elle a versées à la société doivent lui être restituées, devant elle-même restituer le site web à la société Axecibles, la société Locam ne pouvant prétendre à la restitution de la somme qu’elle dit avoir payée à la société Axecibles qu’à l’encontre de cette dernière.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire sur la portée de l’appel

Par déclaration d’appel du 26 avril 2021, la société Locam n’a pas relevé appel du jugement en ce qu’il ‘ordonne la restitution par Mme [U] du site web, consistant en la désinstallation des fichiers sources du site internet de tous les matériels sur lesquels ils étaient fixés et dans la destruction de l’ensemble des copies de sauvegarde et documentations reproduites, et au besoin l’y condamne’ mais sollicite, au dispositif des dernières conclusions, l’infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

L’article 562 du code de procédure civile dispose que l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Si la cour est saisie par l’étendue de la déclaration d’appel, en l’espèce, la restitution du site web est une conséquence directe et indissociable du prononcé de la nullité du contrat de location du site web, de sorte que, ce dernier chef étant critiqué par la déclaration d’appel, la cour est nécessairement saisie du chef portant sur sa restitution.

Sur la nullité alléguée du contrat

Sur l’objet du contrat et le bénéfice de certaines des dispositions protectrices du consommateur

Il résulte de l’article L.221-3 du code de la consommation que les dispositions des sections 2, 3, 6 du chapitre 1er ‘Contrats conclus à distance et hors établissement’ applicables aux relations entre consommateurs et professionnels sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

Selon l’article L.221-2-4° du code de la consommation, les contrats portant sur les services financiers sont exclus du champ d’application du chapitre concernant les contrats conclus à distance et hors établissement (articles L.221-1 à L.221-29).

Selon l’article L. 222-1 du même code, les dispositions particulières aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers (Articles L.222-1 à L.222-18) s’appliquent aux services mentionnés aux livres Ier à III et au titre V du livre V du code monétaire et financier ainsi qu’aux opérations pratiquées par les entreprises régies par le code des assurances, par les mutuelles et unions régies par le livre II du code de la mutualité et par les institutions de prévoyance et unions régies par le titre 3 du livre 9 du code de la sécurité sociale sans préjudice des dispositions spécifiques prévues par ces codes.

L’article 2 de la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, dont les dispositions ont été transposées en droit interne par la loi dite Hamon, définit le service financier comme étant « tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux pensions individuelles, aux investissements ou aux paiements ».

Par ailleurs, l’article L.311-2 du code monétaire et financier dispose notamment que ‘les établissements de crédit peuvent aussi effectuer les opérations connexes à leur activité telles que […] 6. les opérations de location simple de biens mobiliers ou immobiliers pour les établissements habilités à effectuer des opérations de crédit-bail’.

En l’espèce, le contrat conclu entre les parties porte le titre en caractères gras et surdimensionnés ‘contrat de location de site web’, les conditions générales jointes sont intitulées ‘conditions générales de location de site web’ et mentionnent à titre liminaire : ‘le présent contrat a pour objet de définir les conditions dans lesquelles le loueur concède une licence d’utilisation du site Web au locataire, moyennant le versement de loyer par le locataire’.

L’objet principal du contrat est donc la location d’un site Web en contrepartie du paiement d’un loyer et non un financement, ce que corroborent les obligations réciproques du loueur et du locataire énumérées aux conditions générales de vente.

Par ailleurs, s’il n’est pas contesté que la société Locam est agréée auprès de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution, c’est à tort qu’elle déduit de ce que, son activité répondant à l’article L311-2 I. 6° du code monétaire et financier, elle doit être qualifiée de service financier dès lors que, si son activité entre effectivement dans le champ de cet article, celui-ci est inséré au titre I du Livre III du code monétaire et financier intitulé ‘les opérations de banque, les services de paiement et l’émission et la gestion de monnaie électronique’ alors que les ‘services financiers’ font l’objet d’un titre distinct (Titre IV ‘démarchage, colportage et fournitures à distance de services financiers’), qu’en conséquence son activité relève, en application de ce texte, des opérations bancaires connexes et non de services financiers.

Le contrat de location qui a pour objet la mise à la disposition de Mme [U] d’un site Web en contrepartie du paiement d’un loyer n’est pas un service financier au sens des textes précités.

Or il n’est pas contesté que ce contrat a été souscrit hors établissement étant précisé qu’il a été souscrit à [Localité 4], commune d’exercice de Mme [U].

Enfin, en ce qui concerne l’activité de Mme [S], il ressort de sa déclaration fiscale 2035 au titre de l’année 2018 qu’elle n’emploie pas de salarié et, de l’avis de répertoire SIRENE, que son activité principale relève des ‘activités des professionnels de la rééducation, de l’appareillage et des pédicures podologues’, l’objet du contrat, à savoir la création, l’installation et la mise à disposition d’un outil numérique, ne relevant donc pas de son champ d’activité professionnelle.

En effet, si l’objet du contrat présente un lien direct avec l’activité professionnelle de la souscriptrice puisqu’il est conclu aux fins de communication sur celle-ci, il n’entre pas son champ d’activité principale dès lors qu’elle ne conclut pas en tant que professionnelle du domaine objet du contrat mais au contraire dans un champ de compétence qui n’est pas le sien, justifiant qu’elle bénéficie de la protection du simple consommateur.

En conséquence, en application des dispositions de l’article L.221-3 du code de la consommation, les dispositions des sections 2, 3, 6 du chapitre Ier, titre II, Livre II du code de la consommation applicables aux relations entre consommateurs et professionnels s’appliquent au contrat objet du litige.

Sur le respect de l’obligation d’information préalable du consommateur

Les articles L.221-5 et L.221-8 du code de la consommation mettent à la charge du professionnel l’obligation de communiquer au consommateur de manière écrite, lisible et compréhensible, préalablement à la conclusion du contrat, un certain nombre d’informations telles que les caractéristiques de la prestation, son délai de réalisation, ainsi que l’existence, les conditions, le délais et les modalités d’exercice du droit de rétractation.

En application de l’article L.221-9 du même code, le contrat doit comprendre toutes les informations prévues à l’article L. 221-5 et être accompagné d’un formulaire type de rétractation.

Ces obligations sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement par l’article L. 242-1 du même code.

En l’espèce, la société Locam ne démontre pas avoir respecté ses obligations. En effet, le contrat de location de site web du 13 mars 2018, les conditions générales de location de site Web qui sont attachées et les pièces produites aux débats ne permettent pas de connaître certaines caractéristiques essentielles de la prestation (coût de la prestation hors financement, délai de réalisation, droit de rétractation), aucun formulaire type de rétraction n’étant au demeurant produit.

En conséquence, c’est à bon droit que le premier juge a prononcé la nullité du contrat de location de site web conclu le 13 mars 2018 entre la société Locam et Mme [S].

Sur les effets de la nullité du contrat de location de site Web

Selon l’article 1178 du code civil, un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord. Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé. Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9. Indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extra contractuelle.

En l’espèce, la nullité du contrat emporte l’annulation de l’obligation de paiement de la prestation souscrite par Mme [U] et la société Locam ne peut qu’être déboutée de sa demande principale en paiement de la somme de 17 410,31 euros.

L’annulation du contrat admettant un effet rétroactif exclut l’application des articles 1231-1 et 1217 du code civil sollicitée par la société Locam et l’engagement de la responsabilité contractuelle de Mme [U], étant précisé que la société Locam n’est, en tout état de cause, pas fondée à réclamer à Mme [U] la réparation d’un préjudice de 12 937,50 euros correspondant au prix d’achat de la licence qu’elle a acquise auprès de la société Axecibles alors qu’elle dispose elle-même d’un recours contractuel contre la société Axecibles se déduisant de la facture d’achat de licence qu’elle produit aux débats.

Cependant, la nullité du contrat imposant la remise en état des parties dans l’état où elles se trouvaient avant ce contrat, il convient de condamner Mme [U] à restituer à la société Locam l’accès au site web mis à sa dispositions par la licence louée tandis que la société Locam sera condamnée à lui restituer la somme de 1440 euros correspondant au montant des loyers versés.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé.

Il appartient à l’appelante, partie perdante, de supporter la charge des dépens conformément à l’article 696 du code de procédure civile. Il est en outre équitable, vu l’article 700 du même code, qu’elle indemnise l’intimée des autres frais que cette dernière a été contrainte d’exposer pour assurer la défense de ses intérêts et qu’elle soit déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour

confirme le jugement entrepris,

déboute la société Locam de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

la condamne aux dépens et à payer à Mme [Z] [U] la somme de 2 500 euros en application des dispositions dudit article 700.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet

 


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