Droit de rétractation : Décision du 27 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/02637

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Droit de rétractation : Décision du 27 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/02637

1ère Chambre

ARRÊT N°313/2022

N° RG 20/02637 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QVTB

M. [N] [B]

Mme [R] [C] épouse [B]

C/

Mme [H] [Z] [J] épouse [D]

M. [L] [K] [V] [J]

Mme [T] [X] [I] [J] épouse [A]

S.A.R.L. GUENNO IMMOBILIER

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 mai 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 27 septembre 2022 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 06 septembre 2022 à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [N] [B]

né le 25 Octobre 1958 à [Localité 12] (35)

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représenté par Me Antoine CHEVALIER de la SELARL CHEVALIER MERLY & ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES

Madame [R] [C] épouse [B]

née le 23 Octobre 1961 à [Localité 11] (35)

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représentée par Me Antoine CHEVALIER de la SELARL CHEVALIER MERLY & ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Madame [H] [Z] [J] épouse [D]

née le 04 Février 1949 à [Localité 11] (35)

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

Monsieur [L] [K] [V] [J]

né le 18 Novembre 1945 à [Localité 11] (35)

[Adresse 10]

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représenté par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

Madame [T] [X] [I] [J] épouse [A]

née le 22 Octobre 1956 à [Localité 11] (35)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

La S.A.R.L. GUENNO IMMOBILIER, SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 11]

Représentée par Me Laura LUET de la SELARL HORIZONS, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

Au décès de leurs parents, [H] [J] épouse [D], [L] [J] et [T] [J] épouse [A] recueillaient dans la succession la maison familiale située [Adresse 1], pour laquelle ils confiaient à l’agence Guénno Immobilier un mandat de vente.

Suivant acte sous seing privé en date du 10 décembre 2013 rédigé par l’agence Guénno Immobilier, les consorts [J] signaient avec M. et Mme [B] un compromis de vente de ce bien au prix de 600.000 € aux charges et conditions ordinaires et avec la prévision d’un acte authentique à intervenir « au environ du 30 juin 2014 ».

Les acquéreurs versaient un dépôt de garantie de 10.000 € dont l’agent immobilier était constitué séquestre.

M. et Mme [B] déposaient une demande de permis de construire le 26 juin 2014 et le 1er juillet 2014, leur notaire maître Charpentier informait son confrère maître Mallevre, notaire des consorts [J], de ce que ses clients attendaient la délivrance par la ville de [Localité 11] du permis de construire valant permis de démolir.

Le 16 juillet 2014, les consorts [J] adressaient à M. et Mme [B] une sommation par huissier de justice, délivrée à domicile, leur enjoignant d’avoir à se présenter le 30 juillet 2014 à 17 h à la signature de l’acte authentique de vente.

Le 30 juillet 2014, M. et Mme [B] ne se présentaient pas et maître Mallerve établissait un procès-verbal de carence.

Le 8 octobre 2014, M. [L] [J] faisait établir par la scp Bertrand Delanoë, huissier de justice à Rennes, un constat d’état des lieux de la maison en vente faisant apparaître que des plaques avaient été arrachées au plafond de la cuisine.

Il obtenait par ailleurs la copie du service de [Localité 11] Métropole en date du 30 juillet 2014, faisant réclamation à M. et Mme [B] de diverses pièces nécessaires à l’instruction de la demande de permis de construire enregistrée le 26 juin 2014 pour un projet d’extension et de rénovation.

Le 27 octobre 2014, le projet de rénovation et d’extension présenté par M. et Mme [B] aux services d’urbanisme de [Localité 11] Métropole était rejeté.

Par courrier du 10 novembre 2014, les consorts [J] mettaient en demeure M. et Mme [B] de leur régler la clause pénale et de les indemniser des dégradations commises dans la maison. Ils prenaient acte du refus de M. et Mme [B] de réitérer la vente.

M. et Mme [B] opposaient la caducité de la promesse de vente fondée sur la défaillance de la condition suspensive d’obtention du permis de construire et de démolir.

L’acte authentique n’était jamais signé.

Sur assignation des consorts [J] du 22 mai 2015 et par jugement du 12 mai 2020, le tribunal judiciaire de Rennes :

-condamnait solidairement M. et Mme [B] à payer aux consorts [J] la somme de 60.000 € au titre de l’indemnité forfaitaire, avec intérêts au taux légal à compter du 10 novembre 2014,

-disait que la sarl Guenno Immobilier devra leur verser la somme séquestrée de 10.000 € à valoir sur celle de 60.000 €,

-condamnait in solidum M. et Mme [B] à leur payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre la charge in solidum des dépens,

-ordonnait l’exécution provisoire.

M. et Mme [B] interjetaient appel le 15 juin 2020 de l’ensemble des chefs du jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

M. et Mme [B] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 26 avril 2022 auxquelles il est renvoyé.

Ils demandent à la cour d’infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 12 mai 2020 et, statuant à nouveau, de :

-juger que Mme [D] a ratifié la promesse de vente en date du 10 décembre 2013 en son nom personnel et s’est portée fort pour Mme [A] et M. [J],

-juger que la vente d’un bien immeuble constituant un acte de disposition, la signature des trois indivisaires est nécessaire,

-constater le défaut de ratification du compromis par [L] [J] et [T] [A].

Ils demandent à la cour à titre principal de :

-juger recevable l’exception de nullité de la promesse de vente,

-juger nulle en son entier la promesse de vente en date du 10 décembre 2013,

-débouter les consorts [J] et l’Agence Guénno Immobilier de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

À titre subsidiaire, ils demandent à la cour de :

-juger la promesse de vente en date du 10 décembre 2013, imparfaite,

-juger que le délai de rétractation de l’article L. 271-2 du code de la construction et de l’habitation n’a pu valablement courir à leur encontre,

-juger que le délai n’a pas en outre été purgé conformément aux dispositions de l’article L. 271-1 alinéa 4 du code de la construction et de l’habitat,

-constater le droit des consorts [B] de se rétracter,

-débouter les consorts [J] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

À titre infiniment subsidiaire, ils demandent à la cour de :

-constater le non-respect des modalités attestant la remise en mains propres du compromis,

-juger la remise en mains propres du compromis, irrégulière,

-juger en conséquence que le délai de rétractation de l’article L. 271-2 du code de la construction et de l’habitation n’a pu valablement courir à leur encontre,

-juger que le délai n’a pas en outre été purgé conformément aux dispositions de l’article L271-1 alinéa 4 du code de la construction et de l’habitat,

-constater en conséquence leur droit de se rétracter,

-en conséquence, débouter les consorts [J] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions.

À titre éminemment subsidiaire, ils demandent à la cour de :

-constater la défaillance de la condition suspensive relative à l’octroi du permis de construire et/ou démolir,

-juger que la promesse de vente signée le 10 décembre 2013 est caduque,

-en conséquence, débouter les consorts [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-juger que les demandes dirigées par les consorts [J] à leur encontre sont mal fondées.

À titre très éminemment subsidiaire, ils demandent à la cour de :

-juger que la clause pénale revêt un caractère manifestement excessif,

-en conséquence, rapporter à plus justes mesures le montant de la clause pénale,

-débouter les consorts [J] de toute demande à caractère indemnitaire au titre de la clause pénale.

En tout état de cause, ils demandent à la cour de :

-débouter les consorts [J] et l’agence Guénno Immobilier de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

-condamner in solidum les consorts [J] à leur verser la somme de 5.000.00 € au titre des procédures de première instance et d’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au bénéfice de la Scp Chevalier Merly & associés.

Les consorts [J] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 22 avril 2022, auxquelles il est renvoyé.

Ils demandent à la cour à titre principal de :

-juger irrecevable la prétention de M. et Mme [B] tendant à voir juger nulle la promesse de vente en date du 10 décembre 2013,

-débouter M. et Mme [B] de toutes leurs demandes,

-confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 12 mai 2020 en toutes ses dispositions,

-y ajoutant,

-condamner solidairement M. et Mme [B] à leur la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

-les condamner solidairement aux entiers dépens d’appel.

À titre subsidiaire, ils demandent à la cour de :

-condamner la société Guénno Immobilier à leur verser la somme de 60.000€ outre intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2015 date de délivrance de l’assignation,

-ordonner la capitalisation des intérêts échus conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

-condamner la société Guénno Immobilier aux entiers dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au versement à leur profit de la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans tous les cas, ils demandent à la cour de débouter M. et Mme [B] ainsi que la Société Guénno Immobilier des demandes dirigées contre eux.

La sarl Guénno Immobilier expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 2 mai 2022, auxquelles il est renvoyé.

Elle demande à la cour à titre principal de :

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 12 mai 2020,

-en cas d’infirmation partielle ou totale,

-débouter les consorts [J] de toutes leurs demandes fins et conclusions dirigées contre la société Guénno Immobilier.

En tout état de cause, elle demande à la cour de condamner in solidum M. et Mme [B] et les consorts [J] à lui verser la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre la charge des dépens.

MOTIFS DE L’ARRÊT

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’office de la cour d’appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de « constater », « dire » ou « dire et juger » qui ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile mais la reprise des moyens censés les fonder.

1) Sur la nullité de la promesse de vente

M. et Mme [B] soutiennent que le compromis de vente est entaché de nullité, cette demande n’étant pas une prétention nouvelle mais un moyen nouveau tendant aux mêmes fins, à savoir obtenir le débouté des demandes des intimés, car Mme [D] a signé la promesse de vente en son nom personnel et s’est portée fort pour Mme [A] et M. [J] qui ne l’ont pas ratifiée.

Les consorts [J] soutiennent que cette demande de nullité du compromis de vente est nouvelle en appel et donc irrecevable.

La sarl Guénno Immobilier estime qu’il s’agit d’une demande nouvelle.

En droit, en application des articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile, « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait. »

« Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. »

« Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »

L’action en nullité qui a pour objet de mettre à néant le contrat ne tend pas aux mêmes fins que la prétention au rejet d’une demande en paiement de la clause pénale.

En l’espèce, la demande de nullité du compromis de vente litigieux, présentée pour la première fois en cause d’appel par M. et Mme [B], est une prétention au soutien de laquelle ils invoquent le moyen du défaut de consentement de deux des trois coindivisaires.

Cette demande ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, à savoir le débouté des consorts [J] de leur demande principale en paiement de la clause pénale.

Nouvelle en appel, elle est en conséquence irrecevable.

2) Sur l’imperfection de la promesse de vente

2.1) Sur la procuration ou le porte-fort

M. et Mme [B] soutiennent que Mme [D] a signé la promesse de vente en son nom personnel et s’est portée fort pour Mme [A] et M. [J] qui ne l’ont pas ratifiée alors que la vente d’un bien immeuble constituant un acte de disposition exige la signature des trois indivisaires.

Les consorts [J] soutiennent que M. [J] et Mme [A] ont valablement donné procuration à leur s’ur Mme [D] d’avoir à signer ce compromis et que tous les coindivisaires ont consenti à la vente.

La sarl Guénno Immobilier soutient que la sanction de l’acte de disposition entrepris sans l’accord unanime de tous les coindivisaires est l’inopposabilité de l’acte à l’indivisaire évincé, que de même, si le porte-fort est une technique usuelle en cas de vente d’un bien en indivision, elle avait pris soin de recueillir les pouvoirs de représentation en vue de la signature du compromis, qu’enfin, la vente a été ratifiée par tous les coindivisaires.

En droit, l’article 1984 du code civil dispose que « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.

Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire. »

L’article 1204 du même code stipule que « On peut se porter fort en promettant le fait d’un tiers.

Le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts.

Lorsque le porte-fort a pour objet la ratification d’un engagement, celui-ci est rétroactivement validé à la date à laquelle le porte-fort a été souscrit. »

En l’espèce, par deux mandats en dates respectives des 30 novembre 2013 et 1er décembre 2013, rédigés manuscritement par leurs auteurs, M. [L] [J] et Mme [T] [A] ont donné pouvoir à leur s’ur Mme [H] [D] pour signer le compromis de vente concernant leur maison [Adresse 1] au prix de 600 000 euros net vendeur.

M. [J] a recouru à l’expression « ‘pour me représenter à la signature’ » tandis que Mme [A] a mentionné « donne pouvoir [‘] pour signer’ »

Il est constant que la validité de ces pouvoirs n’est pas contestée, ni remise en cause notamment par leurs auteurs, M. [J] et Mme [A], qui ne les ont pas dénoncés et, au contraire, confirment qu’ils ont expressément donné leur accord pour la vente du bien à M. et Mme [B].

M. et Mme [B] font plutôt valoir que leur « réalité [‘] interroge », que leur date est incertaine, que « leur force probante est faible », comme n’ayant été ni mentionnés dans le compromis de vente, ni annexés à celui-ci tandis que Mme [D] s’est au contraire manuscritement « portée fort » dans le compromis de vente, ce qui n’était pas utile si ces pouvoirs de représentation étaient bien établis à la date dudit compromis.

En effet, le compromis de vente s’achève par la mention manuscrite suivante apposée par Mme [D] « Lu et approuvé bon pour accord, me porte fort pour mon frère [L] [J] et ma s’ur [T] [A] ».

Toutefois, M. et Mme [B] n’établissent pas la postériorité au compromis de vente des mandats produits par les intimés.

Par ailleurs, la simple mention manuscrite « me porte-fort » apposée en toute fin du compromis litigieux demeure inopérante en l’absence de quelque précision que ce soit de son objet ou de ses modalités d’exécution tandis que la mention du mandat de représentation ou l’annexion de ceux-ci au compromis de vente ne sont pas des conditions de validité de ce dernier.

Ainsi, c’est valablement que Mme [D] a exécuté les mandats, ainsi acceptés par elle, qui lui avaient été préalablement donnés par ses frère et s’ur coindivisaires, de signer au nom et pour leur compte la vente du bien dûment identifié au prix net convenu.

Le moyen tiré de l’absence de ratification de la vente sera rejeté, et le premier jugement confirmé sur ce point.

2.2) Sur l’erreur sur la date du point de départ du délai de rétractation

M. et Mme [B] soutiennent que la date erronée du point de départ du délai de rétractation telle qu’elle a été mentionnée dans le compromis de vente, à savoir le 18 décembre 2013 au lieu du 11 décembre 2013, invalide l’attestation de remise de ce compromis contre lequel le délai de rétractation n’a dès lors pas couru.

Les consorts [J] soutiennent que cette coquille n’a pas eu pour effet d’invalider la remise en mains propres ni d’empêcher le délai de rétractation de courir, qui plus est à l’avantage des acquéreurs.

La sarl Guénno Immobilier rappelle que M. et Mme [B] n’ont exercé aucune rétractation dans le temps supplémentaire issu de cette erreur.

En droit, l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation en vigueur au moment des faits dispose que « Lorsque l’acte est conclu par l’intermédiaire d’un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l’acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret. »

En l’espèce, ainsi que cela résulte du compromis de vente du 10 décembre 2013, M. et Mme [B] ont porté chacun la mention manuscrite de ce que l’avant-contrat leur avait été remis en mains propres le jour même :

« remis par Guenno Immobilier à [Localité 11] le 10/12/2013. Je déclare avoir connaissance qu’un délai de rétractation de sept jours m’est accordé par l’article L271-1 du code de la construction et de l’habitation, et qu’il court à compter du lendemain de la date de remise inscrite de ma main sur le présent acte, soit à compter du 18/12/2013. »

L’erreur matérielle commise s’agissant du point de départ du délai de rétractation, à savoir le 18 décembre 2013 au lieu du 11 décembre 2013 qui était le lendemain du jour de la signature et de la remise du compromis, n’a pas eu pour effet d’empêcher un quelconque délai de rétractation de courir mais seulement d’en différer le point de départ au 18 décembre 2013 en lieu et place du 11 décembre 2013.

Il n’a donné lieu à aucune rétractation de la part des acquéreurs, qui ont pourtant bénéficié d’un délai d’une durée supérieure de 7 jours au délai minimal légalement exigé et qui ne justifient d’aucun grief tiré de ce délai favorable.

Il s’ensuit que la faculté de rétractation est définitivement purgée.

Le premier jugement sera confirmé sur ce point.

3) Sur la condition suspensive du permis de construire et de démolir

M. et Mme [B] soutiennent qu’ils avaient un projet d’ampleur de rénovation et d’extension du bien immobilier acquis et qu’ils avaient évidemment pour obligation de solliciter un permis de construire et/ou de démolir auprès des services concernés qui était un élément déterminant de leur engagement, que le terme « conditions suspensives » est mentionné dans l’intitulé de l’acte, que le nom des notaires est indiqué dans la clause suspensive dont l’agence immobilière confirme qu’elle a bien été discutée avec les vendeurs qui ont déposé les clés, mais tardivement, à ladite agence pour permettre les visites du maître d »uvre, qu’ils ont engagé des frais importants d’architecte, de maîtrise d »uvre et de bornage, n’ayant pu formaliser le contrat de maîtrise que le 26 juin 2014 après étude du projet, qu’ils se sont heurtés à un refus de [Localité 11] Métropole notamment pour un double garage et une extension de 25 m², qu’il était convenu de proroger le délai initial au 30 juillet 2014 mais que les consorts [J] ont refusé faisant alors obstacle à la réalisation de la condition suspensive de manière injustifiée eu égard à la complexité du chantier.

Les consorts [J] soutiennent qu’il n’a jamais été question de cette condition lors des pourparlers ayant précédé la signature de la promesse de vente, qu’ils ne s’expliquent pas l’insertion de cette coquille dans le compromis, que M. et Mme [B] sont parfaitement au fait des affaires et de l’immobilier en qualité de gérants et associés de plusieurs sociétés civiles et n’auraient pas manqué d’exiger une clause suspensive plus précise, qu’en tout état de cause, ils n’ont déposé leur dossier que le 26 juin 2014 et qu’il n’y avait donc aucune chance pour que la condition soit réalisée avant la date prévue pour la signature de l’acte authentique le 30 juin suivant, qu’ils n’ont officialisé aucune demande de prorogation du délai, qu’ils sont à l’origine de la défaillance de la condition suspensive et donc redevables du montant de la clause pénale.

La sarl Guénno Immobilier soutient qu’une condition suspensive de permis de construire et de démolir a bien été négociée entre les parties, laquelle a été mentionnée en gras dans le compromis accompagnée du nom des notaires instrumentaires, que faute pour les acquéreurs d’être en possession des plans servant de support à la demande de permis, elle n’était elle-même pas en mesure d’apporter dans le compromis plus de précision sur le contenu de la demande, qu’enfin, ledit permis n’ayant pas été obtenu, ledit compromis s’est trouvé caduc, sauf si la condition était réputée accomplie par suite de l’insuffisance des démarches de M. et Mme [B], auquel cas elle ne saurait en être tenue pour responsable.

En droit, selon les dispositions de l’article 1176 ancien du code civil, « Lorsqu’une obligation est contractée sous la condition qu’un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé. S’il n’y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n’est censée défaillie que lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas. »

Pour être opérante, une condition suspensive doit être rédigée en termes clairs et précis, contenir l’objet de la condition, prévoir les délais de réalisation ainsi que les modalités de justification des diligences effectuées.

En l’espèce, le compromis de vente du 10 décembre 2013 comporte en page 6 un paragraphe ainsi présenté et libellé :

CONDITIONS SUSPENSIVES

Condition d’obtention du permis de démolir et du permis de construire

Outre l’éventuelle condition suspensive d’obtention de prêts, les parties soumettent formellement la réalisation de la vente aux conditions suspensives suivantes, stipulées au seul profit de l’acquéreur, lequel pourra toujours y renoncer :

1- URBANISME :

Que le certificat d’urbanisme ne révèle aucune servitude ou charge quelconque rendant l’immeuble impropre à sa destination normalement prévisible. À ce sujet, il est précisé que le seul alignement ne sera pas considéré comme une condition suspensive, à moins qu’il ne rende l’immeuble impropre à sa destination.

2- ETAT HYPOTHECAIRE :

Que l’état hypothécaires ne révèle aucune inscription ou privilège d’un montant total supérieur au prix de vente convenu ou qui soit en nature à faire échec à l’obtention d’un crédit éventuel.

Si l’une des conditions suspensives n’est pas réalisé, (sauf renonciation par l’acquéreur à ces conditions), chacune des parties reprendra sa pleine et entière liberté, sans indemnités de part et d’autre et la somme remises par l’acquéreur, à titre d’acompte, lui sera immédiatement restituée, et ceci sans aucune formalité.

Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [B], la mention du nom des notaires instrumentaires n’est pas indiquée dans ce paragraphe mais dans celui qui suit immédiatement et qui est expressément relatif à la réalisation de l’acte authentique.

Plus pertinemment, l’examen attentif du paragraphe relatif aux conditions suspensives permet de conclure que les parties ont « formellement » soumis la réalisation de la vente à deux conditions suspensives expressément formulées et qui concernaient :

1. la délivrance d’un certificat d’urbanisme purgé,

2. l’obtention d’un état hypothécaire purgé.

S’il est possible que M. et Mme [B] aient évoqué leur souhait d’entreprendre des travaux de rénovation et d’extension de la maison d’habitation, probablement dans les locaux de l’agence immobilière et en présence des vendeurs, force est de constater qu’ils n’ont pas, dans le compromis de vente, fait traduire cette volonté sous la forme d’une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire et de démolir. Aucun délai n’est prévu au compromis pour l’obtention dudit permis, ni aucun descriptif des travaux envisagés, ni aucune modalité de justification auprès des vendeurs des démarches à la charge des acquéreurs.

L’intitulé général du paragraphe « Condition d’obtention du permis de démolir et du permis de construire » fût-il écrit en caractère gras, ne saurait tenir lieu de ladite condition dès lors qu’il est dépourvu de toute précision.

Pareillement, la remise des clés de la maison par les consorts [J] à l’agence Guénno Immobilier afin de permettre aux acquéreurs de se rendre dans les lieux pour effectuer des relevés est inopérante à suppléer l’absence d’une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire et démolir précisément insérée au compromis de vente.

Enfin, M. et Mme [B] ont signé le compromis de vente le 10 décembre 2013 avec une date prévisible de réitération de l’acte authentique fixée d’un commun accord aux environs du 30 juin 2014.

Ce n’est pourtant que le 1er juillet 2014, soit le lendemain de la date du 30 juin 2014 mentionnée au compromis et plus de 6 mois ¿ après cette date, qu’ils font écrire par leur notaire maître Charpentier à maître Mallevre, notaire des consorts [J], qu’ils étaient dans l’attente de la délivrance par la ville de [Localité 11] du permis de construire valant permis de démolir.

Ils ne justifient d’aucune information en direction des acquéreurs avant cette date s’agissant des démarches entreprises par eux pour l’obtention de ce permis.

Et pour cause puisqu’il résulte du courrier du service instructeur de [Localité 11] Métropole versé aux débats par les vendeurs que la demande de permis de construire a été déposée seulement le 26 juin 2014, soit 4 jours avant la date de réitération prévue, et qu’un ensemble de pièces étaient manquantes : surface de plancher des annexes à démolir, plan de masse des constructions à édifier ou à modifier, mises en cohérence d’un certain nombre de cotes à effectuer’

M. et Mme [B] n’ont pas non plus cru devoir se rendre au rendez-vous de signature fixé par sommation d’huissier de justice le 30 juillet 2014 à tout le moins pour donner une explication à leur carence.

Enfin, M. et Mme [B] indiquent que leur projet a finalement été rejeté en date du 27 octobre 2014 mais ils ne produisent pas le document de rejet.

Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, c’est à juste titre que le premier juge a retenu que le compromis de vente ne comportait aucune condition suspensive valable d’obtention d’un permis de construire et de démolir et que M. et Mme [B] échouaient à rapporter la preuve de la caducité de la vente.

Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.

4) Sur le caractère excessif de la clause pénale

M. et Mme [B] estiment que les demandes formulées par les consorts [J] sont excessives et disproportionnées, qu’une cession a eu lieu par acte notarié le 1er septembre 2015 pour un prix de 520.000 € qui ne concerne toutefois pas le bien immobilier objet du compromis de cession du 10 décembre 2013 mais est relative à trois immeubles, que l’attestation afférente doit dont être écartée des débats.

Les consorts [J] rappellent que la clause pénale a un caractère forfaitaire, qu’elle ne répare pas un préjudice mais sanctionne l’inexécution de l’obligation contractée, que le taux de 10 % est parfaitement classique, que leur bien immobilier a été immobilisé en pure perte pendant pratiquement 8 mois, que la vente a été négociée à un prix inférieur à celui offert par M. et Mme [B] et que la différence entre le prix figurant dans la promesse et le prix auquel a finalement été vendu l’immeuble, soit 80.000 €, est supérieure au montant de la clause pénale d’un montant de 60.000 €, qu’ils ont continué à acquitter les assurances pour 638,73 € et l’impôt foncier pour 2.216 €, qu’enfin, il s’agit du même bien qui a été renuméroté 16A, 16B et 16C.

La sarl Guénno Immobilier soutient que le préjudice des consorts [J] n’est ni certain ni direct

En droit, l’article 1152 du code civil dispose que « Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. »

L’application de la règle d’usage fixant la clause pénale à 10 % du prix de vente ne fait pas obstacle à une révision judiciaire de celle-ci « en comparant le montant de la peine conventionnellement fixée et celui du préjudice effectivement subi. »

De même, une clause pénale peut être révisée par le juge lorsque le bien a pu être remis en vente rapidement et trouver un nouvel acquéreur.

Enfin, le juge demeure souverain dans l’appréciation du préjudice subi par le créancier.

En l’espèce, il résulte de l’attestation établie par la scp Lemétayer Mallevre Morin Painsar, notaires associés Rennes, que le bien litigieux, qui a fait l’objet d’une renumérotation et est bien le même que celui du compromis du 10 décembre 2013, a été vendu le 1er septembre 2015 à la sas Abita Demain au prix de 520.000 €, soit à un prix inférieur à celui du compromis initial, la différence étant supérieur au montant de la clause pénale.

Par ailleurs, d’un montant de 10 % du prix de vente, le montant de cette clause pénale n’est pas excessif.

Le premier jugement, qui a condamné M. et Mme [B] à payer cette indemnité, sera confirmé, y compris dans sa disposition ayant dit que la sarl Guénno Immobilier devra verser aux consorts [J] la somme séquestrée de 10.000 € à valoir sur celle de 60.000 €.

5) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Succombant, M. et Mme [B] seront condamnés in solidum aux dépens d’appel. Le premier jugement sera confirmé s’agissant des dépens de première instance.

Enfin, il n’est pas inéquitable de les condamner in solidum à payer aux consorts [J] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel. Le premier jugement sera confirmé s’agissant des frais irrépétibles de première instance.

Les demandes de la sarl Guénno Immobilier au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare irrecevable en cause d’appel la demande présentée par M. et Mme [B] de nullité du compromis de vente signé avec les consorts [J] le 10 décembre 2013,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 12 mai 2020,

Condamne M. et Mme [N] et [R] [B] in solidum aux dépens d’appel,

Condamne M. et Mme [N] et [R] [B] in solidum à payer à Mme [H] [J] épouse [D], M. [L] [J] et Mme [T] [J] épouse [A] la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles d’appel,

Rejette toutes autres demandes.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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