Droit de rétractation : Décision du 27 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/01944

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Droit de rétractation : Décision du 27 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/01944
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N° RG 21/01944 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NO2O

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE

du 02 mars 2021

RG : 2021j106

ch n°

[T]

C/

S.A.S. LOCAM

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 27 Avril 2023

APPELANT :

M. [O] [T]

né le 11 Mars 1990 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean-louis ROBERT de la SELARL SELARL ROBERT, avocat au barreau de ROANNE

assisté de Me Grégoire MANN de la SELARL LEX LUX AVOCATS, avocat au barreau de SAINT ETIENNE

INTIMEE :

LA SOCIETE LOCAM – LOCATION AUTOMOBILES MATERIELS

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Michel TROMBETTA de la SELARL LEXI, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 18 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Mars 2023

Date de mise à disposition : 27 Avril 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Fabienne BEZAULT-CACAUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Par acte d’huissier de justice du 6 janvier 2021, la SAS Locam a assigné [O] [T] à comparaître devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne en paiement de :

– la somme de 18.038,86 euros, en principal, y compris indemnité et clause pénale de 10% outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, montant de 47 loyers impayés ou à échoir consécutifs à un contrat de location N’ 1538693,

– la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, avec demande de non rejet de l’exécution provisoire.

La société Locam réclamait aussi la restitution du matériel objet du contrat.

La société Locam exposait que M. [T], qui exploite un commerce de distribution de cigarettes électroniques à l’enseigne ‘Dragon in fire’, a passé commande le 19 novembre 2019 de la fourniture d’un site internet auprès de la Sarl Meosis.

Le financement s’est effectué sous forme de contrat de location cédé par la société Meosis à la société Locam, prévoyant le paiement de 48 loyers mensuels de 280 euros ht, du 30 décembre 2019 au 30 novembre 2023.

M. [T] a signé un procès-verbal de livraison et de conformité et la société Locam a réglé la facture de la société Meosis et adressé au locataire une facture unique de loyers valant échéancier.

Plusieurs échéances sont restées impayées et la société Locam a adressé à M. [T] une lettre recommandée de mise en demeure avec avis de réception du 27 avril 2020.

M. [T] n’était pas présent ni représenté à l’audience du tribunal du 9 février 2021.

Par jugement en date du 2 mars 2021, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

– condamné M. [T] à payer à la SAS Locam la somme de 18.038,86 euros, y incluse la clause pénale de 10%, outre intérêts au taux légal à dater de I’assignation,

– ordonné la restitution par M. [T] à la SAS Locam du matériel objet du contrat,

– condamné M. [T] à payer à la SAS Locam la somme de 100 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens, dont frais de Greffe taxés et liquidés à 61,32 euros, seront payés par M. [T] à la SAS Locam,

– dit qu’en application de I’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est de droit exécutoire par provision.

M. [T] a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 16 mars 2021.

Par ordonnance de référé du 3 septembre 2021, le premier président de la cour d’appel de Lyon a, notamment, rejeté les demandes de M. [T] en arrêt de l’exécution provisoire du jugement précité et en consignation.

En ses dernières conclusions du 3 mai 2022, [O] [T] demande à la Cour ce qui suit, au visa des articles 1101 à 1104, 1128 à 1139, 1223, 1227 à 1229 et 1343-5 du code civil, L.111-1, L.111-2, L.221-1 et suivants du code de la consommation :

à titre principal,

– infirmer en intégralité le jugement rendu le 2 mars 2021 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne ;

et, statuant de nouveau :

– constater l’erreur sur les qualités substantielles de la prestation commise par M. [T] ;

– juger que cette erreur est excusable ;

– constater la présence d’un dol commis par les sociétés Locam et Meosis ;

– juger que les conditions de validité du contrat de location ne sont pas réunies ;

en conséquence :

– ordonner la nullité du contrat de location de la société Locam, aux motifs de l’existence d’une erreur sur les qualités substantielles de la prestation attendue, outre l’existence d’un dol incontestable et de l’absence des conditions de validité dudit contrat ;

à titre subsidiaire,

– infirmer en intégralité le jugement rendu le 2 mars 2021 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne ;

et, statuant de nouveau :

– juger que la société Meosis n’a pas respecté ses obligations précontractuelles d’informations ;

– juger que le délai de rétractation a été prorogé de 12 mois à compter de l’expiration du premier délai de 14 jours ;

– juger que M. [T] a résilié le contrat le 12 mars 2020, dans le délai légal imparti ;

– juger en tout état de cause que la résiliation du contrat conclu avec la société Meosis est valable ;

en conséquence :

– juger que la résiliation du contrat de prestation de services est intervenue au 12 mars 2020 ;

– juger en conséquence, la caducité du contrat de location excipé par la société Locam ;

à titre infiniment subsidiaire,

– infirmer en intégralité le jugement rendu le 2 mars 2021 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne ;

et, statuant de nouveau :

– juger que la prestation fournie ne correspond pas à la prestation convenue ;

– juger que M. [T] a pour autant fait preuve de bonne foi en adressant de multiples relances à la société Locam visant à trouver une solution amiable à ce litige ;

– juger en tout état de cause que M. [T] a manifesté sa volonté de mettre fin au contrat compte tenu des préjudices qu’il rencontrait ;

en conséquence :

– ordonner la résolution judiciaire du contrat de prestations de services pour inexécution fautive de la société Méosis ;

– juger, en conséquence, la caducité du contrat de location excipé par la société Locam ;

à titre très infiniment subsidiaire,

– ordonner la réduction de la créance ;

– ordonner les plus larges délais de paiement ;

en tout état de cause :

– infirmer en intégralité le jugement rendu le 2 mars 2021 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne ;

– condamner la société Locam à payer à M. [T] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Locam aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions du 16 septembre 2021, la SAS Locam demande à la Cour de statuer comme suit, en visant les articles 1103, 1132 et 1231-1 du code civil, liminaire et L.221-3 du code de la consommation et 14 du code de procédure civile :

– juger non fondé l’appel de M. [T] ;

– le débouter de toutes ses demandes ;

– confirmer le jugement entrepris ;

– condamner M. [T] à régler à la société Locam une nouvelle indemnité de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner en tous les dépens d’instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2022.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préliminaire, la Cour observe que la société Locam ne justifie pas de sa qualité de cessionnaire du contrat passé entre M. [T] et la société Meosis. Si une telle cession est effectivement envisagée dans les conditions générales contractuelles, elle n’est matérialisée par aucun contrat.

La société Locam se borne à verser une facture établie par la société Meosis pour la création du site internet de M. [T], dont elle ne justifie pas du règlement et qui ne saurait valoir contrat de cession du contrat de location litigieux.

Sur le vice du consentement

M. [T] expose qu’il pensait conclure un contrat avec la société Meosis ayant pour objet principal la création et fourniture d’un site internet ainsi que sa maintenance et son exploitation afin de développer son e-commerce.

Or, il s’avère que le contrat était cédé par la société Meosis à la société Locam sans mention distinctive dans le contrat de licence d’exploitation. M. [T] n’a jamais eu connaissance de l’engagement qu’il était en train de souscrire à l’égard de la Société Locam, le commercial de la société Meosis lui ayant fait croire verbalement que M. [T] était propriétaire du site.

L’appelant ajoute que son erreur a été causée par le dol du commercial de la société Meosis qui a pris soin de ne jamais mentionner l’existence de la société Locam lors de sa présentation du dispositif et de son installation.

Les documents contractuels, tant le contrat de licence que le procès verbal de livraison, ne faisaient nullement référence à la société Locam en qualité de cessionnaire, de sorte que l’appelant pouvait raisonnablement penser qu’il concluait un contrat uniquement avec la société Meosis et serait propriétaire du site internet.

En effet, ce document met en avant deux parties au contrat, à savoir la société Meosis et la ‘société Dragon on fire’ par l’intermédiaire de son gérant.

Si les conditions générales du contrat de licence d’exploitation, dont la taille de police est réduite au maximum, prévoient la possibilité d’une cession de celui-ci, elles se contentent de lister plusieurs sociétés susceptibles de devenir cessionnaires, dont la société Locam.

Ce n’est que par courrier en date du 23 décembre 2019 que M. [T] a découvert avec stupeur l’existence d’une relation le liant à la société Locam.

S’il avait su qu’au final, malgré le versement d’une somme particulièrement élevée, il ne serait pas propriétaire du site, il n’aurait sans doute pas signé le bon de commande.

La société Locam répond que les dispositions contractuelles prévoient la cession du contrat, dont il est d’ailleurs précisé qu’il est établi en 3 exemplaires, destinés respectivement au cessionnaire, au fournisseur et à l’abonné/locataire.

Sur ce, le contrat litigieux est intitulé ‘Contrat de licence d’exploitation de site internet’ et désigne la prétendue société ‘Dragon on Fire’ , de manière peu claire, comme ‘abonné/locataire’ tandis que la société Meosis est qualifiée de ‘fournisseur’. Il est prévu le réglement de 48 mensualités mais aucunement spécifié que le site à créer est donné en location.

Il faut se reporter aux conditions générales, imprimées au recto en caractères minuscules, pour découvrir que le contrat a pour objet la création du site et sa location ‘pour la durée indiquée au contrat de licence d’exploitation’. En l’occurence, aucune durée n’est spécifiée et la seule indication d’un règlement en 48 mensualités ne suffit pas à déterminer que la durée de location est fixée à 48 mois.

En outre, si l’article 7 des conditions générales prévoit la possibilité de cession du contrat à la société Locam, il est également peu lisible et comporte une clause manifestement abusive, en ce qu’elle empêche le locataire de contester l’exécution de la prestation auprès du cessionnaire alors que celui-ci ne saurait avoir plus de droits que le cédant. Une telle clause, dans l’hypothèse d’un défaut de fonctionnement du site loué, priverait en effet le locataire de l’exception d’inexécution pour s’opposer au paiement des loyers.

Il reste qu’au regard des mentions contractuelles, M. [T] ne pouvait ignorer qu’il s’engageait au versement de 48 loyers pour l’établissement d’un site internet et qu’il n’en était pas propriétaire puisqu’il était désigné comme abonné ou locataire. Le vice du consentement de M. [T], en ce qu’il a pu légitimement ignorer que le contrat serait cédé à Locam, n’invalide pas son engagement quant au versement des loyers.

En revanche, M. [T] justifie de la résiliation du contrat intervenue alors que Locam en était cessionnaire :

Sur le droit de rétractation

Il résulte de l’article L.221-3 du code de la consommation que les dispositions protectrices du consommateur dans le cadre d’un contrat conclu avec un professionnel à la suite d’un démarchage à domicile, sont étendues aux contrats conclus hors établissement

entre deux professionnels, dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de

l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.

Il n’est pas contesté que le contrat de location passé entre M. [T] et la société Meosis, aux droits de laquelle vient la société Locam après la cession du contrat, ne constitue pas un service financier et se trouve donc soumis à ces dispositions.

M. [T] expose qu’il a le statut d’auto-entrepreneur et qu’il n’employait aucun salarié. Il verse aux débats un extrait K-bis récent ainsi qu’une copie écran du site www.societe.com, attestant de la qualité micro-entreprise et de l’absence de salariés, dans la rubrique « taille de l’entreprise ».

La société Locam conteste la possibilité pour M. [T] de se prévaloir des dispositions du code de la consommation en soutenant que la production d’un extrait Kbis n’est pas probante, étant déclaratif et, qui plus est, que l’extrait est non contemporain de la conclusion du contrat de licence.

Toutefois, l’extrait Kbis versé aux débats établit que M. [T] exerce son activité au statut auto-entrepreneur depuis le 19 mars 2018 (inscription effectuée le 20 mars 2018), donc depuis une date antérieure à la souscription du contrat litigieux.

Au demeurant, M. [T] rappelle avec pertinence qu’aucune disposition légale ne réglemente le nombre de salariés au sein d’une micro-entreprise, il est patent que ce statut a été développé pour les entrepreneurs souhaitant se lancer seul et, n’est de fait pas très propice au développement des équipes. L’embauche de plusieurs salariés par une micro entreprise constituerait une charge considérable, le chiffre d’affaires d’un auto-entrepreneur étant plafonné puisque son activité reste par nature très limitée.

Il est ainsi suffisamment démontré que M. [T] n’employait pas plus de 5 salariés, étant de surcroît observé qu’il est expressément spécifié dans le contrat de ‘L’abonné/Locataire certifie sur l’honneur, embaucher [X] moins de 5 salariés’.

En conséquence, le contrat est soumis aux dispositions de l’article L.211-18 du code de la consommation qui prévoit que, dans le cas d’une vente par démarchage, le consommateur dispose d’un délai de rétractation de 14 jours, un formulaire détachable devant être joint au contrat pour permettre cette faculté de rétractation.

Le formulaire doit répondre aux caractéristiques précisées dans les articles R.221-1 et suivants du même code.

Le délai de rétractation court à compter du jour de la réception du bien par le consommateur pour les contrats de vente de biens et les contrats de prestation de services incluant la livraison de biens.

Aux termes de l’article L.221-20 du code de la consommation, lorsque les informations relatives au droit de rétractation n’ont pas été fournies au consommateur dans les conditions prévues au 2° de l’article L.221-5, le délai de rétractation est prolongé de 12 mois à compter de l’expiration du délai de rétractation initial, déterminé conformément à l’article L.121-18.

Il est constant que le contrat litigieux est dépourvu de bordereau de rétractation, carence sanctionnée par la nullité relative du contrat, laquelle n’est pas débattue entre les parties.

Cela étant, le délai de rétractation s’est prolongé de 12 mois à compter de l’expiration du délai de 14 jours à compter de la livraison du site intervenue le 5 décembre 2019, selon le procès-verbal de livraison et de conformité signé par M. [T] et la société Meosis ; le délai de rétractation expirait donc au 19 décembre 2020.

Il est démontré que M. [T] a régulièrement exercé son droit de rétractation auprès de la société Locam par lettre simple adressée le 10 mars 2020, avant l’expiration du délai de rétractation, dont la société Locam ne conteste pas la réception, outre une lettre recommandée du 10 mars 2020 avec avis de réception signé par la société Meosis le 12 mars 2020, qui était sans portée puisque le contrat était déjà cédé à la société Locam.

Comme il a été dit, le cessionnaire du contrat ne saurait avoir plus de droits que le cédant. Dès lors, l’exercice du droit de rétractation par M. [T] s’impose à la société Locam.

En conséquence, le jugement est réformé en toutes ses dispositions, y compris en ce qu’il ordonne, de manière saugrenue, la ‘restitution du matériel objet du contrat’ , s’agissant d’un site internet.

La société Locam, partie perdante en principal, supporte les dépens de première instance et d’appel, conserve la charge des frais irrépétibles qu’elle a exposés et doit indemniser M. [T] de ses propres frais à hauteur de 3.000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Réforme, en toutes ses dispositions, le jugement prononcé le 2 mars 2021 par le tribunal de commerce de Saint Etienne ;

Statuant à nouveau,

Déboute [O] [T] de sa demande d’annulation du contrat passé le 19 décembre 2019 avec la Sarl Meosis et cédé à la SA Locam ;

Constate que [O] [T] a valablement exercé son droit de rétractation et constate, en conséquence, la caducité du contrat cédé à la SA Locam ;

En conséquence, déboute la SA Locam de toutes ses demandes ;

La condamne aux dépens de première instance et d’appel ;

La condamne à payer à [O] [T] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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