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ARRÊT N°
JFL/FA
COUR D’APPEL DE BESANÇON
– 172 501 116 00013 –
ARRÊT DU 06 JUIN 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique du 04 avril 2023
N° de rôle : N° RG 21/02021 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EOGW
S/appel d’une décision du JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DE SAINT CLAUDE en date du 12 octobre 2021 [RG N° 1120000168]
Code affaire : 54A Demande en nullité d’un contrat tendant à la réalisation de travaux de construction
S.A.S. LCT CONSTRUCTION C/ [Y] [P], [K] [Z] épouse [P], S.A. CA CONSUMER FINANCE
PARTIES EN CAUSE :
S.A.S. LCT CONSTRUCTION
Sise [Adresse 2],
inscrite au RCS de Clermont Ferrand sous le numéro 825 096 811
Représentée par Me Benjamin ENOS de la SELASU ENOS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES, avocat plaidant
Représentée par Me Valérie COUVREUX-GIROD, avocat au barreau de JURA, avocat postulant
APPELANTE
ET :
Monsieur [Y] [P]
né le 25 Mars 1946 à Rouen, de nationalité française, retraité,
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Aurélie DEGOURNAY de la SELAS AGIS, avocat au barreau de JURA
Madame [K] [Z] épouse [P]
née le 18 Janvier 1935 à Chatillon, de nationalité française, retraitée,
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Aurélie DEGOURNAY de la SELAS AGIS, avocat au barreau de JURA
S.A. CA CONSUMER FINANCE (EX SOFINCO)
Sise [Adresse 1]
Inscrite au RCS d’Evry sous le numéro 542 097 522
Représentée par Me Valérie GIACOMONI de la SCP MAYER-BLONDEAU GIACOMONI DICHAMP MARTINVAL, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représentée par Me Christophe SARDA de la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Jean-François LEVEQUE, conseillers
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre,
ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX, conseiller et Monsieur Jean-François LEVEQUE, magistrat rédacteur.
L’affaire, plaidée à l’audience du 04 avril 2023 a été mise en délibéré au 06 juin 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
Exposé du litige
M. [Y] [P] et son épouse Mme [K] [P] (les acquéreurs) ont commandé le 1er octobre 2019, à leur domicile, un traitement insecticide de leur charpente et un traitement hyfrofuge de leur toiture à la SAS LCT Construction (le prestataire) pour un prix de 29 260 euros entièrement financé par un prêt du même montant souscrit le même jour auprès de la SA Sofinco aux droits de laquelle vient la SA CA Consumer Finance (le prêteur).
Après vaines protestations élevées auprès du prestataire et du prêteur par le fils des acquéreurs puis par leur avocat au motif que, de condition modeste, âgés et malades, ils avaient été victimes d’un abus de faiblesse et ne pouvaient honorer des mensualités de 447,7 euros, ils ont, le 25 février 2020, mis le prestataire en demeure de résilier le contrat, puis, le 20 novembre 2020, l’ont assigné ainsi que le prêteur en annulation des deux contrats, remboursement des mensualités acquittées, dispense de remboursement du capital prêté et paiement de dommages et intérêts.
Le tribunal de proximité de Saint-Claude, par jugement du 12 octobre 2021, a :
– annulé les deux contrats ;
– condamné la banque à rembourser aux empruteurs les sommes versées ;
– condamné solidairement les emprunteurs à rembourser les fonds prêtés sous déduction des sommes remboursées ;
– condamné le prestataire à garantir le prêteur du remboursement du capital prêté par les emprunteurs ;
– débouté les emprunteurs de leur demande indemnitaire ;
– condamné le prestataire à payer aux époux [P] la somme de 750 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et à payer les dépens ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
– qu’en l’état de la production de deux bons de commande différents par les époux [P] et par la société LCT, la nullité du contrat principal résultait de la carence de la société LCT à établir qu’elle avait remis à ses clients un exemplaire du contrat comportant un bordereau de rétractation et les conditions générales, et qu’en tout cas le contrat ne mentionnait pas le montant des mensualités du crédit, ces manquements aux exigences des articles L. 111-1 et L. 221-5 du code de la consommation entraînant la nullité en application des articles L. 221-9 et L. 242-1 du même code ;
– que l’annulation du contrat principal entraînait celle du crédit accessoire par application de l’article L. 312-55 du code précité ;
– que si la banque avait commis une faute en omettant de procéder aux vérifications qui lui auraient permis de relever les lacunes du bon de commande, l’absence de preuve d’un préjudice en résultant ne permettait pas de priver la banque de son droit à restitution du capital prêté ;
– que le remboursement du capital prêté devait être garanti par la société LCT , dont le fait est à l’origine de l’annulation du contrat principal, conformément à l’article L. 312-56 du code de la consommation ;
– que la demande indemnitaire formée par les époux [P] devait être rejetée en l’absence de preuve d’un préjudice imputable à la faute de la société LCT, n’étant notamment pas démontré l’abus de faiblesse qu’ils invoquent.
La société LCT a interjeté appel de cette décision contre toutes les autres parties par déclaration parvenue au greffe le 18 novembre 2021. L’appel critique expressément tous les chefs de jugement.
Par conclusions transmises le 12 juilet 2022 visant les articles 1182 et 1367 du code civil, ‘111-1″ et R. 111-1 du code de la consommation, et L. 223-15-2 du code pénal, l’appelante demande à la cour de :
– réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
– débouter les époux [P] de toutes leurs demandes ;
– les condamner à lui payer 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer les dépens.
La société LCT appelant soutient :
– que le contrat principal n’encourt pas les nullités invoquées dès lors qu’y figurent les mentions exigées à l’article L.111-1, le bordereau de rétractation, le nom du vendeur, qui est la société LCT, et que le montant des échéances du prêt était connu des contractants à qui avait été remise le même jour l’échéancier du prêt ;
– qu’au demeurant les prétendues nullités ont été confirmées par l’exécution volontaire du contrat ;
– que l’abus de faiblesse n’est pas démontré par deux certificats médicaux postérieurs aux faits et insuffisamment précis, ni par leur seul âge ;
– et qu’elle n’a commis aucune faute ni causé aucun préjudice moral aux époux [P].
Les époux [P], par conclusions transmises le 12 mai 2022 portant appel incident et 121-17, L. 221-5, L. 221-8, L. 221-9 et R. 111-1 du code de la consommation, demandent à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il les a condamnés à rembourser à la banque la somme de 29 260 euros et en ce qu’il a rejeté leur demande en dommages et intérêts pour préjudice moral ;
– dire n’y avoir lieu à remboursement du capital prêté ;
– subsidiairement confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société LCT à les garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre au profit de la banque ;
– condamner la société LCT à leur payer 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
– condamne la société LCT à leur payer 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens.
Les intimés soutiennent :
– qu’ils ont été démarchés par un commercial de la société LCT qui les a convaincus de commander des travaux en les présentant comme des travaux d’isolation à 1 euro ;
– qu’ils n’ont reçu d’autre exemplaire du bon de commande qu’une copie du seul recto ;
– que ce bon de commande est nul pour ne pas comporter certaines mentions exigées aux articles L. 111-1 et R. 111-1 du code précité ainsi que pour ne pas comporter les informations et le bordereau de rétractation prévus aux articles L. 221-5 et L. 221-8 du même code ;
– qu’au demeurant les conditions générales sont rédigées en très petits caractères et de manière uniforme, l’information relative au droit de rétractation n’étant pas apparente ;
– qu’ils ont été victimes d’un abus de faiblesse au sens de l’article L. 121-8 du code de la consommation et que de plus fort la nullité du contrat est encourue ;
– que la banque a commis une faute en débloquant les fonds sans vérifier la régularité du contrat principal ;
– que leur préjudice est constitué par les difficultés financières qu’ils rencontrent et qui les ont contraints de faire procéder à un regroupement de leurs crédits ;
– qu’au regard des agissements frauduleux de la société LCT ils sont fondés à lui réclamer 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral.
La société CA Consumer Finance, par conclusions transmises le 9 août 2022 portant appel incident et visant les articles L. 111-1 et suivants du code de la consommation, 1182 et 1338 du code civil, demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il débouté les époux [P] de leur demande indemnitaire et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– débouter les époux [P] de toutes leurs demandes ;
– dire qu’ils seront tenus d’exécuter les contrats jusqu’à terme ;
– subsidiairement condamner les époux [P] à lui payer 29 260 eruors sous déduction des réglements ;
– toujours subsidiairement condamner la société LCT à les garantir de leur condamnation à restituer le capital ;
– les condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer les dépens.
L’intimée soutient :
– que le contrat comporte les mentions nécessaires ainsi qu’un bordereau de rétractation ;
– que les conditions générales sont imprimées dans une police conforme à l’article R. 311-6 du code de la consommation, en ce que les lettres, hautes de plus de 2,816 mm, ne sont pas inférieures à celle du corps 8 et sont en tout état de cause lisibles ;
– que les emprunteurs ont été informés de l’offre de prêt, qu’ils ont souscrite le même jour ;
– que le vice du consentement n’est pas démontré par les certificats médicaux postérieurs au contrat de plus d’un an et demi et faisant état de problèmes de santé non assimilables à une abolition du discernement ;
– que les prétendues nullités ont été couvertes par l’exécution volontaire des contrats, prévue à l’article 1182 du code civil ;
– qu’elle-même n’a commis aucune faute dans le déblocage des fonds, n’étant pas tenue de vérifier la validité juridique du bon de commande, ni même de l’obtenir,
– que de plus elle exécutait l’ordre de déblocage des emprunteurs, qui suffisait à justifier le déblocage ;
– qu’en outre aucun préjudice imputable à sa prétendue faute n’est démontré, préjudice qui se limiterait à une perte de chance de ne pas contracter et ne saurait équivaloir au montant des sommes prêtées.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée le 14 mars 2023. L’affaire a été appelée à l’audience du 4 avril 2023 et mise en délibéré au 6 juin suivant.
Motifs de la décision
Sur la validité des contrats
La cour ne peut faire siens les motifs du premier juge relatifs à l’absence au bon de commande d’une mention du montant des mensualités, dès lors que les époux [P] n’invoquent pas ce moyen au soutien de leur demande en nullité du contrat.
La cour adopte en revanche les motifs par lesquels le premier juge a exactement retenu que le prestataire n’apportait pas la preuve, qui lui incombait, que l’exemplaire du bon de commande remis aux clients comportait le bordereau de rétractation exigé par la loi à peine de nullité.
La cour y ajoute que, le prestataire ne prouvant pas non plus avoir remis aux époux [P] un exemplaire du bon de commande complet comportant la reproduction des textes du code de la consommation qui régissaient sa validité, il ne résulte que ni la réception des travaux, ni le paiement des mensualités du crédit par les épous [P], ni le courrier qu’ils ont adressé au prestataire pour avouer, sous l’influence de leur fils, avoir contesté le contrat dans le seul but de ne pas payer le prix de la prestation, ne peuvent être regardés comme l’expression de la volonté non-équivoque de renoncer aux nullités pouvant affecter l’acte et valoir ainsi confirmation du contrat en application de l’article 1182 du code civil.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a annulé le contrat d’entreprise et consécutivement le contrat de prêt.
Sur les restitutions du prêt
La condamnation de la banque à rembourser aux emprunteurs les sommes qu’ils lui ont versée sera confirmée, l’appel n’en étant pas soutenu.
Pour demander la privation du droit à restitution de la banque, les époux [P] lui reprochent d’avoir fautivement libéré les fonds sans s’assurer de la régularité du contrat alors qu’elle avait été alertée sur les conditions dans lesquelles il avait pu être signé et que les irrégularités affectant le bon de commande auraient dû la conduire à refuser le déblocage des fonds.
Toutefois même à admettre une telle faute, les époux [P] ne démontrent pas qu’elle ait pu leur causer un préjudice, qui n’est pas caractérisé par le seul fait d’avoir procédé à un regroupement de leurs crédits le 29 avril 2020, ce qui, en l’absence d’explications complémentaires, n’apparaît pas nécessairement préjudiciable, et ce d’autant plus que les emprunteurs bénéficient de la prestation fournies par la société LCT construction et qu’ils ne soutiennent pas avoir payé cette prestation à un prix excessif.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les emprunteurs à rembourser les fonds prêtés. Il sera cependant infirmé en ce qu’il y ajoute ‘sous déduction des sommes remboursées’, la restitution du capital prêté à la banque devant être entière, comme l’est la restitution aux emprunteurs des sommes versées à la banque. En revanche, la cour ordonnera la compensation entre ces dettes de restitution réciproques.
Sur la garantie du prêteur par le vendeur
L’article L. 312-56 du code de la consommation dispose que si la résolution judiciaire ou l’annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l’emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l’emprunteur. La condamnation à garantie, de nature indemnitaire, prononcée à la demande du prêteur en application de l’ancien article L. 311-33 devenu L. 312-56 oblige le vendeur, pour le cas où l’emprunteur n’y satisferait pas lui-même, à rembourser le prêt. Le vendeur qui a désintéressé le prêteur dispose alors d’une action récursoire contre l’emprunteur.
Le premier juge a exactement retenu que l’annulation du contrat principal provenait du prestataire, qui ne justifiait pas avoir établi un bon de commande conforme au code de la consommation. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné le prestataire à garantir le prêteur du remboursement du capital prêté par les emprunteurs.
Sur le préjudice moral des acquéreurs
Même si la preuve n’est pas apportée que la signature du contrat a été obtenue par un abus de faiblesse, la faute retenue contre le prestataire; consistant à avoir remis un exemplaire du bon de commande imprimé au recto mais vierge au verso, a privé les époux [P] d’utiles informations sur la validité du contrat qu’il avaient signé et sur la possiblité de se rétracter, ce qui, alors qu’ils étaient âgés, malades et inquiets de l’importrance des remboursements à honorer, ainsi qu’en témoignent tant leur échanges avec la société Sofinco que l’intervention protectrice mais vaine de leur fils pour arrêter le contrat, leur a nécessairement causé un préjudice moral dont la cour, infirmant le jugement en ce qu’il les a déboutés de ce chef, fixera la réparation à 2 000 euros.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement rendu entre les parties le 12 octobre 2021 par le juge de proximité de Saint-Claude, sauf en ce qu’il a ajouté la mention ‘sous déduction des sommes remboursées’ à la condamnation de la société CA Consumer Finance à rembourser à M. [Y] [P] et à Mme [K] [Z] les sommes versées au titre du prêt annulé, et en ce qu’il a débouté les époux [P] de leur demande en réparation de leur préjudice moral ;
Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,
Condamne la société CA Consumer Finance à payer à M. [Y] [P] et à Mme [K] [Z], ensemble, la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
Ordonne compensation entre d’une part les condamnations de la société CA Consumer Finance à rembourser à M. [Y] [P] et à Mme [K] [Z] les sommes versées en exécution du prêt et à leur payer des dommage et intérêts, et, d’autre part la condamnation des époux [P] à rembourser le capital prêté.
Déboute la société LCT construction et la société CA Consumer Finance de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ;
Les condamne du même chef, in solidum, à payer à M. [Y] [P] et à Mme [K] [Z], ensemble, la somme de 2 000 euros ;
Les condamne in solidum aux dépens d’appel.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
La greffière Le président de chambre