Droit de rétractation : décision du 20 mars 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/00496
Droit de rétractation : décision du 20 mars 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 22/00496
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MINUTE N° 23/144

Copie exécutoire à :

– Me Serge MONHEIT

– Me Dominique HARNIST

Le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

TROISIEME CHAMBRE CIVILE – SECTION A

ARRET DU 20 Mars 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 3 A N° RG 22/00496 – N° Portalis DBVW-V-B7G-HYLE

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 septembre 2021 par le juge des contentieux de la protection de Selestat

APPELANTS :

Monsieur [O] [T]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté par Me Serge MONHEIT, avocat au barreau de COLMAR

Madame [D] [Z] épouse [T]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Serge MONHEIT, avocat au barreau de COLMAR

INTIMÉES :

S.A. CA CONSUMER FINANCE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Dominique HARNIST, avocat au barreau de COLMAR

S.E.L.À.R.L. SBCMJ ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MANCHE ÉNERGIES RENOUVELABLES, S.A.S. ayant son siège social au [Adresse 6] à [Localité 4], exerçant sous l’enseigne DIRECT HABITAT

[Adresse 3]

[Localité 5]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme MARTINO, Présidente de chambre

Mme FABREGUETTES, Conseiller

M. LAETHIER, Vice-Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme HOUSER

ARRET :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Suite à un démarchage à domicile, Monsieur [O] [T] et Madame [D] [Z] épouse [T] ont, par acte sous-seing privé du 8 avril 2019, commandé auprès de la société Manche Energies Renouvelables, exerçant à l’enseigne Direct Habitat, la fourniture et la pose d’un chauffe-eau thermodynamique et d’une pompe à chaleur au prix de 24 800 €, intégralement financé au moyen d’un crédit affecté proposé le même jour par la société Sofinco et prévoyant un remboursement moyennant 120 mensualités de 277,92 € l’une, au taux annuel effectif global de 3,90 % l’an.

Le 23 avril 2019, Monsieur [O] [T] a signé une attestation de fin de travaux, déclarant que l’installation, la livraison et la pose, sont terminées et correspondent au bon de commande du 8 avril 2019 et a prononcé la réception des travaux sans réserve.

Au vu de cette attestation, la société Sofinco a décaissé les fonds prêtés au profit du vendeur.

La société Manche Énergies Renouvelables a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire en date du 4 février 2020 et les époux [T] ont déclaré leur créance pour un montant de 30 000 € auprès du liquidateur, la Selarl SBCMJ.

Par assignations délivrées les 8 et 9 juillet 2020, les époux [T] ont fait citer devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Colmar, tribunal de proximité de Sélestat, la société CA Consumer finance et la Selarl SBCMJ en qualité de mandataire judiciaire de la société Manche Énergies Renouvelables, pour voir prononcer la résolution judiciaire du contrat principal et celle, consécutive, du contrat de crédit affecté, voir priver la banque de la restitution du capital restant dû eu égard à la faute commise en ne vérifiant pas la régularité du contrat principal avant de verser les fonds empruntés et obtenir sa condamnation à lui payer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre 2 500 € à titre de dommages-intérêts.

La société CA Consumer Finance à reconventionnellement sollicité le prononcé de la résolution judiciaire du contrat de crédit aux torts des emprunteurs et a sollicité leur condamnation à lui payer les sommes de 20 909,12 € en principal, 458 € à titre de dommages intérêts et 458 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement réputé contradictoire en date du 20 septembre 2021, le juge des contentieux de la protection au tribunal de proximité de Sélestat, a rejeté la demande en nullité formée par les époux [T] à l’encontre du contrat de vente du 8 avril 2019, a rejeté en conséquence la demande subséquente de résiliation judiciaire du contrat de prêt affecté, a dit n’y avoir à statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par les époux [T] à l’encontre de la banque, a dit que la demande de résiliation judiciaire du contrat de prêt affecté est sans objet, a rejeté la demande de dommages intérêts de la société CA Consumer Finance, a dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et a condamné in solidum les époux [T] aux dépens.

Les époux [T] ont interjeté appel à l’encontre de cette décision suivant déclaration en date du 1er février 2022 et par dernières écritures notifiées le 27 juillet 2022, ils concluent à l’infirmation de la décision déférée et demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

Vu les articles L221-18, L242-1 et L312-55 du code de la consommation ;

-juger leur demande recevable et bien-fondée,

-prononcer la résolution judiciaire du contrat de fourniture et pose de pompe à chaleur, intervenu le 8 avril 2019,

-juger que les époux [T] devront restituer le matériel installé à leur domicile qui sera déposé par les soins de la société Manche Énergies Renouvelables,

-juger que la société Manche Énergies Renouvelables devra prévenir les époux [T] de son intervention pour reprendre à ses frais le matériel au moins quinze jours à l’avance, par lettre recommandée avec accusé de réception,

-prononcer la résolution judiciaire du contrat de crédit affecté,

-juger que la société CA Consumer Finance a commis une faute en omettant de vérifier la régularité du contrat principal, avant de verser les fonds empruntés à la société Manche Énergies Renouvelables,

-juger qu’elle ne pourra pas solliciter la condamnation des époux [T] à leur verser le capital emprunté,

-condamner la société CA Consumer Finance à verser aux époux [T] la somme de 2 500 € à titre de dommages intérêts,

-débouter la société CA Consumer Finance de l’intégralité de ses demandes et notamment de toutes demandes reconventionnelles, de dommages intérêts et au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner solidairement ou in solidum les intimées à leur payer 1500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et 2 000 € pour la procédure d’appel,

-condamner solidairement ou in solidum les intimées au frais et dépens de procédure de première instance et de la procédure d’appel.

Au soutien de leur appel, il font valoir que le bon de commande qu’ils ont signé est irrégulier en ce que le formulaire de rétractation énonce en son recto que le client dispose d’un délai de quatorze jours à compter de la commande pour y renoncer alors qu’en son verso, il mentionne un délai de rétractation d’une durée de sept jours et font grief au premier juge d’avoir considéré que cette contradiction flagrante n’est pas suffisante pour entraîner la nullité du contrat, faute de preuve qu’elle ait induit en erreur les cocontractants sur l’étendue de leurs droits.

Ils postulent que cette irrégularité du bon de commande justifie le prononcé de la résolution du contrat de vente entraînant la résolution du contrat de crédit affecté et que la société CA Consumer Finance a commis une faute à ne pas vérifier la conformité du bon de commande aux dispositions du code de la consommation ; qu’au regard des préjudices subis, la banque doit être privée de la totalité de sa créance au titre de la restitution du capital prêté.

Par écritures uniques notifiées le 11 juillet 2022 la société CA Consumer Finance a demandé à la cour de :

-déclarer l’appel principal mal fondé,

-débouter les époux [T] de l’intégralité de leurs prétentions,

-déclarer l’appel incident de la société CA Consumer Finance bien fondée,

Y faisant droit,

-accueillir la demande reconventionnelle de la concluante tendant à voir prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts des emprunteurs,

-juger qu’il convient de remettre les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient au moment de la signature du contrat, et tenant compte des règlements effectués à ce jour à hauteur de 3 890,88 €,

-condamner, à titre reconventionnel, solidairement les époux [T] à payer à la société CA Consumer Finance, anciennement dénommé Sofinco, la somme résiduelle de 20 909,12 €, outre les intérêts au taux légal et ce, depuis la date de l’assignation initiale,

-condamner solidairement les époux [T] à régler à la société CA Consumer Finance, anciennement dénommé Sofinco, une somme de 458 € à titre de dommages intérêts, outre une somme de 458 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamner solidairement les époux [T] aux entiers dépens.

La société intimée fait valoir que, de jurisprudence constante, l’établissement de crédit n’a pas à s’assurer de la conformité du bon de commande, auquel il n’est pas partie et qui n’a pas à lui être communiqué par le vendeur ; qu’elle n’a commis aucune faute dans la délivrance des fonds dans la mesure où les emprunteurs ont signé un document attestant sans la moindre réserve, de l’exécution complète du contrat financé ; que l’éventuelle responsabilité de la banque suppose l’existence d’une violation manifeste et caractérisée de la réglementation instaurée pour protéger le consommateur et la démonstration d’un préjudice directement en lien avec ce manquement, ce qui n’est pas le cas d’espèce.

La déclaration d’appel et les conclusions d’appel ont été signifiées à la Selarl SBCMJ le 4 mai 2022 par remise de l’acte à personne morale.

La société Manche Énergies Renouvelables, représentée par son liquidateur, n’a pas constitué avocat.

MOTIFS

Vu les dernières écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, en application de l’article 455 du code de procédure civile ;

Vu les pièces régulièrement communiquées ;

Sur l’appel principal

Aux termes de l’article L. 221-9 du code de la consommation, dans sa version en vigueur au jour de la signature du bon de commande, le professionnel fournit au consommateur un exemplaire daté du contrat conclu hors établissement, sur papier signé par les parties ou, avec l’accord du consommateur, sur un autre support durable, confirmant l’engagement exprès des parties.

Ce contrat comprend toutes les informations prévues à l’article L. 221-5.

Aux termes de l’article L. 221-5 du même code, préalablement à la conclusion d’un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations sur le droit de rétractation, les conditions, le délai et les modalités d’exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu’il contient sont fixées par décret en Conseil d’Etat.

L’article L. 121-18 du code de la consommation prévoit que le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d’autres coûts que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25 et que le délai mentionné au premier alinéa court à compter du jour de la conclusion du contrat, pour les contrats de prestation de services et ceux mentionnés à l’article L. 221-4.

L’article L. 242-1 stipule que les dispositions de l’article L. 221-9 sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement.

En l’espèce, le bon de commande conclu entre les époux [T] et la société Manche Energies Renouvelables comporte, en son recto, un formulaire de rétractation parfaitement conforme à l’article R221-1 du code de la consommation en mentionnant de manière très apparente que le client dispose d’un délai de quatorze jours à compter de la commande pour y renoncer.

Effectivement, est portée au verso du bon de commande la reproduction des anciens articles L. 121-24 et L. 121’25 du code de la consommation qui prévoyaient que dans le délai de sept jours, le client pouvait exercer son droit de rétractation.

Même si ces textes, qui n’étaient plus en vigueur, sont imprimés dans une police beaucoup moins lisible que celle concernant le formulaire de rétractation au recto du bon de commande, il reste que l’information délivrée demeure ambiguë et partant peu compréhensible.

Le bon de commande encourt ainsi la nullité (et non la résolution) en application des dispositions de l’article L. 242-1 du code de la consommation.

En vertu de l’article L. 312-55 du code de la consommation, l’annulation du contrat principal entraîne la résolution du contrat de crédit affecté.

Il y a donc lieu, infirmant la décision déférée, de faire droit à la demande d’annulation du contrat de vente et de prestations de services et subséquemment de prononcer l’annulation du contrat de crédit affecté liant les époux [T] à la société CA Consumer Finance.

Corrélativement, la société Manche Énergies Renouvelables, représentée par son liquidateur, sera condamnée à reprendre le matériel livré en prévenant les époux [T] quinze jours à l’avance par lettre recommandée avec avis de réception.

Il est de règle légale et jurisprudentielle :

1/ que l’annulation d’un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté.

2/ que cependant, le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.

En l’espèce, les époux [T], qui se contentent d’affirmer que leurs préjudices, « suffisamment étayés » justifient que la banque soit privée de sa créance de restitution, ne caractérisent en rien la matérialité des préjudices invoqués alors qu’il ressort de leurs productions qu’ils ont pu exercer leur droit de rétractation le 24 octobre 2019, soit dans le délai d’un an prévu à l’article L. 221-20 du code de la consommation, circonstance dont ils ne se prévalent au demeurant pas, non plus d’ailleurs que la banque.

Ils n’établissent pas davantage l’existence d’un lien de causalité entre ces prétendus préjudices et la faute commise par la banque.

Il en résulte que les époux [T] doivent être déboutés de leur demande visant à voir dire que la banque ne peut leur réclamer le remboursement du capital prêté ainsi que de leur demande de dommages et intérêts.

Sur l’appel incident

Il n’y a pas lieu de statuer sur la résolution judiciaire du contrat, tel que sollicité, dans la mesure où le contrat de crédit a déjà été annulé.

C’est à bon droit que la société CA Consumer Finance sollicite le remboursement du capital prêté, déduction faite des échéances de remboursement déjà réglées, soit la somme, non contredite, de 20 909,12 € au paiement de laquelle seront condamnés solidairement les époux [T], avec les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice valant sommation de payer, soit à compter du 26 mars 2021.

Il n’est pas démontré que les époux [T] ont commis une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit d’ester en justice de sorte que la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société CA Consumer Finance.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement déféré quant aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Partie perdante à hauteur d’appel, les époux [T] seront condamnés aux dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile et déboutés de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En revanche, il sera fait droit à la demande formée par la société CA Consumer Finance au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement et réputé contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages intérêts formées par chacune des parties et en ce qu’il a statué sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau des chefs infirmés,

PRONONCE l’annulation du contrat de vente conclu entre la société Manche Énergies Renouvelables, représentée par son liquidateur la Selarl SBCMJ, et les époux [T] le 8 avril 2019,

PRONONCE en conséquence l’annulation du contrat de crédit affecté conclu le même jour entre les époux [T] et la société CA Consumer Finance, sous l’enseigne Sofinco,

DIT que les époux [T] devront restituer le matériel installé à leur domicile [Adresse 2] à [Localité 7] à la société Manche Énergies Renouvelables, représentée par son liquidateur, qui procédera à la dépose et à la reprise, en prévenant quinze jours au moins à l’avance par lettre recommandée avec avis de réception,

DEBOUTE les époux [T] de leur demande visant à voir dire que la banque doit être privée de sa créance de restitution du capital prêté,

CONDAMNE solidairement Monsieur [O] [T] et Madame [D] [Z] épouse [T] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 20 909,12 € correspondant au capital prêté sous déduction des échéances déjà payées pour un montant de 3 890,88 €, somme portant intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2021,

DÉBOUTE les époux [T] de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur [O] [T] et Madame [D] [Z] épouse [T] à payer à la société CA Consumer Finance la somme de 458 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur [O] [T] et Madame [D] [Z] épouse [T] aux dépens d’appel.

La Greffière La Présidente

 


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