Droit de rétractation : décision du 7 décembre 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/01104
Droit de rétractation : décision du 7 décembre 2023 Cour d’appel de Bourges RG n° 22/01104
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COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

– SCP [Adresse 6]

– Me Florence BOYER

Expédition TJ

LE : 07 DECEMBRE 2023

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2023

N° – Pages

N° RG 22/01104 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DP6H

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de NEVERS en date du 05 Octobre 2022

PARTIES EN CAUSE :

I – Mme [P] [K] épouse [Y]

née le 09 Janvier 1949 à [Localité 9]

[Adresse 2] – [Localité 4]

– M. [X] [Y]

né le 14 Juillet 1946 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par la SCP AVOCATS CENTRE, avocat au barreau de BOURGES

timbre fiscal acquitté

APPELANTS suivant déclaration du 17/11/2022

INCIDEMMENT INTIMÉS

II – M. [V] [I]

né le 14 Juin 1964 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 3] (MALAISIE)

Représenté par Me Florence BOYER, avocat au barreau de NEVERS

timbre fiscal acquitté

INTIMÉ

INCIDEMMENT APPELANT

07 DECEMBRE 2023

N° /2

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Octobre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller, chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme CLEMENT Présidente de Chambre

M. PERINETTI Conseiller

Mme CIABRINI Conseillère

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [V] [I], résident malaisien, a donné mandat à l’agence Orpi Mahaut Mathey le 12 février 2018 pour rechercher un acquéreur pour sa maison située [Adresse 1] à [Localité 8] (58) pour un prix de 245 000 euros hors frais d’acquisition.

Le 7 janvier 2019, il a reçu une offre de Mme [P] [K] épouse [Y] et M. [X] [Y] au prix de 245 000 euros.

Le 12 janvier 2019, M. [I] a confirmé à l’agence Orpi avoir contacté son notaire, Me [R] [L], pour la rédaction d’un projet de promesse de vente.

Par courriel du 14 janvier 2019, M. et Mme [Y] ont indiqué que la date souhaitée par M. [I] pour la réalisation de la vente, en juin 2019, était trop tardive, puisqu’ils devaient libérer leur propre maison pour le 15 avril 2019.

Par courriel du 26 février 2019, M. [I] a accepté cette date et indiqué que son épouse se rendrait en France à la fin du mois de mars 2019 pour libérer la maison.

Par courriel du 7 mars 2019, Me [L] a indiqué à M. [I] que le notaire de M. et Mme [Y] avait évoqué la régularisation de la vente en avril 2019, sans conclusion préalable d’un avant-contrat.

Mme [I] s’est rendue en France du 23 au 31 mars 2019 afin de libérer la maison des meubles que M. et Mme [Y] ne souhaitaient pas reprendre.

Par courriel du 8 avril 2019, Mme [I] s’est plainte de ce que M. et Mme [Y] avaient fait mettre les contrats d’abonnement de téléphonie, d’électricité et d’eau à leur nom, alors que la vente n’avait pas encore été conclue, ce qui entraînait des conséquences fiscales défavorables pour la vente du bien.

Le projet d’acte de vente a été remis à M. et Mme [Y] le 26 avril 2019, avec notification de leur droit de rétractation dans le délai de 10 jours.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 1er mai 2019, ils ont informé leur notaire qu’ils renonçaient à l’acquisition et se rétractaient en application de l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation.

Par acte d’huissier de justice du 14 mai 2021, M. [I] a fait assigner M. et Mme [Y] devant le tribunal judiciaire de Nevers en réparation de divers préjudices qu’il aurait subis du fait de fautes commises antérieurement à la rétractation.

Par jugement du 5 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Nevers a :- dit que les agissements de M. et Mme [Y] étaient constitutifs d’une faute ayant causé à M. [I] des dommages ouvrant droit à réparation au sens de l’article 1240 du code civil,

– condamné M. et Mme [Y] à payer à M. [I] la somme de 15 218,68 euros en réparation de son entier préjudice,

– débouté M. et Mme [Y] de leurs demandes reconventionnelles,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision,

– condamné M. et Mme [Y] à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. et Mme [Y] aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration du 17 novembre 2022, M. et Mme [Y] ont interjeté appel de ce jugement en l’ensemble de ses dispositions.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 24 juillet 2023, M. et Mme [Y] demandent à la cour de :

– déclarer recevable et bien fondé leur appel et, y faisant droit,

– infirmer le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

– débouter M. [I] de l’ensemble de ses demandes,

Reconventionnellement,

– condamner M. [I] à leur payer la somme de 3 795,76 euros au titre des frais de garde-meubles et de location d’un logement temporaire,

– condamner M. [I] à leur payer la somme de 600 euros au titre des frais d’avocat engagés antérieurement à la présente procédure,

– condamner M. [I] à leur payer la somme de 5 000 euros pour procédure abusive,

En tout état de cause,

– condamner M. [I] à leur payer la somme de 14 400 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [I] aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 mai 2023, M. [I] demande à la cour de :

– dire et juger l’appel interjeté recevable mais non fondé,

– débouter M. et Mme [Y] de l’ensemble de leurs demandes,

– dire et juger son appel incident recevable et bien fondé,

– confirmer le jugement en ce qu’il a dit que les agissements de M. et Mme [Y] sont constitutifs d’une faute ayant causé à M. [I] des dommages ouvrant droit à réparation au sens de l’article 1240 du code civil, débouté M. et Mme [Y] de leurs demandes reconventionnelles, condamné M. et Mme [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

– le réformer pour le surplus et condamner M. et Mme [Y] à lui payer :

> 218,68 euros en remboursement des frais de souscription d’abonnements,

> 21 231 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier de l’avantage fiscal,

> 23 000 euros au titre du rachat des meubles,

> 42 840 euros au titre de la perte de revenus locatifs,

soit globalement la somme de 87 289 euros,

– condamner M. et Mme [Y] solidairement à lui payer 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières conclusions pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE

Sur l’engagement de la responsabilité de M. et Mme [Y]

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L’article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Il appartient à la victime de rapporter la preuve de la faute, du préjudice et du lien de causalité entre les deux.

La preuve d’un dommage peut être rapportée par tout moyen, et notamment par un décompte d’indemnisation établi par la victime, dont le juge apprécie souverainement la valeur et la portée.

L’auteur d’une faute qui a causé un dommage est tenu à entière réparation envers la victime, une faute de celle-ci pouvant seule l’exonérer en partie quand cette faute a concouru à la production du dommage.

Dès lors qu’il ressort des éléments soumis au juge que le défendeur a subi un préjudice, le juge ne peut le débouter de sa demande d’indemnisation au motif qu’il ne fournit pas d’éléments suffisants pour procéder à l’évaluation.

Le principe de la réparation intégrale du préjudice n’implique pas de contrôle sur l’utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation.

Sur les frais de souscription de nouveaux contrats d’abonnement

En l’espèce, M. [I] reproche premièrement aux époux [Y] d’avoir résilié dès la fin du mois de mars 2019, et alors que la signature de la vente n’était prévue que pour le mois d’avril 2019, ses abonnements de téléphone, d’eau et d’électricité sans l’en avoir préalablement avisé, sans lui avoir demandé son accord et alors qu’ils n’avaient encore aucun droit sur l’immeuble concerné.

Il convient de remarquer au préalable que la faute reprochée aux époux [Y] n’est pas de s’être rétractés de la vente, comme l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation leur en offre la libre faculté. En effet, ainsi que le soutient M. [I], le fait d’avoir résilié les contrats d’abonnement avant la conclusion de la vente et la rétractation de la vente ne se confondent pas, de sorte que les époux [Y] ne sauraient invoquer l’article L. 271-1 précité pour soutenir que leur comportement n’est pas susceptible de revêtir les caractères d’une faute. Le préjudice invoqué par M. [I] ne résulte pas du « seul fait de l’exercice d’un droit légalement prévu et valablement exercé » comme l’invoquent les appelants, mais de leurs démarches visant à résilier les contrats d’abonnement avant la conclusion de la vente.

Il n’est pas contesté que les époux [Y] ont pris contact dès la fin du mois de mars 2019 avec Orange, EDF et la SAUR pour faire résilier les abonnements de M. [I] afin de pouvoir en conclure de nouveaux à leur nom, avec effet au 11 avril 2019.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, il ne ressort pas des échanges de courriels avec Mme [I] que celle-ci les ait autorisés, au nom de son mari, à résilier les abonnements avant la conclusion de la vente. Le fait que Mme [I] ait procédé au relevé des compteurs le 30 mars 2019 lors de son séjour en France et les ait communiqués à l’agence immobilière ne saurait, pas plus que la circonstance qu’elle ou son époux n’aient pas réagi au courriel de M. [Y] du même jour qui indiquait, sans plus de précisions temporelles, effectuer « les changements nécessaires auprès d’EDF et du service des eaux », être analysé comme un accord à la résiliation des contrats avant la vente. C’est donc en vain que les appelants allèguent que M. [I] aurait, en ne s’opposant pas à la modification des abonnements, « accepté le risque » de devoir souscrire de nouveaux abonnements.

Par ailleurs, il est observé que les époux [Y] reconnaissent avoir demandé une date de souscription au 11 avril 2019 alors qu’il était évident, à ce stade du processus de vente, que la vente ne pouvait qu’intervenir postérieurement à cette date, eu égard aux difficultés pour fixer un rendez-vous de signature de l’acte et du fait que la remise du projet d’acte de vente aux acheteurs, qui fait courir le délai de rétractation de dix jours, n’était pas encore intervenue.

Le fait que les époux [Y] aient rapidement effectué le nécessaire pour résilier les contrats nouvellement conclus à leur nom n’a pas pour effet de remettre en cause la résiliation initiale des contrats d’abonnement détenus par M. [I].

Au regard de ces éléments, il convient de retenir que les époux [Y] ont agi avec précipitation et imprudence, constitutives d’une faute, en résiliant les contrats d’abonnement de téléphonie fixe/internet/télévision, d’eau et d’électricité du bien immobilier qu’ils envisageaient d’acheter, à un stade si précoce du processus de vente que la date de signature de l’acte de vente devant le notaire n’était pas encore fixée, que le projet d’acte de vente ne leur avait pas encore été remis, qu’ils disposaient encore d’un délai de dix jours pour exercer leur droit de rétractation et qu’ils n’avaient en tout état de cause pas encore signé l’acte de vente, de sorte qu’ils ne disposaient, à ce stade, d’aucun droit sur le bien litigieux.

Pour justifier de son préjudice, M. [I] produit une facture de souscription EDF du 21 juillet 2019 d’un montant total de 68,49 euros, dont 43,63 euros correspondant à des « prestations de mise en service », une facture Orange du 3 octobre 2019 d’un montant de 40,69 euros, qui ne fait apparaitre aucun frais de souscription, et une facture d’accès au service SAUR du 11 juillet 2019 d’un montant de 109,50 euros, dont 57,20 euros de « frais d’ouverture et de branchement pour mise en service ».

Dans la mesure où seul le paiement de frais de souscription et de mise en service présente un lien de causalité avec la résiliation fautive des contrats d’abonnement ‘ à l’exclusion donc des sommes facturées au titre de l’abonnement et des consommations ‘, le préjudice de M. [I] à ce titre doit être évalué à la somme de 100,83 euros.

Sur la perte de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U, II., 2° du code général des impôts

M. [I] allègue deuxièmement que la résiliation des contrats d’abonnement par les époux [Y] avant la conclusion de la vente a eu pour effet de le priver du bénéfice de l’« abattement » fiscal prévu par l’article 150 U, II., 2° du code général des impôts.

Cet article prévoit que les plus-values ne sont pas passibles de l’impôt sur les revenus pour la cession d’un logement situé en France lorsque le cédant est une personne physique, non résidente de France, ressortissante d’un État membre de l’Union européenne, à la condition qu’il ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession.

Cette exonération s’applique, dans la limite d’une résidence par contribuable et de 150 000 € de plus-value nette imposable, aux cessions réalisées au plus tard le 31 décembre de la dixième année suivant celle du transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France ou, sans condition de délai, lorsque le cédant a la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l’année précédant celle de la cession.

M. [I] soutient qu’il ne pouvait plus apporter la preuve de ce qu’il avait eu la libre disposition du bien depuis le 1er janvier 2018 par la production des factures d’électricité, d’eau et de téléphone dès lors qu’elles avaient été établies au nom des futurs acquéreurs avant la signature de la vente.

Il convient cependant de relever que M. [I] reconnait dans ses dernières écritures qu’il n’a pas eu à payer d’impôt sur la plus-value immobilière et qu’il n’a donc jamais été privé du bénéfice de l’exonération fiscale de l’article 150 U, II., 2° du code général des impôts, dès lors que la vente avec les époux [Y] ne s’est pas réalisée. C’est donc à juste titre que ces derniers relèvent que le préjudice allégué par M. [I] n’a pas été subi.

Au demeurant, M. [I] ne produit aucune décision de l’administration fiscale démontrant qu’il aurait été considéré par cette dernière comme jouissant de la libre disposition de son bien en 2018 et 2019 ‘ en particulier eu égard à la mise en location de ce dernier sur la plateforme AirBnB ‘ et comme ayant été privé de celle-ci durant les quelques jours où les contrats d’abonnement d’électricité, d’eau et de téléphonie/internet/télévision ont été au nom des époux [Y].

Il ne saurait en conséquence faire valoir que la résiliation des contrats d’abonnement par les époux [Y] l’ait contraint à attendre deux années pour remettre en vente son bien avant de pouvoir prétendre bénéficier à nouveau de l’exonération.

M. [I] échoue donc à rapporter la preuve d’un préjudice au titre de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U, II., 2° du code général des impôts, et d’un lien de causalité entre ce prétendu préjudice et la faute commise par les époux [Y].

Sur la vente des meubles meublants

M. [I] soutient que les époux [Y] l’ont contraint à vider la maison en urgence en exigeant qu’elle soit libre de tout bien au 15 avril 2019. Il estime qu’ils n’ont pas eu le comportement d’acquéreurs de bonne foi et ont exprimé des exigences particulières avant la signature de la vente. Il prétend que cela a conduit son épouse à vendre tous les meubles en urgence pour un prix de 1 500 euros, alors qu’il devrait débourser la somme de 24 500 euros pour remeubler le bien à l’identique.

Il convient en premier lieu de relever, comme le font justement valoir les époux [Y], que la demande faite par les acquéreurs au vendeur de libérer les lieux au jour de la vente est une demande classique qui ne saurait, sauf circonstances particulières, s’analyser en une « exigence particulière » revêtant les caractères d’une faute.

Les courriels échangés entre M. et Mme [Y], l’agence immobilière et M. et Mme [I] démontrent cependant que les acheteurs ont insisté, dès l’émission de leur offre en janvier 2019, sur la nécessité de pouvoir emménager au plus tard le 15 avril 2019, date de la libération de leur propre logement, le cas échéant par le biais de la conclusion d’une convention d’occupation. Le notaire de M. [I] étant défavorable à une telle solution, ce dernier a pris des dispositions pour vider la maison de ses meubles au 15 avril 2019, ce qui a conduit Mme [I], qui réside avec son époux en Malaisie, à se rendre en France du 23 mars au 31 mars 2019 à cette fin.

C’est ainsi que par courriel du 26 février 2019, M. [Y] a indiqué à Mme [I] être heureux de la rencontrer le 23 mars pour s’accorder sur la liste de mobilier à reprendre et lui a demandé de lui indiquer une heure pour se retrouver à la maison à vendre, de préférence avant le début des opérations de vente du mobilier. Par courriel du 24 mars 2019, il l’a remerciée pour son implication dans la libération expresse de la maison et lui a adressé la liste des meubles qu’il souhaitait reprendre.

En insistant pour voir régler le devenir des meubles meublant le bien à vendre et libérer les lieux avant la signature de l’acte de vente, alors qu’ils n’ignoraient pas disposer d’une faculté de rétractation qu’ils étaient susceptibles de mettre librement en ‘uvre, les époux [Y] ont fait preuve d’une légèreté blâmable constitutive d’une faute engageant leur responsabilité à l’encontre de M. [I].

M. [I] a toutefois également commis une faute d’imprudence contribuant à son propre dommage en procédant à la vente hâtive des meubles alors même que la vente n’avait pas encore été conclue et que les acquéreurs disposaient d’une faculté de rétractation pouvant être discrétionnairement exercée.

Comme le soulèvent à juste titre les appelants, si ces derniers ont demandé que la maison soit vidée de ses meubles pour le 15 avril 2019, M. [I] n’était nullement contraint de revendre les meubles à vil prix, dès lors qu’il aurait également pu les conserver en garde-meubles, au moins jusqu’à la signature de la vente, et/ou prendre le temps d’en organiser la vente dans de meilleures conditions financières.

Il apparaît dès lors que le dommage dont se prévaut M. [I] a été davantage causé par sa décision de revendre rapidement les meubles avant la conclusion de la vente que par l’insistance des époux [Y] à voir libérer la maison pour le 15 avril 2019. Afin d’en tenir compte, la responsabilité sera partagée à hauteur d’un tiers pour les époux [Y] et de deux tiers pour M. [I].

S’agissant de l’estimation du préjudice, il n’est pas contesté que M. [I] a revendu tous les meubles garnissant la maison ‘ à l’exception de ceux que les époux [Y] souhaitaient conserver ‘ pour la somme de 1 500 euros, soit pour un prix nettement inférieur à leur valeur.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la liste de meubles et de prix produite par M. [I] est suffisante pour estimer son préjudice, étant rappelé en tout état de cause que dès lors que le juge constate que la victime a subi un préjudice, il ne pourrait la débouter de sa demande d’indemnisation au motif qu’elle ne fournit pas d’éléments suffisants pour procéder à l’évaluation.

Il est également sans pertinence que M. [I] ne prouve pas que le bien ait été remeublé, dès lors que le principe de la réparation intégrale du préjudice n’implique pas de contrôle sur l’utilisation des fonds alloués à la victime qui conserve leur libre utilisation.

Sur la base de la liste de prix fournie par M. [I], dont certains apparaissent surévalués, et en tenant compte des 1 500 euros perçus lors de la vente du mois de mars 2019, le préjudice matériel lié à la vente des meubles meublant sera donc estimé à 18 000 euros, dont un tiers de cette somme, soit 6 000 euros, sera mis à la charge des époux [Y] à titre de dommages-intérêts.

Sur la perte de revenus locatifs

M. [I] expose enfin qu’il louait la maison sur la plateforme AirBnB et que les revenus locatifs des trois années précédant 2019 étaient en moyenne de 21 420 euros. Il soutient ne pas avoir pu louer la maison depuis la rétractation des époux [Y], puisqu’elle était vide de meubles et donc inhabitable. Il sollicite l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 42 840 euros correspondant à deux années de revenus locatifs.

La faute dont M. [I] fait état sur ce plan est la même que celle qu’il a invoquée concernant le préjudice relatif à la vente des meubles meublants. Comme retenu précédemment, si l’insistance des époux [Y] pour vider prématurément la maison de ses meubles est constitutive d’une faute, il convient également de prendre en considération la faute d’imprudence de M. [I] consistant en la revente des meubles plutôt qu’à leur conservation jusqu’à la réalisation effective de la vente.

Les époux [Y] contestent que la perte de revenus locatifs ait été causée par l’absence de meubles dans la maison. Ils soutiennent que si M. [I] n’a pas remis le bien en location, c’est afin d’en conserver la libre disposition pour pouvoir bénéficier de l’exonération fiscale prévue à l’article 150 U, II., 2° du code général des impôts.

Aucun élément du dossier ne permet cependant d’aboutir à une telle conclusion. Il sera donc retenu que si la maison n’a pas pu être immédiatement remise en location sur AirBnB, comme M. [I] justifie qu’il avait coutume de le faire, c’est en raison de la nécessité de la remeubler au préalable. Le préjudice dont se prévaut M. [I] découlant de la revente des meubles, il sera retenu le même partage de responsabilité que précédemment, à savoir 1/3 pour les époux [Y] et 2/3 pour M. [I].

S’agissant de l’évaluation de ce préjudice, M. [I] ne justifie aucunement des raisons pour lesquelles il aurait eu besoin de deux ans, soit un temps très long, pour procéder au réaménagement de la maison, qui pouvait raisonnablement intervenir dans un délai de deux mois eu égard à l’absence de contraintes dans le choix des meubles et aux délais de livraison usuels. L’indemnisation du préjudice sera donc limitée à cette durée.

Enfin, comme le font justement valoir les appelants, il ne saurait être retenu une base de 21 420 euros au titre des revenus locatifs, dans la mesure où les charges, afférentes notamment au ménage, à l’entretien du jardin, aux consommations énergétiques et aux impôts, ne sont pas déduites de ces revenus, de sorte que les revenus locatifs nets sont nécessairement moindres.

Dans la mesure où M. [I] ne produit aucun élément et ne fournit aucune explication sur les charges afférentes à la location de son bien, il sera appliqué un abattement de 30% sur les revenus locatifs bruts afin d’en tenir compte.

Le préjudice de M. [I] sera donc évalué à la somme de 4 998 euros (21 420 euros x 0,7 / 6 mois de mise en location par an x 2 mois), dont 1 649 euros, soit un tiers, devront être pris en charge par les époux [Y].

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a condamné les époux [Y] à payer à M. [I] la somme de 15 218,68 euros en réparation de son préjudice. Ils seront condamnés à lui payer à ce titre la somme de 7 749,83 euros.

Sur l’engagement de la responsabilité de M. [I]

Les appelants sollicitent l’infirmation du jugement attaqué en ce qu’il les a déboutés de leur demande reconventionnelle visant à engager la responsabilité délictuelle de M. [I]. Ils exposent qu’en raison de l’inertie de M. [I] dans la transmission des documents nécessaires à l’avancement de la vente, ils n’ont pas pu acquérir le bien concomitamment à la vente de leur propre logement. Ils soutiennent ainsi avoir dû placer leurs biens en garde-meubles dès la vente de leur maison le 8 avril 2019 et trouver un lieu de logement temporaire, d’abord chez des proches puis en location à compter du 6 mai 2019.

Les époux [Y] ne démontrent cependant pas que M. [I] aurait fait preuve d’une inertie fautive dans le processus de vente eu égard à sa situation particulière de non-résident français. En outre, il est précisé que même à considérer que M. [I] puisse valablement se voir reprocher une telle faute, celle-ci ne serait pas en lien avec le préjudice relatif à la nécessité de retrouver un logement temporaire, qui trouve son origine dans leur propre rétractation de la vente le 1er mai 2019.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté les époux [Y] de leur demande de dommages-intérêts à ce titre.

Les époux [Y] demandent également l’allocation d’une somme de 600 euros à titre de dommages-intérêts correspondant aux honoraires d’avocat pour la réponse à un courrier de mise en demeure émanant de M. [I] un an après la rétractation de la vente.

Ils ne démontrent cependant pas en quoi l’envoi du courrier de mise en demeure adressé par M. [I] revêtirait les caractères d’une faute, de sorte que le jugement attaqué sera également confirmé en ce qu’il les a déboutés de cette demande.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Les époux [Y] sollicitent enfin l’infirmation du jugement attaqué en ce qu’il les a déboutés de leur demande de condamnation de M. [I] pour procédure abusive.

Dès lors que M. [I] a partiellement obtenu gain de cause en justice, les appelants échouent à démonter qu’il ait usé abusivement de son droit d’ester en justice.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance.

Les parties succombant partiellement en leurs prétentions respectives, elles seront condamnées pour moitié chacune aux dépens.

L’issue de la procédure et l’équité commandent par ailleurs de les débouter de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Infirme partiellement le jugement rendu le 5 octobre 2022 par le tribunal judiciaire de Nevers en ce qu’il a condamné M. [X] [Y] et Mme [P] [K] épouse [Y] à payer à M. [V] [I] la somme de 15 218,68 euros en réparation de son entier préjudice,

– Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

– Condamne M. [X] [Y] et Mme [P] [K] épouse [Y] à payer à M. [V] [I] la somme de 7 749,83 euros à titre de dommages-intérêts,

– Partage les dépens de l’instance d’appel par moitié entre les parties,

– Déboute les parties de leurs demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

L’arrêt a été signé par O. CLEMENT, Présidente, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Présidente,

S. MAGIS O. CLEMENT

 


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