AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/03399 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MLUV
[I]
C/
Société TRANS BK LOGISTIQUE
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 15 Avril 2019
RG : F15/04456
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2022
APPELANT :
[V] [I]
né le 10 Juin 1982 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Thomas NOVALIC de la SELARL TN AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Sybille COLLIN DE LA BELLIERE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société TRANS BK LOGISTIQUE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Florian GROBON de la SELARL ELECTA JURIS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Lucie ANCELET, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Juin 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Joëlle DOAT, Présidente
Nathalie ROCCI, Conseiller
Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller
Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 Septembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
[V] [I] a été embauché à compter du 23 novembre 2009 en qualité de magasinier par la SASU TRANS BK LOGISTIQUE, suivant contrat de travail écrit à durée indéterminée soumis à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport (IDCC 16).
[V] [I] et la SASU TRANS BK LOGISTIQUE ont régularisé le 29 octobre 2014 une convention de rupture du contrat de travail qui les liait, homologuée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) le 2 décembre suivant, de sorte que la relation de travail a pris fin le 4 décembre2014.
Le 30 novembre 2015, [V] [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande indemnitaire au titre du harcèlement moral dont il exposait avoir fait l’objet, d’une demande tendant à ce qu’il soit considéré que la rupture conventionnelle du contrat de travail qui le liait à la SASU TRANS BK LOGISTIQUE soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de demandes indemnitaires et salariales afférentes à la rupture de son contrat de travail.
Par jugement en date du 15 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon ‘ section commerce ‘ a :
VALIDÉ l’homologation de la rupture conventionnelle signée entre [V] [I] et la société TRANS BK LOGISTIQUE ;
CONSTATÉ l’absence de harcèlement moral subi par [V] [I] ;
Par conséquent,
DÉBOUTÉ [V] [I] de l’intégralité de ses demandes ;
DÉBOUTÉ la société TRANS BK LOGISTIQUE de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNÉ [V] [I] aux entiers dépens.
[V] [I] a interjeté appel de cette décision le 14 mai 2019.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 mai 2022 et auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, [V] [I] sollicite de la cour de :
RÉFORMER le jugement de première instance du conseil de prud’hommes de Lyon rendu le 15 avril 2019, en ce qu’il :
– a validé l’homologation de la rupture conventionnelle signée entre la société TRANS BK LOGISTIQUE et lui,
– constaté l’absence de harcèlement moral subi,
– l’a débouté de l’intégralité de ses demandes,
– et l’a condamné aux entiers dépens ;
CONFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon du 15 avril 2019 en ce qu’il a débouté la société TRANS BK LOGISTIQUE de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau,
JUGER recevable et bien fondée l’argumentation qu’il a développée ;
CONSTATER la nullité de la rupture conventionnelle signée entre la société TRANS BK LOGISTIQUE et lui ;
DIRE que la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail le liant à la société TRANS BK LOGISTIQUE produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
CONDAMNER la société TRANS BK LOGISTIQUE à lui verser la somme de 22 509,36 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNER la société TRANS BK LOGISTIQUE à lui verser la somme de 3 751,56 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 375,15 euros au titre des congés payés afférents ;
CONSTATER qu’il a subi des agissements répétés par la société TRANS BK LOGISTIQUE, caractéristiques de harcèlement moral ;
En conséquence,
CONDAMNER la société TRANS BK LOGISTIQUE à lui verser la somme de 11 254,68 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
DÉBOUTER la société TRANS BK LOGISTIQUE de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
CONDAMNER la société TRANS BK LOGISTIQUE à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la société TRANS BK LOGISTIQUE aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 octobre 2019, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE sollicite de la cour de :
CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Lyon le 15 avril 2019 sous le numéro RG 15/04456 ;
DÉBOUTER Monsieur [I] de son appel ;
DÉBOUTER Monsieur [I] de l’intégralité de ses demandes injustifiées et non fondées ;
CONDAMNER Monsieur [I] au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER Monsieur [I] aux entiers dépens de l’instance.
La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 12 mai 2022, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 7 juin suivant.
SUR CE :
– Sur le harcèlement moral :
[V] [I] soutient à l’appui de sa demande indemnitaire, qu’il a été victime au cours de la relation de travail de harcèlement moral de la part de son employeur, ayant altéré son état de santé, en ce que :
– il a été destinataire de sept courriers le convoquant à des entretiens préalables à sanctions disciplinaires entre mai 2011 et décembre 2014 et a fait l’objet de sanctions injustifiées les 7 octobre 2011, 16 janvier 2013, 24 septembre 2013, 13 décembre 2013, 18 avril, 30 juillet et 14 octobre 2014, tandis que ses contestations des sanctions ainsi prononcées sont restées sans réponse ou n’ont pas été prises en compte ;
– entre janvier 2012 et juillet 2014, il s’est vu priver à onze reprises de sa prime qualité pour des motifs fallacieux, et bien souvent pour des faits déjà sanctionnés par une sanction disciplinaire ;
– le 28 mars 2013, il a été accusé à tort de vol dans l’entreprise, en dépit des enregistrements de vidéosurveillance le disculpant ;
– il a été changé de poste de travail à plusieurs reprises ;
– au mois d’août 2014, Monsieur [W] [L] lui a demandé de faire le nettoyage de parkings sous la pluie, sans gilet de sécurité ni équipements de protection contre la pluie.
La SASU TRANS BK LOGISTIQUE fait valoir en réponse que :
– [V] [I] n’a été victime d’aucun fait qui puisse être constitutif de harcèlement moral ;
– les sanctions prononcées ont été rendues nécessaires par le caractère irrespectueux, grossier et l’insubordination du salarié, qui n’en sollicite d’ailleurs pas l’annulation, et n’ont jamais fait peser sur l’intéressé une menace pour son emploi ;
– les pathologies et lésions qui ressortent des certificats médicaux produits par le salarié mettent en évidence l’absence de tout lien avec le harcèlement moral dénoncé.
* * * * *
L’article L. 1152-1 du code du travail rappelle qu’indépendamment de l’intention de leur auteur, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail, ou susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte de l’article L. 1154-1 du même code que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il convient de relever en premier lieu, en l’espèce, s’agissant du grief tiré par l’appelant des changements de poste réitérés dont il aurait fait l’objet au cours de la relation de travail, que [V] [I] n’explicite pas ses allégations par l’évocation de faits précis et ne verse aux débats aucune pièce susceptible d’en étayer la matérialité.
Il apparaît de même, s’agissant du grief qu’il tire en second lieu des tâches de nettoyage des parkings qui lui auraient été confiées en août 2014 par son supérieur hiérarchique, que [V] [I] ne produit aucune pièce au soutien de ses allégations, de sorte que les faits dont il se prévaut de ce chef ne peuvent pas plus être considérés comme établis.
Il convient de constater en troisième lieu, s’agissant du grief tiré par l’appelant des accusations injustifiées de vol dont il a fait l’objet de la part de son employeur, que, faisant suite à l’entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire du 28 mars 2013, auquel elle l’avait convoqué par correspondance du 20 mars précédent, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE a sollicité de son salarié, par correspondance du 10 avril 2013, qu’il justifie de sa présence entre 13h45 et 14h20 ‘ à une date non précisée dans sa correspondance ‘ dans une zone « dans laquelle (il n’avait) rien à faire » et qui « a été récemment l’objet de disparition de colis », en joignant à son envoi une copie de l’enregistrement du système de vidéosurveillance.
Par correspondance en réponse du 12 avril 2013, [V] [I] a fait savoir à son employeur qu’il ne ferait « aucun commentaire » concernant la disparition de colis évoquée dans sa correspondance, se disant « pas concerné par ce fait regrettable », et détaillé les tâches effectuées au cours de sa journée de travail du 18 mars 2013, telles qu’apparaissant sur les enregistrements de vidéosurveillance communiqués.
Et il n’est ni soutenu ni justifié que la SASU TRANS BK LOGISTIQUE aurait réservé une quelconque suite, disciplinaire notamment, à sa demande d’explication du 10 avril 2013.
Il ne peut ainsi être considéré comme établi, à l’examen des pièces versées aux débats par l’appelant que, ainsi qu’il le soutient, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE aurait « accusé à tort Monsieur [I] de vol, en dépit des enregistrements (de vidéo)surveillance établissant clairement qu’il n’en était pas mêlé », ni même qu’elle aurait à cette occasion fait un usage abusif ou détourné de son pouvoir de direction et de contrôle.
Il convient néanmoins de relever en quatrième lieu, s’agissant du grief tiré par l’appelant de l’usage abusif par l’employeur de son pouvoir disciplinaire, que, au cours de la relation de travail, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE a initié sept procédures disciplinaires distinctes à l’encontre de [V] [I], ayant plus particulièrement donné lieu :
– à la convocation du salarié à huit reprises à des entretiens préalables à une éventuelle sanction disciplinaire les 26 mai et 9 juin 2011, 16 janvier, 28 mars, 12 septembre, 8 novembre, 19 novembre 2013, et 2 juillet 2014, par correspondances des 18 et 31 mai 2011, 9 janvier, 20 mars, 30 août, 8 octobre, 30 octobre 2013 et 2 juillet 2014 ;
– à la notification de quatre avertissements, par correspondances des 7 octobre 2011, 16 janvier 2013, 18 avril 2014 et 14 octobre 2014 et de trois mises à pied disciplinaire, pour des durées respectivement fixées à deux, trois et deux jours, par correspondances des 24 septembre 2013, 13 décembre 2013, et 30 juillet 2014.
Il peut être constaté, parallèlement, que la notification de ces sanctions a systématiquement donné lieu à contestation par le salarié des griefs sur lesquels elles étaient fondées. Et, si la SASU TRANS BK LOGISTIQUE a fait savoir à son salarié, ensuite des contestations dont il l’avait saisie, qu’elle maintenant les sanctions prononcées à son encontre, il convient de constater que [V] [I] ne conteste pas, devant le juge prud’homal, les sanctions disciplinaires ainsi prononcées à son encontre.
Il apparaît en second lieu, s’agissant du grief tiré par l’appelant des retraits de prime qualité dont il a fait l’objet, que, aux termes de l’article 1 « Rémunération » de l’avenant du 22 décembre 2011 au contrat de travail, [V] [I] pouvait valablement prétendre, en plus de sa rémunération mensuelle forfaitaire, au versement d’une « prime de qualité de service de 250 euros au total », tenant compte :
– d’une « prime de présentéisme 50 % du montant total (‘) acquise dès lors qu’aucune absence n’est constatée sur la période de paie (maladie, accident du travail, absence injustifiée, CP et assimilés pour une période inférieure à 10 jours) » mais ne pouvait être attribuée « en cas d’absence sur le mois (maladie, accident du travail, absence injustifiée, CP et assimilés pour une période égale ou supérieure à 10 jours) », « toute absence d’un jour maximum » entraînant la suppression de 50 % de la prime d’assiduité ;
– d’une « prime de qualité 50 % du montant total », n’étant versée qu’à hauteur de « 50 % au premier incident (et) supprimée complètement lors du deuxième incident », en cas de manquement du salarié « à la qualité (manque d’application dans le travail fourni : pertes, casses, mauvaises instruction des dossiers, infractions au code de la route, manque d’entretien du véhicule, constat responsable, ‘) ; à la bonne exécution des tâches définies dans (le) contrat de travail (erreurs répétées dans la mission confiée’) ; aux respects des consignes de travail et au respect des règles de sécurité ; à la mise en place de la polyvalence ».
Or, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE a supprimé tout ou partie de la prime « qualité de service » de [V] [I] pour les mois de janvier 2012, janvier, février, juillet, septembre, octobre 2013, mars à juillet 2014, soit à onze reprises au total au cours de la relation de travail, pour les motifs suivants : « ne s’est pas rendu à la visite médicale le 11/01/12 à 9h20 », « refus d’effectuer une mission », « a quitté son poste sans finir de décharger une semi », « retards répétés » (à cinq reprises), « non respect des consignes, instructions », « non-respect des consignes, propos injurieux », « attitude vis à vis de vos collègues ».
Il convient pourtant de rappeler que l’interdiction des sanctions pécuniaires constitue un principe général du droit du travail, exposés à l’article L. 1331-2 du code du travail aux termes duquel « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ».
Et il peut plus particulièrement être rappelé que la réduction ou la suppression d’une prime à laquelle procède l’employeur en raison de faits qu’il considère comme fautifs, comme les motifs ci-dessus repris tendent à le mettre en évidence, constitue une sanction pécuniaire prohibée.
D’ailleurs, à plusieurs reprises, la SASU TRANS BK LOGISTIQUE a explicitement motivé les retraits de la prime qualité prononcés à l’encontre de [V] [I], dans ses correspondances au salarié qui l’avait saisie de contestations, par la prise en compte de faits qu’elle avait parallèlement entendu sanctionner disciplinairement.
La suppression pour un montant forfaitaire de tout ou partie de la prime à laquelle pouvait prétendre le salarié au motif de « retards répétés », à laquelle a procédé la SASU TRANS BK LOGISTIQUE hors de toute prise en compte de la période d’absence de l’intéressé à son poste de travail, constitue nécessairement, de même, une sanction pécuniaire prohibée.
Il doit être relevé parallèlement, enfin, que [V] [I] justifie avoir dû bénéficier d’arrêts de travail :
– du 16 au 21 septembre 2013 pour maladie ordinaire (non spécifiée),
– du 30 octobre 2013 au 31 janvier 2014, prescrit et renouvelé pour accident du travail en raison d’un « trauma ‘ contusion » et de lésions localisées au niveau du poignet droit,
– du 20 au 22 janvier 2014 pour maladie ordinaire, alors qu’il avait repris le travail en temps partiel thérapeutique le 2 janvier précédent, à raison d’une « infection bactérienne »,
– le 7 mars 2014 pour maladie ordinaire (non spécifiée),
– le 31 mars 2014 pour maladie ordinaire, en raison d’une contusion musculaire,
– du 24 avril au 2 mai 2014 pour maladie ordinaire à raison d’une « dysthymie »,
– le 21 mai 2014 pour maladie ordinaire à raison d’une « dysthymie »,
– du 17 au 18 juin 2014 pour maladie ordinaire (non spécifiée),
– le 30 juin 2014 pour maladie ordinaire à raison d’une « dysthymie »,
– du 8 au 24 août 2014 pour maladie ordinaire (non spécifiée).
Il apparaît ainsi au terme des énonciations qui précèdent que, si les pièces versées aux débats ne permettent pas d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la dégradation de l’état de santé physique et surtout psychique que mettent en évidence les éléments médicaux ci-dessus décrits, la multiplication des procédures et sanctions disciplinaires en l’espace de plusieurs mois et la réitération de sanctions pécuniaires prohibée, dont [V] [I] établit la matérialité dans les circonstances ci-dessus exposées, constituent des agissements répétés de l’employeur qui, pris dans leur ensemble, par leur nature et leur caractère réitéré et convergent, permettent de présumer du harcèlement moral qu’il dénonce.
La SASU TRANS BK LOGISTIQUE verse aux débats plusieurs attestations de salariés, s’agissant plus particulièrement des attestations établies par [G] [O] le 9 avril 2013 et [K] [Y] le 31 octobre suivant, ainsi que des courriels reçus de [K] [I] entre les 8 et 17 avril 2014, qui tendent à objectiver la matérialité de certains ‘ seulement ‘ des manquements invoqués au soutien des sept sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre de [V] [I] entre le 7 octobre 2011 et le 14 octobre 2014.
L’employeur produit en outre une attestation établie par son salarié [P] [S], exerçant avec l’appelant les fonctions de magasinier au sein de la SASU TRANS BK LOGISTIQUE, par laquelle celui-ci décrit ‘ de façon générale et non datée ‘ avoir fait l’objet à titre habituel d’insultes de la part de [V] [I] au cours de leurs journées de travail.
Mais les pièces ainsi produites sont largement insuffisantes à établir que la multiplication des procédures et sanctions disciplinaires à l’encontre de [V] [I] durant trois années, d’une part, et les nombreux retraits de la prime qualité à laquelle celui-ci aurait dû pouvoir prétendre, d’autre part, qui portaient pourtant atteinte aux conditions de travail et aux droits de ce salarié et compromettaient son avenir professionnel, seraient étrangers à tout harcèlement.
Et le harcèlement moral dont [V] [I] a fait l’objet dans les circonstances ci-dessus mises en évidence a généré pour l’intéressé un préjudice moral dont la SASU TRANS BK LOGISTIQUE lui devra réparation, au regard de l’ensemble des énonciations qui précèdent, à hauteur de la somme de 4 000 euros.
– Sur la rupture de la relation de travail :
[V] [I] fait valoir en substance, à l’appui de ses demandes tendant à l’annulation de la convention de rupture et à ce que la rupture de la relation de travail produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que :
– il avait valablement fait usage, le 6 novembre 2014, de sa faculté légale de rétractation suite à la conclusion d’une convention de rupture avec son employeur le 29 octobre précédent ;
– la relation de travail s’est d’ailleurs poursuivie postérieurement à la rupture invoquée par l’employeur, s’agissant de la journée travaillée et rémunérée du 4 décembre 2014, de sorte qu’il existait une commune intention des parties de renoncer à la rupture conventionnelle ;
– du fait de la méconnaissance par l’employeur de son obligation d’information quant au droit du salarié d’être assisté lors des entretiens préalables à la conclusion d’une convention de rupture du contrat de travail, il ne pouvait être considéré que son consentement à la convention de rupture était réellement libre et éclairé, alors que c’est dans le contexte de relations très tendues avec son employeur et dans la crainte d’être brutalement licencié pour motif disciplinaire, sans indemnité, qu’il avait été contraint d’accepter les modalités de rupture envisagées par l’employeur ;
– la convention de rupture est nulle, pour être intervenue dans un contexte de harcèlement moral.
La SASU TRANS BK EXPRESS fait valoir en réponse, que :
– [V] [I] ne justifie pas avoir fait usage de son droit de rétractation suite à la régularisation de la convention de rupture du 29 octobre 2014 ;
– le salarié avait été préalablement informé de son droit d’être assisté lors des entretiens préalables à la conclusion de cette convention ;
– la relation de travail a pris fin à la réception de la décision d’homologation de la convention de rupture par l’inspection du travail ;
– le salarié ne démontre pas l’existence d’éléments ayant pu vicier son consentement à la convention de rupture.
* * * * *
S’il ressort des dispositions de l’article L. 1237-13, alinéa 3, que chacune des parties à la convention de rupture du contrat de travail dispose d’un délai de quinze jours calendaires, à compter de la date de signature, pour exercer son droit de rétractation sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l’autre partie, les premiers juges ont justement relevé que [V] [I] ne justifie pas de la réception par la SASU TRANS BK LOGISTIQUE de la lettre de rétractation qu’il soutient lui avoir adressée suite à la régularisation, le 29 octobre 2014, d’une convention de rupture du contrat de travail qui les liait, ni même qu’il aurait effectivement procédé à l’envoi d’une telle correspondance à son employeur.
L’article L. 1237-14 du code du travail dispose, pour autant, que tout litige concernant la convention, l’homologation dont elle doit faire l’objet de l’autorité administrative afin de pouvoir recevoir application ou le refus d’homologation d’une telle convention relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif.
Et il convient de rappeler à cet égard que, aux termes de l’article L. 1237-11 du même code, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, sans que la rupture conventionnelle ne puisse être imposée par l’une ou l’autre des parties.
Or, il ressort en l’espèce des énonciations qui précèdent que [V] [I] a été victime au cours des derniers mois de la relation de travail, et en tout cas à partir de mai 2011 et jusqu’au 14 octobre 2014 au moins, d’agissements de harcèlement moral de la part de son employeur, caractérisés par la multiplication de procédures et sanctions disciplinaires, d’une part, et du retrait de la prime qualité mensuelle à laquelle il pouvait contractuellement prétendre, d’autre part.
Il peut être constaté à cet égard que les convocations à entretien préalable à sanction disciplinaire adressées à [V] [I] à compter d’octobre 2013, s’agissant plus précisément des convocations des 8 octobre, 30 octobre 2013 et 2 juillet 2014, faisaient expressément mention de ce que son employeur envisageait alors à son égard « une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement ».
Et, dans sa lettre d’avertissement du 14 octobre 2014, la SASU TRANS BK a expressément demandé à son salarié « de considérer ce courrier comme un dernier avertissement et de veiller à ce qu’un tel fait ne se reproduise pas, car (elle serait) contraint(e) de prendre une sanction plus sévère à (son) égard ».
Il ressort ainsi de l’ensemble de ces énonciations que les agissements réitérés de harcèlement moral exercés par la SASU TRANS BK à l’encontre de son salarié, par les atteintes réitérées à la rémunération à laquelle il pouvait contractuellement prétendre et la menace croissante qu’elle a expressément fait peser sur l’intéressé quant à son avenir dans l’entreprise, a placé [V] [I] dans une situation de violence morale l’empêchant de donner un consentement libre et éclairé à la convention de rupture régularisée le 29 octobre 2014.
Il convient, par conséquent, de prononcer la nullité de la convention de rupture régularisée le 29 octobre 2014 entre [V] [I] et la SASU TRANS BK LOGISTIQUE.
Il s’ensuit que la rupture du contrat de travail de [V] [I], survenue hors de tout formalisme à l’initiative de l’employeur le 4 décembre 2014, doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu’il convient de condamner la SARL TRANS BK LOGISTIQUE, compte-tenu de la rémunération à laquelle il aurait contractuellement dû pouvoir prétendre, à hauteur de la somme de 1 625,78 euros bruts outre prime de qualité de service à hauteur de 250 euros par mois au total, à verser à l’intéressé la somme de 3 751,56 euros, outre congés payés afférents, au titre de l’indemnité compensatrice du préavis dont il a été injustement privé.
Et, compte-tenu notamment du niveau de sa rémunération mensuelle brute, de son ancienneté au service du même employeur, des circonstances de la rupture ci-dessus exposées comme de l’absence de justificatifs par le salarié de sa situation personnelle, familiale ou professionnelle postérieurement à la rupture, le préjudice subi par [V] [I] à raison de la rupture injustifiée de son contrat de travail peut être évalué à la somme de 10 000 euros, dont la SASU TRANS BK LOGISTIQUE lui devra réparation.
– Sur les demandes accessoires :
La SASU TRANS BK LOGISTIQUE, partie perdante au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être condamnée à supporter les dépens de l’instance.
Et il serait particulièrement inéquitable de laisser à la charge de [V] [I] l’intégralité des sommes qu’il a été contraint d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, en première instance puis en cause d’appel, de sorte qu’il convient de condamner la SASU TRANS BK LOGISTIQUE à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement déféré ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT nulle la convention de rupture régularisée le 29 octobre 2014 entre [V] [I] et la SASU TRANS BK LOGISTIQUE ;
CONDAMNE la SASU TRANS BK LOGISTIQUE à verser à [V] [I] les sommes de :
– quatre mille euros (4 000 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du harcèlement moral dont il a fait l’objet,
– trois mille sept cent cinquante-et-un euros et cinquante-six centimes (3 751,56 euros) bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– trois cent soixante-quinze euros et quinze centimes (375,15 euros) bruts au titre des congés payés afférents,
– dix mille euros (10 000 euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de son licenciement abusif ;
CONDAMNE la SASU TRANS BK LOGISTIQUE à verser à [V] [I] la somme de deux mille cinq cents euros (2 500 euros) par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SASU TRANS BK LOGISTIQUE de sa demande formée sur le fondement de ces mêmes dispositions ;
CONDAMNE la SASU TRANS BK LOGISTIQUE au paiement des dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE