Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 8
ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2023
(n° 2023/ 158 , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/11771 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGAR2
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris – RG n° 21/00848
APPELANTE
S.A. ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro : 833 105 067
représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151et plaidant par Me Isabelle GUGENHEIM, avocat au barreau de PARIS, toque E0978
INTIMÉ
Monsieur [L] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Né le 10 novembre 1959 à [Localité 5] (LIBAN)
représenté par Me Estelle FORNIER de l’AARPI ITER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1443
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Julien SENEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Mme Laurence FAIVRE, Présidente de chambre
M. Julien SENEL, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET
ARRÊT : Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Laure POUPET, Greffière présente lors de la mise à disposition.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 26 décembre 2005, M. [L] [P] a adhéré à un contrat collectif de retraite complémentaire souscrit par son employeur auprès de la SA AVIVA VIE, aux droits de laquelle vient la SA AVIVA RETRAITE PROFESSIONNELLE.
A la suite d’un changement d’employeur, M. [P] a sollicité le 16 décembre 2019 le transfert des droits individuels en cours de constitution de son contrat d’origine vers un contrat PERP de la société AXA.
Par courrier du 17 avril 2020, la société AVIVA RETRAITE PROFESSIONNELLE a indiqué à M. [P] que la valeur de l’épargne constituée était valorisée à un montant de 153 606,68 euros au 1er janvier 2020.
La société AXA a donné son accord le 20 avril 2020 pour le transfert de la valeur du contrat RETRAITE en cause vers le contrat PERP ouvert le 4 décembre 2019 auprès d’AXA France Vie.
Par courrier du 16 mai 2020, la société AVIVA RETRAITE PROFESSIONNELLE a informé M. [P] qu’elle avait versé la somme de 115 741,91 euros à l’entreprise d’assurance (AXA France Epargne Retraite) du contrat d’accueil au titre de la valeur de transfert.
Par courrier recommandé en date du 19 mai 2020 reçu le 27 mai 2020, M. [P] a adressé une réclamation à AVIVA et sollicité le versement du différentiel entre la valeur de transfert en date du 1er janvier 2020 et les sommes transférées le 18 mai 2020 soit la somme de 37 864,77 euros.
La société AVIVA a procédé le 20 mai 2020 au versement de la somme de 115 741,91 euros et par courrier du 18 septembre 2020, elle a informé le conseil de M. [P] qu’elle maintenait sa position au regard de :
– la prise d’effet de la demande de transfert, réceptionnée au siège de la compagnie le 10 janvier 2020 mais qui s’est révélée après analyse incomplète ‘du fait de l’absence de justificatif de changement de l’employeur ou de changement de statut chez ce même employeur’ et a nécessité la communication de justificatifs, réclamés le 30 mars 2020 et réceptionnés le 31 mars 2020, ayant permis d’établir la valeur de transfert ;
– les modalités du transfert : le service retraite a communiqué la valeur de transfert du contrat en date du 2 avril 2020 à hauteur de 110.357,28 euros auprès de l’assuré et de la société AXA, ouvrant ainsi droit à un délai de 15 jours à l’adhérent pour renoncer à ce transfert, soit jusqu’au 17 avril 2020, faculté dont l’assuré n’a pas usé ; à l’expiration de ce délai, l’entreprise d’assurance du contrat d’origine disposait d’un délai de 15 jours courant à compter de la notification faite à elle par l’entreprise d’assurance du contrat d’accueil, de son acceptation du transfert, pour verser directement à cette entreprise une somme égale à la valeur de transfert ; or, AXA a accepté par courrier du 20 avril 2020 le transfert de la valeur du contrat UFF Retraite vers le contrat PERP ; en outre, à l’expiration de ce délai, les sommes non versées produisent de plein droit intérêt au taux légal majoré de moitié durant deux mois, puis à l’expiration de ce dernier délai, au double du taux légal ; AVIVA disposant de 15 jours à compter de la date de réception de l’acceptation du transfert par AXA, pour effectuer le transfert attendu, le virement des fonds devait intervenir au plus tard le 4 mai 2020, raison pour laquelle AVIVA a procédé au versement de la somme complémentaire de 221,65 euros correspondant aux intérêts légaux de retard dus entre le 4 mai et le 18 avril 2020 auprès d’AXA ;
– le montant de la valeur de transfert : à l’expiration du délai de renonciation fixé au 7 avril, la valeur de transfert a été réévaluée à cette même date à hauteur de 115.741,91 euros pour un montant supérieur à celui annoncé le 2 avril ; la valeur transférée auprès d’AXA correspond ainsi à la valeur du 17 avril 2020 de 115.741,91 euros, majorée des intérêts de retard de 221,65 euros supplémentaires ;
– la demande de compensation de M. [P] formulée à hauteur de 37.364,77 euros : elle ne peut être satisfaite dès lors que la compagnie a versé une valeur de 115.741,91 euros supérieure à celle annoncée.
C’est dans ce contexte que M. [P] a, par acte d’huissier du 14 janvier 2021, fait assigner la société AVIVA RETRAITE PROFESSIONNELLE, devenue la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE, devant le tribunal judiciaire de PARIS aux fins de condamnation à lui payer la somme de 37.864,77 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement du 12 mai 2022, ledit tribunal a :
– condamné la SA ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [L] [P] la somme de 26 505,34 euros en réparation de son préjudice ;
– débouté M. [L] [P] de sa demande indemnitaire pour résistance abusive ;
– débouté la SA ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de sa demande indemnitaire pour procédure abusive ;
– condamné la SA ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE aux dépens ;
– dit que Me [S] sera autorisée à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;
– condamné la SA ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [L] [P] la somme de 3.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté le surplus des demandés données en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
Par déclaration électronique du 22 juin 2022, la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE a interjeté appel de ce jugement en mentionnant que l’appel tend à la réformation du jugement en ces chefs précisés dans ladite déclaration.
Par conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 30 janvier 2023, la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE demande à la cour au visa des articles L. 132-23 et D 132-7 du code des assurances, de :
1-
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 26.505,34 euros en réparation de son préjudice résultant du manquement à son obligation d’information,
Statuant à nouveau,
Débouter M. [P] de son appel incident, de ses demandes, fins et prétentions,
Décharger la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE des condamnations prononcées à son encontre,
2-
Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Statuant à nouveau, vu l’article 1240-1 du code civil,
Condamner M. [L] [P] à payer à la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
3-
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
4-
Infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [L] [P] la somme de 3.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, et décharger la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de la condamnation prononcée à son encontre,
Condamner M. [L] [P] à payer à la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions d’intimé et d’appelant incident notifiées par voie électronique le 2 novembre 2022, M. [P] demande à la cour au visa des articles D. 132-7 du code des assurances, 1231-1 et 1231-6-6 du code civil, 515, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
– DEBOUTER la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– le JUGER recevable et bien fondé en ses demandes ;
A titre principal :
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société AVIVA RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 26.505,34 euros en réparation de son préjudice ;
STATUANT A NOUVEAU
– CONDAMNER la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 37.864,77 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à compter du 3 août 2020, date de la mise en demeure ;
A titre subsidiaire :
– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 26.505,34 euros en réparation de son préjudice ;
– Y AJOUTANT : « avec intérêt au taux légal à compter du 3 août 2020, date de la mise en demeure » ;
En tout état de cause :
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande indemnitaire
pour résistance abusive ;
– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a :
. Condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [L] [P] la somme de 3 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile de première instance ;
. Condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE en tous les dépens dont le montant sera recouvré par Maître Estelle FORNIER, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Y ajoutant :
– CONDAMNER la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive;
– CONDAMNER la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Il convient de se reporter aux conclusions pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 20 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE, appelante fait valoir que le jugement doit être infirmé en ce qu’il a :
– jugé que l’assureur a manqué à son obligation d’information en l’absence de preuve de la réception par l’assuré de la notification de la valeur de transfert,
-jugé que la perte de chance subie par M. [P] était égale à 26.505,34 euros, correspondant à 70% de 37.864,77 euros (différence entre le montant de l’épargne constituée en janvier 2020 et la valeur de transfert en avril 2020) ;
– condamné en conséquence la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 26.505,34 euros en réparation de son préjudice, en résultant ainsi que la somme de 3.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société ABEILLE VIE de ses demandes.
La société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE demande à être déchargée des condamnations prononcées à son encontre et que M. [P] soit débouté de l’intégralité de ses demandes, y compris de son appel incident, en faisant valoir en substance que :
– s’agissant de la demande en paiement de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance résultant du manquement à l’obligation d’information, la preuve de la notification de la valeur de transfert peut être faite par tous moyens et en particulier par courriel à l’adresse déclarée par l’assuré sur la demande de transfert ;
– la demande de M. [P], affilié à un plan d’épargne retraite à adhésion obligatoire, reçue le 10 janvier 2020 était incomplète et ne permettait pas de justifier de son éligibilité au transfert, en l’absence de justificatif de sa situation professionnelle, de sorte que l’assureur ne pouvait y donner suite ;
– la notification a été faite à l’adresse courriel déclarée par M. [P] et utilisée avec succès par celui-ci deux jours auparavant, le 30 mars 2020 pour échanger avec l’assureur ; la société AXA, également destinataire de ce courriel en a d’ailleurs accusé réception, transmettant ce courriel avec sa réponse, ceci venant confirmer sa parfaite réception par les destinataires ;
– le fait que M. [P] se soit abstenu d’accuser réception de ce courriel ne permet pas d’en déduire qu’il ne l’a pas reçu, et surtout que l’assureur ne lui a pas notifié la valeur de transfert ;
– si la cour considère que l’assureur a commis une faute résultant d’un manquement à son obligation d’information, le jugement doit être infirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’un préjudice résultant d’une perte de chance d’avoir pu renoncer au transfert et a évalué cette perte de chance à 26.505,34 euros ;
– dès lors que le tribunal considérait d’une part que la demande de transfert était du 30 mars 2020 et que le préjudice résultait de la perte de possibilité de renoncer au transfert, il devait, pour le calcul de la perte de chance, procéder à une comparaison entre la valeur de l’épargne constituée le 30 mars 2020 et la valeur de transfert retenue ;
– M. [P] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’existence et de l’évaluation de la perte de chance alléguée ; même si le tribunal a jugé que la perte de la possibilité de renoncer au contrat devait être indemnisée au titre de la perte de chance, il ne peut être procédé à une analogie avec l’article L. 132-5-1 du code des assurances, dont l’objet est de prévoir les modalités et conséquences de l’exercice du délai de renonciation à un contrat d’assurance-vie, la renonciation au contrat ouvrant droit à restitution de l’intégralité des sommes versées ;
– M. [P] ne justifie ni d’un préjudice indépendant du retard allégué ni de la mauvaise foi ou encore de l’attitude déloyale ou dilatoire de la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE dont il se prévaut.
M. [P], intimé réplique que le jugement doit, à titre principal, être infirmé s’agissant de l’évaluation du préjudice de perte de chance reconnu par le tribunal, et de l’existence du préjudice de résistance abusive, mais confirmé pour ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens, dès lors notamment que:
– la seule valeur de transfert à retenir était ‘la dernière valeur connue des unités de compte au jour de la réception de la demande de transfert’ ;
– la société AVIVA, en première instance, a argué que la valeur de transfert à retenir était celle à la date de la réception par la société AVIVA d’un dossier complet soit celle du 30 mars 2020, date de réception par AVIVA des pièces justifiant du changement d’employeur et pièce d’identité ; or, une telle condition n’est absolument pas stipulée au contrat qui prévoit expressément que la valeur à retenir est celle de ‘la réception de la demande de transfert’ ;
– par application de l’article D. 132-7 du code des assurances, la notification n’a pas été faite;s’il avait eu connaissance du fait que la valeur de son épargne constituée transférable était de 110 357,28 euros au 2 avril 2020 soit 28% de moins que la valeur de son épargne lors de sa demande de transfert, il n’aurait pas manqué de renoncer à la demande de transfert de son PERP ;
– il a donc subi un préjudice lié à la perte de chance qu’il avait de ne pas transférer son épargne et ainsi ne pas subir la perte de valeur qu’il a connu par ce transfert ;
– la société AVIVA a commis une faute en ne communiquant pas cette information afin d’éclairer son choix et en transférant les fonds à la société AXA sans avoir respecté la procédure en la matière par application de l’article 1231-1 du code civil ;
– par la faute de la société AVIVA, il a subi un préjudice correspondant au différentiel entre la valeur de transfert en date du 10 janvier 2020 (153 677,21 euros), et les sommes transférées le 18 mai 2020 (115 741,91 euros) soit la somme de 37 935,30 euros ;
– ce n’est pas parce qu’AXA, en copie de ce prétendu mail et donc destinataire, l’a reçu qu’il l’a également réceptionné et ce n’est pas parce que l’adresse mail utilisée est correcte que son destinataire l’a forcément reçu : il arrive que les mails arrivent dans les courriers indésirables, que les mails ne soient pas reçus du fait d’une difficulté au niveau de l’hébergeur internet; l’envoi d’un mail ne signifie pas réception de celui-ci ;
– la seule information qui lui a été réellement communiquée afin qu’il puisse prendre sa décision de transfert est la valeur au 1er janvier 2020 ; ainsi, lorsqu’il pouvait prétendre exercer son droit de rétractation, la seule information en sa possession était la valeur de transfert au 1er janvier 2020, d’un montant de 153 606,68 euros ;
– en appel, la société AVIVA continue de solliciter sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts pour un montant de 1 500 euros au motif qu’il aurait commis une faute en engageant une procédure qu’il savait parfaitement vouée à l’échec ; cette demande n’est fondée ni en son principe ni en son quantum, dans la mesure où AVIVA ne démontre pas de faute de sa part ; elle est d’autant plus infondée que le tribunal judiciaire a fait droit partiellement à ses demandes.
1) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance résultant du manquement à l’obligation d’information
Vu, notamment, les articles 1147 anciens du code civil, L. 132-23, D. 132-6 et D. 132-7 du code des assurances ;
En l’espèce, le contrat UFF93 n° 5700002091 auquel M. [P] a adhéré, souscrit par son employeur d’alors, auprès de la société Abeille Vie prévoit à l’article III.3 des conditions particulières intitulé ‘Transférabilité’ ce qui suit : ‘En cas de départ d’un salarié adhérent affilié de l’entreprise vers une autre entreprise dotée d’un régime de retraite complémentaire satisfaisant aux mêmes caractéristiques, entrant dans le cadre légal et réglementaire semblable, ABEILLE VIE transférera directement, sur sa demande expresse accompagnée d’une pièce justificative de son changement de situation, la valeur liquidative des unités de compte, diminuée de 4% forfaitaires, auprès du nouvel organisme désigné. Les garanties prévues par ce contrat cesseront dès notification de la demande de transfert. Le transfert sera réalisé dans les six mois au plus, suivant la réception de la demande. La valeur liquidative retenue est la dernière valeur connue des unités de compte au jour de réception de la demande de transfert. [‘]’
Il est constant que ces dispositions sont applicables à l’intimé, étant rappelé que le contrat UFF 83 a été transféré à la société AVIVA Retraite Professionnelle, nouvelle entité juridique créée par AVIVA pour accueillir les contrats de retraite professionnelle initialement assurés par AVIVA VIE, dans le cadre de la loi sur la modernisation de l’économie dite Sapin 2 et que le transfert de plan d’épargne retraite collective fait suite au changement d’employeur de M. [P] de [W] S.A à SWISSLOG France.
Il s’en déduit que la valeur de transfert à retenir était ‘la dernière valeur connue des unités de compte au jour de la réception de la demande de transfert’.
Comme l’a exactement jugé le tribunal, sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir inversé la charge de la preuve, qui incombe en l’espèce à l’assureur en application de l’article 9 du code de procédure civile, dès lors que la réception du courriel de notification de la valeur de transfert est contestée :
– il ressort de la procédure que, par courrier du 16 décembre 2019, dont il est constant qu’il a été réceptionné le 10 janvier 2020, M. [P] a demandé à la société Abeille Retraite Professionnelle le transfert des droits individuels résultant du contrat ‘UFF 83’ n° 5700002091 auquel il avait adhéré le 26 décembre 2015 (vers un contrat PERP de la société AXA), et que par courriel du 30 mars 2020, il a adressé à l’assureur la justification de son changement de situation professionnelle ;
– la société Abeille disposait dès lors d’un délai de trois mois, à compter du 30 mars 2020, pour notifier à l’assuré la valeur de transfert des droits individuels, ainsi que l’indication des délais et modalités selon lesquelles celui-ci pouvait renoncer au transfert ; en effet, la demande de transfert doit être regardée comme effective dès lors que l’adhérent justifie auprès de l’assureur du changement de sa situation professionnelle conformément à l’article L. 132-23 du code des assurances, ce que mentionne au demeurant l’article III.3 des conditions particulières du contrat d’assurances ;
– or, si les dispositions de l’article D. 132-7 du code des assurances ne précisent pas la forme que doit revêtir la notification de la valeur de transfert, de sorte qu’elle peut résulter d’un simple courriel, encore faut-il que l’assureur établisse qu’elle a été réceptionnée par l’assuré, ce qui permettrait d’attester de son envoi dès lors qu’il est contesté ; en l’espèce, ni l’un ni l’autre ne sont démontrés par la société Abeille Retraite Professionnelle ; dans ce contexte, la circonstance que M. [P] ait communiqué quelques jours plus tôt avec l’adresse électronique à laquelle le courriel a été adressé est, à elle seule, insuffisante à faire la preuve de la réception effective de cette notification.
La cour ajoute que le fait que la société AXA, mentionnée en copie de ce mail, l’ait réceptionné ne démontre pas la réception effective par M. [P] de cette notification.
Si, comme le fait valoir la société ABEILLE, l’article D. 132-7 du code des assurances ne prévoit pas de formalisme particulier pour la notification de la valeur de transfert des droits individuels, qui doit être accompagnée de l’indication des délais et modalités de renoncement au transfert par l’adhérent, c’est à juste titre que M. [P] lui réplique qu’il appartenait cependant à la société AVIVA de s’assurer de l’effectivité de cette notification et d’en conserver en tant que de besoin une preuve, M. [P] demeurant quant à lui présumé de bonne foi lorsqu’il soutient que la notification ne lui a jamais été faite.
Il en résulte que l’assureur a failli à son obligation d’information ce qui caractérise un manquement contractuel, sans qu’il soit pour cela nécessaire de raisonner par analogie avec le principe posé par l’article L. 132-5-2 du code des assurances prévoyant la prorogation du délai de renonciation prévu par l’article L. 132-5-1 en cas de défaut de remise des documents et information légalement prévus.
Le jugement est confirmé sur ce point.
2) Sur la demande d’indemnisation au titre de la perte de chance
C’est vainement que la société AVIVA soutient que M. [P] ne justifie d’aucun préjudice du fait du transfert litigieux et que celui-ci réplique qu’en application du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit, son préjudice consistant au différentiel entre la valeur de transfert de son contrat au 1er janvier 2020 (153.606,68 euros ) et la somme effectivement transférée vers le contrat PERP AXA, le 16 mai (115.741,91 euros), doit être indemnisé à hauteur de 100% soit 37.864,77 euros, et non à hauteur de 70% de cette somme comme l’a fait le tribunal.
Comme l’a exactement analysé le tribunal :
– le préjudice réparable résultant du manquement au devoir d’information ne peut consister que dans la perte de chance de pouvoir renoncer au transfert qui demeure facultatif et, partant, de ne pas subir une diminution de la valeur des droits individuels en cours de constitution ;
– la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisé.
Cependant, la cour ne peut suivre M. [P] lorsqu’il soutient que la diminution ouvrant droit à indemnisation, en l’occurrence au titre de la perte de chance, correspond à la différence entre le montant de l’épargne constituée en janvier 2020, soit 153.606,68 euros et la valeur de transfert au 17 avril 2020 (date d’expiration du délai de renonciation au transfert) soit la somme de 115.741,91 euros, pour un montant de 37.864,77 euros.
En effet, comme le fait valoir la société l’ABEILLE, l’article III.3 de la notice d’information prévoit qu’en cas de départ d’un salarié adhérent affilié de l’entreprise vers une autre entreprise dotée d’un régime de retraite complémentaire satisfaisant aux mêmes caractéristiques entrant dans le cadre réglementaire et légal semblable, l’assureur transférera sur demande expresse de l’assuré accompagnée d’une pièce justificative de son changement de situation la valeur liquidative des unités de compte diminuée de 4% forfaitaire auprès du nouvel organisme assureur désigné.
Conformément à l’article L. 132-23 du code des assurances et ainsi que rappelé par la notice d’information, les droits individuels relatifs au plan d’épargne retraite d’entreprise auquel le salarié est affilié à titre obligatoire ne sont transférables que lorsque le salarié n’est plus tenu d’y adhérer, c’est-à-dire lorsqu’il fait l’objet d’une mesure de licenciement ou en cas de changement d’employeur.
Cette faculté de transfert ne concerne donc que les assurés qui ne sont plus liés à leur employeur, ce dont il doit être justifié afin de vérifier l’éligibilité au transfert.
La date de réception de la demande de transfert ne peut donc qu’être la date de réception d’une demande de transfert complète comportant en particulier les pièces justifiant de l’éligibilité de l’assuré au transfert , la cour observant que l’obligation d’information qui pèse sur l’assureur à compter de ladite réception de demande de transfert serait dénuée d’intérêt si elle s’imposait à lui à compter de la réception d’une demande incomplète, l’assuré n’ayant pas à ce moment les éléments nécessaires pour exercer son droit au transfert de ses unités.
Pour s’opposer à la demande en indemnisation formulée par M. [P], la société AVIVA soutient avoir notifié la valeur de transfert à M. [P] le 2 avril 2020, ce que celui-ci conteste.
En l’espèce, si M. [P] a adressé une demande de transfert réceptionnée par l’assureur en janvier 2020, sa demande de transfert ne pouvait être prise en considération, puisqu’il n’était pas justifié de son éligibilité au transfert.
Sans qu’il puisse utilement être reproché à l’assureur d’ajouter de ce fait une condition au contrat, la demande de transfert n’ayant été complétée que le 30 mars 2020, c’est bien cette date qu’il convient de retenir pour apprécier la demande de transfert et ses conséquences.
Comme le fait valoir l’assureur :
– au 30 mars 2020, la valeur de transfert était de 110.357,28 euros (sur la base d’une valeur liquidative de la part du support UFF Euro valeur ISR A, de 140,79 euros, nombre de parts 783,7876) ;
– au 17 avril 2020, la valeur de transfert était de 115.741,91 euros (sur la base d’une valeur liquidative de la part du support UFF Euro valeur ISR A, de 147,67 euros, nombre de parts 783,7876).
Il s’en déduit que si M. [P] a perdu une éventualité de renoncer au transfert de ses unités dont la probabilité ne pouvait en toute hypothèse pas être de 100 %, la perte de chance se mesurant à hauteur de la chance perdue, il ne démontre pas que cette éventualité lui aurait été favorable, dès lors que la renonciation au transfert suppose la connaissance par l’assuré du montant de la valeur de transfert de ses unités. Or si l’assuré avait bien reçu la notification en date du 2 avril 2020, et avait tout au plus attendu jusqu’au 17 avril 2020 pour renoncer au transfert, il aurait eu connaissance du fait que la valeur était alors de 110.357,28 euros et aurait vraisemblablement renoncé au transfert ; en conséquence, en raison de l’absence de fait générateur, il aurait conservé une valeur de 110.357,28 euros ; or, en l’état, la valeur transférée est de 115.741,91 euros; il n’en résulte donc pour lui ni perte ni préjudice.
Le jugement est en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à payer à M. [P] la somme de 26.505,34 euros en réparation de son préjudice résultant du manquement de la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à son obligation d’information.
3) Sur la demande de M. [P] au titre de la résistance abusive
Vu l’article 1231-6 alinéa 3 du code civil ;
Le tribunal a débouté M. [P] de sa demande indemnitaire pour résistance abusive.
Compte tenu de la solution retenue par la cour, le jugement est confirmé sur ce point, dès lors que M. [P] ne justifie d’aucune résistance abusive de l’assureur en ce qu’il succombe en ses demandes tant principales que subsidiaires concernant l’indemnisation du préjudice causé selon lui par le manquement de l’assureur à son obligation d’information.
4) Sur la demande de la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE au titre de la procédure abusive
Vu l’article 1240 du code civil ;
L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation qu’en cas de faute susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur.
En l’espèce, le tribunal a débouté la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de sa demande indemnitaire pour procédure abusive.
Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l’encontre de M. [P] une faute de nature à faire dégénérer en abus, le droit de se défendre en justice. Il ne sera ainsi pas fait droit aux demandes de dommages-intérêts formées à ce titre.
Le jugement est confirmé sur ce point.
5) Sur les autres demandes
Le tribunal a condamné la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE aux dépens, dont distraction, ainsi qu’à payer à M. [P] la somme de 3.200 euros au titre des frais irrépétibles, et rejeté le surplus des demandes formées en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de l’issue du litige, le jugement est infirmé sur ces points.
M. [P] et la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE succombant l’un et l’autre pour partie en leurs prétentions, chacun d’entre eux supportera la charge des dépens par lui engagés tant en première instance qu’en cause d’appel.
Pour des motifs d’équité, aucune condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ne sera prononcée, de sorte que chacune des parties sera déboutée de sa demande formée de ce chef.
Enfin, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande tendant à ‘décharger la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE des condamnations prononcées à son encontre’. En effet, s’il n’est pas contesté que la société ABEILLE VIE a réglé à M. [P] la somme de 26.505,34 euros au titre des dommages et intérêts alloués, dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement entrepris, le présent arrêt, infirmatif notamment sur ce point, constitue dès lors le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant en dernier ressort, contradictoirement, publiquement et par mise à disposition de la décision au greffe,
Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [L] [P] de sa demande indemnitaire pour résistance abusive, et débouté la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,
L’infirme pour le surplus des dispositions soumises à la cour, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déboute M. [L] [P] de ses demandes principales et subsidiaires en réparation du préjudice invoqué du fait du manquement de la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE à son obligation d’information ;
Dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l’exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle engagés tant en première instance qu’en cause d’appel ;
Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [L] [P] et la société ABEILLE RETRAITE PROFESSIONNELLE de leur demande formée de ce chef.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE