Droit de rétractation : Décision du 14 décembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00284

·

·

Droit de rétractation : Décision du 14 décembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00284

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00284 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E2QB.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’Angers, décision attaquée en date du 05 Mai 2021, enregistrée sous le n° 20/00437

ARRÊT DU 14 Décembre 2023

APPELANTE :

[5] – ECOLE SUPERIEURE ([5]) [5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Maître Meriem BABA de la SELARL ABM, avocat au barreau de SAUMUR – N° du dossier S21-0157

INTIME :

Monsieur [W] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Paul CAO de la SCP IN-LEXIS, avocat au barreau de SAUMUR – N° du dossier 19-190B

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame PORTMANN, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 14 Décembre 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame PORTMANN, président et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [W] [M] a été engagé à compter du 21 septembre 2018, par l’Ecole Supérieure [5] ([5]), selon contrat de travail à durée indéterminée du 19 septembre 2018, en qualité de coordinateur pédagogique.

M. [M] a été placé en arrêt de travail à compter du 24 juin jusqu’au 28 juillet 2019.

Par correspondance du 2 août 2019, le salarié a été sanctionné d’un avertissement pour une absence injustifiée du 29 juillet 2019.

M. [M] et son employeur ont conclu une rupture conventionnelle du contrat de travail le 25 septembre 2019.

Le 8 octobre 2019 M. [M] a usé de son droit de rétractation.

Par courrier du 21 octobre 2019, M. [M] s’est vu notifier un nouvel avertissement, motivé par un incident survenu lors de l’examen du 10 octobre 2019 décalé quelques jours plus tard.

M. [M] a contesté par écrit, le 24 octobre 2019, les deux avertissements, que la société [5] a décidé de maintenir par correspondance du 30 octobre 2019.

Le 29 octobre 2019, M. [M] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement qui s’est tenu le 6 novembre 2019 avant que par missive du 13 novembre 2019 ne lui soit notifié son licenciement motivé en substance par plusieurs manquements professionnels.

M. [M], après avoir contesté son licenciement par courrier du 20 novembre 2019, a alors saisi, le 2 juin 2020, le conseil de prud’hommes d’Angers aux fins de faire juger à titre principal que son licenciement est nul en raison de faits de harcèlement moral et de voir condamner l'[5] à lui verser des dommages et intérêts à ce titre ou subsidiairement de le juger dénué de cause réelle et sérieuse et de voir condamner l'[5] à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en écartant le barème dit ‘Macron’. Il demandait également au conseil de prud’hommes de condamner son employeur à lui verser un rappel de salaire sur heures supplémentaires après avoir jugé dépourvu d’effet la convention de forfait qui les liait.

Par jugement en date du 5 mai 2021 le conseil de prud’hommes d’Angers a :

– dit que le licenciement de M. [W] [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Ecole supérieure [5] à lui payer 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts,

– dit que la convention de forfait jours qui lie M. [W] [M] à la société Ecole supérieure [5] est dépourvue d’effet et condamné la société Ecole supérieure [5] à lui payer 6761,05 euros au titre des heures complémentaires, incidence congés payés incluse,

– condamné la société Ecole supérieure [5] à délivrer à M. [W] [M] les documents suivants sous jugement :

* bulletin de salaire rectifié conforme aux condamnations salariales,

*attestation Pôle Emploi rectifiée,

– s’est réservé le pouvoir de liquider l’astreinte ;

– condamné la société Ecole supérieure [5] à payer à M. [W] [M] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– condamné la société Ecole supérieure [5] aux dépens.

L'[5] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 18 mai 2021, son appel portant sur l’ensemble des dispositions lui faisant grief, énoncées dans sa déclaration.

M. [M] a constitué avocat en qualité de partie intimée le 1er juin 2021.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2023.

L’affaire a été examinée à l’audience du conseiller rapporteur du 10 octobre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

L'[5], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 20 décembre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 5 mai 2021,

Statuant à nouveau, de :

– débouter M. [W] [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner M. [W] [M] à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le même aux entiers dépens de première instance et d’appel.

**

M. [M], par conclusions régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 23 septembre 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

A titre principal,

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

– dire que le licenciement est nul car consécutif à des faits de harcèlement moral ;

– condamner la société Ecole supérieure [5] à lui verser 22 500 euros net de charges de dommages et intérêts à ce titre ;

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers dans ses autres dispositions et débouter la société Ecole supérieure [5] de l’intégralité de ses demandes;

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement dans l’ensemble de ses dispositions et débouter la société Ecole supérieure [5] de toutes ses demandes formées au titre de l’appel qu’elle a interjeté ;

– condamner la société Ecole supérieure [5] à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’instance devant la cour d’appel d’Angers, et ce, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Ecole supérieure [5] aux dépens.

MOTIFS :

I-Sur les heures supplémentaires :

Sur la convention de forfait, l’appelante souligne d’une part, que si aucun entretien annuel n’a été organisé pour M. [M], c’est uniquement parce que ce dernier n’a été salarié que durant une seule année (du 19 septembre 2018 au 13 novembre 2019) et d’autre part, que les pièces du dossier démontrent qu’elle s’est toujours montrée particulièrement réactive dès que M. [M] sollicitait des entretiens, ajoutant que M. [M] ne faisait jamais explicitement référence à une charge de travail trop importante.

Elle fait valoir, concernant les heures supplémentaires réclamées, qu’il apparaît que les informations portées sur le tableau produit par M. [M] sont inexactes au vu du décompte des jours travaillés signé par lui sur la période allant du 1er janvier au 31 octobre 2019.

M. [M] réplique que l’employeur n’a pas respecté l’accord relatif à l’organisation du temps de travail en forfait jours du groupe Educaservices, faute d’organiser un entretien suite à ses demandes relatives à sa charge de travail. Il estime qu’il produit des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectués pour permettre à l’employeur d’y répondre, ce que celui-ci ne fait pas.

A/Sur la convention en forfait jours :

Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles susvisés de la directive de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. (Sociale 5 juillet 2023, pourvoi n° 21-23.294)

Le non- respect par l’employeur des clauses de l’ accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d’effet la convention de forfait. (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940).

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’ accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours. (Soc 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.725).

L’avenant au contrat de travail de M. [M], qui porte le nombre de jours de travail de ce dernier de 171 à 213 vise expressément les dispositions de l’accord collectif relatif à l’organisation du temps de travail des salariés au forfait jours du groupe Eduservices.

Ce dernier, daté du 10 novembre 2017, mentionne non seulement la nécessité d’un entretien annuel, mais contient également (article 2-5 sur le ‘suivi de la charge de travail du salarié en forfait jours’) la clause suivante : ‘En cas de surcharge de travail, il y aura lieu de procéder à une analyse de la situation, et de prendre toutes les dispositions adaptées pour respecter les temps de pose prévus par le code du travail.

En dehors de l’entretien individuel, lorsque le salarié estime que sa charge de travail est trop importante, ou toute autre occasion, un entretien est organisé dans le deux semaines suivant la demande. A l’issue de l’entretien, un compte-rendu sera adressé par mail au salarié par le manager.’

Or, M. [M] a fait état à plusieurs reprises à sa hiérarchie de sa surcharge de travail :

-mail du 22 février 2019 à M. [B] : ‘[T] m’a retiré cette liste de modification de planning suite à mon état d’épuisement’,

-mail du 20 mai 2019 à M. [B] : ‘Pour les prochains mois, je crains pour ma santé mentale et physique’,

-mail du 13 juin 2019 à [T] [P] : ‘je suis désolé mais je ne peux pas assumer cette nouvelle charge de travail…

Vu ma charge quotidienne depuis le mois de mars […]je ne suis plus en capacité de lire les 15 dossiers qui me sont attribués. Je suis épuisé’,

S’il est indiscutable que M. [B] a reçu M. [M] le 27 mai 2019, force est de constater qu’aucun compte rendu n’a été dressé.

Certes, Mme [P] a accepté d’enlever certaines tâches à M. [M], suite à ses courriels de février et juin 2019 et M. [B] a envoyé un mail, dès le 13 juin 2019, à [F] [C] du service santé au travail, laquelle a informé le médecin, le docteur [A], qui a organisé un rendez-vous avec l’employeur le 5 juillet suivant, cependant, il convient de relever que l’entretien prévu par l’accord collectif n’a pas eu lieu comme il aurait dû l’être, et ce, dès le mois de février 2019.

Par suite, il apparaît que c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes a considéré que la convention de forfait jour liant M. [M] à l'[5] était dépourvue d’effet. Le jugement sera, de ce chef, confirmé.

B/Sur le paiement des heures supplémentaires :

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’ heures supplémentaires , il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919).

M. [M] produit (pièce 75) un tableau mensuel faisant apparaître jour par jour l’heure de début de son travail et l’heure de fin, ainsi que le nombre total d’heures accomplies chaque jour dont les heures supplémentaires, sous déduction d’une pause méridienne de 30 minutes, outre un tableau du nombre de mails envoyés chaque jour.

Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur d’y répondre.

Certes l'[5] justifie que le 28 mai 2019 après midi, M. [M] était absent du bureau pour des raisons familiales, ce qui au demeurant ne démontre pas qu’il ne travaillait pas.

En outre, elle produit le décompte des jours travaillés en 2019, signé par son salarié (pièce 3).

Cependant, ce décompte ne contient aucune précision sur les horaires effectués et ne fait pas apparaître d’incohérences significatives dans le tableau établi par le salarié.

Par suite, il convient de confirmer également le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a retenu que M. [M] avait accompli des heures supplémentaires pour un montant total de 6761,05 euros, incidence congés payés incluse.

II-Sur la rupture du contrat de travail :

A/Sur la nullité du licenciement :

Au soutien de ses intérêts et de ses demandes, l’intimé fait essentiellement valoir que tout au long de sa relation de travail avec l’Ecole Supérieure [5], il a été victime d’un certain nombre de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. Il fait en substance observer qu’il a été victime d’un management délétère, d’une surcharge de travail, d’une mise de côté et qu’il n’a eu de cesse d’alerter sa direction qui n’a jamais eu de réaction appropriée.

Il soutient que contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes cela doit entraîner la nullité de son licenciement.

L'[5] réplique que M. [M] ne verse strictement aucune pièce qui démontrerait des faits de harcèlement moral, estimant qu’il ne peut lui être sérieusement reproché un quelconque management délétère de nature à caractériser des agissements de harcèlement moral.

Elle fait en outre observer que M. [M] ne subissait pas une charge de travail trop importante puisque lors de périodes de travail intenses au sein de l’équipe pédagogique, elle réagissait systématiquement et que M. [M] n’a aucunement eu «de cesse» de l’alerter sur cette situation, contrairement à ce qu’il soutient dans ses conclusions.

Elle ajoute que l’ensemble des pièces produites démontre qu’elle s’est montrée particulièrement réactive et attentive aux sollicitations de M. [M] et soutient que si elle avait réellement souhaité qu’il quitte le plus rapidement ses effectifs, comme ce dernier l’allègue, elle n’aurait alors même pas évoqué la possibilité que celui-ci exerce d’autres fonctions.

SUR CE,

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail’: «Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.

L’article L.1154-1 du même code dispose que’: «’Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-3 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement. (Soc., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-18.142).

En l’espèce, il est établi que :

-Lors de son arrivée, et nonobstant l’existence d’une fiche de fonction, les missions de M. [M] étaient peu claires, en particulier au regard de celles de l’assistante pédagogique, Mme [D] [O] (voir son attestation pièce 94), et c’est lui qui a dû mettre en place des réunions pour définir les fonctions de chacun ainsi que le démontrent ses courriels des 30 octobre et 11 décembre 2018,

-Après avoir renouvelé sa période d’essai (pièce appelant n°4), son employeur lui a fait connaître, par l’intermédiaire de Mme [P], qui lui avait pourtant confirmé sa confiance le 21 février 2019, par courriel du 5 mars 2019 envoyé à 17 heures 13 (sa pièce 73), qu’il mettait fin le jour même à sa période d’essai, avant de revenir sur sa décision à 22 heures 01,

-Lors d’une réunion de l’équipe qui s’est tenue le 6 juin 2019 (pièce 97 de l’appelant, attestation de M. [I]), il a été annoncé que le poste de M. [M] était supprimé à la faveur de la création d’un poste d’une seconde assistante pédagogique ; il n’est pas contesté que l’offre d’emploi parue sur Indeed le 31 juillet 2019 en vue de recruter un coordinateur pédagogique émanait bien de l'[5] ; cette dernière soutient, mais sans justificatif, qu’il s’agissait de remplacer un autre coordinateur pédagogique ; or, le livret d’accueil 2018-2019 fait mention de cinq coordinateurs, et celui de l’année suivante reprend les mêmes noms à l’exception de celui de M. [M], de sorte que c’était bien lui qu’il s’agissait de remplacer, ce qu’il a appris incidemment,

-Lors de son retour de congés, au mois d’août 2019, alors pourtant qu’il était toujours en poste, son nom ne figurait plus sur les livrets d’accueil pédagogiques et il n’avait plus son nom sur la porte de son bureau ; il était prévu qu’il occupe un poste transversal (coordinateur qualité et transition énergétique), ce qui n’est pas devenu effectif,

-Il devait faire face, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, à une surcharge de travail le contraignant à renoncer à certaines missions et à faire des heures supplémentaires, malgré les mesures prises par Mme [P] pour le soulager,

-Il s’est trouvé en arrêt de travail du 24 juin au 28 juillet 2019 et des réunions ont eu lieu entre le médecin du travail et l'[5],

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

Il incombe par suite à l’employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Or, s’il est constant que dès le 11 juin 2019 (sa pièce 23), M. [M] aspirait, comme le fait valoir l'[5], à d’autres fonctions (ingénieur pédagogique ou responsable développement et qualité des services de formation), force est de constater que c’était au sein du groupe et qu’aucune de ces propositions n’a abouti.

Compte tenu du contexte évoqué et du ressenti légitime par le salarié de ce que sa présence dans l’école n’était plus souhaitée, il ne peut lui être reproché d’avoir souhaité une rupture conventionnelle de son contrat de travail (pièce 98).

Enfin, l’employeur ne s’explique pas sur la contradiction existante entre le fait de vouloir donner à M. [M] de nouvelles attributions (pièce 98, Mail de M. [V]) et sa sollicitation en sa qualité de responsable pédagogique (mails du 16 octobre 2019), alors qu’il n’a plus, au regard de l’organigramme figurant dans le livret d’accueil, de telles fonctions.

L’existence d’un harcèlement moral, d’ailleurs retenue par les premiers juges, est donc caractérisée.

Il convient cependant d’en déduire, infirmant en cela le jugement entrepris, que le licenciement de M. [M] est non pas dénué de cause réelle et sérieuse, mais qu’il est nul.

Au regard de sa faible ancienneté, de son salaire (2500 euros brut par mois) du fait qu’il a retrouvé un emploi rapidement et des circonstances du harcèlement, il convient de réparer justement le préjudice résultant pour lui de cette situation en condamnant l'[5] à lui verser une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

III-Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les dispositions du jugement du 5 mai 2021 relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

L'[5] supportera les dépens de l’instance d’appel. Il n’apparaît pas inéquitable de mettre à sa charge une somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel par M. [M].

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

-Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [M] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Statuant de nouveau du chef infirmé,

-Dit que le licenciement de M. [M] est nul,

-Condamne l'[5] à lui payer la somme de 15000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la nullité de son licenciement,

Y ajoutant,

-Condamne l'[5] aux dépens de l’instance d’appel,

-Condamne l'[5] à payer à M. [M] une somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés en cause d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN C. PORTMANN

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x