Droit de rétractation : Décision du 3 mai 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01377

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Droit de rétractation : Décision du 3 mai 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01377

Arrêt n°

du 3/05/2023

N° RG 22/01377

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 3 mai 2023

APPELANT :

d’un jugement rendu le 4 juillet 2022 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Activités Diverses (n° F 21/00014)

Monsieur [C] [O]

[Adresse 2]

[Localité 4]([Localité 5])

Représenté par la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS, avocats au barreau de REIMS

INTIMÉE :

SAS MAIN SÉCURITÉ

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocats au barreau de LYON

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 8 mars 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 3 mai 2023.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Mme [F] [O], devenu M. [C] [O] a été embauché à compter du 9 novembre 2016, par la SAS Main Sécurité, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’agent de sécurité.

A compter du 2 mai 2018, M. [C] [O] a été victime d’un accident du travail et placé en arrêt de travail.

Le 14 janvier 2020, les parties ont signé un acte de rupture conventionnelle avec une date de rupture fixée le 24 février 2020.

Le 12 janvier 2021, M. [C] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Reims de demandes tendant à faire prononcer la nullité de la rupture conventionnelle et faire condamner l’employeur à lui payer une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et des dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse, et à faire ordonner sous astreinte, la remise des documents de fin de contrat.

En réplique, l’employeur a conclu au débouté de M. [C] [O] et à sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive. A titre subsidiaire, il a demandé la réduction de la demande indemnitaire.

Par jugement du 4 juillet 2022, le conseil de prud’hommes a débouté M. [C] [O] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné au paiement de la somme de 100 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté la SAS Main Sécurité de sa demande au titre de la procédure abusive.

Le 8 juillet 2022, M. [C] [O] a interjeté appel du jugement sauf en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2023.

Exposé des prétentions et moyens des parties

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022, auxquelles il sera renvoyé pour plus ample exposé, l’appelant demande à la cour d’infirmer le jugement sur la rupture du contrat de travail, les dommages-intérêts, l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de congés payés afférents, les frais irrépétibles et les dépens.

Il demande à la cour :

– de juger la rupture conventionnelle nulle ;

– de juger que la rupture du contrat de travail intervenue s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– de condamner la SAS Main Sécurité à lui verser les sommes de :

. 10 000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 042,44 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 304,24 euros à titre de congés payés afférents,

. 1 113,65 euros à titre d’indemnité de licenciement,

. 3 500,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– d’ordonner la compensation entre l’indemnité de rupture conventionnelle qui a été versée et l’indemnité de licenciement qui est due par la société ;

– d’ordonner la remise du certificat de travail, des fiches de paie et de l’attestation pôle emploi rectifiés,

– de condamner la SAS Main Sécurité aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu’il n’a jamais reçu le formulaire de rupture conventionnelle signé par ses soins de sorte qu’il n’a pas eu la possibilité d’exercer sa faculté de rétractation. Il ajoute que son consentement n’était pas libre et expose qu’aucun poste compatible avec l’avis médical du 19 novembre 2019 n’étant disponible, la SAS Main Sécurité l’a poussé à démissionner, puis devant son refus, a exercé un chantage en rapport avec sa mutuelle pour le forcer à accepter une rupture conventionnelle.

Sur la demande indemnitaire, il invoque un préjudice moral, professionnel et financier et explique que la perte de son emploi, ajoutée à la crise sanitaire du COVID-19, l’a conduit à quitter son logement et à regagner le département de la Réunion.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2022, auxquelles il sera renvoyé pour plus ample exposé, l’intimée demande à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions tout en réitérant néanmoins sa demande en paiement de la somme de 2 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive pour laquelle elle a été déboutée. Elle prétend au débouté de M. [C] [O] en l’ensemble de ses demandes et à sa condamnation au paiement de la somme de 1 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

À titre subsidiaire, elle demande à la cour :

– de juger que l’indemnité allouée à M. [C] [O] ne saurait dépasser la somme de 5 345,51 euros en application des dispositions de l’article L.1235-3-2 du code du travail ;

– de fixer à la somme de 4 581,87 euros le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice né du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– d’ordonner la compensation entre le montant de l’indemnité pour licenciement abusif avec celui perçu au titre de l’indemnité de rupture conventionnelle.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que le salarié a bien reçu un exemplaire du formulaire CERFA de rupture conventionnelle mais également celui de la convention de rupture conventionnelle du contrat de travail régularisée en sus du formulaire aux termes duquel celui-ci était précisément informé de l’ensemble de l’étendue de ses droits.

Elle conteste le vice du consentement expliquant que le salarié n’en démontre pas l’existence et qu’il est à l’origine de la demande de la rupture conventionnelle souhaitant repartir à la Réunion pour un projet professionnel.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que la demande de dommages-intérêts doit être limitée par l’application du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’elle doit être compensée par le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle perçue par M. [C] [O] à hauteur de la somme de 1 113,65 euros.

Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive, elle prétend à la mauvaise foi de M. [C] [O] à l’origine de la procédure caractérisant un abus de droit.

Motifs de la décision

Sur la nullité de la rupture conventionnelle

La remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L.1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause.

Il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient au juge du fond de constater qu’un exemplaire du formulaire de rupture CERFA a été remis au salarié, la charge de la preuve ne peut peser ni sur le salarié ni sur l’employeur. Toutefois, en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve. S’agissant d’un fait juridique, la preuve se fait par tout moyen.

En l’espèce, l’employeur produit aux débats l’exemplaire CERFA de la rupture conventionnelle ainsi qu’un document intitulé ‘convention de rupture conventionnelle du contrat de travail’ paraphés et signés des deux parties. Toutefois, aucun des deux documents ne comporte de mention quant à la remise au salarié d’un exemplaire.

L’assistante administrative atteste avoir remis ‘au REX de l’agence 3 exemplaires du cerfa de rupture et 3 exemplaires de la convention de rupture.’. Cependant cette attestation est muette quant à la remise d’un exemplaire au salarié.

L’employeur ne produit aucun autre élément, aucune attestation de salariés présents qui lui permettrait de rapporter la preuve que, comme il le soutient, son salarié s’est bien vu remettre un exemplaire, signé des deux parties, du formulaire de rupture conventionnelle.

En conséquence, et sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens, comme surabondants, la rupture conventionnelle doit être déclarée nulle et requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences de droit quant au remboursement de l’indemnité conventionnelle indûment perçue. Le jugement, qui n’a pas répondu à la question de la remise d’un exemplaire du formulaire CERFA, et a procédé par motivation inopérante, sera infirmé de ce chef.

En outre, et par voie de conséquence, la SAS Main Sécurité sera déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la procédure abusive, laquelle ne peut être considérée comme telle suite au succès de la demande principale du salarié. Le jugement qui a débouté l’employeur sera donc confirmé, étant observé que l’employeur a sollicité la confirmation du jugement sur ce point et ne pouvait, sans former appel incident, réclamer paiement de dommages et intérêts à ce titre.

Sur les conséquences financières

M. [C] [O] peut donc prétendre, par infirmation du jugement, aux indemnités de rupture et à l’indemnisation du préjudice né de l’illicéité du licenciement.

Il sera donc fait droit à ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d’indemnité de licenciement, aux quantum non discutés.

S’agissant de l’indemnisation du préjudice né du licenciement abusif, M. [C] [O] peut prétendre à des dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.

Compte tenu de son ancienneté et de l’effectif de l’entreprise employeur, M. [C] [O] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 4 mois de salaire.

Sur la base d’un salaire mensuel de 1 539,42 euros bruts, compte tenu de son ancienneté, de son âge, de son niveau de salaire et de sa situation après la rupture, la somme de 5 000 euros réparera entièrement les préjudices subis.

Les conditions s’avèrent réunies pour condamner l’employeur, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié, du jour de son licenciement jusqu’au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois d’indemnités.

Par ailleurs, la nullité de la convention de rupture emporte obligation de restituer les sommes perçues en exécution de cette convention. En application des dispositions des articles 1347 et suivants du code civil, il sera ordonné compensation entre la dette de remboursement de M. [C] [O] et l’indemnité de licenciement qui lui est due.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Il sera ordonné la remise par l’employeur au salarié d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail, et d’un bulletin de salaire conformes au présent arrêt.

Il n’y a pas lieu d’assortir cette condamnation d’une astreinte, qui au demeurant est sollicitée dans les écritures de l’appelant mais nullement dans le dispositif.

Sur les frais irrépétibles

Compte tenu des termes de la présente décision, la SAS Main Sécurité sera condamnée à payer à M. [C] [O] la somme de 1 500,00 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Il convient d’y ajouter la condamnation de la SAS Main Sécurité aux dépens de première instance et d’appel et d’infirmer le jugement sur ce point.

Par ces motifs

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Reims du 4 juillet 2022 en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a débouté l’employeur de sa demande de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés de la procédure abusive ;

Le confirme de ce seul chef,

Statuant à nouveau, dans la limite des chefs d’infirmation,

Prononce l’annulation de la rupture conventionnelle avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Main Sécurité à payer à M. [C] [O] les sommes suivantes :

– 5 000,00 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 042,44 (trois mille quarante deux euros et quarante quatre centimes) à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 304,24 euros (trois cent quatre euros et vingt-quatre centimes) à titre de congés payés afférents,

– 1 113,65 euros (mille cent treize euros et soixante-cinq centimes) à titre d’indemnité de licenciement ;

Ordonne le remboursement par M. [C] [O] à la SAS Main Sécurité de la somme de 1 113,65 euros (mille cent treize euros et soixante-cinq centimes) ;

Ordonne la compensation entre la dette d’indemnité conventionnelle de licenciement de la SAS Main Sécurité envers M. [C] [O] et la dette de remboursement de l’indemnité de rupture conventionnelle de M. [C] [O] envers la SAS Main Sécurité ;

Précise que toutes les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales et salariales applicables ;

Ordonne la remise par la SAS Main Sécurité à M. [C] [O] d’une attestation Pôle Emploi, d’un bulletin de salaire et d’un certificat de travail conformes au présent arrêt ;

Condamne la SAS Main Sécurité à rembourser à l’institution concernée les indemnités chômage versées à M. [C] [O] depuis la rupture du contrat de travail jusqu’au présent arrêt dans la limite de six mois d’indemnité ;

Condamne la SAS Main Sécurité à payer à M. [C] [O] la somme de 1 500,00 euros (mille cinq cents euros) à titre de frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Condamne la SAS Main Sécurité aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

 


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