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Arrêt n°
du 4/01/2023
N° RG 21/02142
CRW/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 4 janvier 2023
APPELANTES :
d’un jugement rendu le 10 septembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes de CHALONS EN CHAMPAGNE, section Commerce (n° F 20/00087)
1) SAS GSF ARIANE
[Adresse 6]
[Localité 5]
2) SAS GSF ARIANE
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentées par la SELAS FIDAL, avocats au barreau de REIMS et par la SELAS FIDAL, avocats au barreau de METZ
INTIMÉE :
Madame [I] [H] épouse [E]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 7 novembre 2022, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 4 janvier 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
[I] [E], née [H] a été salariée de la SAS GSF Ariane, selon contrat à durée indéterminée à effet du 4 juillet 2017, à temps partiel, en qualité d’agent de service, jusqu’au 17 juillet 2020, date à laquelle la rupture conventionnelle, homologuée le 9 juillet 2020, conclue entre les parties a pris effet.
Prétendant à la nullité de cette rupture conventionnelle, d’une part en ce qu’elle n’a pas reçu un exemplaire original de ce qui avait été signé, la privant ainsi de sa faculté de rétractation, d’autre part, parce que celle-ci a été signée alors qu’elle avait été victime de harcèlement moral, [I] [E] a saisi, par requête enregistrée au greffe le 16 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne, pour voir, aux termes de ses dernières conclusions,
– dire nulle la rupture conventionnelle qu’elle a conclue, s’analysant donc en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
– condamner l’employeur, sous exécution provisoire, au paiement des sommes suivantes :
. 2 767,64 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 276,76 euros à titre de congés payés afférents,
. 10’000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
. 1 700 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise du certificat de travail, des bulletins de paie et de l’attestation Pôle Emploi rectifiés, sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document, à compter de la décision, pour la juridiction se réserver la faculté de liquider l’astreinte.
Par jugement du 10 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne a fait droit en leurs principes aux demandes ainsi formées, sauf à réduire le montant des dommages-intérêts alloués au titre de la rupture du contrat, l’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à ne pas assortir d’une astreinte la remise des documents qu’il ordonnait.
La SAS GSF Ariane a interjeté appel de cette décision le 2 décembre 2021, pour l’affaire être enrôlée sous le n° 21/2142, puis le 25 janvier 2022, pour l’affaire être enrôlée sous le n° 22/106.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 29 juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante, par lesquelles la SAS GSF Ariane, faisant valoir que la convention de rupture a été établie sur un imprimé Cerfa, dont elle a remis un exemplaire à sa salariée, comme en atteste la membre du CSE qui l’accompagnait, conclut à la régularité de la procédure de rupture conventionnelle, sur la base de laquelle la convention n’a pas lieu d’être annulée.
Sur le vice du consentement, qu’ont écarté les premiers juges, elle sollicite la confirmation du jugement pour conclure, in fine, au débouté de [I] [E] en l’ensemble de ses demandes, d’autant qu’à titre subsidiaire, elle fait valoir que celle-ci n’a pas subi de faits de harcèlement moral, contrairement à ce qu’elle soutient.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de [I] [E] au paiement d’une indemnité de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 23 mai 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé de la partie intimée par lesquelles [I] [E] prétend à la confirmation du jugement déféré, invoquant la partialité de l’attestation de Madame [W], produite aux débats par l’employeur au motif que celle-ci, en sa qualité de représentante du CSE, intervient explicitement pour l’employeur pour conclure à la nullité de la convention.
En revanche, elle sollicite l’infirmation du jugement du chef du montant des dommages-intérêts alloués, renouvelant sa demande pour la somme de 10’000 euros et, y ajoutant, prétend à la condamnation de son employeur au paiement d’une indemnité de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur ce :
À titre liminaire, il y a lieu de relever que la SAS GSF Ariane a interjeté appel de la même décision qu’elle critiquait, notifiée le 10 novembre 2021, par 2 déclarations d’appel successives qu’il y a lieu de joindre, dans le souci d’une bonne administration de la justice.
L’instance se poursuivra donc sous le n° 21/2142.
– Sur la nullité de la rupture conventionnelle
[I] [E] soutient que la rupture conventionnelle de son contrat de travail est nulle et doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle développe deux moyens au soutien de cette prétention : elle prétend, d’une part, ne pas avoir été destinataire d’un exemplaire de la rupture conventionnelle conclue entre les parties, d’autre part, que son consentement a été vicié compte tenu du contexte de harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime.
* sur la remise de l’exemplaire
La remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L.1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause.
Il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il incombe à celui qui se prévaut de la remise de l’établir, par tous moyens, s’agissant d’un fait juridique. En l’espèce, cette charge incombe à l’employeur.
En l’espèce, le formulaire Cerfa de la rupture conventionnelle mentionne, comme prescrit par les dispositions de l’article L.1237-13 du code du travail, le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle, la date envisagée de la rupture du contrat de travail et la date de fin du délai de rétractation et indique que le salarié était assisté de Mme [W] [F], représentante du comité social et économique (CSE). Cet imprimé Cerfa est signé des deux parties sur chacune des deux pages.
Ce formulaire ne comporte aucune mention quant à la remise au salarié d’un exemplaire.
Toutefois, la SAS GSF Ariane produit aux débats l’attestation de la représentante au Comité Social et Economique, qui relate de manière précise le déroulé de l’entretien et indique qu”un exemplaire a été remis en mains propre à Mme [E] du document CERFA’.
Sauf à considérer par de simples allégations que cette attestation serait privée d’impartialité, [I] [E] n’en combat pas utilement la fiabilité.
De plus, la représentante au Comité Social et Economique atteste de la tenue d’un second entretien, le 19 juin 2020 au cours duquel la salariée a maintenu son souhait de poursuivre la procédure de rupture conventionnelle.
Un second document, de trois pages, daté du 19 juin 2020, intitulé ‘convention de rupture négociée de contrat de travail dans le cadre d’une rupture conventionnelle’ est versé aux débats. Celui-ci mentionne avoir été établi en deux exemplaires dont un remis à la salariée. Il est paraphé sur chacune des pages par les deux parties et comporte, in fine, leur signature précédée de la mention ‘ lu et approuvé’.
Ce document rappelle le contenu de l’entretien du 5 juin 2020, la signature des parties du CERFA de rupture conventionnelle à cette occasion ainsi que le montant de l’indemnité de rupture, la date d’effet de la rupture du contrat, le délai de rétractation et sa date d’échéance.
Dans ces conditions, [I] [E] ne peut raisonnablement prétendre ne pas avoir été destinataire d’un exemplaire de la rupture conventionnelle qu’elle venait de signer, qui l’aurait privée de sa faculté d’exercer son délai de rétractation.
Dès lors, le moyen énoncé par [I] [E] sera rejeté.
* sur le vice du consentement
[I] [E] prétend qu’elle aurait accepté la rupture conventionnelle de son contrat de travail, dans un contexte de harcèlement moral, qui a vicié son consentement et rendu nulle la convention de rupture, pour celle-ci être requalifiée en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Aux termes des dispositions de l’article 1130 du Code civil, le consentement peut être vicié par l’erreur, le dol, la violence (morale ou physique) lorsque ceux-ci sont d’une telle nature que sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Il incombe à celui qui s’en prévaut de rapporter la preuve du vice du consentement qu’il énonce.
Le harcèlement moral concomitant à l’engagement d’une procédure de rupture conventionnelle n’en affecte la validité qu’en cas de vice du consentement. Celui-ci est caractérisé lorsqu’au moment de la signature de la convention, la salariée était dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en ont résulté.
Il appartient à la partie qui invoque l’existence d’une situation de violence morale dans laquelle elle se serait trouvée au moment de la signature de la convention de rupture de l’établir.
En l’espèce, [I] [E] fait valoir qu’elle se trouvait dans un état de détresse psychologique au moment de la signature de la rupture conventionnelle en raison de ses conditions de travail.
Dans un courrier daté du 29 mai 2020, l’employeur rappelle que [I] [E] a sollicité par sms du 29 mai 2020 une rupture conventionnelle au motif qu’elle serait ‘trop harcelée’.
Il résulte de l’application des dispositions de l’article L 1152-1 du code du travail qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte de l’application des dispositions de l’article L 1154-1 du même code qu’il appartient au salarié, qui invoque avoir subi des faits de harcèlement moral de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, y compris les documents médicaux éventuellement produits, pris en leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, [I] [E] explique avoir subi des pressions et une dégradation de ses conditions de travail depuis l’arrivée de sa nouvelle supérieure hiérarchique. Elle fait également grief à son employeur d’avoir modifié ses plannings pour ensuite lui reprocher de ne pas les respecter et conteste être l’auteur de la signature y figurant.
A l’appui de cette affirmation, [I] [E] produit aux débats :
– deux courriers de salariées du 4 et 9 mars 2020 dénonçant des faits de harcèlement moral à l’employeur sans qu’aucun ne la concerne,
– deux avenants à son contrat de travail des 1er novembre 2017 et 1er janvier 2018 comportant chacun les plannings de travail et la signature des parties,
– un courrier de contestation de sa part d’un rappel à l’ordre reçu le 3 mars 2020 concernant ses horaires de travail dans lequel elle nie avoir signé les plannings de travail joints à l’avenant à son contrat de travail de janvier 2018,
– un procès-verbal de dépôt de plainte de sa part en date du 3 mars 2020 pour faux et usage de faux concernant la signature des plannings joints à l’avenant de son contrat de travail de janvier 2018,
– un courrier du médecin du travail du 23 décembre 2019 sollicitant de l’employeur une évaluation de la situation de travail de [I] [E] suite à la plainte de sa part d’une surcharge de travail depuis l’arrivée de sa nouvelle responsable,
– un compte-rendu d’entretien psychologique initié le 17 décembre 2019 à la demande du médecin du travail qui reprend les termes de [I] [E] invoquant une dégradation des conditions de travail depuis l’arrivée de sa nouvelle responsable en septembre 2019 avec une surcharge de travail et un manque de matériel. Celui-ci note également une fragilisation de la salariée sur le plan personnel, concomitamment à l’arrivée de sa supérieure hiérarchique, avec la perte de son père le 23 août 2019 et le sentiment de culpabilité ressenti du fait de l’impossibilité de se rendre aux funérailles en Algérie faute de moyen financier.
En définitive, à l’exception des documents médicaux, établis près de six mois avant la signature de la rupture conventionnelle, qui retranscrivent les déclarations de la salariée, celle-ci ne présente aucun élément suffisamment précis laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Mais aussi, l’employeur rappelle que suite aux dénonciations de harcèlement moral formées par sa salariée, une enquête a été confiée au Comité Social et Économique et une médiation engagée avec le concours du service de santé au travail.
L’enquête menée par le Comité Social et Économique a conclu à l’absence de fondement de ces accusations selon le courrier adressé à [I] [E] par son employeur le 29 mai 2020.
La médiation n’a pas été suivie d’effet puisque [I] [E] a décliné sa participation à la réunion organisée le 17 juin 2020 tel qu’en atteste la psychologue au travail.
Au contraire, l’employeur verse aux débats des documents révélant, un comportement agressif de sa salariée, avant et après la rupture de son contrat de travail (pièces 15,16, 21,22 dossier employeur).
En l’absence de harcèlement moral, aucune violence morale en résultant n’est établie.
À défaut pour [I] [E] de rapporter la preuve de l’existence d’un vice du consentement préalable ou concomitant à sa signature de la convention de rupture du contrat de travail la liant à la SAS GSF Ariane, ce moyen mérite d’être rejeté et le jugement infirmé.
[I] [E] doit donc être déboutée l’ensemble de ses demandes.
– Sur les frais irrépétibles
Compte tenu des termes de la présente décision, [I] [E] sera condamnée à payer à la SAS GSF Ariane la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, par infirmation du jugement sur ce point, et de ceux exposés à hauteur d’appel.
En revanche, sur le même fondement, elle sera déboutée de sa demande en paiement au titre des 2 instances.
Par ces motifs :
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 21/2142 et 22/106 pour l’instance se poursuivre sous le n° 21/2142,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne le 10 septembre 2021 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute [I] [E], née [H] de l’ensemble de ses demandes,
Condamne [I] [E] à payer à la SAS GSF Ariane la somme de 1 500 euros à titre de frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Condamne [I] [E], née [H] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT