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N° RG 21/03089 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K6YB
C1
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SARL ANAÉ AVOCATS
Me Pierre BENDJOUYA
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 30 MAI 2023
Appel d’un Jugement (N° R.G. 19/04956)
rendu par le Tribunal judiciaire de GRENOBLE
en date du 21 juin 2021
suivant déclaration d’appel du 07 juillet 2021
APPELANTE :
S.A.R.L. SEGUR prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Thibault LORIN de la SARL ANAÉ AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et plaidant par Me Adeline LOUIS de la SARL ALO AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Mme [W] [S] épouse [O]
née le 15 janvier 1938 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et plaidant par Me Pierre BENDJOUYA, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Mme Catherine Clerc, présidente,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier
DÉBATS :
A l’audience publique du 3 avril 2023, madame Lamoine a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [W] [S] épouse [O], née le 15 janvier 1938, est la fille unique de Mme [J] [Z] veuve de M. [S], décédée le 30 octobre 1995.
Elle a été mentionnée comme unique héritière de la défunte selon acte de notoriété du 20 décembre 1995, et a, en cette qualité, signé le 3 juin 1996 la déclaration de succession établie par Me [C], notaire associé à [Localité 5] (84), portant sur les biens de la défunte évalués à la somme totale de 416 941,61 Francs composés de divers comptes d’épargne ainsi que des actions, obligations et parts d’un fonds commun de placement, sous déduction du passif successoral estimé à 11’600 Francs.
La SARL SEGUR, qui exerce une activité de recherche en généalogie spécialisée dans les successions, explique effectuer en particulier des recherches de comptes bancaires et de contrats d’assurance-vie en déshérence, dans la mesure où les sociétés d’assurance et établissements bancaires ont l’obligation, aux termes de la loi dite “Eckert” du 13 juin 2014, de contacter les titulaires de ces comptes et, en l’absence de réponse, de clôturer le compte et de déposer les fonds s’y trouvant à la Caisse des dépôts et consignations.
Cette société expose avoir, dans le cadre de ces recherches, découvert qu’un compte d’épargne ouvert auprès de la Caisse d’Epargne Languedoc Roussillon, d’un montant de 28 332,37 €, avait été omis lors de la succession de Mme [J] [S], et que la somme en avait été consignée à la Caisse des dépôts et consignations.
Après lui avoir expédié, à diverses adresses, des courriers qui lui étaient revenus avec la mention “destinataire inconnu à cette adresse”, la société SEGUR a envoyé à Mme [O] à l’adresse de son domicile à [Localité 4], quatre lettres recommandées avec avis de réception entre le 16 février 2017 et le 10 avril 2018 en l’informant qu’elle avait “des droits à faire valoir dans un actif en déshérence”, et lui demandant, afin que ses droits lui soient révélés, de signer un “Contrat de Révélation de succession” joint.
En l’absence de réponse de Mme [O], la société SEGUR a envoyé à [Localité 4] le 28 janvier 2019 une de ses représentantes Mme [B] [G], qui se présentait au domicile de Mme [O] et ne l’y trouvait pas. Mme [G] procédait alors, selon rapport de vacation dressé par elle ce même jour, à une enquête de voisinage lui permettant de recueillir le numéro de téléphone de Mme [O]. Après l’avoir contactée, elle rejoignait cette dernière au magasin Monoprix situé à proximité où elle faisait ses courses, et lui faisait signer sur place le “Contrat de Révélation de succession” ainsi qu’une procuration et un mandat, alors que le mari de Mme [O] venait de faire un malaise et que les pompiers avaient été appelés pour le secourir.
Suite aux démarches entreprises par la société SEGUR dans le cadre du mandat signé dans ces conditions, Me [M], notaire, informait Mme [O] par lettre du 18 juin 2019 qu’elle bénéficiait d’un avoir à restituer au titre de la succession, consigné à la Caisse des dépôts et consignations, d’un montant de 28 332,37 € et l’informait du montant de ses honoraires à hauteur de 1 500 € TTC en lui demandant de signer un “bon pour accord” concernant ces honoraires.
Par lettre simple du 2 août 2019, puis par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 20 septembre 2019, la société SEGUR a réclamé à Mme [O] le paiement de la somme de de 9 689 € TTC au titre de ses honoraires en exécution du “Contrat de Révélation de succession” signé le 28 janvier 2019.
En l’absence de règlement, et suite à un courrier du conseil de Mme [O] du 23 septembre 2019 contestant la validité du contrat au regard des conditions de sa signature, la société SEGUR, a, par acte du 21 novembre 2019, assigné Mme [O] devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour la voir condamner à lui payer les sommes suivantes, avec exécution provisoire :
11 107,22 € TTC au titre de ses honoraires contractuels outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 août 2019,
10 000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [O] a demandé, en réponse, que le contrat soit jugé nul en raison des pratiques commerciales agressives et du vice de son consentement lié à son état de faiblesse au moment où la signature était intervenue.
Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a, considérant que le comportement de la société SEGUR ayant précédé la signature du contrat et entouré celle-ci relevait d’une pratique commerciale agressive, trompeuse et était constitutif d’un abus de faiblesse :
prononcé la nullité du contrat en date du 28 janvier 2019,
débouté la société SEGUR l’intégralité de ses demandes,
condamné la société SEGUR aux dépens et à payer à Mme [O] les sommes de :
150 € à titre de dommages-intérêts,
1 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration au greffe en date du 7 juillet 2021, la société SEGUR a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 21 mars 2022, elle demande à cette cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de :
dire et juger qu’aucune pratique commerciale agressive, ni abus de faiblesse, ni violence morale ne sauraient lui être reprochés,
juger que le contrat de révélation du 28 janvier 2019 est parfaitement valable,
juger que la révélation et la perception par Mme [O] des fonds séquestrés auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations n’a été possible que grâce aux diligences menées par elle,
juger que, dans tous les cas, par son exécution spontanée et sans réserve du contrat de révélation, Mme [O] a confirmé sa validité et a en conséquence renoncé à tous moyens et exceptions pouvant être opposés au titre de ce contrat,
En conséquence :
condamner Mme [O] aux dépens de première instance et d’appel, et à lui payer les sommes de :
11 107,22 € TTC outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 2 août 2019,
10 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
débouter Mme [O] de toutes ses demandes, fins et prétentions.
Elle fait valoir :
que le contrat est parfaitement valable, que Mme [O] l’a signé sans émettre aucune réserve,
qu’elle n’a jamais émis de critique en particulier sur le montant de la rémunération, ni posé la moindre question sur son contenu,
qu’elle n’a pas exercé la faculté de rétractation qui lui était ouverte puisque le contrat avait été signé hors l’établissement du professionnel,
que si les circonstances de la signature du contrat sont certes inhabituelles, rien ne permet de remettre en cause le consentement libre et éclairé de Mme [O],
que Mme [O] était déjà informée par les courriers qu’elle lui avait adressés avant la signature,
que sa représentante, Mme [G], précise dans son rapport de vacation que c’est Mme [O] elle-même qui l’a conviée à venir la rejoindre au supermarché, puis qui a insisté pour signer le contrat sur-le-champ, le fait que son mari ait fait une crise d’hypoglycémie ne lui posait alors aucune difficulté,
qu’en l’espèce, les conditions de l’article L. 121-6 du code de la consommation définissant la pratique commerciale agressive ne sont pas réunies en l’espèce,
qu’il n’y a pas eu de sollicitations répétées et insistantes puisque sa représentante ne s’est présentée qu’une seule fois,
qu’il n’est pas davantage démontré, au sens de l’article L. 121-8, que Mme [O] n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait, l’abus de faiblesse ne pouvant exister qu’en cas d’état de faiblesse ou d’ignorance de la victime préalable à la sollicitation et indépendante des circonstances dans lesquelles elle a été placée pour souscrire l’engagement,
qu’en outre, Mme [O] a exécuté le contrat par la suite, ne remettant pas en cause son contenu ni les mandats donnés,
que, lorsque les fonds lui ont été versés, elle les a acceptés sans réserve,
qu’en toute hypothèse, l’annulation pure et simple du contrat n’est pas possible puisqu’elle-même a exécuté l’ensemble de ses obligations contractuelles sur lesquelles il n’est plus possible de revenir, et que Mme [O] a bénéficié de la révélation de l’actif lui revenant et des prestations ayant conduit au versement à son profit.
Mme [O], par uniques conclusions notifiées le 30 décembre 2021, demande la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu’il a limité à 150 € l’indemnisation de son préjudice moral.
Elle demande à cette cour, statuant à nouveau sur ce dernier point, de condamner la société SEGUR à lui payer les sommes de :
2 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, si par impossible la cour considérait que le contrat doit recevoir application, elle demande :
qu’il soit dit et jugé que les honoraires réclamés sont hors de proportion avec la réalité de la prestation effectuée,
que ceux-ci soient réduits à la somme de 600 € TTC.
A titre infiniment subsidiaire, elle demande qu’il soit considéré que les honoraires réclamés ne correspondent pas à ceux prévus au contrat, et qu’ils soient fixés à la somme de 9 241,76 € TTC, concluant au débouté de la société SEGUR de sa demande au titre de frais de recherche injustifiés.
Elle reprend, en les développant, les motifs du jugement par lesquels le tribunal a retenu les pratiques commerciales agressives et mensongères de la société SEGUR ainsi que l’abus de faiblesse commis. Elle insiste sur la circonstance que les lettres reçues de la société SEGUR affirmaient à chaque reprise qu’elle n’aurait à débourser aucune somme, et fait valoir que la représentante de la société SEGUR n’aurait jamais dû lui faire signer le contrat dans les circonstances où cette signature est intervenue.
Elle ajoute qu’il ne peut être valablement invoqué une ratification tacite du contrat faisant obstacle à ce qu’elle en invoque les vices, la société SEGUR ne rapportant la preuve d’aucun contact entre elle-même et cette dernière postérieurement à la signature litigieuse, le seul contact qu’elle ait eu étant celui du notaire qui a réceptionné les fonds, lequel lui a d’ailleurs facturé des honoraires dont elle pouvait légitimement penser qu’ils couvraient les diligences invoquées par la société SEGUR.
A titre subsidiaire, elle soutient que les honoraires facturés sont excessifs eu égard au service rendu dès lors qu’elle était la seule héritière connue de la défunte, et que le juge saisi peut toujours les modérer dans le cadre d’un contrat de prestation de service.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 28 février 202
MOTIFS
Sur la demande aux fins de nullité du contrat
# sur l’existence de pratiques commerciales agressives, et sur l’abus de faiblesse
L’article L. 121-1 du code de la consommation édicte que : “Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
(…)
Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.”
L’article L. 121-6 dispose que : “une pratique commerciale est agressive lorsque du fait de sollicitations répétées et insistantes (…) et compte tenu des circonstances qui l’entourent :
1° elle altère ou est de nature à altérer de manière significative la liberté de choix d’un consommateur ;
2° elle vicie ou est de nature à vicier le consentement d’un consommateur ;
(…)
Afin de déterminer si une pratique commerciale recourt au harcèlement (…) les éléments suivants sont pris en considération :
1° le moment et l’endroit où la pratique est mise en ‘uvre, sa nature et sa persistance”
L’article L. 121-7 précise notamment que “sont réputées agressives au sens de l’article L. 121-6 les pratiques commerciales qui ont pour objet :
(…)
3° de se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance”.
L’article L. 121-8 du même code interdit « le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, des engagements (…) sous quelque forme que ce soit, lorsque les circonstances montrent que cette personne n’était pas en mesure d’apprécier la portée des engagements qu’elle prenait. »
L’article L. 121-9 étend les conditions de l’abus de faiblesse aux engagements pris :
“4° Soit lorsque la transaction a été faite dans des lieux non destinés à la commercialisation du bien ou du service proposé ;
“5° Soit lorsque la transaction a été conclue dans une situation d’urgence ayant mis la victime (…) dans l’impossibilité de consulter un ou plusieurs professionnels qualifiés tiers au contrat.”
Les articles L. 132-10 et L. 132-13 du même code sanctionnent de la nullité tout contrat conclu à la suite d’une pratique commerciale agressive ou d’un abus de faiblesse.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, que la signature par Mme [O] du “Contrat de Révélation de succession” est intervenue le 28 janvier 2019 dans les circonstances suivantes.
Tout d’abord, ainsi qu’il a été rappelé plus haut, la société SEGUR avait écrit à quatre reprises à Mme [O] par lettres recommandées avec avis de réception les 16 février 2017, 18 juillet 2017, 9 novembre 2017 et 10 avril 2018, des courriers dans lesquels elle :
informait Mme [O] qu’elle avait “des droits à faire valoir dans un actif en déshérence”,
lui demandait, afin que ses droits lui soient révélés, de signer un “Contrat de Révélation de succession” joint, en double exemplaire,
lui précisait “les recherches que nous avons entreprises ont été effectuées à nos risques et périls de sorte que vous n’avez jamais rien à avancer ni à débourser”.
Dans la dernière lettre en date du 10 avril 2018, la société SEGUR ajoutait : “je vous confirme encore une fois que vous n’encourez aucun risque financier (article 3 du contrat de révélation), ni n’avez à avancer ni à débourser quoi que ce soit pour faire valoir vos droits.”
Il ressort des clauses du contrat ensuite présenté à signature de Mme [O] que les mentions de ces courriers relatives à l’absence de débours, en particulier celle, insistante, de la dernière lettre ainsi formulée “vous (…) n’avez à avancer ni à débourser quoi que ce soit pour faire valoir vos droits” étaient mensongère puisque, aux termes de la clause n° 3 du contrat dont la signature était demandée, les aléas financiers que la société SEGUR s’engageait à supporter, sans frais pour sa cliente, n’étaient que ceux résultant d’un insuccès de l’opération notamment en cas d’intervention d’héritiers plus proches ou de dettes absorbant l’actif, tandis que le contrat comportait, dans tous les autres cas, une clause de rémunération de la société SEGUR en proportion de la valeur d’actif revenant au client, alors qu’il est affirmé dans la dernière lettre visée que ce dernier n’aurait “jamais” (sic) rien à avancer ni à débourser, le verbe ‘débourser’ signifiant clairement, pour un consommateur normalement avisé, que le service proposé est payant et a contrario, si ce verbe est accompagné d’une négation, que le service proposé est gratuit.
Ensuite, il ressort du rapport d’intervention établi par Mme [G], représentante de la société SEGUR, ainsi que des autres pièces produites – en particulier les pièces médicales fournies par Mme [O] que, le 19 mai 2018 :
Mme [G] s’est présentée au domicile de Mme [O] sans s’être annoncée,
ne la trouvant pas à son domicile, elle a procédé à une enquête de voisinage et a, dans ce cadre, a obtenu les coordonnées téléphoniques de Mme [O],
elle l’a contactée par téléphone et s’est rendue au lieu où celle-ci lui avait indiqué se trouver, à savoir un supermarché “Monoprix” où elle faisait ses courses, sans établir pour autant que ce soit sur l’invitation de Mme [O] qu’elle s’y soit rendue,
lorsqu’elle est arrivée, l’époux de Mme [O] venait de faire un malaise hypoglycémique et les pompiers avaient été appelés pour intervenir,
c’est alors et dans ce lieu qu’ont été signés par Mme [O] le “contrat de révélation”, ainsi qu’un mandat et une procuration.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société SEGUR a usé d’une pratique commerciale agressive en adressant à Mme [O], âgée de 80 ans au moment de la signature du contrat, quatre lettres recommandées restées sans réponse, puis en envoyant sa représentante directement au domicile de celle-ci sans que cette visite soit annoncée, enfin par la circonstance que cette représentante, une fois sur place et n’ayant pas trouvé Mme [O] à son domicile tout d’abord a recherché dans le voisinage le numéro de téléphone de cette dernière, puis l’ayant obtenu l’a contactée immédiatement, enfin l’a rejointe dans un magasin Monoprix où elle faisait ses courses en vue de lui faire signer le ‘contrat de révélation de succession’ ainsi qu’une procuration et un mandat, tous documents de nature à engager la signataire notamment quand au versement d’une rémunération, alors-même que les quatre courriers envoyés initialement lui annonçaient un service gratuit ainsi qu’il a été développé plus haut.
Sont ainsi réunis les éléments caractérisant une pratique commerciale trompeuse, à savoir les sollicitations répétées et insistantes, ainsi que l’altération du consentement du consommateur en raison des circonstances de la signature du contrat (dans un supermarché alors que l’époux de la victime venait de faire un malaise).
Est au surplus caractérisé, à la charge de la société SEGUR, un abus de la faiblesse dans laquelle se trouvait alors Mme [O] en raison de l’état de son mari, qui venait de faire un malaise au moment où Mme [G] est arrivée au magasin Monoprix ainsi qu’il ressort du propre rapport de vacation de cette dernière. Aux termes d’une attestation du directeur du magasin Monoprix, ce malaise est survenu vers 10 h 30, les pompiers ont été appelés en intervention et ils ont donné comme consigne de faire absorber de la confiture à M. [O] ; enfin, la santé de ce dernier ne s’améliorant pas, il a été évacué par le SAMU aux environs de 12 h.
C’est donc dans ce laps de temps que Mme [O] a signé les documents litigieux ainsi qu’il ressort du rapport de vacation de Mme [G], alors que ces circonstances en particulier le malaise de M. [O], qui préexistaient à l’arrivée de cette dernière, avaient nécessairement altéré, par le stress engendré, les facultés pour Mme [O], alors âgé de 80 ans, de lire correctement et de comprendre clairement les termes des documents qu’elle signait lesquelles l’engageaient à rémunérer la société SEGUR, et ce alors même que cette dernière lui avait annoncé avec insistance, par quatre lettres successives, qu’elle ne devrait “jamais rien avancer ni débourser”.
Il est inopérant que la société SEGUR soutienne, sans le démontrer au demeurant si ce n’est par le seul témoignage de sa propre représentante, que Mme [O] aurait insisté pour signer tout de suite le contrat après lui avoir dit qu’elle ne savait pas quand elle serait disponible plus tard, dès lors qu’au regard des circonstances objectives ainsi rappelées, sa représentante ne devait en aucun cas accepter que le contrat soit signé dans de telles conditions.
C’est encore en vain que l’appelante se prévaut de l’absence d’exercice par Mme [O] de son droit de rétractation, au demeurant mentionné au contrat par visa et reproduction de textes dont les numéros diffèraient selon les pages concernés, ou encore ne concernaient pas le délai de rétractation ou enfin n’étaient plus en vigueur lors de la signature du contrat ; ainsi, sont visés tour à tour :
à l’article 4 du contrat l’article L. 121-25 du code de la consommation qui avait été abrogé par la loi 2014-344 du 17 mars 2014,
juste avant le formulaire intitulé « coupon d’annulation du contrat » (sic) l’article L. 221-16 du code de la consommation qui ne concernait plus la faculté de renonciation depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2016 de l’ordonnance 2016-301 du 14 mars 2016,
enfin en bas de la dernière page l’article L. 221-29 qui ne concerne pas le droit de rétractation.
En toute hypothèse, l’absence d’exercice de ce droit, lequel permet seulement au consommateur de revenir sur un accord donné hors des locaux de l’entreprise qui lui a soumis la signature d’un contrat, n’est pas de nature à purger les vices du contrat s’il a été conclu suite à une pratique commerciale agressive ou à un abus de faiblesse.
# sur le moyen tiré d’une ratification tacite du contrat
La société SEGUR se prévaut, sur ce point, des dispositions des articles 1181 et 1182 du code civil.
Aux termes de l’article 1182, ‘La confirmation est l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce. Cet acte mentionne l’objet de l’obligation et le vice affectant le contrat (…) L’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation.’
En application de ce texte, pour que le comportement de celui qui pourrait invoquer la nullité vaille confirmation tacite de l’acte nul, il faut qu’il implique de sa part la reconnaissance de cet acte comme valable en connaissance de la cause de son vice, et enfin que l’intention de réparer celui-ci en acceptant d’exécuter l’acte ressorte clairement de ce comportement.
Tel n’est pas le cas en l’espèce de la seule perception par Mme [O], par l’intermédiaire d’un notaire, des fonds recueillis suite à la découverte du compte d’épargne en déshérence, dès lors que la lettre de cet officier ministériel adressée à l’intimée en date du 18 juin 2019, même si elle vise le mandat donné par la société SEGUR, contenait une information sur le montant des honoraires revenant à l’étude notariale à déduire des sommes à percevoir, ce qui pouvait laisser penser à Mme [O] qu’elle n’aurait aucun autre frais à débourser et que le contrat qu’elle avait signé dans les conditions ci-dessus rappelées n’aurait pas à s’appliquer, la demande de paiement par la société SEGUR de ses honoraires ne lui ayant été adressée que postérieurement le 2 août 2019.
Il en résulte que la simple perception des fonds sans réserve dans ces conditions ainsi que, pour les mêmes motifs, la signature du ‘bon pour accord’ sur la convention d’honoraires du notaire, ne suffisent pas à caractériser la confirmation tacite, par Mme [O], du ‘contrat de révélation de succession’.
C’est donc à bon droit que le tribunal a prononcé la nullité du contrat et le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes en paiement de la société SEGUR
Le contrat étant nul ainsi qu’il vient d’être développé, la société SEGUR ne peut s’en prévaloir pour demander le règlement des honoraires qui y étaient stipulés.
Ses demandes fondées sur l’exécution du contrat ne peuvent donc être admises.
Par ailleurs, les arguments de la société SEGUR concernant la charge de la preuve de l’absence de cause ou de celle de l’inutilité de son intervention sont inopérants puisqu’ils reposent soit sur l’existence d’un contrat, soit sur la preuve de l’existence de celui-ci, alors qu’en l’espèce le contrat conclu est frappé de nullité.
Enfin, elle est mal fondée à invoquer un enrichissement sans cause de Mme [O], les fonds perçus par cette dernière ayant pour cause sa qualité d’héritière de par l’effet de la loi, cette qualité étant connue depuis l’acte de notoriété du 20 décembre 1995.
Le jugement déféré sera donc aussi confirmé en ce qu’il a débouté la société SEGUR de toutes ses demandes.
Sur l’appel incident de Mme [O] et sur les demandes accessoires
Les circonstances de la signature du contrat telles qu’elles viennent d’être rappelées, puis la position dans laquelle s’est trouvée Mme [O] en étant sollicitée pour le règlement d’honoraires en exécution de celui-ci lui ont incontestablement causé à celle-ci un préjudice moral par le stress, les démarches et pertes de temps qui en sont résultés, ce qui justifie qu’il lui soit alloué de ce chef la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts, par voie d’infirmation partielle du jugement déféré.
La société SEGUR, qui succombe en son appel, devra supporter les dépens conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile. Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il est équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [O].
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a limité à 150 € les dommages-intérêts alloués à Mme [O] en réparation de son préjudice moral.
L’infirme sur ce dernier point et, statuant de nouveau et y ajoutant :
Condamne la société SEGUR à payer à Mme [O] :
la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
la somme supplémentaire de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Condamne la société SEGUR aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT