Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT SUR RENVOI DE COUR DE CASSATION
DU 28 NOVEMBRE 2023
N° 2023/ 350
Rôle N° RG 23/05927 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BLFWO
[S] [J]
S.C.P. BADET-BLERIOT [J] ANDRE -[J]
C/
[P] [U]
[T] [E] épouse [U]
Organisme CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe KLEIN
Me Jean-françois JOURDAN
Me Romain CHERFILS
Décision déférée à la Cour :
Sur saisine de la cour suite à l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 23 Novembre 2022 enregistré au répertoire général sous le N°Z 21-10.387 joint au H 21-10.348 lequel a cassé et annulé partiellement l’arrêt n°2020/274 rendu par la chambre 3-3 de la cour d’appel d’aix-en-provence le 12 Novembre 2020 à l’encontre d’une ordonnance rendue le 01 Juin 2018 par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence et d’un jugement rendu le 06 Septembre 2018 par le tribunal de grande instance du 06 Septembre 2018.
DEMANDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Maître [S] [J]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
S.C.P. BADET-BLERIOT [J] ANDRE -[J] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux,
demeurant [Adresse 6]
Tous deux représentés et assistés par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON – KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [P] [U]
né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 10],
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et ayantr pour avocat plaidant Me Jean-charles VAISON DE FONTAUBE, avocat au barreau de MARSEILLE,
Madame [T] [E] épouse [U]
née le [Date naissance 4] 1971 à [Localité 8], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE et ayantr pour avocat plaidant Me Jean-charles VAISON DE FONTAUBE, avocat au barreau de MARSEILLE,
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat plaidant Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 23 Octobre 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme OUVREL, conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Mme Catherine OUVREL, Conseillère
Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Novembre 2023,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA Mona Lisa proposait à ses clients, désireux d’investir dans l’immobilier locatif aux fins notamment de se constituer un complément retraite, de le faire dans des résidences hôtelières, les locaux acquis devant être loués dans le cadre d’un bail commercial et les bailleurs pouvant opter pour le régime fiscal du loueur en meublé professionnel.
Le 8 avril 2008, M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] ont accepté l’offre de prêt immobilier émise par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France (le CANF) le 27 mars 2008, d’un montant de 188 610 euros remboursable en 324 mois au taux de 5,30 %, pour financer l’acquisition d’un appartement situé à [Localité 7], dans une résidence de tourisme, destinée à la location et vendu en l’état futur d’achèvement.
Par acte de Me [S] [J], notaire à Aix-en-Provence du 3 avril 2008, les époux [U] ont donné procuration à tous clercs de la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] pour notamment, acquérir l’immeuble en l’état futur d’achèvement au prix de 188 000 € dont 70 % payables à la signature de l’acte authentique, 90% à la réalisation du cloisonnement de l’appartement, 94 % à l’achèvement de l’immeuble et 100 % à la livraison, régulariser l’acte authentique et l’emprunt auprès du CANF.
L’acte authentique de vente et de prêt a été établi par M. [S] [J] le 23 avril 2008.
La somme de 132 210 euros, correspondant à 70 % de la vente, a été débloquée par la banque à la signature de l’acte authentique.
Sur attestation de la SA Mona Lisa études et promotion, en charge de la maîtrise d’oeuvre de la construction, en date du 29 avril 2008, la banque a versé la somme de 37 600 euros le 5 mai 2008, portant le montant total débloqué à 90 % du crédit.
Aucune livraison du bien acquis n’a eu lieu.
Les sociétés du groupe Mona Lisa ont été placées en redressement judiciaire le 2 mars 2009, puis en liquidation judiciaire le 28 janvier 2010.
Les époux [U] n’ont plus réglé les échéances du prêt à compter de septembre 2012 et la banque a prononcé la déchéance du terme le 15 mai 2013.
Apres mise en demeure et délivrance d’un commandement de payer valant saisie immobilière le 26 août 2013, le CANF a mis en oeuvre la procédure de vente forcée de l’immeuble.
Par courriers du 24 avril 2014, les époux [U] ont notifié leur droit de repentir au notaire pendant le cours de l’instance devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Bordeaux, et ils ont sollicité que soit constatée l’inexistence de l’acte authentique et, partant, l’anéantissement du contrat de prêt.
Par arrêt infirmatif du 24 juin 2015, la cour d’appel de Bordeaux a :
– dit que le délai de réflexion de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas commencé à courir,
– constaté que l’exercice par les époux [U] de leur droit de rétractation le 24 avril 2014 était valable,
– dit qu’en conséquence l’acte authentique du 23 avril 2008 portant acte de vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement et prêt n’a pas d’existence légale,
– dit que la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France ne dispose d’aucun titre exécutoire,
– donné main levée de la saisie immobilière engagée suivant commandement de payer en date du 26 août 2013 publié le 7 octobre 2013 au service de la publicité foncière de Lesparre volume 2013 S numéro 25,
– déclaré irrecevables les demandes nouvelles formées par la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France en restitution de la somme de 188 610 euros et en maintien de l’hypothèque conventionnelle,
– condamné la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] ont agi le 13 juillet 2018 en tierce opposition contre cette décision. La cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 29 septembre 2019, a ordonné un sursis à statuer sur l’intérêt à agir des notaires, jusqu’à l’issue de la procédure intentée par la banque devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence.
En effet, la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France avait, entre temps, par actes des 16 et 21 juin 2016, fait assigner les époux [U], Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence pour les voir condamner solidairement à lui rembourser les sommes mises à disposition au titre du contrat de prêt, maintenir l’hypothèque conventionnelle et voir condamner le notaire au titre des intérêts dont la banque a été privée du fait des annulations intervenues. M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] ont demandé à être relevés et garantis par le notaire et la SCP de toutes condamnations mises à leur charge.
Par ordonnance du 1er juin 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a notamment déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer de Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J], et les a condamnés à régler la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, tant aux époux [U] qu’au CANF.
Par jugement contradictoire en date du 6 septembre 2018, le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence a, notamment :
débouté M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leur fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action sur le fondement de l’article 2224 du code civil,
condamné solidairement M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] à restituer au CANF la somme principale de 157 331,73 euros au titre de leur obligation de restitution en vertu du contrat de prêt déclaré inexistant par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015,
débouté M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de toutes leurs demandes,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à relever et garantir M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] du paiement de la somme de 157 331,73 euros restant due au titre du prêt déclaré inexistant par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer à titre de dommages et intérêts à la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France la somme de 80 136,25 euros au titre des intérêts arrêtés au 8 mars 2016 augmentée depuis cette date des intérêts au taux contractuel révisable de 5,6 % l’an sur le capital mis à disposition des époux [E] à hauteur de la somme de 169 810 euros, jusqu’à parfait paiement,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] la somme de 17 478,27 €,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] l’intégralité des frais et émoluments acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, prêts et ventes) et des débours du notaire,
débouté M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] de leur demande de remboursement des frais de mainlevée d’hypothèque,
débouté M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leur demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser au CANF la somme de 2 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à M. [P] [U] et Mme [T] [E] la somme de 2 400 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procedure civile,
rejeté le surplus de toutes les demandes des parties plus amples ou contraires,
condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] aux entiers dépens de la procédure,
ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Sur la responsabilité du notaire, le tribunal, sur la base de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015, a retenu des manquements de ce dernier à ses obligations professionnelles de vigilance, de prudence, de conseil, d’information des acquéreurs à l’occasion de l’établissement de la procuration du 3 avril 2008 et de la décharge de responsabilité datant du lendemain de la signature de l’acte authentique (24 avril 2008). Il a considéré que ces manquements rendaient la procuration et la décharge nuls et de nul effet. Il en a déduit que les époux [U] comme la banque étaient fondés à solliciter du notaire la réparation des conséquences dommageables résultant de l’anéantissement de la vente et du contrat de prêt, à savoir l’obligation pour les premiers de rembourser le capital emprunté, et, le préjudice financier issu pour la seconde de la privation des fonds mis à disposition par les emprunteurs.
Selon déclaration reçue au greffe le 9 octobre 2018, M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] ont interjeté appel de l’ordonnance du juge de la mise en état du 1er juin 2018 et du jugement du 6 septembre 2018, l’appel portant sur toutes les dispositions des décisions déférées dûment reprises.
Par arrêt contradictoire du 12 novembre 2020, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a :
‘ confirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 1er juin 2018,
‘ infirmé le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 6 septembre 2018 en ce qu’il a :
– débouté M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action sur le fondement de l’article 2224 du code civil à1’encontre de M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U],
– déboute M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de l’intégralité de leurs demandes,
– condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à relever et garantir M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] du paiement de la somme de 15 7 331,73 euros restant due au titre du prêt déclaré inexistant par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015,
– condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer à titre de dommages et intérêts au CANF la somme de 80 136,25 euros au titre des intérêts arrêtés au 8 mars 2016 augmentée depuis cette date des intérêts au taux contractuel révisable de 5,6 % 1’an sur le capital mis a disposition des époux [U] à hauteur de la somme de 169 810 euros, jusqu’à parfait paiement,
– condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] l’intégralité des frais et émoluments acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, prêts et ventes) et des débours du notaire,
– condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] aux entiers dépens de la procédure,
Statuant à nouveau:
‘ déclaré prescrite l’action en responsabilité exercée par M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] à l’encontre de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J],
‘ débouté M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
‘ dit n’y avoir lieu à la condamnation de M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J],
‘ déclaré inopposable à M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015,
‘ débouté la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J],
‘ confirmé pour le surplus le jugement déféré,
‘ condamné la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France à payer à M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] la somme de trois mille euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] aux dépens de première instance
‘ condamné M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], d’une part, et, la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France d’autre part, aux dépens de l’instance d’appel, dans la proportion de 50 % chacun.
La cour d’appel a estimé, notamment, sur la responsabilité du notaire :
– que l’action exercée par la banque sur le fondement délictuel n’était pas prescrite puisque le point de départ de la prescription ne peut être fixé qu’au jour de la connaissance du manquement imputé au notaire, donc à la date de l’arrêt du 24 juin 2015,
– que l’action exercée par les époux [U] sur le fondement contractuel était prescrite, en application de l’article 2224 du code civil, le point de départ de la prescription devant être fixé à la date d’établissement de la procuration mentionnant les dispositions de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation et l’existence de leur droit de rétractation, soit le 3 avril 2008, date à laquelle ils étaient en mesure de constater l’irrégularité affectant la notification du délai qui leur était faite,
– que la demande de dommages et intérêts de la banque ne pouvait être accueillie car son préjudice résultait de l’arrêt de 2015 prononçant l’existence de la vente et du prêt auquel elle était partie, alors que le notaire n’étant pas partie à cette procédure de 2015, l’arrêt rendu ne lui était pas opposable, de sorte que le préjudice de la banque ne pouvait lui être imputable.
M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], d’une part, et, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France, d’autre part, ont formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 12 novembre 2020.
Par arrêt en date du 23 novembre 2022, la Cour de cassation a partiellement cassé et annulé l’arrêt du 12 novembre 2020 en ce qu’il a déclaré prescrite l’action en responsabilité des époux [U] contre Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J], en ce qu’il a déclaré inopposable à Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015, et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France contre Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J]. Elle a remis l’affaire et les parties en l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée. Elle a également condamné Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer aux époux [U] et à la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France une somme de 3 000 € chacun, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La Cour de cassation a retenu, notamment :
– une privation de base légale, au visa de l’article 2224 du code civil, s’agissant de la prescription de l’action des époux [U], en ne recherchant pas à quelle date ces derniers avaient eu connaissance non seulement des dommages causés, selon eux, par l’inobservation des dispositions de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation, mais encore de ceux qui résultaient des fautes qu’ils imputaient au notaire dans l’exercice de son devoir de conseil et dans l’exécution de son mandat,
– une violation de la loi et plus précisément de l’article 1355 du code civil, en retenant l’inopposabilité au notaire et à sa structure d’exercice de l’arrêt du 24 juin 2015 de la cour d’appel de Bordeaux auquel ils n’étaient pas parties et en rejetant la demande d’indemnisation de la banque, alors que l’inexistence de l’acte de vente et de prêt constatée par cet arrêt, qui constitue la cause du préjudice invoqué par la banque, constitue un fait juridique opposable aux tiers.
Selon déclaration de saisine reçue au greffe le 25 avril 2023, Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] ont saisi la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Par dernières conclusions transmises le 26 juin et le 26 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] sollicitent de la cour qu’elle :
sursoie à statuer dans l’attente de la tierce opposition à l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux,
infirme le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence dont appel en ce qu’il a retenu la responsabilité du notaire et l’a condamné à des indemnités,
dise prescrite la réclamation de la banque ainsi que celle des époux [U], en application de l’article 2224 du code civil,
dise inopposable l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux au regard des conditions du procès équitable et de la révélation de faits contraires à ceux ayant fondé la motivation de l’arrêt initial de la cour d’appel de Bordeaux,
dise qu’en application de l’article 1998 du code civil, les époux [U] étaient tenus au respect des engagements de leur mandataire,
dise qu’ils ont ratifié ce mandat et déchargé le notaire à cet égard,
juge que le droit de rétractation a été régulièrement purgé,
dise que la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France ne rapporte pas la preuve d’une faute du notaire ou de sa structure d’exercice,
dise que la banque et les époux [U] ont concouru à leur préjudice et qu’ils ne rapportent pas la preuve de l’existence d’un préjudice en lien direct avec la faute reprochée au notaire ou au mandataire,
déboute la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France de toutes ses demandes,
déboute les époux [U] de leur éventuelle demande indemnitaire,
dise qu’ils ne peuvent prétendre au montant des sommes restituées ni aux préjudices accessoires et encore moins à un préjudice moral, alors qu’ils ont caché à la cour d’appel de Bordeaux certains éléments et n’ont pas mis en cause le notaire,
A titre reconventionnel :
condamne les époux [U] solidairement à payer à M. [S] [J] une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamne chacun au paiement de la somme de 5 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,
les condamne aux entiers dépens.
M. [S] [J] et sa société d’exercice font valoir :
– l’inopposabilité et l’absence d’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015 à l’endroit duquel ils ont formé une tierce opposition, n’y étant pas partie, alors que des faits contraires à ceux retenus dans sa motivation ont été révélés depuis, à savoir la réponse du notaire justifiant de la purge du délai de rétractation des époux [U], sauf à être contraire au droit à un procès équitable, au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, comparant leur situation à celle d’un appel en garantie ;
– la purge régulière du droit de rétractation des époux [U] qui résulte de la procuration authentique du 3 avril 2008 qui a date certaine et qui comprend une explication du droit de rétractation de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation et la possibilité offerte à ce titre par la loi, du projet d’acte remis en mains propres par le notaire comprenant le rappel du délai de réflexion et de rétractation, de la lettre adressée par le notaire aux époux [U] le 1er avril 2008 qui l’ont paraphée et leur expliquant leurs droits, cette lettre n’ayant pas été produite devant le cour d’appel de Bordeaux ayant statué le 24 juin 2015, de la lettre de réponse du notaire du 28 avril 2014, en réponse à la prétendue ‘rétractation’ des époux [U] du 23 avril 2014, document également non produit devant la cour d’appel de Bordeaux, ainsi que de la décharge du mandat retourné par les époux [U] le 24 avril 2008 par laquelle les époux [U] ont déchargé leur mandataire considérant qu’il avait représenté leurs intérêts, ce tout en ayant admis avoir eu connaissance de l’acte de vente du 23 avril 2008 ;
– la ratification du mandat par les mandants au sens de l’article 1998 alinéa 2 du code civil qui empêche l’engagement de leur responsabilité en tant que mandataires même à supposer qu’ils aient failli à leur mandat en renonçant au délai de rétractation ou en affirmant à tort qu’il avait été purgé, cette ratification rendant l’action des époux [U] à leur endroit irrecevable,
– la prescription de l’action des époux [U], celle-ci ne pouvant courir à compter de l’arrêt de la cour de Bordeaux du 24 juin 2015 obtenu de manière volontairement déloyale par absence de mise en cause du notaire, mais celle-ci démarrant du jour où les époux [U] ont cessé de payer ou du jour où ils auraient un reproche à faire valoir à leur mandataire ;
– le caractère non indemnisable du préjudice tenant en la restitution des sommes induites par l’anéantissement des contrats de vente et de prêt,
– le rejet de toute condamnation à garantir le paiement des sommes déjà versées à des tiers à hauteur de 12 478,27 €, ces sommes devant être réclamées à ces tiers directement,
– le rejet de toute indemnisation d’un préjudice moral des époux [U] qui ont sciemment caché des actes contraires à leur thèse devant la cour d’appel de Bordeaux et qui se sont abstenus de le mettre en cause,
– le caractère abusif de la procédure intentée par les époux [U] dont il convient de les indemniser,
– les propres manquements de la banque qui ne les a pas mis en cause devant la cour d’appel de Bordeaux et l’absence de lien de causalité entre les sommes réclamées par la banque et une éventuelle faute du notaire.
Par dernières conclusions transmises le 21 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] sollicitent de la cour qu’elle :
déboute M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de l’ensemble de leurs demandes contre eux,
confirme le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 6 septembre 2018 en ce qu’il a retenu la responsabilité de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J],
condamne solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] au paiement de la somme de 60 000 euros à titre dommages intérêts en réparation des préjudices financiers (dont le remboursement de TVA et les pénalités) et moraux par eux subis du fait des agissements du notaire et de la banque et à défaut confirme le jugement rendu,
confirme le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 6 septembre 2018 en ce qu’il a condamné solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à les relever et garantir de toutes les condamnations qui seraient mises à leur charge,
condamne en conséquence solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] au paiement de la somme 157 331,73 euros avec intérêt au taux légal depuis le 6 septembre 2018 et au paiement, d’une part, de la somme de 17 478,27 euros à titre de dommages intérêts, d’autre part, au remboursement de l’intégralité des frais et émoluments acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, prêt et vente) et des débours du notaire,
confirme le jugement en ce qu’il a dit et jugé que M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] ont commis des fautes et engagé leur responsabilité au titre de leur devoir de prudence, d’information, de conseil et d’efficacité juridique de leurs actes,
dise nulle et de nul effet la procuration et la décharge de mandat,
déboute M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leurs demandes reconventionnelles,
condamne M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à leur verser la somme de 20 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
Les époux [U] soutiennent d’abord que l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015 est opposable à M. [S] [J] et à la SCP notariale, ainsi que retenu par la cour de cassation, la lettre du 1er avril 2008 ayant déjà été débattue devant les premiers juges et n’ayant pas été cachée, donc ne pouvant constituer un événement postérieur remettant en cause la situation juridique tranchée. A l’instar de la cour d’appel de Bordeaux en 2015 et du jugement de première instance en 2018, les époux [U] soulignent le caractère fourre-tout et exclusif d’un caractère informatif suffisant de la procuration qui intègre de nombreux actes, dont la lettre du 1er avril 2008 qui ne peut dédouaner le notaire de sa responsabilité.
Sur la date de connaissance des dommages causés par l’inobservation des dispositions de l’article L271-1 du code de la construction et de l’habitation, les époux [U] soutiennent qu’elle n’est apparue qu’à partir du moment où la banque a agi contre eux en juin 2016, de sorte que l’action en responsabilité contre le notaire n’est pas prescrite.
Sur la date de connaissance des dommages qui résultent des fautes imputées au notaire dans l’exercice de son devoir de conseil et dans l’exécution de son mandat, les époux [U] assurent que celle-ci doit être fixée au jour de l’assignation que la banque leur a délivré.
Sur la responsabilité du notaire, les époux [U] assurent que celui-ci n’a pas rempli son obligation d’information lors de la signature des actes, procédant de manière accélérée, sans rencontre directe, sans attirer leur attention sur le caractère très onéreux et très risqué de l’opération, en les faisant renoncer au délai de rétractation de façon précipitée, rédigeant un acte déséquilibré au détriment du profane, partie faible. Ils indiquent que l’inexistence de l’acte de vente emporte inexistence de la procuration et que la décharge du mandat du notaire, signée par M. [P] [U] seulement, est inopérante.
Les époux [U] estiment que la responsabilité du notaire doit être engagée lors de l’exécution des actes, puisque ce dernier avait procuration et mandat d’agir en leur nom, et a fait libéré 70 %, puis 20% des fonds sans s’assurer de l’avancement réel des travaux.
Par dernières conclusions transmises le 26 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France (le CANF) sollicite de la cour qu’elle :
confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions, non encore tranchées sur renvoi après cassation, et notamment en ce qu’il a accueilli les demandes de la banque et condamné solidairement :
– les époux [U] à lui restituer la somme principale de 157 331,73 €, au titre de leur obligation de restitution en vertu du prêt déclaré inexistant par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015,
– M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à:
– relever et garantir les époux [U] du paiement des 157 331, 73 € lui restant dus,
– lui payer 80 136,25 € au titre des intérêts arrêtés au 8 mars 2016, augmentés des intérêts au taux contractuel révisable de 5,3% l’an sur le capital mis à disposition pour 169 810 € jusqu’à parfait paiement,
– lui verser 2 400 € d’indemnités de procédure,
‘ rejette les demandes et fins de non-recevoir de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à toutes fins qu’elles comportent,
‘ condamne solidairement M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à lui verser une somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ les condamne solidairement aux entiers dépens, avec distraction pour ceux d’appel.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France estime, en premier lieu, que la demande de sursis à statuer présentée par Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] est irrecevable comme étant tardive pour n’avoir été présentée que par conclusions du 26 juillet 2023, postérieurement à de précédentes conclusions statuant au fond dans l’instance ayant donné lieu à l’arrêt du 12 novembre 2020 et alors que sa tierce opposition était déjà engagée et la cause de sa demande de sursis déjà connue. Le CANF ajoute que cette demande est mal fondée dans la mesure où le sursis à statuer a déjà été ordonné par la cour d’appel de Bordeaux dans l’attente du présent arrêt et d’une décision définitive sur la responsabilité des notaires, de sorte qu’il n’est pas de l’intérêt d’une bonne justice de surseoir également à statuer.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France entend, en deuxième lieu, que les fautes du notaire soient retenues et le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence confirmé. Elle estime que la responsabilité délictuelle des notaires est engagée pour manquement à leurs obligations tendant à assurer l’efficacité de l’acte instrumenté par lui et constituant le prolongement de sa mission de rédacteur d’acte. A l’instar de la cour d’appel de Bordeaux, la banque relève que le délai de réflexion des acquéreurs-emprunteurs n’était pas mentionné dans la procuration autrement que dans une formulation ‘fourre-tout’ lui ôtant tout caractère informatif, et, met en avant les différences entre l’avant-projet notifié aux acquéreurs et le contrat de vente effectivement signé par le notaire sans nouvelle notification aux époux [U] qui auraient dû bénéficier d’un nouveau délai de réflexion. Elle en déduit l’inexistence du contrat de prêt du fait du notaire qui a donc engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la banque au titre des sommes à restituer et des intérêts dont elle a été privée du fait des annulations intervenues.
En troisième lieu, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France conteste l’argumentaire des appelants.
S’agissant de la prescription invoquée par le notaire, le CANF fait valoir que cette fin de non recevoir a été définitivement jugée puisqu’écartée par la première cour d’appel d’Aix-en-Provence dans sa décision du 12 novembre 2020, qui a retenu l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015 comme point de départ, et non la date des actes en 2008, cette décision n’ayant pas été cassée de ce chef par la cour de cassation. En tout état de cause, la banque fait valoir que sa connaissance du dommage constitue le point de départ, donc le jour où l’inexistence des actes a été retenue, soit lors de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux.
Le CANF ajoute qu’un nouveau délai de réflexion devait courir, puisque des modifications étaient apportées à l’avant-projet de vente, dès lors que celles-ci aggravaient le risque ou les obligations de l’acquéreur, et non seulement en cas de modifications des informations immobilières du bien vendu.
La banque assure qu’aucune ratification n’a pu couvrir l’irrégularité caractérisée.
Elle fait encore valoir l’existence d’un lien causal entre les fautes du notaire qui ont entraîné une remise en cause de l’acte authentique et donc du contrat de prêt, et ses préjudices.
Enfin, le CANF assure qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir soulevé l’irrecevabilité de la demande d’inexistence des époux [U], celle-ci étant imprescriptible et celle-ci ne nécessitant pas une publication à la conservation des hypothèques.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient de relever que la cour n’est pas saisie des chefs de décisions afférents au rapport entre le CANF et les époux [U], ceux-ci ayant été définitivement jugés par l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 12 novembre 2020, non cassé sur ces points par la Cour de cassation dans sa décision du 23 novembre 2022. Il est donc uniquement ici question d’apprécier la responsabilité des notaires à l’égard des époux [U] et à l’égard de la banque.
De même, la cour d’appel précise qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ‘constatations’, de ‘prise d’acte’ ou de ‘dire et juger’ qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques.
1. Sur la demande de sursis à statuer
En premier lieu, il y a lieu de relever que, par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 1er juin 2018, cette demande déjà présentée par Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] a été déclarée irrecevable, cette décision ayant été confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 12 novembre 2020, aucun moyen d’appel n’ayant été développé devant elle contre ce chef de décision. Or, cet arrêt n’a pas été cassé par la Cour de cassation, de sorte que l’irrecevabilité de la demande de sursis à statuer alors présentée par les notaires a été définitivement jugée. Dès lors, si la demande de sursis à statuer formée par les notaires devant la présente cour tend à remettre en cause cette décision, elle ne le peut, ce point ayant été définitivement tranché.
En deuxième lieu et à considérer l’actuelle demande de sursis à statuer comme étant une nouvelle prétention fondée sur une nouvelle cause, à savoir la tierce opposition engagée par les notaires appelants le 13 juillet 2018 contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015, soit postérieurement à l’ordonnance du juge de la mise en état du 1er juin 2018 qui n’a donc pas pu prendre en compte cet élément dans son analyse, il convient d’en examiner la recevabilité, ici contestée notamment par le CANF.
En effet, par application de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Le sursis à statuer s’analyse en une exception de procédure. Or, force est de relever que la présente instance sur renvoi de cassation n’est que la poursuite de l’instance d’appel ayant donné lieu à l’arrêt partiellement cassé du 12 novembre 2020. Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] avaient conclu au fond dans ce cadre, notamment le 16 septembre 2019, sans solliciter le sursis à statuer, prétention qui n’a été énoncée que dans leurs conclusions des 26 juin et 25 juillet 2023. Or, le motif du sursis à statuer demandé était déjà connu en septembre 2019, puisque la tierce opposition avait déjà été formée en juillet 2018, et que le jugement du 6 septembre 2018 avait déjà retenu l’opposabilité de l’arrêt de la cour de Bordeaux du 24 juin 2015. Dans ces conditions, la demande de sursis à statuer présentée par M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] doit être déclarée irrecevable.
2. Sur l’engagement de la responsabilité du notaire par les époux [U]
Sur la prescription
Par application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
S’agissant de la responsabilité du notaire, le point de départ de la prescription doit être fixé, non
pas à la date de la commission de la faute, mais à celle de la réalisation du dommage.
Dans les rapports entre les époux [U] et le CANF, la cour d’appel de Bordeaux a définitivement déclaré inexistant l’acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement et réitérant le prêt. L’inexistence de cet acte a entraîné également la résolution du contrat de prêt sous seing privé du 8 avril 2008, conclu sous la condition résolutoire de la non conclusion, dans un délai de quatre mois, du contrat pour lequel le prêt est demandé conformément à l’article L 312-12 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à l’époque du prêt. Consécutivement à cet anéantissement du contrat de vente et de prêt, les parties doivent être remises en l’état où elles se trouvaient avant la conclusion de ces actes.
Les époux [U] entendent engager la responsabilité de M. [S] [J], notaire, afin d’obtenir la réparation de leurs préjudices résultant, d’une part, de l’établissement d’un acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement et de sa signature en qualité de mandataire, s’agissant d’un acte irrégulier pour être intervenu avant l’expiration du délai de rétractation prévu à l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation et pour être non conforme au projet d’acte, ainsi que, d’autre part, de manquements par le notaire à ses obligations de prudence, de conseil et d’information à leur égard.
Si l’irrégularité alléguée pouvait être constatée lors de l’établissement de la procuration du 3 avril 2008 mentionnant les dispositions de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation, c’est la date de la manifestation du dommage en résultant qui constitue le point de départ de la prescription quinquennale.
Or, M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] n’ont eu connaissance des dommages causés par l’inobservation des dispositions de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation, comme des dommages résultant des fautes qu’ils imputent au notaire dans l’exercice de son devoir de conseil et dans l’exécution de son mandat, qu’à partir du moment où la banque leur a demandé le remboursement des sommes prêtées, soit à compter de juin 2016. En effet, si l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux a retenu l’inexistence de l’acte de vente et a jugé que le délai de réflexion de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation n’avait pas commencé à courir, consacrant la validité de l’expression de leur droit de rétractation en date du 24 avril 2014, ce n’est qu’à compter de leur assignation en paiement des sommes prêtées et des accessoires que les époux [U] ont eu connaissance de leur dommage, issu des divers manquements qu’ils imputent au notaire. Ce n’est donc qu’à compter des assignations des 16 et 21 juin 2016 que la prescription de leur action à l’endroit de M. [S] [J] et de la SCP notariale a commencé à courir. Aussi, aucune prescription de leur action en responsabilité contre les notaires n’est acquise, les époux [U] ayant immédiatement appelé en garantie M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J].
La fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action de M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] envers M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] doit donc être écartée. Le jugement du 6 septembre 2018 doit donc être confirmé en ce qu’il a écarté cette fin de non recevoir.
Sur l’opposabilité de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux
En vertu de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Certes, l’autorité de chose jugée n’est pas opposable quand des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.
En l’occurrence, la Cour de cassation dans sa décision du 23 novembre 2022, a cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en ce qu’il avait retenu que l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 24 juin 2015 était inopposable au notaire et à la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J], puisque ces derniers n’avaient pas été appelés à cette instance.
En effet, M. [S] [J] et la SCP notariale n’ont pas été attraits, ni par les époux [U], ni par le CANF devant la cour bordelaise étant observé qu’il s’agissait, alors, d’un contentieux devant le juge de l’exécution à la suite de la procédure de vente forcée du bien objet de la vente litigieuse, initiée par la banque après délivrance, le 26 août 2013, d’un commandement de payer valant saisie immobilière. Cette action opposait donc les emprunteurs à la banque leur ayant accordé le crédit.
Pour autant, l’inexistence de l’acte de vente et de l’acte de prêt constatée par l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en 2015 constitue un fait juridique opposable aux tiers, dont Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J]. Cette conséquence ne contrevient pas à l’exigence d’un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors que la décision du 24 juin 2015, définitive entre les parties à l’instance, est critiquée par les notaires, tiers à la procédure, dans le cadre de la tierce opposition qu’ils ont intenté et par laquelle ils entendent faire valoir leurs moyens quant aux sanctions attachées aux actes de vente et de prêt telles que retenues par les juges d’appel.
Les notaires soutiennent que des éléments factuels ont été cachés aux juges bordelais, notamment la lettre du 1er avril 2008, valant purge du délai de rétractation, alors qu’ils auraient été susceptibles de conduire à une appréciation différente de la situation. Or, ce moyen tout comme celui tenant en leur absence de mise en cause constituent précisément l’argumentation et la critique de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] devant la cour d’appel de Bordeaux saisie de la tierce opposition, qui en appréciera la portée le moment venu.
En tout état de cause, sans retenir l’autorité de chose jugée à proprement parler, il convient de prendre en compte l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux comme étant un fait juridique, partie prenante du contexte juridique existant entre les parties, et, à ce titre, parfaitement opposable à M. [S] [J] et à la SCP notariale.
Sur les fautes imputables au notaire
Par application de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation, dans sa version applicable à l’espèce, pour tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitation ou la vente d’immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l’acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte.
Cet acte est notifié à l’acquéreur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
Lorsque l’acte est conclu par l’intermédiaire d’un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l’acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret.
En vertu de l’article 1998 du code civil, le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné. Il n’est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou tacitement.
Le devoir de conseil du notaire chargé de donner aux conventions des parties les formes légales et l’authenticité requises implique une mission de renseigner leurs clients sur les conséquences des engagements qu’ils contractent. Le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui, c’est-à-dire des actes qui réalisent exactement les buts poursuivis par leurs clients et dont les conséquences sont pleinement conformes à celles qu’ils se proposaient d’atteindre.
Il est de sa mission de conférer sécurité juridique complète aux actes qu’il reçoit.
Il est également tenu à un devoir de conseil des parties, d’information sur la portée et les conséquences des engagements souscrits du fait que ce dernier n’est pas un professionnel.
En l’occurrence, M. [S] [J], notaire habituel de la SA Mona Lisa a reçu mandat de la part de M. [P] [U] et de Mme [T] [E] épouse [U] aux termes d’une procuration notariée signée le 3 avril 2008 en vue d’acquérir les biens visés, de régulariser l’acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement, d’en assurer le paiement des échéances et d’en accepter, au nom du mandant, la livraison. Dans cet acte, les époux [U] reconnaissent avoir reçu le même jour notification en mains propres d’un projet d’acte authentique d’acquisition à régulariser.
Cette procuration a été précédée d’une lettre de Me [S] [J] aux époux [U] datée du 1er avril 2008, et dont les destinataires indiquent avoir eu connaissance deux jours plus tard, le 3 avril 2008, lors de la signature de la procuration, paraphant par la même occasion la dite lettre. Le très court délai écoulé entre la lettre et le rendez-vous chez le notaire du 3 avril 2008, seule rencontre entre les époux [U] et M. [S] [J], tend à conforter cette indication, de sorte que c’est simultanément que les acquéreurs ont reçu l’ensemble des éléments afférents à la vente.
L’acte authentique de vente a été signé par le mandataire avec le vendeur le 23 avril 2008 et dès le lendemain, le notaire adressait à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] une décharge de mandat.
Le bien n’a jamais été livré et le 24 avril 2014, les époux [U] ont adressé chacun au notaire un courrier recommandé faisant usage de leur droit de repentir en application de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation.
Par arrêt du 24 juin 2015, publié le 14 mai 2018, la cour d’appel de Bordeaux a admis la validité de ce droit de rétractation et dit que l’acte authentique de vente du 23 avril 2008 et le prêt accessoire n’avaient pas d’existence légale, ordonnant ainsi la mainlevée de la saisie immobilière engagée par le CANF.
Il y a lieu d’observer tout d’abord que la procuration notariée du 3 avril 2008 présente un caractère ‘fourre-tout’, comprenant un très grand nombre d’informations, listées sur 15 pages dans un but manifeste d’exhaustivité afin de couvrir l’ensemble des situations susceptibles de se présenter dans le cadre d’un tel mandat, mais sans aucune adaptation, ni à la situation de M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], ni à l’acquisition ici spécifiquement concernée. Parmi les nombreuses indications pour partie sans lien avec l’opération envisagée, cette procuration comprend la mention, en page 9, de la reconnaissance par le mandant des dispositions de l’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation et de l’indication selon laquelle il ‘n’a pas été en mesure d’exercer son droit de rétractation sur l’avant-contrat mais qu’il a parfaite connaissance qu’il a pu ou pourra l’exercer sur le projet d’acte d’acquisition’. Cette mention peu explicite, figurant parmi de nombreuses autres informations, ne permet pas de considérer qu’un conseil clair et éclairé a été donné aux acquéreurs quant à cette disposition essentielle et protectrice des intérêts du profane. De plus, l’avant-projet de contrat de vente ne comprend quant à lui aucune mention relative au droit de rétractation des acquéreurs.
Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’avant-projet de vente remis le 3 avril 2008 et l’acte notarié signé le 23 avril 2008 sont distincts, sans qu’une nouvelle notification d’un nouveau délai de rétractation n’ait été réalisée. En effet, l’avant-projet ne comporte aucune précision relative au financement du prix par la totalité du prêt et la procuration donnée ne précise pas la question du différé d’amortissement, pourtant condition essentielle du consentement. Seul l’acte réitéré fait état du remboursement du crédit à échéances constantes avec un différé d’amortissement de 120 mois au cours desquels seuls les intérêts devaient être prélevés sur les sommes mises à disposition.
En outre, il appert que, tout en portant sur le mandat de souscription d’un prêt pour financer l’acquisition, la procuration du 3 avril 2008 ne prévoit pas de condition suspensive relative à l’obtention du prêt au bénéfice de ses mandants, ce alors que Me [S] [J] connaissait parfaitement le montage financier de l’opération pour avoir participé à plusieurs reprises à des opérations analogues. Ainsi, il a privé les acquéreurs d’une protection juridique qui leur faisait courir le risque d’un refus de prêt, alors que l’acceptation de l’offre est intervenue le 8 avril 2008.
De plus, il convient de relever qu’en adressant aux acquéreurs, mandants, une lettre de décharge visant à l’évidence à assurer sa protection, par anticipation, contre toute action en responsabilité des acquéreurs, dès le 24 avril 2008, lendemain de la réitération de la vente, le notaire a agi par précipitation, ce alors qu’il n’avait pas exécuté l’ensemble de son mandat, puisque le bien n’était ni cloisonné, ni achevé, ni a fortiori livré, et que des obligations lui incombaient encore quant au paiement des échéances et à la réception du bien. Par la suite, les fonds ont été libérés à hauteur de 70 % puis de 20 % complémentaires, sans que le notaire ne s’assure réellement de l’avancement exact des travaux.
Il ressort en définitive de l’ensemble de ces éléments que M. [S] [J] a manqué à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde à l’égard d’acquéreurs profanes en la matière, par le biais d’actes multiples et touffus délivrés en un très court laps de temps, grâce à une procuration bien trop large, et donc dépourvue de tout caractère informatif suffisant, ainsi que par le biais d’une décharge de responsabilité inopérante. Il est établi que le notaire a manqué à son devoir de conseil effectif au regard du délai de rétractation auxquels les intimés pouvaient prétendre en ne leur délivrant pas une information compréhensible, ni adaptée, et en ne notifiant pas un nouveau délai de rétractation à la suite de la signature de l’acte authentique comportant des mentions différentes de l’avant-projet quant au financement du bien. De même, Me [S] [J] a manqué à son devoir d’assurer l’efficacité et la sécurité des actes authentiques reçus.
Or, ces manquements du notaire, tant lors de la signature des actes que de leur exécution, ont directement conduit à l’inexistence de la vente et du prêt dont la vente était la cause par l’effet de la mise en oeuvre du droit de rétractation non purgé en avril 2014, étant observé que l’inexistence de l’acte de vente emporte nécessairement inexistence de la procuration notariée prévue à cette seule fin.
Sur les préjudices
Les époux [U], qui n’ont pas ratifié l’acte de vente, sont fondés à solliciter la réparation des conséquences dommageables résultant pour eux de l’anéantissement de la vente et du contrat de prêt résultant de leur obligation de rembourser le capital emprunté. En effet, sans les fautes du notaire, la vente n’aurait pas été déclarée inexistante et les acquéreurs n’auraient pas été contraints de rembourser l’intégralité du capital emprunté, ni d’engager certains frais.
D’une part, le préjudice tenant pour les époux [U] à leur obligation, définitivement reconnue, de rembourser au CANF la totalité du capital restant dû, soit la somme de 157 331,73 €, résulte directement de l’anéantissement du contrat de prêt et de l’acte de vente, causé par les manquements commis par M. [S] [J]. Le lien de causalité directe entre les fautes de celui-ci et ce préjudice subi par les intimés est donc établi, de sorte que Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] devront être condamnés à relever et garantir M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] du paiement de la somme de 157 331,73 €. De même, les appelants devront garantir les intimés s’agissant des sommes déjà réglées au CANF au titre du prêt, soit la somme de 12 478,27 €.
D’autre part, M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] ont subi un préjudice moral imputable au notaire qui, par ses manquements, ne les a pas informés des risques pris et des droits qui étaient les leurs. A ce titre, il convient de leur allouer la somme de 1 000 €.
S’agissant, en revanche, des frais et émoluments dont les époux [U] disent s’être acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, vente et prêts) et des débours du notaire, il convient de relever que les intimés présentent une demande globale à hauteur de 60 000 €, sans identification précise des différents préjudices, ni justificatifs. Cette demande inclut également le coût des impôts fonciers acquittés, mais non justifiés, le coût d’un redressement fiscal de TVA, les primes d’assurance du bien et les charges de copropriété. Cette prétention s’assimile à une demande non chiffrée, et il ne peut y être fait droit. En tout état de cause, ces prétentions ne sont étayées par aucun justificatif et les frais liés aux assurances et au redressement fiscal ne peuvent être imputés à Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J], alors qu’ils sont liés à l’opération d’optimisation fiscale qui n’est pas parvenue à son terme du fait de la SA Mona Lisa elle-même.
En définitive, le jugement du 8 septembre 2018 doit être confirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J], mais réformé sur le montant des préjudices retenus et des condamnations prononcées.
3. Sur la nullité de la procuration et de la révocation du mandat
Cette prétention émise par les époux [U] dans leurs écritures n’est pas autrement développée. Si l’inexistence de la vente notariée emporte inefficacité et inefficience de la procuration du 3 avril 2008 consentie à sa fin, il n’est relevé aucune cause de nullité, ni de fond ni de forme de l’acte de procuration en lui-même, de sorte que son annulation en tant que telle ne peut être prononcée. Il en est de même de la décharge du mandat par le notaire.
4. Sur la responsabilité du notaire par rapport à la banque
Sur la prescription
M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] soulèvent de nouveau la prescription de l’action en responsabilité intentée par le CANF à leur endroit.
Or, force est de relever que ce point a déjà été tranché par la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans sa décision du 12 novembre 2020, et n’a pas été remis en cause par la Cour de cassation qui n’a cassé cet arrêt qu’en d’autres dispositions.
Le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action de le CANF contre M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] est donc définitivement jugé et a autorité de chose jugée.
Sur la demande indemnitaire de la banque contre le notaire et sa société d’exercice
Les manquements qualifiés et retenus de la part de Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] au titre de leurs obligations de conseil et de vigilance, ainsi qu’au titre de leur obligation d’assurer l’efficacité et la sécurité juridique des actes authentiques passés en un très court trait de temps, ont directement conduit à la reconnaissance de l’inexistence de la vente et du prêt qui en était l’accessoire.
Le CANF, tiers au contrat de vente, est en droit d’invoquer un manquement du notaire à ses obligations en sa qualité de mandataire du vendeur, dès lors que celui-ci lui a causé un préjudice financier matérialisé par la privation des fonds mis à la disposition des acquéreurs, destinés précisément à financer l’acquisition du bien dont l’acte de vente et l’acte de prêt ont été anéantis.
Or, la banque justifie d’un préjudice à raison des intérêts conventionnels dont elle a été privée du fait des annulations intervenues. En effet, si la banque n’est jamais assurée de bénéficier de l’intégralité de ces sommes jusqu’au terme initialement stipulé au contrat de prêt, notamment en cas de résiliation anticipée du prêt par les emprunteurs, il n’en demeure pas moins que le préjudice constitué pour elle par les frais et intérêts conventionnels dus entre la mise à disposition des fonds à l’emprunteur et la date de leur restitution est caractérisé puisque, pendant cette période, elle n’a pas disposé des sommes prêtées.
C’est donc à juste titre que le tribunal d’Aix-en-Provence en 2018 a condamné M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer au CANF des dommages et intérêts à hauteur de 80 136,25 € représentant les intérêts arrêtés au 8 mars 2016, dont elle a été privée du fait des annulations de la vente et du prêt, cette somme étant augmentée depuis cette date des intérêts au taux contractuels révisable de 5,30 % l’an sur le capital mis à disposition de 169 810 € et jusqu’à parfait paiement. La décision entreprise sera confirmée sur ce point.
5. Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive sollicités par le notaire
L’action intentée, d’une part, par le CANF, et, d’autre part, par M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], ne présente aucun caractère abusif, de sorte que c’est à juste titre que les premiers juges ont débouté Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive. La décision entreprise sera donc confirmée de ce chef.
6. Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] qui succombent au litige, supporteront in solidum les dépens de première instance et d’appel. En outre, l’indemnité à laquelle ils ont été condamnés en première instance au titre des frais irrépétibles sera confirmée, et, deux indemnités supplémentaires identiques de 4 000 € seront mises à leur charge au bénéfice de M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U], d’une part, et du CANF d’autre part, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en considération de l’équité et de la situation économique respectives des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,
Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J],
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘ condamné solidairement Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] la somme de 17 478,27 €,
condamné solidairement Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] l’intégralité des frais et émoluments acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, prêts et ventes) et des débours du notaire,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions soumises à la présente cour et non contraires,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne solidairement Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à verser à titre de dommages et intérêts à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] la somme de 13 478,27 €,
Déboute M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] de leur demande tendant à la condamnation solidaire de M. [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à leur verser à titre de dommages et intérêts à l’intégralité des frais et émoluments acquittés à l’occasion des actes passés (procuration, prêts et ventes) et des débours du notaire,
Dit n’y avoir lieu à prononcer la nullité de la procuration du 3 avril 2008 et de la décharge du mandat du 24 avril 2008,
Condamne in solidum Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer à M. [P] [U] et Mme [T] [E] épouse [U] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] à payer à la caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] de leur demande sur ce même fondement,
Condamne in solidum Me [S] [J] et la SCP Badet-Bleriot [J] André-[J] au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT