COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 12 MAI 2023
N°2023/ 129
Rôle N° RG 19/10018 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEO6N
[P] [N]
C/
SARL [S]
Copie exécutoire délivrée
le : 12/05/2023
à :
Me Gordana TEGELTIJA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Dominique FERRATA, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de FREJUS en date du 23 Mai 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00222.
APPELANT
Monsieur [P] [N], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Gordana TEGELTIJA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué à l’audience par Me Marion AUTONES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SARL [S], demeurant [Adresse 1]/ France
représentée par Me Dominique FERRATA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre chargé du rapport, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Mai 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Mai 2023.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon contrat de chantier du 7 mars 2017, M.[N] a été recruté par la SARL [S] en qualité de menuisier.
Selon lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mai 2017, la SARL [S], lui reprochant un abandon de poste à compter du 12 mai 2017, l’a sommé de fournir un justificatif de son absence sans quoi elle serait tenue de procéder à son licenciement.
Une convention de rupture conventionnelle du contrat de travail de M.[N] a été signée entre les parties le 24 mai 2017.
Le 28 juillet 2017, M.[N], s’estimant victime d’une rupture abusive de son contrat de travail a saisi le conseil de prud’hommes de Fréjus de diverses demandes indemnitaires.
Par jugement du 23 mai 2019, le conseil des prud’hommes de Fréjus a :
– Débouté M.[N] de l’ensemble de ses demandes’;
– Condamné M.[N] aux dépens’;
– Condamné M.[N] à payer àla SARL [S] la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M.[N] a fait appel de ce jugement le’21 juin 2019.
A l’issue de ses conclusions du’21 décembre 2022, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, M.[N] demande de’:
– infirmer le jugement rendu le 23 mai 2019, le conseil de prud’hommes de Fréjus dans toutes ses dispositions’;
Et’;
Statuant à nouveau :
A titre principal :
– Déclarer la rupture conventionnelle dépourvue de tout effet, la SARL [S] ayant rompu le contrat de travail le 9 juin 2017 avant la date d’homologation de cette convention par la DIRECCTE qui devait intervenir le 1 er juillet 2017 ;
A titre subsidiaire :
– Déclarer nulle la rupture conventionnelle, cette nullité produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse’;
Dans toutes les hypothèses’;
– Déclarer que le contrat de travail a été rompu à l’initiative de la SARL [S] et que cette rupture doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamner la SARL [S] à lui payer:
– la somme de 10’900 euros à titre de dommages et ntérêts pour licenciement sans cause réelle;
-la somme de 908,37 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
– la somme de 90,83 euros au titre des congés payés sur préavis ;
– la somme de 1 816,75 euros de dommages-intérêts pour défaut de procédure’;
– la somme de 139,05 euros de prime de transport’;
– Débouter la SARL [S] de toutes ses demandes’;
– Condamner la SARL [S] à lui payer à la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses conclusions du’11 décembre 2019, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions, la SARL [S] demande de’:
– écarter des débats les pièces n°7 à 12′;
– confirmer le jugement de départage du 23 mai 2019 en ce qu’il a :
– débouter M.[N] de l’ensemble de ses demandes’;
– condamner M.[N] aux dépens’;
– condamner M.[N] à lui payer la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;
y ajoutant en cause d’appel :
– condamner M.[N] à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 10 février . Pour un plus ample exposé de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère expressément à la décision déférée et aux dernières conclusions déposées par les parties.
SUR CE’:
sur les pièces produites aux débats par M.[N]’:
moyens des parties’:
La SARL [S] soutient que, en violation de l’article 906 du code de procédure civile, M.[N] ne lui a pas communiqué, simultanément avec ses conclusions, ses pièces n°7 à 12 et qu’il convienda de les écarter des débats.
M.[N] n’a pas conclu sur ce point.
réponse de la cour’:
L’article 906 du code de procédure civile précoit que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués. Ces dispositions n’édictent pas de sanction en cas de défaut de communication des pièces simultanément à la notification des conclusions. Il appartient, toutefois, au juge de rechercher si, conformément à l’article 15 du même code, ces pièces ont été communiquées en temps utile.
En l’espèce, il ressort du dossier RPVA de la cour que, le 17 septembre 2019, M.[N] a déposé un premier jeu de conclusions au fond et un bordereau de communication de pièces numérotées de 1 à 2 bis, de 3 à 6 et de 11 à 12. M.[N] a cependant communiqué ses pièces 1 à 2bis et 3 à 9 le 27 janvier 2020, soit en temps utile. La SARL [S] sera en conséquence déboutée de sa demande en rejet des débats d’une partie des pièces de M.[N].
sur la prime de transports’:
moyens des parties’:
M.[N] soutient qu’il se rendait sur les chantiers avec son propre véhicule, qu’il aurait dû percevoir l’indemnité de frais de transport prévue par la convention collective applicable, que la SARL [S] ne rapporte pas la preuve de l’avoir conduit ou fait conduire les chantiers et qu’il est donc en droit de solliciter le paiement par celle-ci de la prime de transport conventionnelle.
La SARL [S] s’oppose à la demande de M.[N] au titre de l’indemnité pour frais de transports aux motifs qu’il ne rapporte pas la preuve de l’utilisation de son véhicule personnel pour se rendre sur les chantiers.
réponse de la cour’:
M.[N] ne démontre pas qu’il a utilisé son véhicule personnel pour se rendre sur les chantiers de la SARL [S]. Il sera en conséquence débouté de sa demande de ce chef.
sur la rupture du contrat de travail’:
moyens des parties’:
Au soutien de ses prétentions, M.[N] expose que son contrat de travail a été rompu unilatéralement par la SARL [S] laquelle lui a remis des documents de fin de contrat (attestation Pôle emploi, certificat de travail et un bulletin de salaire) comportant une date de sortie des effectifs au 9 juin 2017, que la jurisprudence retient que le fait pour un employeur de remettre au salarié une attestation destinée à l’ASSEDIC et un certificat de travail manifeste la volonté de l’employeur de mettre fin au contrat de travail, que le licenciement doit nécessairement être notifié par un écrit énonçant les motifs de la décision de rupture du contrat, qu’à défaut d’écrit, le licenciement est inévitablement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que l’attestation Pôle Emploi qui lui a été remise indique qu’il a été licencié pour abandon de poste et ne fait pas mention d’une rupture conventionnelle, qu’aucune lettre de licenciement ne lui a été adressée, que la SARL [S] a adressé l’attestation à Pôle Emploi qui l’a indemnisé à compter du 9 juin 2017, que la SARL [S] a volontairement établi cette attestation Pôle Emploi, lui a remis celle-ci et l’a adressée à Pôle Emploi, qu’elle soutient, de manière mensongère, qu’il a fait pression sur la collaboratrice comptable en charge de son dossier pour obtenir cette attestation et qu’il a donc fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A titre subsidiaire, il sollicite l’annulation de la convention de rupture conventionnelle invoquée par la SARL [S] aux motifs que cette convention, qui porte la date du 24 mai 2017, est antidatée, que la signature de cette convention n’a pas été précédée de l’entretien préalable prévu par les article L.’1237-11 et suivants du code du travail, que la SARL [S] ne lui a pas remis un exemplaire de cette convention et, qu’il est de principe, en l’absence de remise, que la convention de rupture est atteinte de nullité
En réponse, la SARL [S] fait valoir que l’attestation Pôle Emploi invoquée par M.[N] a été obtenue par violence par M.[N] aux motifs que ce dernier a menacé la collaboratrice comptable de son cabinet comptable pour obtenir une telle attestation, qu’en effet, il n’entendait pas attendre la fin du délai d’homologation de la rupture conventionnelle pour obtenir son attestation Pôle Emploi, car il voulait percevoir ses allocations chômage au plus tôt et que l’attestation Pôle Emploi qui a été remise ce jour-là n’a aucune valeur juridique dans la mesure où Mme [S] n’avait pas le pouvoir de signer une telle attestation Pôle emploi.
En outre, la SARL [S] fait valoir que la convention de rupture conventionnelle dont elle se prévaut est valable aux motifs qu’elle a bien été signée le 24 mai 2017 par M.[N], que l’entretien préalable a bien eu lieu le 24 mai 2017, qu’il incombe au salarié de rapporter la preuve de l’absence d’entretien et qu’un exemplaire de la convention a été remis à M.[N].
réponse de la cour’:
Il n’est pas démontré par M.[N] que la date portée sur la convention de rupture conventionnelle du 24 mai 2017 est erronée ni que la signature de celle-ci n’a pas été précédée d’un entretien préalable.
En revanche,il résulte des articles L. 1237-11 et L. 1237-14 du code du travail et 1353 du code civil, d’une part que la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié étant nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention, dans les conditions prévues par l’article L. 1237-14 du code du travail, et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause, à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est nulle, d’autre part qu’ en cas de contestation, il appartient à celui qui invoque cette remise d’en rapporter la preuve.
Il ne résulte ni de la convention de rupture conventionnelle litigieuse ni des autres éléments de preuve produits aux débats par la SARL [S] qu’un exemplaire de cette convention, dont la cour relève en passant que sa demande d’homologation a été rejetée, a été remis à M.[N]. Ce dernier, qui n’a pas été en en mesure de faire valoir son droit de rétraction, est fondé à en soulever la nullité. Cette convention n’a donc pu avoir pour effet d’entraîner la rupture du contrat de travail de M.[N].
Selon L. 1232-6 du code du travail, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Il en ressort qu’à défaut de notification écrite du licenciement et de ses motifs, le licenciement est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.
Le bulletin de paie de M.[N] pour le mois de juin 2017 porte mention du paiement d’une indemnité de licenciement. Par ailleurs, M.[N] produit aux débats une attestation Pôle Emploi, signée par la SARL [S], du 9 juin 2017 mentionnant que le contrat de travail de ce salarié a pris fin en raison d’un licenciement pour abandon de poste et un certificat de travail du même jour.
La SARL [S] verse aux débats une attestation du gérant du cabinet d’expertise-comptable de la SARL [S], en charge du suivi social de cette société, selon lequel M.[N] se serait rendu dans son entreprise à plusieurs reprises pour voir la collaboratrice en charge de son dossier, que, le 9 juin 2017, il était très menaçant car il désirait percevoir les allocations chômage et que cette collaboratrice, apeurée, avait appelé Mme [S] qui lui avait demandé de préparer cette attestation pour la remettre à M.[N].
Il en résulte en outre que ce témoin n’aurait eu connaissance de cette attitude menaçante qu’après l’engagement de la procédure prud’homale par M.[N]. Il s’en déduit en conséquence qu’il n’a pas assisté à la scène qu’il relate. Par ailleurs, la SARL [S] ne produit pas aux débats le témoignage de la collaboratrice en question.
Dès lors, il n’est pas démontré que le bulletin de salaire, l’attestation Pôle Emploi et le certificat de travail précités ont été établis sous la menace de M.[N].
La circonstance que le cabinet d’expertise-comptable en charge du suivi social de la SARL [S] ait pris attache avec Mme [S] pour obtenir des instructions sur l’établissement au profit de M.[N] de ses documents de fin de contrat démontre que cette dernière était titulaire d’un mandat lui permettant de prendre des décisions dans ce domaine pour le compte de la SARL [S]. Dès lors, les conditions d’établissement et de remise des documents de fin de contrat précités ne peuvent être contestés par la SARL [S].
Il en ressort en conséquence que M.[N] a fait l’objet par la SARL [S] d’un licenciement sans notification écrite du licenciement et de ses motifs, privant ainsi la rupture du contrat de travail de cause réelle et sérieuse.
Le montant de l’indemnité compensatrice de préavis due à M.[N] et des congés payés afférents n’est pas contesté par la SARL [S]. Il sera donc fait droit à la demande formée de ce chef.
Le préjudice subi par M.[N] en raison de la rupture de son contrat de travail, en raison de son ancienneté et de sa rémunération, sera indemnisé en lui allouant la somme de 500’euros à titre de dommages- intérêts.
Il est constant que M.[N] a été licencié sans respect de la procédure de licenciement. Cependant, il ne caractérise pas le préjudice distinct qu’il aurait subi de ce chef. La demande en dommages-intérêts qu’il forme au titre de l’irrégularité de la procédure sera donc rejetée.
sur le surplus des demandes’:
La SARL [S], partie perdante, sera déboutée de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.
Enfin, l’équité commande de débouter M.[N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de dire que chaque partie conservera la charge des frais et dépens exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS’;
LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement’;
DECLARE M.[N] recevable en son appel’;
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Fréjus du 23 mai 2019 en ce qu’il a débouté M.[N] de sa demande tendant à voir juger qu’il a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires connexes’;
LE CONFIRME pour le surplus’;
STATUANT à nouveau sur les chefs d’infirmation et y ajoutant’;
DIT que le licenciement de M.[N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse’;
CONDAMNE la SARL [S] à payer à M.[N] les sommes suivantes’:
-la somme de 908,37 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;
– la somme de 90,83 euros au titre des congés payés sur préavis ;
– 500’euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes’;
DIT que chaque partie conservera la charge des frais et dépens qu’elle a exposés en première instance et en cause d’appel
Le Greffier Le Président