Droit de rétractation : Décision du 20 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/00121

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Droit de rétractation : Décision du 20 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/00121

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2023

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00121 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC362

Décision déférée à la Cour : Jugement du 2 Septembre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 3 – RG n° F19/02028

APPELANTE

SASU FETE IMPÉRIALE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexandre ROUMIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107

INTIMÉ

Monsieur [P] [V]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Maya LAHLOUH, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2016, M. [P] [V] a été engagé en qualité de directeur d’atelier, statut cadre, par la société Fête Impériale, ladite société employant habituellement moins de 11 salariés et appliquant la convention collective nationale du commerce de détail de l’habillement et des articles textiles.

Les parties ont signé une convention de rupture conventionnelle mentionnant la date du 19 décembre 2018 et fixant la date de rupture du contrat de travail au 31 janvier 2019.

Suivant courrier du 18 janvier 2019, M. [V] a indiqué se rétracter et contester la rupture conventionnelle datée du 19 décembre 2018.

Sollicitant de voir prononcer la nullité de la rupture conventionnelle, invoquant une situation de harcèlement moral et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [V] a saisi la juridiction prud’homale le 11 mars 2019.

Par jugement du 2 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– dit que la rupture conventionnelle est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Fête Impériale à payer à M. [V] les sommes suivantes :

– 13 512,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 351,23 euros au titre des congés payés y afférents,

– 225,20 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement,

– 124,93 euros à titre de rappel de salaire (décembre 2016) outre 12,49 euros au titre des congés payés y afférents,

– 13 515 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [V] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Fête Impériale de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Fête Impériale aux dépens.

Par déclaration du 15 décembre 2020, la société Fête Impériale a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 16 juillet 2021, la société Fête Impériale demande à la cour de :

– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a dit que la rupture conventionnelle était nulle et produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il l’a condamnée au paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail, et, statuant à nouveau,

– dire valable la rupture conventionnelle du contrat de travail intervenue entre les parties,

– débouter M. [V] de ses demandes,

– condamner M. [V] au paiement de la somme de 2 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 septembre 2021, M. [V] demande à la cour de :

– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a jugé la rupture conventionnelle comme nulle et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter la société Fête Impériale de ses demandes, fins et conclusions,

– ordonner la production par la société Fête Impériale des documents suivants :

– bulletins de paie de décembre 2017,

– ses bilans et ceux de la société LGP conseil sur les exercices 2016 à ce jour,

– ordonner la restitution par la société Fête Impériale, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir : Stockman, machine à coudre, et shopping haute couture (cuir Martin Margiela),

– condamner la société Fête Impériale à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts légaux à compter du 8 mars 2019 :

– dommages-intérêts (3 mois) pour harcèlement moral et/ou exécution déloyale du contrat de travail : 13 512 euros,

– indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 13 512,30 euros,

– congés payés afférents : 135,23 euros,

– indemnité légale de licenciement (complément tenant compte de l’ancienneté préavis inclus) : 225,20 euros,

– indemnité pour licenciement nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse (6 mois) : 27 024,60 euros,

– dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d’actions gratuites : 10 000 euros,

– rappel de salaires (1er au 31 décembre 2016) : 124,93 euros et 12,49 euros à titre de congés payés,

– rappel de salaire pour heures supplémentaires de décembre 2016 à octobre 2018 (502,50 heures × 32,48 euros) : 16 321,30 euros,

– indemnité pour travail dissimulé (6 mois) : 27 024,60 euros,

– perte de salaires pendant les arrêts maladie imputables à l’employeur (novembre 2018 à janvier 2019) : 3 051,65 euros et 305,16 euros au titre des congés payés,

– article 700 du code de procédure civile : 6 000 euros,

– condamner la société Fête Impériale aux entiers dépens.

L’instruction a été clôturée le 11 avril 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 mai 2023.

MOTIFS

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur la demande de rappel de salaire pour le mois de décembre 2016

La société appelante fait valoir que l’intimé a été intégralement réglé de sa rémunération contractuelle au titre du mois de décembre 2016, celle-ci ayant été fixée à hauteur de 4 379,17 euros bruts du 1er décembre 2016 au 11 janvier 2017, avant d’être effectivement portée à 4 504,10 euros à compter de cette dernière date.

L’intimé réplique qu’il n’a pas été réglé de l’intégralité de sa rémunération contractuelle d’un montant de 4 504,10 euros bruts au titre du mois de décembre 2016.

Au vu du contrat de travail signé par les parties le 11 janvier 2017 pour un engagement à compter du 1er décembre 2016 fixant le salaire contractuel à la somme mensuelle de 4 504,10 euros bruts, étant par ailleurs observé que le second contrat de travail produit par l’employeur (daté du 22 novembre 2016 et fixant le salaire contractuel à hauteur de 4 379,17 euros bruts) n’est pas signé, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a accordé au salarié un rappel de salaire contractuel d’un montant de 124,93 euros pour le mois de décembre 2016 outre 12,49 euros au titre des congés payés y afférents.

Sur le bonus variable

La société appelante fait valoir que compte tenu des montants de chiffre d’affaires réalisés au titre des années 2016, 2017, 2018 et 2019, aucune prime n’était due au salarié.

L’intimé réplique qu’il n’a pas été réglé de sa prime basée sur le chiffre d’affaires réalisé, l’employeur n’ayant jamais communiqué d’information de ce chef.

Si le contrat de travail prévoyait effectivement le versement d’un bonus variable basé sur le chiffre d’affaires hors taxe annuel, étant cependant relevé que le versement dudit bonus variable n’était déclenché qu’une fois le seuil de 350 000 euros de chiffre d’affaires annuel atteint ainsi que cela résulte des stipulations de l’article 4 du contrat de travail, il apparaît, à la lecture des éléments financiers et comptables versés aux débats par l’employeur au titre des années 2016, 2017, 2018 et 2019, que le seuil précité de 350 000 euros de chiffre d’affaires annuel n’a jamais été atteint au cours de la période d’exécution du contrat de travail.

Par conséquent, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes formées de ce chef, en ce comprise sa demande de production de bilans comptables.

Sur les heures supplémentaires

La société appelante indique que le salarié n’apporte aucun élément suffisamment précis quant aux heures prétendument réalisées et qu’il n’avait pas formulé de réclamation avant son courrier de rétractation du 19 janvier 2018. Elle ajoute qu’il n’a réalisé aucune heure supplémentaire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

L’intimé précise avoir effectué des heures supplémentaires au-delà de 39 heures hebdomadaires qui ne lui ont pas été rémunérées en ce qu’il travaillait de manière continue et sans prendre de pause déjeuner sur la base d’un horaire officiel de 9 heures à 18 heures (puis de 9h30 à 18h30), correspondant à un minimum de 8 heures par jour, soit 40 heures par semaine. Il ajoute qu’en pratique il venait tôt le matin et restait plus tard le soir avec le reste de l’équipe ou seul, qu’il devait régulièrement travailler les samedis et qu’il était régulièrement sollicité par son employeur par sms ou mails pour se rendre plus tôt au travail et/ou rester plus tard.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, au vu des pièces communiquées par le salarié et notamment du décompte des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse, des courriels et messages SMS échangés dans le cadre de son activité professionnelle ainsi que de ses courriers de réclamation concernant son temps de travail des 28 mars 2018 et 18 janvier 2019, il apparaît que l’intéressé présente à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il indique avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L’employeur se limitant en réponse à contester les demandes formées par le salarié et à critiquer les pièces produites par ce dernier tout en mettant en avant le fait que l’intéressé agirait de manière opportuniste pour multiplier les demandes indemnitaires, la cour relève que la société appelante ne fournit donc pas d’éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par son salarié.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, la cour retient la réalisation d’heures supplémentaires rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié, dans une moindre mesure toutefois qu’allégué, et accorde à l’intéressé la somme totale de 3 000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 300 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.

Sur le travail dissimulé

En application des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, le salarié ne justifiant pas du caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi alléguée, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la perte de salaire pendant les arrêts maladie et la dispense de travail

La société appelante conclut à la confirmation du jugement de ce chef, en faisant notamment valoir que la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ne relève pas de la compétence de la juridiction prud’homale.

Le salarié indique que les arrêts de travail pour maladie de novembre 2018 et janvier 2019 sont imputables à l’employeur et n’ont pas fait l’objet d’un maintien de salaire, ceux-ci devant se voir reconnaître un caractère professionnel, l’intéressé soulignant que l’employeur l’a, en outre, dispensé de travailler à compter du 14 janvier 2019.

Si l’appelante souligne justement que la reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie ne relève pas de la compétence de la juridiction prud’homale, il n’en demeure pas moins que tant les dispositions du code du travail (articles L. 1226-1 et D. 1226-1 et suivants du code du travail) que celles, plus favorables, de la convention collective nationale du commerce de détail de l’habillement et des articles textiles (article 13 du chapitre II concernant le personnel d’encadrement), prévoient le versement au salarié bénéficiant d’une ancienneté d’une année au sein de l’entreprise, d’une indemnité complémentaire aux indemnités journalières de sécurité sociale, et ce même en cas de simple arrêt de travail pour maladie. Dès lors, en application des dispositions précitées, après prise en compte du délai de carence et déduction faite des indemnités journalières de sécurité sociale versées au titre des périodes considérées en novembre 2018 (177,36 euros) et janvier 2019 (620,76 euros) ainsi que des sommes déjà réglées par l’employeur au cours de ces mêmes périodes, la cour accorde à l’intimé, par infirmation du jugement, un rappel de salaire d’un montant de 423,18 euros pour novembre 2018 outre 42,31 euros au titre des congés payés y afférents et de 1 072,76 euros pour janvier 2019 outre 107,27 euros au titre des congés payés y afférents, le surplus non justifié des demandes devant être rejeté.

Sur la rupture conventionnelle

La société appelante fait valoir que l’intimé a, de manière libre et éclairée, parfaitement consenti à la rupture conventionnelle dès sa signature le 19 décembre 2018, que le délai de rétractation courait jusqu’au 4 janvier 2019, que l’intéressé a indiqué ne pas avoir fait jouer son droit de rétractation le 8 janvier 2019, date à laquelle il a renvoyé les documents à la société, qu’il n’a informé la société de sa rétractation que le 18 janvier 2019, soit bien au-delà du délai de 15 jours visé par l’article L. 1237-13 du code du travail et, qu’en conséquence, la rétractation est intervenue hors délai, de sorte que la rupture conventionnelle est bien valable. Elle souligne que le salarié avait été informé des différentes étapes de la procédure dès le 19 décembre 2018 et qu’il n’a jamais sollicité la modification de la date mentionnée sur le formulaire de rupture conventionnelle.

L’intimé réplique qu’il n’a jamais demandé de rupture conventionnelle, qu’il n’a pas bénéficié d’un entretien préalable ni été informé des répercussions de la rupture, qu’il n’a pas signé le formulaire de rupture le 19 décembre 2018 mais uniquement le 8 janvier 2019, et ce sous la pression de son employeur, dans un contexte de violence morale et de fragilité émotionnelle alors qu’il était en Israël au chevet de sa mère malade, l’intéressé précisant ne jamais avoir reçu d’exemplaire du formulaire de rupture signé ou contresigné par l’employeur avant la communication des pièces intervenue dans le cadre du contentieux prud’homal. Il souligne que le délai de rétractation ne pouvait courir qu’à compter de la date de signature effective du formulaire le 8 janvier 2019 et que la demande d’homologation a été effectuée avant l’expiration dudit délai de rétractation.

Aux termes de l’article L. 1237-11 du code du travail, l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie, la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne pouvant être imposée par l’une ou l’autre des parties, celle-ci résultant d’une convention signée par les parties au contrat et étant soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties, l’article L. 1237-14 prévoyant que tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif, le recours juridictionnel devant être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.

En application de ces dispositions, il sera rappelé, en premier lieu, que la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, il s’ensuit qu’à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle et, en second lieu, qu’en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve, la seule mention figurant sur le formulaire Cerfa selon laquelle la convention a été établie en plusieurs exemplaires ne suffisant pas à présumer que tel a été le cas.

En l’espèce, il sera constaté qu’aucune mention de la remise d’un exemplaire de la convention au salarié n’a été portée sur le formulaire, et ce alors qu’il résulte par ailleurs du mail adressé par le salarié à son employeur le 8 janvier 2019 (faisant notamment suite à un message de relance de l’employeur du 28 décembre 2018) que ce n’est qu’à compter de cette même date du 8 janvier 2019 que le formulaire de rupture conventionnelle a effectivement été signé et renvoyé par l’intimé (« Malgré la situation difficile que je vis, à ta demande je te renvoie les papiers signés. Etant à Jérusalem, comme je ne peux pas faire un envoi postal, les voici par mail »), le corps du mail contenant le formulaire de rupture conventionnelle portant effectivement la signature du salarié, mais non celle de l’employeur, de sorte que les premiers juges ont justement retenu que la date du 19 décembre 2018 mentionnée sur le formulaire ne correspondait pas à la date de signature réelle de la rupture par les deux parties, la société appelante ne rapportant ainsi pas la preuve de l’accomplissement de la remise précitée à la date du 19 décembre 2018. Il sera de surcroît observé que, contrairement aux affirmations de l’appelante, le mail précité du salarié du 8 janvier 2019 ne peut aucunement s’analyser comme une simple confirmation par l’intéressé de l’absence de mise en oeuvre de son droit de rétractation, et ce d’autant plus que l’employeur l’avait expressément relancé le 28 décembre 2018 quant à « la signature des documents » relatifs à la rupture conventionnelle. Il sera enfin noté que la demande d’homologation a été adressée à la DIRECCTE par l’employeur dès le 8 janvier 2019 alors que le délai de rétractation, qui n’avait en toute hypothèse pu commencer à courir que le 8 janvier 2019, n’était pas expiré, de sorte que la nullité de la rupture conventionnelle est également encourue en ce que le salarié a été privé de la possibilité d’exercer régulièrement son droit de rétractation.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, étant rappelé que lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit que la rupture conventionnelle était nulle et qu’elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le harcèlement moral et l’exécution déloyale du contrat de travail

La société appelante fait valoir que le salarié n’apporte aucune justification à ses affirmations, qu’il existait en réalité une très bonne entente avec les dirigeantes de la société, l’intimé tentant de régler ses comptes avec ces dernières alors qu’elles ont toujours adopté un comportement cordial et amical à son encontre.

Le salarié intimé indique avoir subi une surcharge de travail doublée d’une absence de reconnaissance par l’employeur, avoir été victime de violences morales et de pressions répétées en vue d’obtenir la rupture du contrat de travail aux conditions fixées unilatéralement par l’employeur, celui-ci voulant économiser les charges sociales et le reprendre en free-lance comme il avait pu le faire avec d’autres collaborateurs. Il souligne que ses conditions de travail se sont trouvées dégradées, de même que son état de santé physique et moral.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Selon l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l’espèce, outre le fait qu’il résulte des développements précédents que la nullité de la rupture conventionnelle résulte de la seule absence de remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié ainsi que de la privation de la possibilité pour ce dernier de régulièrement exercer son droit de rétractation, de sorte que les éléments y afférents ne peuvent être retenus comme étant de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, la cour relève par ailleurs que les allégations du salarié selon lesquelles l’employeur lui aurait imposé une surcharge de travail doublée d’une absence de reconnaissance, qu’il aurait exercé des violences morales et des pressions répétées à son encontre pour obtenir la rupture de son contrat de travail à des conditions avantageuses pour l’entreprise pour ensuite le reprendre en free-lance, ne résultent que des seules affirmations de l’intimé telles qu’elles ressortent notamment de son courrier du 18 janvier 2019, ce dernier ne produisant aucun élément pour les corroborer, les échanges de mails dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure de rupture conventionnelle apparaissant mesurés, cordiaux et exclusifs de toute pression ou contrainte, de même que les différents échanges professionnels dans le cadre de l’exécution de la relation de travail. Il sera par ailleurs noté à la lecture des éléments médicaux produits par le salarié, que si la dégradation de son état de santé n’est pas contestable, les seuls certificats médicaux versés aux débats, qui se limitent manifestement à rapporter les propos et le ressenti de l’intéressé ainsi que ses différentes doléances et font surtout mention de l’état d’anxiété et de stress résultant de l’hospitalisation de sa mère pour des problèmes cardiaques, ne permettent pas d’établir que cette dégradation serait effectivement la conséquence de ses conditions de travail. Il sera enfin observé que le simple fait que la cour ait retenu l’existence d’heures supplémentaires faute pour l’employeur de fournir des éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par son salarié, ne peut aucunement s’analyser comme étant constitutif d’agissements répétés de harcèlement ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors, la cour relève que les éléments litigieux ne sont pas établis dans leur matérialité, le salarié ne présentant ainsi pas d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. Il résulte par ailleurs de l’ensemble des développements précédents que les mêmes éléments allégués par l’intimé ne peuvent pas plus s’analyser comme étant constitutifs d’un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter loyalement et de bonne foi le contrat de travail. Par conséquent, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a débouté l’intimé de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et/ou exécution déloyale du contrat de travail.

Sur les conséquences financières de la rupture

En application des dispositions des articles L. 1234-1, L. 1234-9, R. 1234-2 et R. 1234-4 du code du travail ainsi que de celles de la convention collective nationale du commerce de détail de l’habillement et des articles textiles, sur la base d’une rémunération de référence de 4 504,10 euros, la cour confirme le jugement en ce qu’il a accordé au salarié les sommes de 13 512,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (correspondant à un préavis d’une durée de 3 mois) outre 1 351,23 euros au titre des congés payés y afférents et de 225,20 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement (compte tenu d’une ancienneté incluant la période de préavis).

S’agissant de l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, il sera rappelé que les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, son invocation ne pouvant dès lors conduire à écarter l’application desdites dispositions.

Par ailleurs, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations énumérées à l’article L.1235-3-1, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.

Dès lors, compte tenu de l’absence de faits de harcèlement moral ainsi que cela résulte des développements précédents, en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, eu égard à l’ancienneté en année complète dans l’entreprise (plus de 2 ans), à l’âge du salarié (43 ans) et à sa rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, la cour, à qui il appartient seulement d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par les dispositions précitées du code du travail (soit en l’espèce entre 0,5 mois et 3,5 mois de salaire brut compte tenu des effectifs de l’entreprise), confirme le jugement en ce qu’il a accordé au salarié la somme de 13 515 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la perte de chance de bénéficier des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise

Le salarié fait valoir qu’il lui avait été promis la souscription d’actions gratuites de la société LGP conseil (holding et président de Fête Impériale), que cette proposition avait été déterminante dans son consentement à accepter l’offre d’emploi et que du fait de la perte de son emploi, il a perdu une chance de pouvoir exercer son droit de souscription.

L’employeur conclut à la confirmation du jugement de ce chef en soulignant qu’il ne s’agit pas d’actions gratuites mais de bons permettant à leur porteur d’y souscrire à un prix convenu à l’avance, l’opération ne devant intéressante que si ce prix, fixé en amont, est inférieur à la valeur des actions au jour de la levée de l’option réalisée par le bénéficiaire, lequel doit alors s’acquitter du paiement des actions afin d’intégrer le capital de la société émettrice. Il ajoute que l’intéressé, qui ne remplissait pas la condition d’ancienneté pour en bénéficier, ne justifie pas de son prétendu préjudice.

En l’espèce, outre qu’il s’agit effectivement uniquement de l’attribution (à titre gratuit) de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) ouvrant droit à la souscription d’actions ordinaires de la société LGP Conseil à un prix déterminé, et non à l’attribution gratuite d’actions comme le soutient à tort l’intimé, la cour ne peut par ailleurs que relever que les BSPCE litigieux ne pouvaient en toute hypothèse être exercés, pour la première fois et au plus tôt, qu’à l’expiration d’une période de 3 ans à compter de leur attribution, soit au 29 novembre 2020 compte tenu d’une attribution selon procès-verbal de décision du 29 novembre 2017, éléments dont le salarié avait nécessairement connaissance ainsi que cela résulte des différents documents produits et notamment du règlement du plan de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise ainsi que de l’engagement contractuel signé par l’intimé à cette même date du 29 novembre 2017, de sorte qu’il avait pleine et entière connaissance des conditions de mise en oeuvre des BSPCE lors de la signature de la rupture conventionnelle litigieuse ainsi que du fait qu’il ne remplissait pas les conditions d’ancienneté requises à la date de rupture des relations contractuelles prévue au 31 janvier 2019.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier du plan de souscription précité.

Sur la demande de restitution des effets personnels

Le salarié sollicite la restitution sous astreinte de divers effets personnels (stockman, machine à coudre, et shopping haute couture (cuir Martin Margiela).

Au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, ce dernier ne justifiant aucunement du fait que l’employeur serait effectivement resté en possession de divers effets personnels lui appartenant et qu’il refuserait de les lui restituer, la cour confirme le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner à l’employeur de remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus.

Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 2 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a débouté M. [V] de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires et de maintien de salaire pour les mois de novembre 2018 et janvier 2019 ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Fête Impériale à payer à M. [V] les sommes suivantes :

– 3 000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 300 euros au titre des congés payés y afférents,

– 423,18 euros à titre de rappel de maintien de salaire pour novembre 2018 outre 42,31 euros au titre des congés payés y afférents,

– 1 072,76 euros à titre de rappel de maintien de salaire pour janvier 2019 outre 107,27 euros au titre des congés payés y afférents ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Fête Impériale de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne à la société Fête Impériale de remettre à M. [V] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision ;

Ordonne à la société Fête Impériale de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [V] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités ;

Condamne la société Fête Impériale à payer à M. [V] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Déboute M. [V] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Fête Impériale aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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