Droit de rétractation : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/02583
Droit de rétractation : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Montpellier RG n° 21/02583
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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 17 JANVIER 2024

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/02583 – N° Portalis DBVK-V-B7F-O64O

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 MARS 2021

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 19/00321

APPELANT :

Monsieur [S] [W]

né le 07 Septembre 1975 à [Localité 8] (34)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Cyril MATEO, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

S.A.S.U. EPUR LANGUEDOC ROUSSILLON

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 5]

[Localité 3]

Assistée par Me Maria GRAAFLAND de la SELARL PACTA JURIS, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Représentée par Me Jeanne FOURNIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Ordonnance de clôture du 12 Septembre 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 NOVEMBRE 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre

Madame Véronique DUCHARNE, Conseillère

Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [S] [W] a travaillé à compter du 1er octobre 2001 au sein de la société Saint Pierre Exploitation, exploitant un fonds de commerce de collecte, tri et valorisation des métaux, en qualité de gestionnaire commercial.

Par jugement du 10 décembre 2014, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société, puis a prononcé la conversion en redressement judiciaire.

Le fonds de commerce a été cédé par le mandataire liquidateur ès qualités à la SAS Epur Languedoc Roussillon et les contrats de travail, dont celui du salarié, ont été transférés à cette dernière à compter du 23 décembre 2015.

A cette date, le cessionnaire et le salarié ont signé un avenant aux termes duquel ce dernier était affecté au poste de responsable

d’agence, statut cadre de la convention collective nationale des industries et du commerce de la récupération, moyennant une rémunération mensuelle de 5 753,50 euros brut pour une durée de travail fixée à 151,67 heures mensuelles.

Par lettre du 15 octobre 2018, le salarié a demandé à l’employeur de mettre fin au contrat de travail dans le cadre d’une rupture conventionnelle, laquelle a été signée le 29 octobre 2018.

Par lettre du 7 novembre 2018, l’employeur a exercé son droit de rétractation.

Par lettre du 9 novembre 2018, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement pour faute grave, fixé le 20 novembre 2018.

Ce même jour, le salarié a transmis une déclaration d’accident du travail et a été placé en arrêt de travail pour maladie jusqu’au 21 novembre 2018 inclus, prolongé régulièrement jusqu’au 21 janvier 2019 inclus, le médecin généraliste cochant alors la case réservée aux accidents du travail.

La caisse primaire d’assurance maladie devait refuser la reconnaissance de cet accident du travail au titre de la législation protectrice des salariés.

Le 15 novembre 2018, l’employeur a réalisé un inventaire des stocks en présence d’un huissier de justice, lequel a constaté un écart important entre le stock informatique et le stock matériel.

Par lettre recommandée du 29 novembre 2018, l’employeur a prononcé le licenciement pour faute grave du salarié.

Le 7 février 2019, l’employeur a déposé plainte auprès du procureur de la République de Montpellier contre X’ des chefs de vol et abus de confiance, tout en désignant le directeur du site. Les suites données à cette plainte, qui a fait l’objet d’un compte rendu d’infraction initial du 8 février 2019 avec dépôt de plainte formalisé auprès des services enquêteurs par M. [B], directeur industriel du groupe Epur Languedoc, ne sont pas connues.

Par requête du 21 mars 2019, faisant valoir que des sommes lui étaient dues au titre des heures supplémentaires, que les règles relatives à la durée du travail n’avaient pas été respectées et que son licenciement était nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Montpellier.

Par jugement du 29 mars 2021, le conseil de prud’hommes a débouté M. [S] [W] de l’ensemble de ses demandes, a débouté la société Epur Languedoc-Roussillon de ses demandes reconventionnelles et a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.

Par déclaration enregistrée au RPVA le 21 avril 2021, le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 18 août 2023, M. [S] [W] demande à la Cour :

– d’infirmer le jugement dans son intégralité ;

A titre principal, de dire et juger que son licenciement est nul pour violation des règles protectrices du salarié victime d’un accident du travail et condamner la société Epur Languedoc-Roussillon à lui verser la somme de 100 000 euros net au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

A titre subsidiaire, de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Epur Languedoc-Roussillon à lui verser la somme de 87 261, 11 euros au titre des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause, de :

– condamner la société Epur Languedoc-Roussillon à lui verser les sommes suivantes :

* 17 846,07 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires accomplies en 2016, outre 1 784,60 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 21 838,20 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires accomplies en 2017, outre la somme de 2 183,82 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 16 366,80 euros brut à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires accomplies en 2018, outre la somme de 1 636,68 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 5 386,06 euros brut à titre d’indemnité pour absence de prise de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires effectuées au cours de l’année 2016, outre la somme de 538,60 brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 8 458,39 euros brut à titre d’indemnité pour absence de prise de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires effectuées au cours de l’année 2017, outre la somme de 845,83 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 4 248,16 euros brut à titre d’indemnité pour absence de prise de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires effectuées au cours de l’année 2018, outre la somme de 424,81 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 37 397,64 euros au titre de l’indemnité de travail dissimulé,

* 6 107,42 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés pour l’année 2016,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation des règles applicables en matière de congés payés, et notamment de l’absence de prise réelle de repos annuel.,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son obligation de sécurité de résultat,

* 30 818,41 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 18 698,81 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1 869,88 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 4 109,70 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre la somme de 410,97 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

* 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Epur Languedoc-Roussillon aux entiers dépens ;

– la condamner à lui remettre les documents sociaux de fin de contrat rectifiés, et ce, dans un délai de huit jours à compter de la notification ou de la signification du jugement à intervenir ;

– prononcer une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l’expiration du délai de huit jours courant à compter de la notification ou de la signification du jugement à intervenir ;

– se réserver la faculté de liquider ladite astreinte ;

– « prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir » ;

– assortir l’ensemble des condamnations des intérêts au taux légal assorti aux créances des particuliers, dont la Cour se réserve la faculté de prononcer la liquidation :

– à compter de la date de l’arrêt à intervenir pour les sommes de nature indemnitaires,

– à compter de la date de saisine du Conseil de prud’hommes pour l’indemnité de licenciement,

– et à compter du 21 décembre 2018 (date de première mise en demeure adressée par le salarié – pièce n°4) pour les sommes ayant la nature de créance salariale ;

– se réserver la faculté de liquider lesdits intérêts ;

– prononcer la capitalisation des intérêts ;

– juger qu’à défaut de règlement spontané des sommes dues en vertu de l’arrêt à intervenir et en cas d’inexécution par voie extrajudiciaire dudit arrêt de la Cour de céans, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions du décret n° 2001-212 du 8 mars 2001 portant modification de l’article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 devront être supportés par la société Epur Languedoc-Roussillon, en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 29 septembre 2021, la SAS Epur Languedoc Roussillon demande à la Cour de :

– confirmer le jugement ;

– déclarer M. [S] [W] irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes et l’en débouter ;

– le condamner à payer la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour l’exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 septembre 2023.

MOTIFS :

Sur le rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, le salarié fait valoir que du fait de la baisse des effectifs, l’employeur n’a cessé d’augmenter sa charge de travail à compter de la fin de l’année 2015, qu’il était le seul cadre du site de [Localité 8] ; ce qui l’a conduit à accomplir des heures supplémentaires, en travaillant de 8h00 à 12h30 et de 13h30 à 18h00 cinq jours par semaine, soit 9 heures par jour sans paiement d’heures supplémentaires.

Pour étayer sa demande, le salarié verse aux débats un tableau récapitulatif des heures accomplies pour chacune des années 2016, 2017 et 2018, semaine par semaine, qui prennent en compte les

jours de congés, et dont il ressort que le salarié a exécuté, chaque semaine, 45 heures de travail, ainsi que ses bulletins de salaire qui ne font état d’aucune heure supplémentaire.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre.

Celui-ci admet une réduction de la masse salariale pour optimiser les ressources dans le cadre de l’intégration au groupe Epur mais affirme qu’elle n’a eu aucun impact sur le volume d’activité du salarié ; il reconnaît qu’après la rupture du contrat de travail de ce dernier, trois salariés ont été embauchés pour faire face au développement de l’activité en début d’année 2019 mais affirme que cette situation n’établit pas une surcharge de travail du salarié. Il ajoute que le salarié devait travailler selon l’horaire collectif, soit 7 heures par jour du lundi au vendredi, de 8h30 à 12h30 et de 14h00 au 17h00, sauf s’il était autorisé à accomplir des heures supplémentaires.

Il verse aux débats :

– deux attestations de salariés affirmant qu’ils travaillent dans le cadre de l’horaire collectif mais qui ne portent pas sur l’activité professionnelle du salarié,

– un relevé de connexion du salarié au logiciel Mkgt.

L’employeur explique qu’il s’agit de l’enregistrement de l’intégralité des opérations effectuées depuis le logiciel de gestion de l’entreprise Mkgt, dont l’analyse montre que les connections se faisaient la plupart du temps dans le cadre de l’horaire collectif de travail.

Toutefois, ce seul élément ne constitue pas un système de contrôle des heures de travail opéré par l’employeur, le salarié étant amené à travailler parfois en dehors de ses connexions au logiciel, au vu de l’avenant du 23 décembre 2015.

Celui-ci stipule en effet que le salarié « pourra être amené à se déplacer sur l’ensemble du territoire national », qu’il « aura notamment en charge la gestion et l’organisation du site de Epur Saint-Pierre, en termes de gestion du personnel, de gestion commerciale (facturation, suivi, reporting interne et client’) et logistique, dans sa dimension matérielle et plus généralement dans la gestion de l’exploitation », il s’engage « à assister avec assiduité aux réunions organisées par la Direction de la société » « et à faire appliquer les dispositions à l’ensemble de l’agence », il « pourra être amené à apporter son concours à toute mission relevant de sa compétence et de sa qualification selon toute demande spécifique de la société » ou du groupe Epur ; il « sera également titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de gestion administrative, commerciale et en rapport aux achats du site. A ce titre, il aura le pouvoir et la responsabilité de gérer les commandes, la facturation et plus généralement de l’ensemble des achats et des ventes

relatives à l’exploitation courante du site (à l’exception des immobilisations) ».

Dès lors, l’employeur qui ne produit aucun élément de contrôle de la durée du travail du salarié, sera condamné à payer à ce dernier les sommes réclamées, soit au total un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires d’un montant de 56 051,07 euros brut, outre une indemnité compensatrice de congés payés y afférents d’un montant de 5 605,10 euros brut.

L’article 57 de la convention collective applicable stipule que le contingent annuel d’heures supplémentaires est fixé à 220 heures.

En l’espèce, le salarié a accompli :

– en 2016 : 362 heures supplémentaires, soit142 heures en sus du contingent,

– en 2017 : 443 heures supplémentaires, soit 223 heures en sus du contingent,

– en 2018 : 332 heures supplémentaires, soit 112 heures en sus du contingent.

Le dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires est par conséquent démontré et l’employeur est redevable d’une contrepartie obligatoire en repos fixée à 100 % de ces heures, l’entreprise employant habituellement plus de 20 salariés, soit :

– en 2016 : 5 386 euros,

– en 2017 : 8 458,39 euros

– en 2018 : 4 248,16 euros,

Soit au total la somme de 14 093,22 euros à titre de dommages et intérêts.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ces demandes.

Sur le travail dissimulé.

La dissimulation d’emploi salarié prévue à l’article L 8221-5 du Code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, omis d’accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche ou de déclarer l’intégralité des heures travaillées.

L’article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, au vu du volume important d’heures supplémentaires accomplies au cours des trois années, l’intention de dissimulation de la part de l’employeur est caractérisée, de sorte qu’il est redevable envers le salarié de la somme de 34 521 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé.

Sur l’indemnisation de la violation des règles sur la prise des congés payés.

Aux termes de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

Par ailleurs, il appartient à l’employeur de prouver qu’il a mis le salarié en mesure de prendre ses congés.

En l’espèce, il ressort :

– d’un courriel du 3 mai 2017 que le salarié a demandé à la direction des ressources humaines de bien vouloir reporter ses congés payés non pris,

– d’un courriel du 19 juin 2018 envoyé par le service des ressources humaines au salarié que le solde total de congés payés restant des années 2016, 2017 et 2018 s’élève à 67 jours (23 jours en 2016 ‘ 18 jours en 2017 ‘ 26 jours au 31 mai 2018) et que l’employeur a décidé de supprimer les 23 jours de 2016, de reporter à titre exceptionnel les 18 jours en 2018 et que la totalité des jours de congés de 2017 et de 2018, soit 44 jours, devront être pris en 2024 sans possibilité de report.

Alors qu’il appartient à l’employeur d’établir qu’il a mis le salarié en mesure de prendre ses congés payés chaque année, aucune pièce de son dossier ne permet de vérifier que celui-ci a rempli son obligation à l’égard du salarié alors qu’il résulte de ce qui précède que celui-ci accomplissait un volume important d’heures supplémentaires depuis 2016.

Il convient en conséquence de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à ce manquement.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

L’article L. 4121-1 du Code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent

1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° des actions d’information et de formation,

3° la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En l’espèce, le salarié fait valoir que l’employeur, pourtant alerté par ses soins, n’a pris aucune mesure pour préserver sa santé du fait de sa surcharge de travail, que ce manquement de sa part a causé la dégradation de son état de santé, ce qui l’a poussé à solliciter une rupture conventionnelle.

Le courriel du 26 octobre 2017 du responsable de la logistique montre que les 27 et 30 octobre 2017 étaient chargés (« 7 chargements »), M. [O] mentionnant à ce sujet qu’il ne peut « pas faire de miracle » et que « [S] va beaucoup souffrir ».

Le courriel du 12 octobre 2017 du salarié signale au directeur industriel du groupe le manque de moyens et les tensions que cela engendre auprès des équipes, « à deux doigts de la crise de nerf » ; ce à quoi l’interlocuteur répond que ceux qui sont à deux doigts de la crise de nerf n’ont qu’à le lui dire lorsqu’il est présent, qu’il sait quoi leur répondre, et que la commande de la mini-pelle a été validée par l’employeur.

Enfin, il est démontré que les 2 mai et 22 juin 2018, le salarié s’est vu prescrire un tranquillisant.

Aucune pièce du dossier n’établit que l’employeur aurait pris les mesures adaptées pour préserver la santé du salarié qui devait faire face à une surcharge importante de travail, de sorte qu’il sera condamné à payer au salarié la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement à l’obligation de sécurité.

Sur le licenciement pour faute grave.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l’employeur débiteur qui prétend en être libéré.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c’est au regard des motifs qui y sont énoncés que s’apprécie le bien-fondé du licenciement, étant précisé que, depuis le 1er janvier 2018, les motifs énoncés peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l’employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié.

En l’espèce, la lettre de licenciement est rédigée comme suit :

« Monsieur,

Nous avons à déplorer de votre part un agissement gravement fautif.

(‘)

Dans le cadre de vos fonctions, nous vous avons sollicité afin de réaliser un inventaire physique des stocks. Monsieur [V] [B], Directeur Industriel du site, vous a alerté à de nombreuses reprises sur l’importance d’avoir un stock physique correspondant au stock théorique et comptable ainsi que sur l’importance du suivi des stocks.

Plusieurs relances vous ont été adressées, notamment avec insistance au mois de juin puis octobre 2018, afin que l’inventaire soit réalisé au plus vite et en tout état de cause avant la fin de l’exercice 2018.

C’est à cette période que vous vous êtes rapproché de nous afin de solliciter une rupture conventionnelle de votre contrat de travail. Dans le but de vous permettre de poursuivre vos projets personnels et professionnels, nous avons accepté d’y faire droit. Un formulaire de rupture conventionnelle a ainsi été conclu en date du 29 octobre 2018 et vous avez souhaité poser vos congés payés à compter du 2 novembre 2018, jusqu’au terme prévu de contrat de travail le 6 décembre 2018.

Durant votre absence, nous avons procédé à l’inventaire des stocks qui n’avait toujours pas été réalisé par vos soins.

Nous avons alors constaté une importante démarque sur les stocks physiques par rapport aux stocks comptables :

– Métaux ferreux : 37.603 kg (soit environ 9 400 €)

– Inox 304 : 56.732 kg (soit environ 48 222 €)

– Alu AGS et AGSDE : 9.136 kg (soit environ 10 506 €)

– Ferraille : environ 700 tonnes (soit environ 126 000 €)

Au total, c’est ainsi une perte d’environ 194 000 € qui vient affecter le bilan de la société.

Ainsi après 2 exercices déficitaires en 2016 et en 2017, le résultat d’exploitation aurait pu être positif en 2018, mais affecté par cette démarque de stocks, nous prévoyons un nouveau déficit d’environ 100.000 €.

En réalité, nous ne pouvons qu’en déduire que votre demande de rupture conventionnelle avait pour finalité de quitter l’entreprise avant la fin de l’exercice 2018, et ce afin de ne pas avoir à faire face à vos responsabilités eu égard à vos manquements en votre qualité de responsable d’agence dans la gestion des stocks de l’entreprise.

Telle est la raison pour laquelle nous avons usé de notre droit de rétractation et avons engagé la présente procédure.

Votre comportement et vos manquements mettent en effet en cause la bonne marche de l’entreprise et pourrait même remettre en cause sa pérennité.

(‘) Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave en raison de votre refus de réaliser les inventaires des stocks, caractérisant votre insubordination, en vue de masquer les graves manquements dans l’exercice de vos fonctions de responsable d’agence ayant conduit à une importante démarque des stocks de l’entreprise.

(‘) ».

L’employeur reproche au salarié son insubordination consistant à ne pas réaliser l’inventaire des stocks avant la fin de l’exercice 2018 malgré les relances, ce afin de masquer les écarts entre le stock comptable et le stock physique.

Le salarié sollicite à titre principal que la cour prononce la nullité de son licenciement aux motifs que l’employeur n’a pas respecté les règles protectrices du salarié victime d’un accident du travail alors qu’il avait fait une déclaration d’accident du travail le 9 novembre 2018.

Certes, il est constant que l’employeur a été avisé de la déclaration d’accident du travail et qu’il a reçu les avis de prolongation d’arrêt de travail consécutifs à l’accident du travail.

Mais le salarié qui précise avoir été « très affecté » par la rétractation de l’employeur de son accord à la rupture conventionnelle, se limite à produire des prescriptions médicales d’un tranquillisant à compter du 2 mai 2018 ‘ soit antérieurement à la rétractation intervenue le 9 mai 2018. De ce fait, il n’établit pas l’origine professionnelle de son arrêt de travail. L’employeur a usé régulièrement de son droit de rétractation puisqu’il l’a exercé dans le délai légal et qu’aucune circonstance du dossier ne montre qu’il aurait exercé ce droit de manière abusive.

Dès lors que l’origine professionnelle de l’arrêt de travail justifiant la suspension du contrat de travail n’est pas démontrée, il n’est pas non plus établi que l’employeur aurait dû appliquer les règles protectrices du salarié victime d’un accident du travail. La demande de nullité du licenciement doit être rejetée.

A titre subsidiaire, le salarié fait valoir en premier lieu que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse au motif que la lettre n’a pas été envoyée à la bonne adresse, et en second lieu que les faits reprochés ne sont pas fondés.

Il ressort en effet de la lettre manuscrite du 15 novembre 2018 adressée en recommandé avec accusé de réception ‘ lettre distribuée à l’employeur le 16 novembre 2018 ‘ par le salarié que celui-ci a élu domicile au Cabinet de son avocat (« Le temps de mon rétablissement, je vous demande simplement de ne plus m’écrire en recommandé à mon domicile mais à Maître [G] [Z], [Adresse 4], [Localité 8] »). Pourtant la lettre de licenciement du 29 novembre 2018 a été adressée en recommandé à M. [S] [W] [Adresse 2] [Localité 6], à son domicile.

L’employeur a adressé à Maître [G] une lettre recommandée du 29 novembre 2018 aux termes de laquelle il prend acte de ce que le salarié souhaite qu’il s’adresse à son conseil pour la poursuite de leurs échanges avant d’indiquer avoir envoyé à l’adresse du salarié une lettre de licenciement et de préciser que c’est à la demande insistante de ce dernier qu’une rupture conventionnelle a été envisagée.

Il a ensuite envoyé à l’adresse personnelle du salarié, par lettre du 18 décembre 2018, la copie de la lettre de licenciement revenue avec la mention « Pli avisé et non réclamé ».

Enfin, le courriel du 4 décembre 2018 de Mme [H] [I], compagne du salarié, établit que celle-ci devait se présenter le lendemain matin sur le lieu de travail du salarié « pour récupérer des papiers » pour lui.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que bien que le salarié ait régulièrement élu domicile au Cabinet de son avocat et en ait avisé l’employeur après la convocation à l’entretien préalable, celui-ci a notifié le licenciement à son adresse personnelle et a par la suite remis les documents de fin de contrat à sa compagne.

Ainsi, l’employeur n’établit pas que la lettre de licenciement ait été portée à la connaissance du salarié, alors que la rupture du contrat de travail résultait de la seule remise à sa compagne des documents de fin de contrat, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il sera fait droit à la demande de rappel de salaire et de son accessoire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, soit la somme de 4 109,70 euros brut, outre la somme de 410,97 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.

L’article L 1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction en vigueur du 24 septembre 2017 au 1er avril 2018 issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au cas d’espèce, prévoit que l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un salarié totalisant 17 années complètes d’ancienneté (hormis la période de préavis : 17 ans 1 mois et 20 jours) dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, doit être comprise entre 3 et 14 mois de salaire brut.

Compte tenu de l’ancienneté à la date du licenciement, du nombre de salariés habituellement employés (au moins 11 salariés), de sa rémunération mensuelle (6 232,94 euros brut) et des justificatifs relatifs à sa situation actuelle (ARE, contrat de travail à durée indéterminée du 4 octobre 2022 en qualité de manager rayon, statut agent de maîtrise moyennant une salaire mensuel brut de 2 500 euros), il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :

– 20 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 18 698,81 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (3 mois),

– 1 869,88 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

– 28 022,63 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Sur les demandes accessoires.

Les condamnations à des dommages et intérêts s’entendent net de csg crds.

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du Code civil, dès lors qu’ils auront couru au moins pour une année entière.

L’employeur devra délivrer au salarié les documents de fin de contrat rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt, sans qu’il soit besoin de prononcer une astreinte.

Il devra rembourser à France travail (anciennement dénommé Pôle emploi) les allocations chômage servies au salarié dans la limite de trois mois.

Il sera tenu aux dépens de première instance et d’appel.

Il est équitable de le condamner à payer au salarié la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt mis à disposition au greffe ;

INFIRME l’intégralité du jugement du 29 mars 2021 du conseil de prud’hommes de Montpellier ;

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE M. [S] [W] de sa demande de nullité du licenciement ;

DIT que le licenciement pour faute grave de M. [S] [W] est sans cause réelle et sérieuse et que la mise à pied à titre conservatoire est injustifiée ;

CONDAMNE la SAS Epur Languedoc Roussillon à payer à M. [S] [W] les sommes suivantes :

– 56 051,07 euros brut au titre du rappel de salaire pour heures supplémentaires de 2016 à 2018 inclus,

– 5 605,10 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

– 34 521 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des règles sur la prise des congés payés,

– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au manquement à l’obligation de sécurité,

– 4 109,70 euros brut, à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire,

– 410,97 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

– 20 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 18 698,81 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 869,88 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

– 28 022,63 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

DIT que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du Code civil, dès lors qu’ils auront couru au moins pour une année entière ;

CONDAMNE la SAS Epur Languedoc Roussillon à délivrer à M. [S] [W] les documents de fin de contrat rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt ;

DIT n’y avoir lieu de prononcer une astreinte ;

CONDAMNE la SAS Epur Languedoc Roussillon à payer à M. [S] [W] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d’appel ;

ORDONNE le remboursement par la SAS Epur Languedoc Roussillon à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [S] [W] dans la limite de deux mois et DIT que conformément aux dispositions des articles L 1235-4 et R 1235-2 du Code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié ;

CONDAMNE la SAS Epur Languedoc Roussillon aux entiers dépens de l’instance ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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